Chapitre 8
Je n'en pouvais plus d'être enfermée sur ce bateau. Je voulais pouvoir marcher plus de cents mètres sans avoir à faire demi-tour. Je voulais voir d'autres visages que ceux que je voyais tous les jours. Et ce mal de mer... Je n'en pouvais plus.
Heureusement, le nouveau capitaine du bateau m'avait annoncé que nous nous approchions de la terre ferme. Nous pourrions faire débarquer les passagers indésirables. Malgré la discussion que j'avais eue avec Ryker, j'espérais toujours le voir disparaître du bateau. Cependant, j'avais la sensation qu'il refuserait de débarquer. Il se cherchait encore, voulait revivre une aventure similaire à celle qu'il avait vécue en venant nous chercher, sa sœur et moi, au cœur de la Faerie.
Il ne me restait plus qu'à espérer que Jedrek lui fasse réaliser que ce n'était pas la meilleure solution.
Le pont arriva en vue à l'horizon et tout le monde se réunit. C'était un petit port du sud du Grand Royaume. Nous y passâmes quelques heures, le temps de récupérer de nouvelles provisions et de nouveaux vêtements. Naseok se moqua de moi à cause de mon « soudain air de pirate ». Pour sûr, le pantalon noir collant et la tunique épaisse qui me tombait bas sur les hanches ne ressemblaient à rien d'autre qu'à une tenue de mer. De pirate.
Pas que ma tenue me préoccupe. Je me moquais de ce à quoi je ressemblais. Je n'avais plus aucune patience avec la mode depuis la Faerie. Avoir passé plusieurs mois dans les mêmes vêtements raidis de crasse, ressembler à un pirate était le dernier de mes soucis.
En remontant sur le pont, je me figeai en découvrant Ryker et Jedrek qui tentaient de remonter à bord. Deux Faes marins leur bloquaient le passage. Comme s'ils avaient senti ma présence, ils tournèrent la tête vers moi.
- Que doit-on faire ?
Je vis le « ma reine » s'étrangler dans sa gorge. Si Ryker ne parut rien voir, ce ne fut pas pareil pour Jedrek qui me transperça du regard. Je l'ignorai en m'approchant Naseok quelques pas derrière moi.
- Depuis quand c'est toi qui diriges ? me demanda Ryker.
- Pourquoi tu veux remonter à bord ? éludai-je. On ne va pas vers l'est.
- Nous venons avec toi, répondit Jedrek.
- Je ne crois pas avoir donné mon accord pour ça. C'est mon bateau et mon équipage, désormais. Je n'ai aucune raison de vous laisser remonter.
- Sixtine, souffla Ryker.
Je l'ignorai, affrontant Jedrek dans un combat silencieux. Il avait un plan dont il ne m'avait pas fait part. Il était celui qui avait dit à Ryker de partir vers l'est et pourtant, il était là, à tenter de forcer le passage pour revenir sur un bateau qui partait vers le sud. Ça n'avait pas de sens. Or, je connaissais suffisamment Jedrek pour déceler les signes qui me disaient qu'il avait une idée derrière la tête.
- Si tu nous forces à partir vers l'est, ça sera la guerre, affirma l'ancien Capitaine de la Garde. Tu le sais. Si tu nous laisses monter, une fois Ryker sur le trône, une alliance sera faisable. Peut-être même plus.
Tous mes muscles se raidirent. Ses mots résonnaient dans ma tête comme une ode funeste. Il savait qui j'étais réellement. Je n'aurais pas dû être aussi surprise. Il était un Demi-Sang. Il était celui qui m'avait mise face à ma véritable nature. Il en savait probablement assez sur les Faes pour avoir compris. Il était intelligent.
Quant au reste... Il jouait avec moi. Il cherchait à me manipuler en touchant à la corde sensible qu'était ma relation avec Ryker. Ça manquait tellement de subtilité que c'en était insultant. Pensait-il réellement pouvoir me manipuler en agitant la possibilité d'un futur avec Ryker ? Me voyait-il aussi crédule ?
Naseok s'approcha et je frémis lorsque sa main se posa dans le bas de mon dos.
- Laisse-les monter, murmura-t-il à mon oreille. Il veut que tu les forces à débarquer.
Je cogitai quelques secondes, tentant de comprendre où mon ami voulait en venir. Quel intérêt Jedrek aurait-il à m'obliger à les faire débarquer ? Croyait-il que cela serait suffisant pour que Ryker me déclare la guerre lorsque je montrais sur le trône ? Cela me paraissait tiré par les cheveux.
Je fis un geste vers les deux Faes marins qui, sans hésitation, libérèrent le passage. Ils restèrent à proximité, surveillant notre affrontement qui n'était pas terminé. Au contraire, j'avais la sensation qu'il ne faisait que commencer.
- Nous ne ferons pas de détours. Nous allons directement dans le cœur de la Faerie. Je ne perdrais pas plus de temps que je n'en ai déjà perdu.
- Nous le savons.
Je ne manquai pas l'expression sur le visage du prince héritier. Il commençait à réaliser que son ami n'était plus le même. Au fond, peut-être n'était-ce pas plus mal de les faire remonter à bord. Je pourrais garder un œil sur Jedrek pour m'assurer qu'il ne ferait rien qu'il regretterait. Cependant, je ne pouvais pas lui laisser la victoire aussi facile.
- Une fois que je serais arrivée à destination, votre sort sera entre les mains des pirates. Et je crois qu'ils ne vous aiment pas beaucoup. Dès que je serais sur le sol Fae, ils ne s'empêcheront plus de faire ce qu'ils veulent avec vous.
Je les regardai de haut en bas, laissant mon silence leur prédire ce qui arriverait. J'ignorais si le moindre pirate aurait envie de reproduire ce qui avait été infligé à Naseok. Toutefois, c'était une menace plus violente et inattendue pour Jedrek qui avait déjà subi plus que son lot de tortures.
- Nous comptons te suivre jusqu'à la Cour Noire et t'aider, Sixtine.
Sa façon de prononcer mon prénom me hérissa les poils de la nuque. Ryker devait être un complet crétin pour ne pas saisir ce que je cherchais à cacher dans le seul ton de son ami. La révérence ironique dans son ton me donna envie de le jeter par-dessus bord.
- Je n'ai pas besoin de vous. Vous m'encombrerez plus qu'autre chose. C'est donc dans votre intérêt de faire demi-tour tout de suite et de partir vers vos alliés de l'est.
- Jedrek pense que t'aider pourrait faire cesser la guerre entre le Grand Royaume et la Faerie et je suis du même avis.
- Tu n'as pas la moindre idée des monstres que sont les Rois Jumeaux, rétorquai-je méchamment. Tu n'as aucune idée de la joie qu'ils prennent dans cette guerre. Dès qu'ils te verront, ils te tueront et agiteront ta tête au bout d'une pique devant ta mère pour l'obliger à lancer toutes ses armées sur la Faerie qui les décimera d'un claquement de doigts.
- Mon père était dans les Cours lorsqu'il a créé la Cage de Fer à l'aide d'une formule, d'une potion et du sang d'une personne sacrifiée. Si je parviens à tout reproduire, je pourrais renfermer la Faerie dans la Cage !
L'effroi me submergea. C'était donc ça, le plan de Jedrek ? Renfermer à nouveau la Faerie dans la Cage ? Les plonger pour de nouveaux siècles dans le noir, dans un cauchemar sans fin où tout leur est familier mais où les jours s'étirent sans fin ?
Je ne pouvais pas leur laisser savoir combien cette perspective m'horrifiait. Si je parvenais à instiller le moindre doute dans l'esprit de Jedrek, ça serait une victoire.
- J'aimerais t'y voir ! raillai-je. Tu n'auras jamais le courage de tuer quelqu'un pour sceller la Cage de Fer. Tu n'es pas ton père. Lui en avait le courage. Toi, tu es trop faible.
- Si c'est ce que je dois faire pour protéger mon peuple et faire cesser cette guerre, je le ferais.
Son regard semblait être fait d'acier tant il était résolu. Jedrek avait réussi à retourner l'esprit de Ryker. Il avait planté la graine et elle se développait toute seule, alimentée par le manque de confiance de Ryker et son besoin de se montrer digne de sa place sur le trône. Sans le vouloir, il partait exactement dans la même direction que son père alors que c'était ce qu'il avait toujours voulu éviter.
- Très bien, cédai-je. J'ai véritablement hâte de voir ça.
Je tournai les talons. Aussitôt, les pirates se mirent en mouvement et firent repartir le bateau. Nous nous éloignâmes du port et reprirent la mer.
Mes relations avec Jedrek ne firent que se dégrader un peu plus chaque jour. Ça me blessait de devoir me battre verbalement avec la seule personne qui m'avait soutenue lorsque j'étais à la cour des Madsen. Derrière ces brûlures et ces cicatrices se trouvait le vrai Jedrek. Malheureusement, j'avais beau faire tout ce que je voulais, il demeurait dissimulé derrière ce nouveau Jedrek qui me faisait horreur.
Je voyais bien que Ryker se doutait de quelque chose aussi. Il était plus vigilant avec Jedrek. Il demeurait cependant ferme sur ses positions envers la Faerie. S'il le fallait, il l'enfermerait à nouveau dans une Cage.
Je passai beaucoup de temps sur le pont à scruter l'horizon, espérant une prompte arrivée en territoire Fae. Le capitaine tentait de me donner des approximations qui ne signifiaient rien pour moi.
Je roulai des yeux en voyant la tignasse couleur de nuit de Jedrek apparaître. Je ne lui adressai pas la moindre attention. Ce qui ne fut pas à son goût.
- Quand comptes-tu lui dire qui tu es ?
- Il sait qui je suis, objectai-je, dégageant mon bras de sa prise.
- En es-tu si sûre ? Je crois que tu as oublié une grosse partie qui changerait la donne entre vous.
- En quoi est-ce que ça te regarde, ce qui se passe entre lui et moi ? Surtout qu'il ne se passe plus rien.
- Tu ne me feras pas croire qu'il ne se passe rien. Tu agis toujours de la même manière avec lui. Tu flottes autour de lui sans y paraître, continuant de le protéger comme au premier jour. Essaie d'être plus crédible quand tu veux prétendre ne plus rien vouloir savoir de lui. Tu l'aimes toujours, peu importe ce qu'il a fait. Tu rêves encore de le récupérer. Et s'il savait qui tu es... Plus jamais il ne voudrait être associé à toi.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Ses mots me blessaient et il le savait. Il en usait et en abusait. Il cherchait à obtenir une réaction de ma part. Il voulait que je me mette en colère, que j'aille admettre à Ryker qu'un trône m'attendait lorsque je serais de retour à la Cour Noire. J'ignorais lequel serait le mien. Seelie, Unseelie... Ça n'avait pas d'importance, pour moi. Les deux étaient une facette d'un peuple que je ne connaissais pas.
- Je pense, au contraire, mieux savoir que toi de quoi je parle. Après tout, Ryker est mon ami depuis tellement d'années.
- Je ne sais pas ce qu'ils t'ont fait pendant ta captivité mais il faut que tu te réveilles, Jedrek ! explosai-je. Tu veux vraiment laisser Lux et Jullian gagner ?
- Ce n'est pas un sujet que tu devrais te sentir en droit d'aborder, siffla-t-il, sa rage remontant soudain à la surface.
- Ah non ? Et pourquoi cela ? Pourquoi n'aurais-je pas le droit de te faire réaliser que tu laisses ces monstres gagner ? Que tu leur ouvres en grand la voie vers leur plus belle victoire ?
Sa main jaillit et s'enroula autour de ma gorge. Il serra si fort que ce fut un miracle que mes os ne cèdent pas sous la pression. Automatiquement, mes mains tentèrent de le décrocher de moi.
- Tu ferais mieux de surveiller ce que tu dis, petite princesse. Je n'aimerais pas avoir à te tuer.
- Jedrek ! hurla Ryker. Mais qu'est-ce que tu fais ?! Lâche-la !
Son cri alerta les pirates qui débarquèrent en masse, l'arme au poing. L'air commença à manquer dans mes poumons et je luttai plus fortement contre la prise de Jedrek.
- Ne m'oblige pas à faire ça, Jedrek. Tu sais que je ne veux pas le faire.
Ryker. Que se passait-il ?
- Tu ne peux pas me sauver, dit simplement Jedrek. Pour moi, il n'y a pas de retour en arrière possible.
- Bien sûr que si !
- TUE-LE, ESPECE D'ABRUTI ! beugla une voix masculine derrière lui. TUE-LE !
- Jedrek, relâche-la. Si tu la relâches...
Il n'attendit pas la fin de la phrase de Ryker pour agir. Sa seconde main rejoignit la première et serra encore plus fort, coupant totalement mon arrivée d'air. Ça ne dura que quelques secondes avant que la prise de Jedrek ne se relâche et qu'il ne s'effondre à terre, un filet de sang coulant sur le menton, la vie quittant ses yeux. Son crâne alla heurter le plancher dans un bruit sourd.
Je relevai les yeux pour voir Ryker, l'épée à la main, l'air choqué et horrifié. Il laissa tomber son arme qui atterrit à côté du corps sans vie de son ami.
- Je... Je n'avais pas le choix... murmura-t-il. Il... Il allait...
Naseok posa une main sur son épaule et la pressa tandis que je restais sans bouger.
Ryker venait de tuer Jedrek. Pour me sauver, il avait tué son meilleur ami. Le choc était si puissant que je ne réalisai pas tout de suite la commotion autour de moi. Je ne vis pas tout de suite la figure connue s'avancer vers nous.
- Eh bien, c'est facile de voler un bateau de pirates Faes, l'air de rien ! Je m'étais attendu à un plus grand défi !
Je sursautai. Tous les pirates pointèrent leurs épées vers l'intrus qui ne perdit pas son sourire.
Devant moi se tenait Gallagher, le visage brûlé par le soleil, plus émacié que dans mon souvenir, un grand sourire sur le visage.
- C'est comme ça que tu m'accueilles, Sixtine ?
- Mais qu'est-ce que tu fous ici ?! me récriai-je.
Il éclata de rire.
- Je te sauve la vie.
____________________________________
NdlA : Que d'événements ! Il s'en passe des choses dans ce chapitre ! Qu'est-ce que vous en pensez ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top