Chapitre 32
Plusieurs changements avaient eu lieu durant notre absence. Gallagher avait déménagé de la Cour Noire pour s'installer dans des quartiers libres dans ma Cour. Ça ne me dérangeait pas, au contraire. Cela pourrait être l'occasion pournous de renouer. Notre amitié ne serait jamais la même mais elle n'avait pas à mourir pour autant.
De même, la plupart des Démons avait choisi d'aller s'installer en ville. D'après ceux qui restaient, ils n'aimaient pas les Cours et préféraient le grand air et les demeures plus étroites. Cependant, je me doutais que ça allait au-delà de ça. Les Démons n'étaient tout simplement pas faits pour l'inaction d'une cour royale.
Miléna trouva une chambre près de celle de Nahl. Qu'elle choisisse la Cour Noire ne me dérangeait pas. C'était plutôt l'inverse. Je ne parvenais pas à être à l'aise avec elle. Lorsque je m'étais réveillée au son de coups à la porte, je l'avais remerciée pour m'avoir aidée à dormir et nous n'avions plus échangé le moindre mot depuis. C'était désespérant.
Je fus forcée de prendre le reste de la journée de repos. Ordre express du Roi Blanc. Nonobstant, rester en place n'était pas pour moi lorsqu'il y avait tant à faire. La seule solution pour lui de me maintenir vissée à mon siège, ce fut d'improviser une réunion dans la serre.
Il y faisait agréablement chaud et, si les fleurs avaient fané, les arbres étaient toujours verts et en pleine santé. Un sofa avait été amené pour plus de confort et je m'y lovai avec Naseok, une tasse fumante entre les mains. Il avait choisi de rester avec nous, préférant laisser Nahl et Miléna s'installer. Je me doutais qu'il y avait plus que ça. Après tout, leproblème de son père n'avait toujours pas été réglé.
Ce fut, d'ailleurs, le premier sujet que je choisis d'aborder avec le Roi Blanc.
- Qu'allons-nous faire du Traître ? questionnai-je. Nous ne pouvons pas le garder indéfiniment Il va bien falloir choisir une sentence et je doute que la Maison de la Honte soit encore une option.
- Il est évident qu'elle n'en est plus une, approuva l'ancien souverain avec résignation. Il s'en échappe plus vite qu'on ne l'y ramène. Il existe une sentence supérieure au bannissement. Elle n'a pas été utilisée depuis des siècles. C'est vraiment le dernier recours face à un Fae tel que le Traître.
- La Renonciation, souffla Naseok.
Le Roi Blanc hocha gravement la tête. Mon regard passa entre eux.
- Qu'est-ce que c'est ?
- La Renonciation est une cérémonie qui prive un Fae de son lien direct à la nature, m'expliqua mon prédécesseur. Or, c'est de ce lien que nous tirons notre magie. Bien longtemps avant notre temps, nos ancêtres possédaient des ailes et leur équivalent de la Renonciation était de couper ces ailes. Les Faes qui perdent leur magie perdent rapidement pied. Perdre son lien avec la nature, c'est se faire arracher une partie de soi. C'est aussi perdre son immortalité. Pour le Traître, cela signifiera qu'il ne lui restera plus longtemps à vivre. Une semaine, tout au plus.
Je jetai un regard à Naseok qui fixait le fond de sa tasse. Aussi horrible que soit son père, il demeurait son père. Était-il prêt à affronter une telle sentence ? Oserait-il le dire, si ce n'était pas le cas ?
- C'est ce qu'il faut faire, dit le Unseelie. Il n'y a pas d'autre solution. Il ne pourra jamais s'arrêter. Si même la Maison de la Honte n'a rien pu pour lui, rien ni personne ne pourra l'aider. Or, il faut l'empêcher de nuire. Avec Sixtine au pouvoir qui peut ouvrir sur une nouvelle ère et une guerre avec les humains à nos portes, il faut éliminer un maximum de nuisances. S'il garde ses pouvoirs, il ne cessera jamais de s'infiltrer dans toutes les failles et de causer des problèmes. Il faut lui couper les ailes.
- En es-tu sûr ? demanda le Roi Blanc avec une douceur surprenante. Il mourra.
- Oui. Oui, je suis sûr.
La résolution avec laquelle il prononça ces mots me brisa le cœur. Rien ne lui était épargné. Le pire était que je ne pouvais pas intercéder. Le Traître était au-delà de toute rédemption. J'avais beau réfléchir, il n'y avait aucune échappatoire. C'était déjà un miracle qu'il ait survécu aussi longtemps.
- Sixtine ?
Les regards des deux hommes étaient posés sur moi. C'était à moi de prendre la décision finale. J'étais la reine. Quand bien même voulaient-ils la Renonciation, j'avais un droit de veto. Je pouvais aller contre leur décision. Je pouvais trouver une autre solution.
Mais il n'y en avait pas. Le Traître était dangereux. Il pouvait s'infiltrer dans la tête de n'importe qui et c'était trop risqué de simplement l'incarcérer. La Maison de la Honte était faite pour les cas sévères comme lui et il avait réussi à s'échapper trois fois déjà. Je ne pouvais pas le sauver. Pas même pour mon meilleur ami dont il était la dernière famille.
- Est-ce véritablement le dernier recours ? N'y a-t-il vraiment pas d'autre moyen de le maîtriser ?
- Aucun, assura mon prédécesseur. Il est très puissant. Plus puissant que je ne lui en ai jamais donné le crédit. S'il peut s'enfuir de la Maison de la Honte en dépit de tous les pièges et barrières qui ont été installés, il est très, très puissant. Et s'il n'y a pas moyen de contrôler une telle puissance, il faut l'éliminer.
- Donne l'ordre, Sixtine, insista Naseok. Fais-le.
- D'accord. Je suppose que je n'ai pas le choix. Le Traître subira la Renonciation.
Il y eut comme un bourdonnement dans l'air et je ressentis mon ordre se disperser dans la Cour. Je croisai le regard tristement amusé du Roi Blanc.
- Que s'est-il passé ?
- Ton ordre s'est diffusé à toutes les personnes concernées dans la Cour. C'est l'un des privilèges des rois et reines. Nous n'avons pas besoin de passer par des montagnes d'intermédiaires comme les humains. Lorsqu'un roi ou une reine émet un ordre à haute voix, celui-ci se transmet grâce au lien qui existe entre eux et le peuple.
- Ce qui implique que je doive réfléchir à ce que je dis, pas vrai ?
- En effet. Surtout que les Seelies sont efficaces pour remplir leurs missions. D'ici ce soir, tout sera organisé pour la Renonciation. Ton frère doit sûrement déjà être au courant puisque Nahl est la seule famille encore en vie du Traître et qu'il appartient à sa Cour.
Nahl allait m'en vouloir d'avoir décidé une telle chose. Je me doutais que Naseok me défendrait. Il était celui qui avait pris la décision, après tout. Cependant, c'était la deuxième fois que j'allais devoir assassiner le père de quelqu'un qui m'était cher. Je commençais à discerner un schéma qui ne me plaisait pas le moins du monde.
Je me passai une main dans les cheveux.
- Pouvons-nous parler d'autre chose ?
J'en étais presque à supplier de changer de sujet. Aucun de mes deux compagnons ne fit de remarque.
- Bien entendu. De quoi préférerais-tu parler ?
- De la remplaçante de l'Ancienne. Où en est-elle ? Est-elle prête à passer son test ?
- Je ne saurais le dire. Je ne suis pas entré en contact avec ses formateurs depuis ton couronnement. Je n'ai pas de nouvelles.
- Où sont-ils ?
- Dans un endroit secret de la Cour. Seuls les souverains peuvent en trouver le chemin. Pour être entièrement honnête, si ta résolution est assez forte, tu peux arriver là où tu veux aller en ouvrant n'importe quelle porte. Sinon, enfonce-toi dans la forêt et tu finiras par les trouver.
- C'est réellement possible ? se récria Naseok. Je croyais que c'était un mythe !
- Non, c'est bien réel. Tous les souverains régnants n'en sont pas capables, toutefois. Cela demande beaucoup de puissance de savoir passer d'un endroit à l'autre sans parcourir la distance naturelle entre les deux.
- Vous pensez que j'en suis capable ? osai-je.
- Je l'ignore. Ton pouvoir se manifeste par de brutes explosions. Le jauger en devient impossible.
- Tu es puissante, m'assura Naseok. Tu devrais essayer.
Je hochai la tête. L'étendue des possibilités qui s'ouvrait à moi grâce à la magie me donnait le tournis. Je n'aurais jamais imaginé un jour obtenir de telles capacités.
- Et pour Ryker ? A-t-il quitté la Faerie ?
Encore une fois, ils ne firent aucune remarque sur le changement de sujet.
- Selon les rapports que j'ai reçu durant votre voyage, il semblerait que ça soit le cas. Tu peux scanner le territoire pour en être certaine.
- Scanner le territoire ? répétai-je bêtement.
- Oui. Tu y es liée. Tu peux sentir chaque âme qui foule la terre des Faes. Ferme les yeux et concentre-toi sur Ryker. Tu sauras instinctivement s'il est encore présent dans la Faerie.
Je fis ce qu'il me dit et me représentais Ryker dans mon esprit. Et je sus qu'il n'était plus là. Qu'il avait franchi la frontière. C'était comme si la Faerie elle-même me le soufflait à l'oreille. Troublée, je rouvris les yeux et battis des paupières pour chasser mon malaise.
- C'est étrange au départ mais tu t'y feras, sourit le Roi Blanc.
Je ne répondis pas. Je n'avais pas le choix. Que je le veuille ou non, il fallait que je m'adapte à tout ce qui faisait de moi la Reine Blanche. Plus le temps passait, plus je voulais revenir en arrière. Plus je regrettais d'avoir pris le trône. Je n'étais pas faite pour ce rôle. Malheureusement, à moins d'avoir des enfants, je ne pouvais plus y échapper. J'étais prise au piège.
Je terminai ma tasse de thé et me levai.
- Il me suffit de marcher dans la forêt pour trouver la prochaine Ancienne ?
- En effet. Laisse-toi guider.
J'acquiesçai en silence. Je croisai le regard de Naseok qui fit un mouvement de la tête, sans bouger. Je quittai la serre et partis pour la forêt. Je ne parvins pas à ignorer la présence de Roscoe en station à l'orée du bois. Je ne lui accordai pas un regard en passant près de lui. Je m'enfonçai dans la forêt et avançai sans réfléchir. Personne ne tenta de m'arrêter ou ne me demanda où j'allais. Je suivis les sentiers, au fur et à mesure, sans réfléchir.
Une cabane en bois s'éleva soudain devant moi avec un mur couvert de lierre. Une porte s'ouvrit et deux femmes sortirent. Elles sourirent en s'approchant de moi. Elles inclinèrent la tête plutôt que de faire la révérence. Je préférais un signe discret comme cela plutôt que les révérences exagérées que certains faisaient.
- Votre Majesté, lança l'une des deux dont les cheveux vert menthe avaient une couleur uniforme que je n'avais jamais vue jusque là. Nous ne vous attendions pas ! Que pouvons-nous pour vous ?
- J'aimerais savoir où en est la remplaçante pour l'Ancienne.
- Venez, entrez, m'incita la seconde femme. Une tempête approche. Mieux vaut ne pas être dehors lorsqu'elle va frapper.
Je suivis les deux Faes dans la cabane. L'intérieur était sans prétention, tout en bois laqué avec de larges surfaces et de grands espaces. La lumière pénétrait par de volumineuses fenêtres. De dehors, l'endroit paraissait beaucoup moins vaste.
- Elle est en plein cours avec Asper, m'informa la femme aux cheveux verts. Cependant, nous pouvons vous parler de son niveau. Nous avons eu notre réunion commune.
Sa comparse me fit signe de m'asseoir sur l'un des sofas, près de la cheminée. J'obtempérai et les observai pendant qu'elles s'installaient en face moi.
- Elle a bien avancé dans son entraînement, commença la Fae verte. Elle est prête sous certaines facettes mais dans d'autres, elle a encore besoin de temps pour atteindre tout son potentiel.
- Concrètement, elle approche de la fin de son entraînement mais elle n'en a pas encore terminé, expliqua l'autre femme. Il faut qu'elle ait toutes ses connaissances sur le bout des doigts avant de pouvoir affronter son test. Sans quoi, elle mourra et tout ce qui a été accompli jusque là aura été pour rien. Il faudra trouver une autre humaine pour la remplacer et il nous faudra plusieurs décennies pour la préparer. Il faut que vous fassiez confiance à notre jugement.
Sa voix était assurée et presque directive. J'aurais probablement dû en prendre outrage mais j'étais soulagée. Pour une fois, je n'avais pas à être au-dessus des autres, à tout gérer. Ces femmes savaient de quoi elles parlaient et elles ne me laisseraient pas leur donner d'ordres. C'était rafraîchissant.
Quand bien même le temps pressait, je ne cherchai pas à protester. Leur certitude était telle que je n'avais aucune envie d'insister. Elles savaient mieux que moi de quoi elles parlaient. Et même si l'Ancienne voulait à tout prix être remplacée, elle devrait patienter.
- Pour combien de temps pensez-vous qu'elle en aura pour apprendre ce qui lui reste à savoir pour le test ?
- Ça dépend de sa faculté de retenue mais il faut au moins compter dans les deux mois.
- Peut-être plus, ajouta l'autre Fae avec précaution. Avec l'apprentissage de cette humaine, il faut être prudent. J'ignore pourquoi la magie l'a choisie mais ce n'est pas la meilleure apprentie que l'on ait eue.
Sa comparse lui donna un coup de coude accompagné d'un regard noir. L'autre haussa les épaules, peu affectée.
- J'aimerais être prévenue régulièrement de ses progrès, dis-je.
- Nous vous ferons parvenir une missive toutes les semaines, si cela vous convient.
- Très bien. Plus vite elle sera capable de passer son épreuve, mieux ça sera pour tout le monde.
Elles échangèrent un regard sans commenter. Je me levai et pris congé, repartant par le chemin que j'avais pris avec un soupir.
_______________________________
NdlA : les choses avancent un peu ! Qu'est-ce que vous en dites ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top