Chapitre 25

Nous virevoltâmes pour faire face au Traître. Il se tenait dans un coin, l'épaule appuyée contre le mur. Il n'avait pas changé depuis la dernière fois que je l'avais vu, après avoir combattu le monstre dans la forêt qui longeait la frontière. Il avait été emmené par Birn, l'un des vautours de Nahl, qui était venu m'apporter le message qui m'avait amenée à croire que mon petit frère était torturé par son père pour qu'il révèle qui était son autre enfant.

Inconsciemment, je me frottai les bras. C'était à cause de lui et de son stupide test que j'avais fini les deux bras brûlés.

Il ne bougea pas d'un cil, observant l'émoi qu'il provoquait. C'était son moment. Il comptait le savourer jusqu'à la dernière seconde. Ses yeux noirs se fixèrent sur moi, un sourire en coin étirant ses lèvres. Sa puissance était comme un nuage autour de lui, étouffante. Je la sentais frôler mon esprit, que je tentais à tout prix de protéger. Je ne voulais pas qu'il lise dans mes pensées comme il le faisait si facilement.

Il finit par se redresser, ses cheveux blancs prenant mille nuances dans la lumière solaire. Il me parut avoir maigri, comparé à la dernière fois. Il n'était pas difficile de savoir qu'il avait été en cavale pendant un moment.

Toutefois, pourquoi était-il venu se jeter droit dans les mains de ceux qui voulaient le plus se débarrasser de lui et le renvoyer à la Maison de la Honte ? D'accord, il voulait renouer avec son fils – selon ses dires, pas que je le crois une seule seconde – mais c'était quelque peu... osé, de débarquer aux Cours ainsi.

- Tu as bien grandi depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, jeune Aderleen, sourit-il. Ou devrais-je dire... Majesté.

Je roulai des yeux lorsqu'il feignit de s'incliner.

- Que voulez-vous ? répondis-je simplement.

- Voir mon fils, rien de plus.

- Comme si j'allais vous croire, Traître. Avec vous, il n'y a jamais « rien de plus ».

Mon regard accrocha les silhouettes qui approchaient. J'eus envie de dire à Naseok de partir mais c'était trop tard. Il avait déjà reconnu son père. Je dus lutter pour ne pas le rejoindre et lui apporter mon soutien. Je raidis chacun des muscles de mes jambes pour garder ma place à côté de mon frère. Ce dernier se rapprocha de moi, son bras venant se coller au mien. J'accueillis ce discret soutien avec joie et gratitude.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? cracha Naseok.

Je pouvais voir ses poings serrés, tremblants. La fureur – la peur – dans son regard. Et je détestais ça. Surtout que je ne pouvais rien faire pour lui.

- Je suis venu dès que j'ai su ce qu'il s'est passé.

- De quoi parles-tu ?

Père et fils échangèrent un long regard et je vis mon ami pâlir brutalement, comme s'il allait être malade.

- Comment... ? souffla Naseok.

- Tu es mon seul fils. Comment pourrais-je ne pas chercher à savoir tout ce qu'il se passe dans ta vie ?

- Et tu crois que ta présence va changer quoi que ce soit ? Je n'ai pas besoin de toi.

- Je peux te faire oublier.

Le choc me secoua toute entière. Je savais de quoi ils parlaient. Du viol. Le Traître savait ce qui était arrivé à son fils sur ce bateau. Et grâce à son affinité avec l'esprit, il voulait l'effacer de l'esprit de Naseok. Il voulait retirer tout ce passage pour lui permettre de continuer à vivre comme si ça n'était jamais arrivé.

- Pardon ? souffla Naseok, incrédule. Tu crois vraiment que je te fais assez confiance pour entrer dans mon esprit ? Je ne te fais déjà pas assez confiance pour me servir un verre d'eau !

J'observai le jeu d'expressions sur le visage du Traître. Il ne paraissait pas blessé le moins du monde par les mots de son fils. Il avait juste l'air... fatigué. Et pas physiquement. Combien d'esprits avait-il polluer pour réussir à s'introduire ici ? Quel effet cela avait-il eu sur lui ?

- Laisse-moi faire ça pour toi, fils. Juste ça.

- Non. Tu n'as pas intérêt à t'approcher de mon crâne ou je te jure que tu vas le regretter.

- Bien. Laisse-moi au moins m'occuper de ceux qui t'ont fait ça.

- Tes informations sont incomplètes. Sixtine s'en est déjà chargée.

Je sentis le regard sombre de Nahl se poser sur moi. Je l'ignorai. Il allait vouloir poser mille et unes questions et il faudrait que je l'en empêche. Son béguin pour Naseok allait le pousser à vouloir savoir ce qu'il s'était passé et il fallait que je l'en empêche. Ce n'était pas quelque chose qu'il devait découvrir par la force. Si une histoire devait naître entre eux, ça serait nocif. Il fallait que Naseok choisisse de lui dire ce qu'il s'était passé. Et pour ça, il allait falloir que je retienne mon frère.

Le Traître plongea ses iris de nuit noire dans les miens.

- Est-ce vrai ?

- Évidemment, répondis-je. Et n'essayez même pas.

J'avais senti son pouvoir s'approcher à nouveau de mon crâne. Il releva le menton sèchement.

- J'attendrai que tu viennes me voir, fils. Nous savons tous les deux que tu finiras par le faire.

Sa condescendance envers son propre fils me fit serrer les poings.

- Je ne suis pas aussi faible que toi, cracha Naseok. Je saurais supporter le souvenir de ce qu'il s'est passé jusqu'à ce que la mort vienne me chercher.

Les mâchoires du Traître se crispèrent. Je ne pus que sourire de fierté face à l'attitude de mon ami.

- Maintenant que ce petit spectacle est terminé, intervins-je.

Nahl claqua des doigts et ses vautours se saisirent du Traître.

- Emmenez-le dans la grotte aux loups et gardez la porte verrouillée, ordonna-t-il froidement. Nous viendrons nous occuper de lui plus tard.

Birn et ses coéquipiers ne discutèrent pas et traînèrent le Traître avec eux vers la Cour Noire. Je relâchai un souffle. Naseok nous rejoignit, l'air secoué. D'un regard, il m'assura qu'il allait bien. En tout cas, aussi bien qu'il lui était possible d'aller.

- Je n'en reviens pas qu'il ait eu le culot de se montrer comme ça, lâcha Nahl. Il devait se douter que ça ne fonctionnerait pas et qu'il serait attrapé et incarcéré !

- Je pense qu'il se croyait capable de nous manipuler pour que son plan fonctionne, dis-je. Tu ne l'as pas senti tenter de s'infiltrer dans ta tête ?

- Si mais c'est quelque chose qu'il fait tout le temps. Il n'a jamais réussi à rentrer dans ma tête alors j'aurais cru qu'il aurait retenu la leçon. Il a réussi à atteindre ton esprit ?

- Pas cette fois. Mais avant, oui. Il pouvait lire mes pensées et y répondre directement dans ma tête.

- Donc c'est ça, souffla Naseok. Il voulait juste nous manipuler pour pouvoir regagner une place à la Cour Blanche.

Je serrai sa main pour lui offrir tout le réconfort possible. Il devait avoir espéré que, pour une fois, son père soit sincère envers lui et veuille faire quelque chose de bien pour lui. Au lieu de ça, ce n'était qu'un énième stratagème pour prendre le pouvoir.

- Il va falloir trouver autre chose que la Maison de la Honte pour se débarrasser de lui, soupira Nahl. Ça fait déjà deux fois qu'il s'enfuit. Ce n'est plus suffisant pour le contenir.

- On va y réfléchir, assurai-je. Pour l'instant, il est sous bonne garde. Et il n'est pas une priorité. Ce qu'il veut, c'est du pouvoir. Or, pour cela, il lui faudra passer par beaucoup de monde. S'il tente quelque chose, on aura le temps de le voir venir. De toute façon, pour ça, il faudra qu'il s'échappe et on ne pourra pas le manquer.

Les deux Unseelies hochèrent la tête sombrement. Le Traître avait réduit cette journée à néant en apparaissant. Malgré tout, son attitude me paraissait étrange. Pas que j'aie la moindre envie d'en discuter avec Naseok ou Nahl puisque tous deux étaient trop en colère. J'allais devoir avoir une petite discussion avec le Traître une fois que je serais seule.

- Maintenant qu'on s'est débarrassé de Madsen, reprit Nahl, il faut s'occuper de la célébration du solstice d'automne de demain. Je suppose que le Roi Blanc va t'expliquer comment ça fonctionne. Ils doivent déjà avoir tout préparé mais bon, mieux vaut que tu participes au maximum pour être préparée pour celui d'hiver. D'ici là, nous serons sûrement seuls aux commandes.

- Si vite ? Après avoir vécu des centaines d'années, ils vont mourir en à peine deux mois ?

- Moins. Ça ne prend que quelques semaines au Roi sortant et un mois tout au plus au Roi régnant. Normalement, ils sont censés avoir eu le temps de nous former depuis notre naissance. Ils survivront peut-être un peu plus longtemps à cause des circonstances mais je doute que les trônes en tiennent compte. La tradition, c'est la tradition. Ils ne sont pas réellement conscients, bien que leur magie soit très forte.

- C'est... court...

- On va s'en sortir. On a nos conseils et si tout fonctionne comme on le veut, nous pourrons travailler côte à côte. On s'en sortira.

Il saisit ma main libre et la serra. Je n'étais pas rassurée à l'idée de devenir reine en ayant le Roi Blanc à mes côtés pour m'aider. Savoir qu'il n'aurait pas le temps de me former à mon nouveau rôle... La panique remontait en flèche. Je n'avais pas oublié qu'il y avait cette cérémonie dans deux semaines qui me donnerait toutes les connaissances du Roi Blanc mais savoir quelque chose et l'appliquer étaient deux choses entièrement différentes.

- Il a raison, poursuivit Naseok. Je suis peut-être un Unseelie mais je t'ai promis de continuer à être là pour toi.

- En parlant de ça.... hésitai-je.

- Oui ?

J'entraînai Naseok avec moi. La main de Nahl relâcha la mienne et je sus qu'il me laissait le champ libre. Évidemment, je lui en avais déjà parlé mais puisqu'il s'était entiché de mon ami, il aurait très bien pu réfléchir et choisir de le garder dans sa cour.

- Tu m'inquiètes, avoua Naseok. Qu'est-ce qu'il y a ?

- Je voulais juste te demander quelque chose.

- Quoi ?

- De faire partie de mon conseil. Je sais que tu es un Unseelie mais tu es la seule personne en qui j'ai confiance. Je ne connais personne là-bas et je n'ai pas envie de me fier uniquement à leurs avis, aussi chaleureux qu'ils aient l'air. Nahl est déjà d'accord.

- Je doute que les Seelies soient ravis de l'arrivée d'un Unseelie dans leur cour, répondit-il prudemment. J'en serais ravi mais je ne pense pas que ça soit la meilleure des idées.

Je m'arrêtai et lui fis face. Je m'étais attendue à sa réaction. C'était normal qu'il redoute l'accueil qu'il recevrait. Cependant, si je voulais avancer dans la direction prévue, vers l'unification des cours, j'avais intérêt à m'y mettre.

- Je suis la reine. Je décide. Et le Roi Blanc soutiendra mon idée.

- Comment peux-tu en être aussi sûre ?

- Parce qu'il pense que les trônes nous ont choisi, Nahl et moi, pour unifier les Faes. Je pense qu'avoir mon seul et unique ami à mes côtés est la première marche à franchir vers une nouvelle Faerie.

Je pris ses mains et le forçai à me regarder. Je comprenais parfaitement son hésitation. Il n'avait pas envie d'être le seul Unseelie au milieu d'un océan de Seelies. Toutefois, j'avais besoin de lui. Au delà de ce plan bancal pour commencer à allier les deux clans Faes, j'avais besoin de mon seul ami. De mon seul allié. Je ne pourrais jamais m'en sortir en tant que reine si je n'avais pas son soutien inébranlable à mes côtés.

- Tu n'es pas obligé de loger à la Cour Blanche si ça te met plus à l'aise, tentai-je.

- Ce n'est pas ça. Je ne pense pas être la meilleure personne à intégrer à ton conseil. Je ne suis pas un stratège et assurément pas un guerrier. Je n'ai rien qui puisse me qualifier pour le rôle. Tu aurais plus de résultat avec quelqu'un d'autre.

- Mais je ne veux pas quelqu'un d'autre. C'est toi que je veux. Tu es mon meilleur ami et la seule personne en qui j'ai une confiance totale. Et, franchement, je te connais, Naseok. Tu en es capable. Ce n'est pas très différent de ce que tu fais depuis qu'on se connaît. Il faut de l'esprit stratégique pour survivre dans une Faerie hostile.

- Tu me surestimes.

- Tu te sous-estimes, plutôt. Et puis, tu ne seras pas le seul dans le conseil, tu sais. Il sont déjà cinq. Je voudrais juste que tu sois là. Un visage familier en qui j'ai confiance... Tu n'imagines pas combien ça me rassurerait et rendrait tout plus facile. S'il te plaît, Naseok. Tu pourras loger à la Cour Noire et continuer à vivre comme un Unseelie si vraiment tu...

- D'accord, m'interrompit-il. D'accord, je le ferais. Mais, ajouta-t-il avec insistance, je dois pouvoir aller et venir comme je veux entre les deux cours et je veux que mes quartiers soient conjoints aux tiens. Je ne veux pas d'un endroit isolé.

- Évidemment. Je ne comptais pas restreindre tes mouvements ni te faire loger au fin fond de la Cour Blanche !

Il sourit malgré lui en secouant la tête. Je l'enlaçai sans retenir ma joie face à son accord. J'avais vraiment commencé à m'inquiéter. Pendant un instant, j'avais cru qu'il allait refuser et que j'allais devoir me débrouiller toute seule dans un territoire inconnu où tout le monde pourrait me manipuler sans aucun mal.

Nous prîmes la route de la salle du conseil, bras dessus bras dessous. J'étais si soulagée que j'en oubliais presque ce qu'il venait de se passer.

- Tu crois vraiment qu'il n'est vu que pour un jeu de pouvoir ? osai-je doucement.

- Je n'en sais rien. Je crois que j'espère que ça ne soit pas le cas mais le connaissant...

Il n'eut pas besoin de terminer. Je pressai son bras.

- Si tu veux mon avis, je pense qu'il y a plus qu'un stratagème derrière sa venue. Il semblait vraiment vouloir t'aider.

Il roula des yeux.

- J'ai bien fait d'accepter de te conseiller ! répondit-il. Tu te ferais avoir en deux secondes sans moi !

- Hé !

Ma protestation venait plus de mon ego blessé que d'autre chose. Je savais qu'il avait raison. La preuve en était de mon parcours. Je m'étais fait trahir par tout le monde. Jon Marchetta, Jedrek, Ryker, son père... Tous ceux en qui j'avais cru m'avaient leurrée et utilisée sans remords. Au fond, c'était un miracle que je sois encore en vie.

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NdlA : Bravo à ceux qui avaient vu le Traître débarquer ! Qu'est-ce que vous en pensez ? Ami ou ennemi ?

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