Chapitre 26

La nouvelle que la venue de Naseok dans le conseil ne fit pas autant de vagues que nous nous y étions attendus. Si ce n'était pour Tmasen, les cinq conseillers en place le prirent avec grâce et compréhension. Drenna semblait trouver mon ami à son goût. J'avais envie de lui dire que c'était peine perdue. Surtout que, si mon frère l'apprenait, je doutais qu'il reste sans réagir.

Nous ne parlâmes de rien d'autre que du solstice. Ils prirent leur temps pour m'expliquer à quoi j'allais devoir faire face. Je n'étais pas prête à ça.

La cérémonie du solstice n'était, en soi, que peu compliquée pour moi. Ça serait à Nahl de faire tout le travail. Tout ce que je n'avais pas vu lorsque j'avais été capturée l'année passée. J'avais été une source de pouvoir pour le Roi Noir mais je n'avais assisté à rien de ce qui s'était passé avant la fête qui suivait la cérémonie.

Tout ce que j'aurais à faire, ça serait de récupérer les rênes du pouvoir qui pulsait dans la Faerie. Dès lors, je serais connectée au territoire et je pourrais en ressentir chaque recoin. Le Roi Blanc définissait la sensation comme un vol d'oiseau au-dessus des terres tout en étant connecté aux veines qui pulsaient sous la surface. Je serais reliée à la magie du lieu et tout ce qu'il se passerait de significatif me parviendrait quand bien même ne serais-je pas à l'écoute.

L'afflux de sensations allait être douloureux. Très difficile à supporter. Selon le Roi Blanc, j'allais avoir de vilaines migraines et tout mon corps serait constamment courbaturé. Jusqu'à mes os me feraient souffrir.

Pourquoi étais-je devenue reine, déjà ?

Ce qui m'étonnait, c'était que Nahl ne m'avait rien dit. Si c'était réellement une telle souffrance, pourquoi ne m'avait-il pas prévenue ? À moins qu'il n'ait presque rien ressenti puisqu'il avait pris le trône la veille du solstice. Je ne savais pas si cette proximité des dates influait. Je ne savais rien.

J'appuyai mon front contre mes mains et soupirai longuement. Naseok posa une main sur mon épaule et la frotta doucement, sa façon de montrer son soutien. Je lui offris un sourire de gratitude. Sa simple présence me rassurait et me redonnait du courage. Comment aurais-je fait s'il avait refusé d'entrer dans mon conseil ?

- Pour ce qui est de la cérémonie du savoir, continua Harsa, tout est presque prêt. Il n'y aura que les préparatifs de dernière minute à effectuer. Après le solstice de ce soir, le mieux serait que vous gardiez le lit pendant les treize jours qui suivront.

- Êtes-vous en train d'insinuer que je suis inutile ? grondai-je. Que je suis faible ? Qu'il vaut mieux que je reste loin de mon trône et de ses charges ?

J'entrevis le sourire moqueur deNaseok alors que je rivais un regard glacial sur le conseiller. Ce dernier rougit vivement. Il se mit à secouer la tête furieusement.

- N-Non, bien sûr que non, Majesté ! Jamais je n'oserais !

Le Roi Blanc éclata de rire. Nous nous tournâmes tous vers lui.

- J'ai hâte d'assister aux futurs conseils, rit-il. Nous sommes bien trop habitués à travailler entre nous ! Un petit coup de fouet ne nous fera pas de mal !

Je haussai un sourcil mais ne commentai pas. Ses cinq conseillers échangeaient des regards mal à l'aise. Il était certain que, pour eux, je ne me comportais pas comme j'aurais dû. Je n'avais rien de Seelie. Mon affinité était avec le feu, j'avais été élevée pour être un assassin... Rien de très Seelie là-dedans. Ils allaient devoir s'habituer. Ce n'était pas comme s'ils avaient le choix, de toute façon. J'étais leur reine, désormais.

Je ramenai mon attention sur Harsa qui baissa aussitôt les yeux.

- Que vouliez-vous dire, alors ?

- Qu'il vous faudra des forces, rien de plus. La cérémonie est très lourde et très fatigante pour l'esprit alors il faudra que vous soyez entièrement reposée pour pouvoir aller jusqu'au bout. Jamais je n'oserais insinuer autre chose ! Surtout pas sur vos capacités à assumer le trône !

- Je préfère ça.

Même si, techniquement, il n'aurait pas eu tort...

Le sujet de la cérémonie du savoir fut rayé de l'ordre du jour et j'abordai ce que j'avais décidé avec Nahl. Autant s'y prendre au plus tôt.

Je n'étais pas rassurée mais je devais en parler. J'étais certaine que j'avais raison de vouloir fermer la Faerie. Elle ne pourrait pas supporter une guerre avec les humains si peu de temps après être sortie de la Cage de Fer. Nous mourrions tous. Et si nous ne mourrions pas tous, nous serions asservis par les humains. C'était le pire qui pouvait arriver. Eux aussi voudraient faire tout ce qu'ils pouvaient pour protéger leur territoire.

- J'ai discuté avec Nahl durant la cérémonie, commençai-je. Il s'est rallié à mon idée. Lui comme moi pensons qu'il serait préférable de fermer la Faerie.

Le silence s'étira durant quelques secondes. Je fis comme si je ne remarquais pas les échanges de regards, les mots qui passaient sans être prononcés. Je patientai, m'accrochant au contact rassurant de Naseok. Il semblait surpris mais pas contre l'idée. En tout cas, il ne disait rien et ne se reculait pas. Ce devait être un bon signe, non ?

- Fermer la Faerie ? répéta finalement le Roi Blanc, songeur. Qu'entends-tu par là, exactement ?

- J'entends hauts murs infranchissables tout autour du territoire.

- Et pourquoi une solution aussi drastique ? Personne n'aura vraiment envie de s'enfermer dans une nouvelle cage, même si celle-ci n'y ressemble pas.

Je secouai la tête.

- Justement. Vous sortez de la Cage. Même un an plus tard, nous sommes encore faibles. J'ai renvoyé Ryker ce matin et, au vu de la façon dont il a réagi, j'aurais tendance à croire qu'il va s'allier à sa mère et son amant pour se venger de moi. Ils ont beaucoup d'alliés. S'ils lancent une véritable attaque, nous ne saurons pas résister. Nous serons décimés parce que nous ne sommes pas prêts et loin d'avoir recouvré nos forces. Certes, tout le territoire serra enfermé par de hautes murailles mais n'est-ce pas préférable à une guerre ouverte avec trois royaumes humains ? Surtout que le Grand Royaume a désormais à sa tête deux tarés complets.

Naseok étouffa peu discrètement un rire. Je l'ignorai. Ma description de Lux et Jullian était correcte bien que peu policée. Je n'avais pas envie de trouver les termes politiquement corrects pour dire la même chose.

- C'est un raisonnement logique, admit à regrets Vixsin avec une grimace. Il est vrai que personne n'aurait pensé à une telle solution après la Cage mais en y regardant bien...

- Nous avons beaucoup de choses à régler, reprit Éméraldine. Notamment BarrenLand. Tout cet espace mort... Ça nous fait perdre beaucoup d'énergie et de magie. Si nous pouvions nous concentrer sur cet espace en particulier plutôt que de disséminer des troupes aux frontières du Grand Royaume... Ça nous permettrait sûrement de réparer les maux de la Cage. Au moins suffisamment pour que la magie reprenne son cours normal.

- Non seulement BarrenLand mais toutes les terres qui n'ont toujours pas été foulées, ajouta Harsa. En un an, la population n'a pas su reprendre le contrôle et l'entretien de plus de soixante pour cent de la terre. Il a fallu reconstruire les demeures et gérer les animaux qui avaient pris l'ascendant. Le travail est encore long, surtout avec la façon dont le Roi Noir a redessiné le territoire. Tout est très sommaire et tous les Faes s'épuisent à reconstruire leurs villes et villages. Il s'est contenté d'aider les grandes agglomérations comme Wringden ou Lammas ou même Valents. Le reste doit se débrouiller. Si nous pouvions nous concentrer sur nous, ça ne serait peut-être pas plus mal. Pas que la population ait besoin de savoir que des murs auraient été élevés autour de la Faerie. Les garder dans l'ignorance est tout à fait possible.

Son regard croisa celui du Roi Blanc dont il cherchait un assentiment. Je jetai un coup d'œil rapide vers mon géniteur qui paraissait songeur. Réfléchissait-il à ma capacité à encaisser ce qui viendrait avec les murs, ce possible besoin de secret ?

- Tout le peuple se rebellera si on l'enferme ! tonna Tmasen. Il n'y a que quelqu'un n'ayant pas connu la Cage pour proposer une telle chose et des idiots pour l'accepter ! Nous n'avons pas troqué une Cage pour une autre !

- Tmasen, gronda Éméraldine, un avertissement dans la voix.

- Quoi ? Ne me dis pas que j'ai tort, Éméraldine ! Tu sais aussi bien que ce qu'elle nous propose, c'est une autre cage ! Et je refuse de me laisser enfermer à nouveau !

Je regardai le visage tordu par la rage du conseiller. Ses yeux étincelaient tant il était furieux. Ils ne restaient pas fixés sur moi mais passaient sur chacun d'entre nous, à la recherche d'un appui quelconque.

- Il n'est pas question de cage, objectai-je. Il est question de protéger la Faerie. Vous pensez sérieusement que nous sommes capables de faire face à l'armée du Grand Royaume ? Vous pensez que nous avons la moindre chance de gagner face à eux dans l'état où est la Faerie ? Parce que moi non. J'ai traversé le territoire et je peux vous assurer que ce n'est pas le cas ! Tout le monde est dispersé un peu partout. Il n'y a aucune unité à part chez les Démons ! Les mers ne sont pas protégées ! Si l'armée passe le mur que le Roi Noir a érigé lorsqu'il a pris le contrôle du trône au solstice du printemps, nous ne tiendrons pas longtemps face à eux !

- Il est vrai que vous avez vécu chez l'ennemi, assena-t-il avec vice.

- En effet. C'est pourquoi je peux affirmer qu'ils nous ratisseront si jamais ils passent ce mur. Ce sont peut-être des humains mais ils sont nombreux et bien entraînés en plus de lourdement armés. Si nous ne pouvons pas compter sur la magie, nous sommes fichus. Et, pour le moment, nous n'avons pas la puissance nécessaire pour livrer une telle guerre. La seule solution, ce sont des murs ! Et le Roi Noir y avait déjà pensé puisque l'une des premières choses qu'il a faites en prenant le pouvoir a été d'en ériger un !

Tmasen ouvrit la bouche mais Drenna lui plaqua la main dessus.

- Elle a raison et tu le sais alors tu te tais, siffla-t-elle. Mets tes rancœurs et ton besoin de contradiction dans ta poche et accepte la réalité. Nous sommes libres, certes, mais nous sommes toujours en position de faiblesse. Nous avons besoin de temps, Tmasen. Et ces murs peuvent nous en faire gagner.

Le conseiller n'avait toujours pas l'air convaincu et serrait les poings.

- Qu'en disent les Unseelies ? questionna posément le Roi Blanc, sans paraître affecté par les dires de Tmasen.

- Nahl est d'accord avec moi. Il doit encore en discuter avec son conseil. J'ignore quand ils se réunissent.

- En même temps que nous. Ce qui veut dire que, d'ici la fin de la journée, nous saurons de quel avis ils sont.

- Il faudrait organiser une réunion avec eux, osa Naseok. Pour faciliter la communication entre les deux cours et perdre moins de temps.

- Une réunion avec des Unseelies ? se récria Tmasen, s'étouffant de rage et d'outrage. Déjà devoir en supporter un...

Je lui jetai un regard polaire. Il avait fini par se ranger à l'avis de la majorité, pas tant par envie que par manque de choix, mais il n'allait pas manquer de nous faire savoir qu'il n'était pas d'accord et qu'il trouvait cela inacceptable.

- Oui, une réunion avec des Unseelies, assenai-je froidement. Si nous voulons protéger la Faerie, il faudra nous y mettre tous ensemble !

- Nous n'avons jamais consulté les Unseelies lorsque nous prenions des décisions, dit Drenna. Et ils ne nous ont jamais consultés. Que nous décidions de construire ce mur ou non, pourquoi devrions-nous en décider avec eux ?

- Parce qu'il n'est pas question de commettre les mêmes erreurs que nous commettons depuis des siècles, répondit le Roi Blanc avec patience.

Les cinq conseillers observèrent celui qui avait été leur roi durant de longues décennies. Harsa avait le visage fermé mais, en dehors de lui, les quatre autres semblaient plutôt ouverts. En tout cas, ils n'avaient pas l'air prêt à refuser le point de vue de l'ancien monarque.

- Je suis entièrement pour cette réunion, poursuivit le Roi Blanc. S'il y a bien une chose que nous devons retenir de notre expérience avec la Cage de Fer, c'est que, séparés, nous sommes plus faibles. Or, par les temps qui courent, nous avons besoin de toutes les forces que nous pouvons rassembler. Certes, d'ici ce soir, nous serons sur le trône jusqu'au retour du printemps. Cependant, les Unseelies restent des ressources que nous ne pouvons pas laisser moisir comme nous l'avons toujours fait. Nous avons besoin d'eux et ils ont besoin de nous. Que le jeune Roi Noir soit capable de s'en rendre compte aussi est une bonne chose.

- Il est difficile d'imaginer une entente avec les Unseelies, énonça prudemment Vixsin. Ces brutes ne sauront jamais se tenir.

- Vous ne les connaissez pas, objectai-je. Oui, ils sont plus vifs et directs que les Seelies mais ils ne sont pas dénués de sens commun. Ils s'énervent vite et peuvent être très susceptibles mais ils sont aussi très doués en stratégie et font parfois preuve d'un grand sens commun. Il faudra juste gérer leur côté tête brûlée et leur susceptibilité. Je suis certaine qu'il y a moyen de former une alliance solide.

- Nous sommes deux faces d'une même pièce, ajouta Naseok. Vous avez le savoir et la rationalité, le calme et l'art de la manipulation. Nous avons l'art de la guerre et la force, l'impétuosité et la stratégie. Pour mener une guerre, il faut tous ces éléments si l'on veut vaincre. Soyons réalistes, vous avez beau posséder tout le savoir de la Faerie et être de grands manipulateurs, ce n'est pas cela qui va nous permettre de survivre si les humains nous attaquent de plein fouet.

Éméraldine plaqua une main sur la bouche de Harsa qui la fusilla du regard.

- Ne dis pas de bêtises juste parce que c'est un Unseelie, dit-elle. Il a parfaitement raison, que cela nous plaise ou non.

- Donc la seule solution, désormais, c'est de nous allier aux Unseelies ? osa Drenna, que la nouvelle ne semblait pas ravir. Qui vous dit qu'ils vont accepter ?

- Ils ont le Chasseur à leur tête.

Le ton de Naseok reflétait une évidence qui n'en était une que pour lui. Il soupira lorsqu'il s'en rendit compte.

- Même vous, vous ne pouvez pas ignorer la peur qu'inspire le Chasseur dans la Faerie. Et bien, il se trouve que c'est à peu près pareil dans la Cour Noire. Rares sont les Unseelies qui osent l'affronter. Si je devais donner une comparaison, il serait sur la même échelle que les Démons.

Je savais que le Chasseur était une figure importante dans la Cour Noire. J'avais entendu assez d'histoires sur lui et ses vautours pour me rendre compte que mon petit frère s'était forgé une réputation de coriace mais je n'aurais jamais songé à le comparer aux Démons ! Ces Unseelies-là étaient des monstres. Nahl était... un Unseelie un peu plus effrayant que la moyenne.

Ce qui me choquait le plus, c'était qu'il était plus jeune que moi d'un an. Il avait à peine vingt-et-un ans et il effrayait des Unseelies centenaires ! Comment était-ce seulement possible ? À quel moment mon précieux petit frère était-il devenu cette image de monstre sanguinaire ? Qu'avait-il dû faire pour l'acquérir ?

- Donc, selon toi, il y a peu de chance que les Unseelies fassent de la résistance ?

- Oh, ils seront encore moins ravis que vous mais ils se plieront aux ordres venant de leur roi. C'est une chose que les Unseelies possèdent de plus : la loyauté. Ils obéiront à leur roi envers et contre tout, même s'ils pensent qu'il a tort. Sous nos dehors dispersés et violents, nous ne sommes qu'une vaste armée un peu désordonnée.

Si c'était vrai, alors cette union des cours avait encore plus intérêt à se faire.

Et je savais que ça l'était.

________________________________

NdlA : Meilleurs voeux, les amis ! J'espère que vos fêtes se sont bien passées ! Vous avez pris de bonnes résolutions ? Si oui, quelles sont-elles ?

Sinon, j'espère que vous avez aimé ce premier chapitre de l'année 2019 !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top