Chapitre 40

Nous attendîmes que Nahl et Naseok nous rejoignent dans la salle du conseil. Un peu de confort ne serait pas de trop pour Gallagher, Addy et Ghur.

Les trois arrivants en profitèrent de l'attente pour se changer et manger un peu. Addy était devenue si maigre que je pouvais pratiquement voir ses os à travers sa peau. Je n'arrivais pas à croire que Ryker l'ait laissée dans cet état. Sa précieuse petite sœur. Il l'adorait plus que tout. Alors pourquoi était-elle ici dans un tel état ?

Personne ne les poussa à parler. Il était évident qu'ils en avaient vu des vertes et des pas mûres. Ghur n'était pas en meilleur état que la jeune princesse sur qui il veillait. Il arborait un coquard, des cicatrices plus ou moins guéries... Il devait s'être placé entre Addy et ses possibles agresseurs. Ça me paraissait improbable que quiconque à la cour des Madsen ait osé s'attaquer à l'énorme Unseelie.

- Alors ? finis-je par dire. Que s'est-il passé ? Pourquoi êtes-vous ici ?

- Tu as pu voir comment ma mère gère sa place de reine, répondit Addy, la voix douce et hésitante. Avec Jullian, entre tous. Mais depuis le retour de Ryker, c'est... pire.

- Comment est-ce possible ?

Addy déglutit et glissa ses mains sous ses cuisses. Elle était la personnification du malaise. Ghur posa une main sur son épaule et elle se laissa aller contre lui. La douceur qui existait entre eux me laissait bouche bée. Je me souvenais du temps où la jeune princesse était terrifiée par le Fae. Visiblement, ce n'était plus le cas. Leur relation me faisait penser à celle que j'entretenais avec Naseok. Cette confiance totale, ce besoin de protéger l'autre... Sauf que la leur était bien moins équilibrée que la nôtre.

- Lorsqu'il est rentré, Ryker était furieux contre toi. Contre vous. Il a réussi à convaincre notre mère de former une alliance. Elle s'est laissée convaincre. Ils se sont mis à comploter avec Jullian. J'ai tenté de lui parler mais la moindre mention des Faes ou de toi (son regard accrocha le mien, désolé) le faisait entrer dans des accès de rage comme je ne lui en avais jamais vus. Il devenait... fou ! Mon frère est devenu complètement fou.

Son gémissement me fit mal au cœur. Toutefois, je n'en ressentais aucune culpabilité. J'aurais probablement dû. Après tout, c'était à cause de moi majoritairement que Ryker avait rejoint sa mère avec une seule idée en tête : détruire la Faerie. Ou, plutôt, me détruire.

- Mais les choses ont changé il y a quelques jours, reprit-elle. Il a... Il a tué Jullian. Mère et lui voulaient empêcher... quelque chose qu'il avait décidé de faire. Je ne sais pas quoi. S'il y a une chose qui n'a pas changé, c'est qu'on ne me dit jamais rien. Toujours est-il qu'ils ont voulu l'en empêcher et il... il l'a... embroché. Juste comme ça. Il a pris son épée et la lui a enfoncée dans le ventre. Jullian n'a pas eu le temps de réagir. C'était horrible.

Abasourdie, je clignai des yeux. Que Ryker ait assassiné l'Intendant dans un éclat de colère me paraissait invraisemblable. La seule personne qu'il avait eue au bout de son épée avait été Jedrek et c'était pour me défendre. Cette fois, c'était gratuit. Ça ne lui ressemblait pas.

- Et après ? Comment a réagi Lux ?

- Elle a pris peur, comme moi. Elle a compris qu'on ne pouvait pas récupérer Ryker. Je me suis enfuie quand il a explosé une nouvelle fois. Il hurlait et menaçait tout le monde. Même avec Ghur pour me protéger, je ne me sentais plus suffisamment en sécurité pour rester plus longtemps au château.

- Je suis tombé sur eux pendant qu'ils fichaient le camp en pleine nuit, continua Gallagher. Ils avaient un manque de discrétion affolant. J'ai été leur demander ce qu'il se passait et je les ai emmenés avec moi dans une taverne pour la nuit. Ils m'ont tout raconté alors je les ai ramenés avec moi. Elle m'a assuré être amie avec toi.

- Tu as bien fait, lui assurai-je avec mon sourire le plus rassurant.

En vérité, je n'arrivais toujours pas à me faire à l'idée que Ryker était devenu fou. Je ne voyais pas comment appeler ses actions autrement que folie. Je ne parvenais pas à me l'imaginer. D'accord, il avait été furieux lorsque j'avais rompu notre marché et l'avait chassé de la Faerie. De là à trahir sa propre mère ? De là à assassiner froidement l'amant de celle-ci pour un simple contentieux ?

- Vous pouvez rester ici, assurai-je. À moins que vous ne vouliez vivre ailleurs dans la Faerie. Toutefois, pour le moment, je ne le recommanderais pas.

- Je n'ai pas cru Ryker lorsqu'il a dit que tu étais devenue une reine Fae, avoua Addy en rosissant. Je pensais qu'il disait ça à cause de... de sa folie. Je n'aurais jamais cru que tu deviendrais reine. Surtout pas des Faes.

- Ça ne faisait pas partie de mes plans de vie, répondis-je avec un rire. Je n'ai pas la moindre idée de ce que je fais la moitié du temps et l'autre, je la passe à me donner des migraines.

- Et à m'en donner, marmonna la voix de Roscoe.

Je me tournai sur mon fauteuil. Depuis quand était-il là ? Et comment avais-je pu manquer son arrivée ?

- Il est arrivé juste après nous, se moqua Naseok. Tu as vraiment besoin de dormir !

- C'est ce que je me tue à dire mais personne ne me laisse faire !

Les deux Unseelies se mirent à rire. Roscoe roula des yeux tandis que Addy souriait, légèrement, mal à l'aise, et que Ghur était... Ghur. Sans expression, vide d'émotions. Ghur, quoi. Au moins, certaines choses ne changeaient pas.

- Bon, maintenant que c'est réglé, dit Nahl.

- Plus ou moins, interrompis-je dans un souffle.

- Assez pour qu'on retourne se reposer quelques heures, poursuivit mon frère en me jetant un regard entendu. On en a tous besoin.

Je n'allais pas objecter. Retrouver mon lit était mon objectif premier entre tous. Je n'avais aucune envie de gérer quoi que ce soit pour le moment. D'accord, j'étais censée être reine mais ça ne changeait pas le fait que j'avais besoin de repos.

- Je vais demander à quelqu'un de vous trouver une chambre, dis-je à Addy et Ghur. Vous aussi, vous devriez vous reposer un peu. Tout devrait faire un peu plus sens après quelques heures de sommeil.

Ghur suivit Addy lorsqu'elle se leva et me rejoignit. Je trouvai un servant dans le couloir et lui demandai s'il pouvait trouver des chambres libres pour loger Addy et Ghur. Il les emmena avec lui et la jeune princesse m'offrit un petit sourire en partant. Je me frottai les yeux.

Naseok et Nahl étaient toujours là, patientant. J'inspirai avant de les rejoindre. Que voulaient-ils ? Nahl était celui qui nous avait incités à aller dormir.

- Fais attention à toi, murmura mon frère, les yeux rivés sur mes nouveaux invités. On ne sait pas si leur histoire est vraie.

- Il a raison, ajouta Naseok. Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé depuis qu'ils sont rentrés chez eux. Tout ça peut n'être qu'un moyen pour Ryker d'avoir quelqu'un infiltré ici.

- J'aurais bien dit que ça ne lui ressemble pas d'utiliser sa sœur mais si ce qu'Addy a raconté est vrai, je doute d'encore le connaître.

- Je n'aurais pas cru qu'il réagirait ainsi. Je pensais plutôt bien le connaître avec le trajet que l'on a fait ensemble. Au final, je suppose qu'il a bien caché son jeu.

- Ces humains sont tous fous, conclut Nahl avec dédain. Surtout les Madsen. Alors fais attention à toi. Garde Roscoe sous la main. Il est sûrement le seul à pouvoir repousser Ghur.

- Il va falloir qu'on parle de Roscoe, d'ailleurs. Mais pas tout de suite. Je suis trop fatiguée. Bonne nuit, les garçons.

Sans attendre, je partis pour mes quartiers. J'étais bien décidée à dormir quelques heures de plus pour enfin pouvoir réfléchir correctement.

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La journée allait être chargée. Je le sus dès que Éméraldine me donna l'ordre du jour. Je devais voir avec Naseok comment se passaient les choses avec Weethe et le Traître, obtenir le maximum d'informations de Gallagher, m'occuper d'Addy et Ghur, vérifier les murs et, le pire de tout, assister à l'interrogatoire que Nahl allait faire subir à Brycen. Je n'étais pas pressée.

Je pris mon temps pour me préparer et prendre mon petit-déjeuner. Je sentais que cette lenteur allait devenir une habitude. Commencer lentement était une bien meilleure idée que de foncer directement à l'attaque de la pile de travail que j'allais devoir abattre.

Les heures défilèrent à toute vitesse. Éméraldine avait prévu toute ma journée à la minute près et je vis à peine les tâches commencer et s'achever. J'avais eu des doutes à l'idée de laisser quelqu'un d'autre ordonner mes journées pour moi mais, parfois, c'était bien pratique. Surtout quand il y avait beaucoup de choses à faire en peu de temps.

Il allait vraiment falloir que je prenne l'habitude de laisser ma conseillère m'aider dans la planification de mes journées. Ça serait assurément une bonne idée de la promouvoir à ce poste. Parce que je ne m'en sortirais jamais seule. Il était plus que temps que je l'accepte.

La journée arriva vers sa fin. Je me retrouvai à dîner seule dans mes quartiers. Naseok était à la Cour Noire. Il y passait plus de temps qu'avant. À cause de mon frère, à n'en pas douter. Je ne pouvais pas lutter contre ça. Malgré tout, la solitude commençait à s'installer. Je n'arrivais pas à me lier avec les autres Seelies. Nous n'étions pas du même monde. Ils étaient froids et distants, respectant bien trop la hiérarchie pour se permettre de me voir autrement que comme leur reine.

Ce qui me laissait très, très seule.

Je repoussai le reste de mon assiette et me levai. Il ne me restait qu'une chose à faire. Assister à l'interrogatoire de Brycen. Autant je n'avais aucun mal à l'idée de torturer quelqu'un d'aussi abject pour obtenir des réponses, autant l'idée que mon petit frère joue les bourreaux me donnait la nausée. Malheureusement pour moi, il n'y avait rien que je pouvais faire. Il était le nouveau Roi Noir. Il devait remplir son rôle.

Toutefois, peut-être pouvait-il changer les attentes que l'on avait de lui. Certes, il avait été élevé comme un Unseelie mais ne pouvait-il pas éviter d'être aussi violent ? Ne pouvait-il pas utiliser quelqu'un de sa cour pour faire le sale boulot ? C'était bien plus royal de faire faire ce genre de choses plutôt que de les faire soi-même.

Je fus escortée jusqu'à la cellule de Brycen. Les gardes Unseelies étaient raides et silencieux, me gardant à l'œil. Comme si j'allais faire quoi que ce fut chez mon frère. N'avaient-ils pas réalisé qu'il n'y avait pas cette rivalité pathologique entre Nahl et moi ? Nous n'avions pas été élevés pour être en perpétuelle compétition. Au contraire, nous étions en plus en accord qu'en confrontation. Du moins avais-je cette sensation.

Je frémis en remontant l'allée des cellules. Combien de temps étais-je restée enfermée dans l'une d'elles ? Je me souvenais du froid, de l'humidité, de la noirceur constante. J'avais passé de longues nuits et jours ici, d'abord avant d'obtenir une chambre dans la cour, puis, en guise de punition. Mon sang avait plus d'une fois taché ce sol dur et froid.

Un petit groupe s'était déjà formé lorsque j'atteignis les torches et leur chaleur. Mon frère, ses conseillers, Naseok, Harsa et un jeune page assis sur un tabouret, des rouleaux de parchemins sur les genoux. J'étais la dernière à arriver, en fait.

- Nous t'attendions, sœurette, sourit Nahl.

Je ne répondis pas mais le rejoignis. Brycen était ligoté à une chaise au milieu de sa cellule, un air défiant sur le visage. Il me regarda droit dans les yeux, un petit sourire mauvais sur les lèvres.

- Alors, bâtarde, on a peur ? siffla-t-il. On laisse le gamin faire les tâches ingrates ?

Je me contentai de lui décocher un coup de poing en plein visage. Mon entraînement était définitivement payant puisqu'il valsa à terre avec un grognement de douleur, crachant du sang sur les pavés.

- Hé bien ! Tu ne rigoles pas ! ricana Nahl, une main sur mon épaule. Rappelle-moi de ne jamais t'insulter.

- Ça serait bien pire pour toi, le prévins-je.

Il m'offrit un sourire et un coup d'épaule avant de retrouver son sérieux. Cette fois, il était question de travail. L'interrogatoire allait commencer et il n'allait pas être joli à voir.

Je me reculai pour laisser mon frère œuvrer. Je reconnus aussitôt la marque des Unseelies. Ce jeu entre le prisonnier et l'interrogateur. Nahl lui tournait autour, posant ses questions, attendant des réponses qu'il n'obtenait pas.

Il commença doucement mais, très vite, la violence escalada. Je sentis mon estomac se retourner. Je savais que je devais montrer la force des Seelies, leur stoïcisme, mais je doutais d'en être capable. Si je continuais à le regarder agir, j'allais vomir devant tout le monde. Résolument, je leur tournai le dos tandis que Brycen hurlait à s'en déchirer les cordes vocales pendant que Nahl lui brûlait la peau des bras, du cou, des jambes.

Je remontai mes manches en luttant contre les souvenirs qui venaient m'assaillir. Pourquoi avait-il fallu que Nahl choisisse cette forme de torture en particulier ? Pourquoi, en sachant ce qui m'était arrivé ?

Naseok me rejoignit et me saisit le bras.

- Faites-nous prévenir lorsqu'il aura parlé, dit-il froidement.

Et il m'entraîna avec lui loin de là. Une fois la lourde porte menant aux cachots fermée, je pus à nouveau respirer.

- Ça va ? me demanda-t-il.

Je hochai la tête.

- Merci. De m'avoir permis une sortie à peu près digne.

- Comme si j'allais te laisser tomber en disgrâce devant tous ces Unseelies qui en ont déjà après toi. Par chance, on dirait que tu méprises le monde entier quand tu as envie de vomir.

Il se mit à rire face à mon regard noir. Il passa un bras autour de mes épaules et me força à le suivre dans les étages. Nous arrivâmes dans ses quartiers et du thé nous fut amené sans qu'aucun de nous n'ait quoi que ce soit à demander.

- Longue journée ?

- Comme tous les jours, répondis-je.

- Repose-toi, dans ce cas. Il ne va pas en avoir fini de si tôt. Et crois-moi, le sommeil est une bien meilleure option que de ressasser les images qui te hantent.

Ça ne m'empêcha pas de rêver de chair brûlée au point d'en sentir l'odeur jusque dans mes songes.

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NdlA : alors là, je suis sacrément curieuse de savoir ce que vous en avez pensé ! Surtout qu'on dirait bien que je vous ai perdus dans le chapitre d'hier ! Ce qui, en soi, est assez drôle :p

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