Chapitre 28
Naseok était resté à la Cour Noire pour la nuit aussi dus-je gagner ses anciens appartements pour le trouver et lui parler de son père. Je frappai à la porte. Peut-être dormait-il encore. Il était Unseelie aussi se pouvait-il qu'il soit aussi fatigué que Nahl.
Il avait l'air bien réveillé lorsqu'il m'ouvrit la porte. Ses cheveux étaient encore humides du bain qu'il venait de prendre. Il me laissa entrer et j'allai m'asseoir dans l'un des fauteuils qui faisaient face à la cheminée. Celle-ci était allumée et diffusait une forte chaleur dans la pièce. L'automne avait beau être arrivé, il était loin de faire froid. Cependant, il était évident que Naseok était glacé.
- Nous sommes affaiblis par la passation, dit-il lorsqu'il remarqua mon regard. Sans compter que nous sommes nés pour la chaleur de l'été. Il va me falloir quelques jours pour récupérer et cesser d'être constamment gelé.
Je hochai la tête.
- Sinon, si tu me disais pourquoi tu es là ?
- Ton père, répondis-je prudemment. Il a débarqué, hier soir. Il a eu le culot de me demander une danse.
- Je doute que ça soit ce qu'il voulait, n'est-ce pas ?
- Non. Il voulait me convaincre qu'il n'était revenu ici que pour toi. Disons que la conversation s'est mal passée.
- Mais encore ?
- Il m'a attaquée et ma magie a réagi. Je ne sais même pas comment c'est arrivé mais mon trône a répliqué.
Je lui expliquai ce que le trône avait fait. Il ne parut pas surpris. Selon lui, c'était parfaitement normal. J'étais la nouvelle reine et la magie me protégerait. Or, mon trône était le symbole de ma position et était fait de magie pure. Je commençais à croire qu'il allait vraiment falloir que j'arrête d'essayer de comprendre comment fonctionnait la magie.
- Qu'est-ce que tu veux faire ? C'est ton père alors...
- Peu importe. C'est un monstre. Ce n'est pas un père. Que tu le laisses moisir dans un cachot ou que tu l'exécutes, je m'en moque. Fais-en ce que tu veux.
- Tu es certain que tu ne le regretteras pas ? Il est peut-être un très mauvais père mais il demeure ton père.
- Non. Je peux t'assurer que je ne le regretterai pas. Au contraire. Je me sentirais sûrement plus léger si je n'ai plus à m'inquiéter de le voir surgir à n'importe quel moment ou faire quelque chose qui m'obligera à faire profil bas.
- Si tu fais ça à cause de ta place dans le conseil...
- Pas seulement.
Il s'assit dans un fauteuil et tira une couverture sur lui. Il était au plus près du feu et pourtant, il paraissait incapable de se réchauffer.
- Depuis aussi loin que je me souvienne, je vis avec son ombre sur l'épaule. Je suis forcé de supporter ce qu'il a fait. J'ai mis longtemps avant de réussir à faire oublier le fait qu'il est mon père et à obtenir une vie qui soit la mienne. J'ai toujours dû faire profil bas à cause de lui. S'il meurt, je serais libéré. Je n'aurais plus à m'inquiéter de l'impact de ses actes et de son pouvoir. Je n'aurais plus à vivre dans la crainte d'être associé à lui. Je pourrais être moi et seulement moi. Surtout maintenant que je suis dans ton conseil. S'il meurt, personne ne pourra douter de ma loyauté et forcer à me renvoyer à la Cour Noire.
- Rien ni personne ne pourra jamais me faire douter de ta loyauté, Naseok. De même que personne ne pourra jamais me forcer à virer de mon conseil. C'est moi qui décide. Je garde les autres parce qu'ils connaissent leur boulot, contrairement à moi, et que je ne connais personne pour les remplacer.
Il eut un faible sourire en resserrant la couverture sur lui. Je me levai pour aller raviver le feu. J'étais en train de me noyer dans ma sueur mais il semblait toujours glacé aussi pris-je sur moi.
- Qu'est-ce que tu vas faire, alors ? me demanda-t-il doucement.
- Je ne sais pas. Il va falloir que je vois avec le conseil ce qui est censé être la peine pour les gens comme lui, je suppose. Je n'ai pas la moindre idée de leur façon de gérer les criminels.
- Je peux te parler de la Cour Noire mais pas de la Blanche. Mais tu as raison de voir avec eux. Si tu décides seule, ils risquent de se retourner contre toi. Pour l'instant, ils te pensent trop ignorante pour tenter de te débrouiller seule alors si tu choisis la sentence toi-même, ils vont commencer à se méfier. Et s'ils se méfient de toi...
- Je risque de nouvelles trahisons. Déjà que Tmasen ne m'apprécie pas le moins du monde...
- Exactement. Je compte bien le garder à l'œil. Je ne le pense pas capable d'agir contre toi mais mieux vaut prévenir.
J'opinai du chef sans répondre. Je l'observai quelques instants. Je glissai une main dans ma poche et serrai mes doigts sur la clé que m'avait donné l'Ancienne. Je n'en avais parlé à personne. Pour être entièrement honnête, je l'avais oubliée. Je me sentais quelque peu coupable de ne pas en avoir parlé à Naseok ou à Nahl. Pour l'instant, tous deux étaient trop faibles pour faire le voyage. Il me restait encore treize jours avant la cérémonie du savoir. Je pouvais les laisser se reposer avant de leur avouer.
- J'ai appris quelque chose sur mes conseillères, choisis-je de dire finalement.
- Quoi ?
- Elles sont ensemble. Je ne sais pas si elles m'ont laissé le voir par erreur ou si elles ont tellement l'habitude de se comporter ainsi l'une envers l'autre qu'elles ne s'en sont pas rendues compte.
- Je pencherais plus pour la deuxième supposition. Les Seelies sont très libres sur ce point. D'après ce que je sais, ils ne tiennent aucun compte du sexe, juste de la sincérité et la connaissance, surtout magique.
- Et les Unseelies ?
Il garda le silence si longtemps que je crus qu'il n'allait pas répondre. Il relâcha un soupir en se passant une main dans les cheveux.
- C'est plus compliqué.
Je patientai tant bien que mal jusqu'à ce qu'il se lance dans ses explications.
- Les Unseelies tiennent en estime la force et la puissance. Or, dans une relation, ils considèrent qu'il y a toujours un fort et un faible car ils ne voient pas les femmes comme leurs égales. Leur mentalité se copie sur les couples du même sexe. Surtout pour les couples gay. Dans leur idée, il y a l'un des deux qui... joue la fille. De fait, si on est « l'homme », ça peut passer. Par contre, si on est l'autre partenaire... Ça passe mal. C'est pour ça que la plupart se cache. Heureusement, les Unseelies ne sont pas des romantiques et voient les relations personnelles comme l'assouvissement de désirs naturels ou un besoin de reproduction. Rares sont ceux qui admettront aimer sincèrement quelqu'un. Ça m'a permis de m'en sortir jusque là.
- Connaissant mon frère, cette mentalité ne va plus durer longtemps.
Il me regarda, un léger malaisele faisant se replacer dans son fauteuil. Je luttai contre un sourireen coin.
- Comment ça ?
- Parce que Nahl est gay. Et il est le nouveau Roi Noir. Je doute que les Unseelies résistent à leur roi. N'est-ce pas toi qui m'as dit que les Unseelies avaient la loyauté envers leur souverain chevillée au corps ?
- Vu comme ça... Il n'en reste pas moins qu'ils ne vont pas apprécier.
- Ils ne pourront rien y faire. Nahl est tel qu'il est et peu importe les colères qu'ils piqueront, ça ne changera pas.
Naseok ne répondit pas, songeur. Avait-il eu des doutes sur la sexualité de mon frère ? Ce n'était pas comme si Nahl en avait fait un secret. À moins qu'il ne tente d'imaginer la réaction des autres Unseelies. Selon ses propres mots, il y avait peu de chances qu'ils se rebellent contre leur souverain. Donc, en tout logique, Nahl ne devrait pas avoir de soucis à leur faire avaler la pilule.
- De toute façon, reprit Naseok, il n'y a rien que nous puissions faire pour le moment. Du moment que la nouvelle n'a pas circulé, on ne peut que faire qu'imaginer et les Unseelies sont connus pour se montrer imprévisibles quand ils le veulent bien.
- Nahl a ses vautours. Je ne me fais pas de soucis pour lui.
Le regard qu'il m'envoya me fit rectifier.
- Pas trop.
- C'est déjà plus vrai. N'essaie pas de me mentir, Sixtine. Je te rappelle que tu m'as fait la leçon pour que je garde mes distances avec ton frère dès le départ.
- Et tu sais pourquoi je l'ai fait.
Son visage se ferma brutalement et ses yeux s'emplirent d'un mélange de dégoût et d'horreur. Il se frotta les bras compulsivement. Mon instinct me souffla que, cette fois, ça n'était pas parce qu'il avait froid. Je n'avais pas vraiment prévu d'aborder le sujet comme ça...
- Je vais bien, dit-il, son ton monocorde. Ce qu'il s'est passé... Je... J'essaie de gérer. Vraiment. Et je m'en sors. Je fais de mon mieux. C'est ce qui rend si dur de refuser la proposition du Traître. Je ne veux pas être aussi faible mais... Ça serait plus aisé si j'oubliais tout.
- Ça ne serait pas toi. Tu es plus fort que ça. C'est d'ailleurs la raison qui a fait que le Traître m'a attaquée. Il n'a pas apprécié que je le lui dise.
Un fantôme de sourire effleura ses lèvres.
- Je ne vais pas tenter de prétendre comprendre ce que tu ressens. Je ne peux pas. Par contre, il y a certaines choses que je peux te rappeler.
Son regard croisa le mien. Pour la centième depuis que c'était arrivé, cet air dans ses yeux me brisa le cœur. Si je pouvais tuer ces monstres encore, je le referais. Et je ferais durer la torture.
Je me levai pour aller m'agenouiller devant son fauteuil et me saisis de ses mains.
- Tu es toujours le même, Naseok. Tu es toujours aussi fort, loyal et courageux. Tu es toujours cet intolérable Unseelie en qui j'ai appris à avoir une confiance aveugle et à qui je confierais ma vie sans hésiter. Tu n'es pas souillé, tu ne perds pas ta valeur, tu ne perds pas ton identité. Ce qu'ils t'ont fait... Ça en dit plus sur eux que sur toi. Et ce que ça dit de toi, c'est que tu es si fort que tu as refusé l'offre de ton père de tout effacer. Si ça, ce n'est pas de la force, je ne sais pas ce que c'est !
Il ne répondit pas. Il renifla aussi discrètement qu'il put et je ne pus lutter contre un sourire. Je le pris dans mes bras et il ne résista pas. Il se relaxa contre moi.
Nous restâmes ainsi jusqu'à ce qu'il se redresse. Il semblait aller un peu mieux. En le regardant, je remarquai le poids qui avait disparu de ses épaules. Il avait écouté et accepté ce que je lui avais dit et ça me faisait un bien fou.
- C'est quoi, le programme ? demanda-t-il finalement.
- Je vais aller prendre des nouvelles de Nahl et voir ce que son conseil a dit par rapport aux murs. Et il va falloir que je lui parle de ça..
Je sortis la clé de ma poche avec une grimace. Il s'en saisit et la regarda sous toutes les coutures. Je m'installai plus confortablement sur l'accoudoir de son fauteuil.
- Qu'est-ce qu'elle ouvre ?
- Une maison à WreitheKeep. L'Ancienne me l'a donnée lorsque j'ai été la voir.
- La maison de votre mère ? L'Ancienne t'a donné la clé pour la libérer et tu m'en parles seulement maintenant ?!
- J'étais occupée par le voyage et Nahl, dans quel état j'allais le retrouver... J'ai oublié que je l'avais. Elle m'a même donné une potion pour aider Nahl à se remettre que j'ai retrouvée avec la clé. Et comme il n'en a pas eu besoin, ça ne m'a pas aidée à me souvenir de la clé.
- Tu aurais dû m'en parler dès que nous sommes remontés sur le bateau !
- Je sais ! Mais je te l'ai dit, j'avais d'autres choses en tête. Je suis désolée.
Il se pinça le nez et inspira profondément.
- Bien. Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ?
- Je vais aller en parler avec Nahl après les autres sujets plus importants. Et s'il est en état d'être raisonnable et de voyager.
- Des sujets plus importants ? Sixtine, on parle de votre mère !
- Et elle est à l'abri dans sa maison. Elle ne risque rien, ce qui n'est pas le cas du reste de la Faerie. Je dois penser à bien plus de monde que juste à Nahl, désormais. Je suis reine. Je dois penser comme telle.
- N'essaie pas cette excuse avec moi, Sixtine. On sait tous les deux que ce n'est que ça : une excuse. Rien d'autre. On sait tous les deux pourquoi tu ne prends pas le premier cheval pour aller la sortir de cette maison.
Je gardai les lèvres fermement serrées. Parfois, je préférerais qu'il ne lise pas si bien en moi. Au lieu de ça, il lisait à travers chacun de mes mot avec une telle facilité que je me sentais prise au piège.
- Tu as peur, Sixtine, poursuivit-il. Tu t'es habituée à ne pas avoir de famille. L'idée de savoir Miléna tout près te terrifie. C'est ta mère mais tu ne la connais pas et elle ne te connaît pas. Tu as peur d'être rejetée. Ce n'est rien de plus que ça. Et à cause de ça, tu cherches à tout prix un moyen de retarder l'échéance.
Je ne cherchai même pas à nier. Oui, avoir Miléna dans les cours me terrifiait. Elle connaissait Nahl et l'aimait. Moi ? J'étais une étrangère. Rien d'autre. Elle ne savait pas qui j'étais, ce que j'avais fait. Quel genre de monstre se cachait sous la surface.
- Tu m'as dit que ce qu'il s'est passé ne changeait pas qui j'étais. Il en va de même pour toi. Oui, tu as tué Quinten Madsen. Personne ne t'en blâmera. C'était un monstre. Quant aux... à ceux qui... Tu m'as sauvé en les tuant. Si tu ne l'avais pas fait, je ne veux pas imaginer ce qu'il se serait passé pour nous deux.
Il ne chercha pas à attendre une réponse de ma part. Il savait qu'il n'en obtiendrait pas. Il m'obligea à le regarder droit dans les yeux. Voilà pourquoi je ne voulais pas en parler. J'avais senti la leçon venir. Au fond,peut-être l'avais-je cherchée.
- Alors tu vas m'écouter et l'intégrer dans ta petite tête comme je l'ai fait avec ce que tu m'as dit. Tu vas aller voir ton frère et lui parler de cette clé et faire ce qu'il décide de faire. S'il décide d'y aller aussitôt, tu te tais. S'il se sent trop faible pour y aller, tu lui donnes le temps.
- Depuis quand tu me donnes des ordres ? fut tout ce que je sus répondre.
Il eut un faible sourire. Il déposa un baiser sur mon front avant de m'obliger à me lever. Il laissa tomber la couverture dans son fauteuil, éteignit le feu et me traîna avec lui à travers les couloirs de la Cour Noire. Ils demeuraient singulièrement familiers en dépit du temps que j'avais passé loin de là. Je n'eus que peu de mal à reconnaître l'aile dans laquelle j'étais et quelle direction nous prenions.
Les quartiers de mon frère étaient à l'opposé de ceux de Naseok. Ce qui n'était pas plus mal. Pas que mon conseiller et ami ne reste souvent à la Cour Noire, désormais.
Naseok patienta dans le couloir pendant que j'allais réveiller mon frère. Une bougie à la main, je me glissai dans sa chambre et ouvris les rideaux pour faire entrer juste assez de lumière pour le sortir de son sommeil en douceur. Il marmonna et pesta mais finit par sortir sa tête de l'oreiller.
- Sixtine ? marmonna-t-il, encore à moitié ensuqué. Qu'est-ce qui se passe ?
- Il se passe qu'il va bientôt être l'heure de déjeuner et que tu n'es pas encore levé, blaguai-je. Et qu'il y a plusieurs choses dont nous devons parler.
- Ça ne peut pas attendre un peu ? La passation m'a vidé de toute énergie. J'ai besoin de refaire le plein. Je ne suis pas prêt à faire face à ce maudit conseil qui pense tout savoir mieux que moi parce que je suis le Chasseur et pas un héritier digne de ce nom.
- Je croyais les Unseelies loyaux.
- Loyaux, oui. Mais ça ne les empêche pas de te faire savoir ce qu'ils pensent de tes décisions. Quoi que, à la fin, ils ne savaient plus trop sur quoi enrager.
Il se redressa et s'adossa au mur. Il m'apparut si jeune lorsqu'il se frotta les yeux que je me sentis encore plus coupable.
- Pourquoi ?
- Ils ne savent pas quel mal est le pire : travailler avec les Seelies pour clôturer la Faerie ou avoir un roi gay. Je dois admettre que la tête de Kaiser a été hilarante lorsque je leur ai dit. Dommage que tu n'aies pas été là.
Je ne pus retenir un sourire. Jen'avais aucun mal à me créer une image de la scène. Le Roi Noir –l'ancien Roi Noir – devait avoir moyennement appréciéd'avoir engendré un fils comme Nahl.
- Ce n'est pas de ça que je voudrais te parler pour l'instant, répondis-je simplement. Il faudra qu'on aborde le sujet mais il y a autre chose.
- Tu m'inquiètes. Qu'est-ce qu'il y a ?
Je décrispai mon poing et lui montrai la clé.
- L'Ancienne m'a donné cette clé. Pour Miléna.
- Tu... Tu veux dire que cette clé peut libérer maman ?
Le mot résonna dans mon crâne. Pour lui, elle était « maman ». Pour moi, elle était Miléna. C'était un fossé infranchissable.
- Oui. D'après ce qu'elle m'a dit, en tout cas.
- Donne-moi une heure pour me préparer et on y va.
Je fermai les yeux en refermant le poing. C'était exactement ce à quoi je m'étais attendue. Il avait à peine la force de sortir de son lit et il voulait faire des jours de voyage pour aller libérer sa mère.
- Tu dois te reposer...
- Non. Je dois aller chercher maman. Ça nous prendra trois jours, aller retour. On aura le temps de discuter des murs et de tout ce que tu veux sur la route. Mais que tu le veuilles, je vais la sortir de cette maudite maison.
Je ne pus que soupirer et céder.
Et l'aider à sortir de son lit.
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NdlA : TAN TAN TAAAAAAAAAAAAAAAN ! Vous vous y attendiez, au retour de Miléna ?
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