Chapitre 22
Nahl était encore réveillé lorsque j'entrai dans l'infirmerie. Il semblait encore faible et ça n'avait rien d'étonnant avec le coup qu'il s'était pris. C'était même un miracle qu'il n'ait que des côtes fêlées. Un tel choc contre le mur aurait pu le tuer. Au lieu de ça, sa colonne vertébrale était abîmée mais il était toujours en vie et il ne serait pas handicapé à vie.
Il se tourna vers moi lorsque j'entrai. Il tapota le bord du lit et j'allai m'y asseoir. Il devait savoir que j'avais passé la journée à la Cour Blanche. Je le voyais à l'inquiétude dans son regard. Il avait beau être le Chasseur, je pouvais lire à travers sa façade avec le moindre mal. À moins qu'il me laisse voir en lui.
- Alors ? Que dit le soigneur ? demandai-je.
- Rien de plus que ce matin. Je suis toujours mal en point. Il a pu travailler sur l'une de mes côtes mais il est épuisé. Réparer quelqu'un, c'est bien plus difficile que tout ce que l'on fait habituellement.
- Il ne peut pas puiser dans la magie de quelqu'un d'autre ?
Nahl secoua la tête.
- La magie des soigneurs ne fonctionne pas comme ça. Même entre soigneurs, ils ne peuvent pas se prêter d'énergie. C'est un poids qu'ils doivent porter seuls.
Malgré moi, je songeai à l'Ancienne. Elle aussi avait un devoir à porter seule. À croire que pouvoir guérir était une malédiction qui éloignait tout le monde.
- Je pourrais assister à la cérémonie de demain, ne t'en fais pas, reprit Nahl.
- Je m'en moque de cette cérémonie. Il n'y aurait que moi, je la repousserais jusqu'à ce que tu sois guéri.
Il m'offrit un large sourire qui me désarma. Je m'étais habituée à sa façade froide et distante. Au Chasseur. Je sentais en moi que c'était mon petit frère et qu'il était de mon devoir de le protéger. Cependant, l'image du Chasseur qui m'avait fait vivre un enfer durant ma captivité étouffait tout le reste et chaque manifestation du jeune Nahl me désarçonnait.
- J'ignorais que tu avais un mode grande sœur surprotectrice.
Je souris malgré moi, embarrassée. Je l'ignorais aussi jusqu'à ce que je me retrouve à menacer mon seul allié et ami pour qu'il s'éloigne de mon frère. Le fait était que Nahl était ma seule famille – en tout cas, l'unique membre avec lequel j'avais potentiellement envie de me lier – et j'étais décidée à tout faire pour le garder en un seul morceau.
- Je m'étais résigné à ce que tu me haïsses, admit-il soudain.
- Comment ça ?
- Je n'ai pas été tendre avec toi depuis que nous nous sommes rencontrés. J'ai même été horrible. Je ne comprends pas comment tu as pu me pardonner aussi vite. Quand je suis parti de chez maman, je suis certain que tu étais encore furieuse après moi.
- Je l'étais. C'est le truc, quand tu voyages seul, tu réfléchis beaucoup. Et j'ai beaucoup réfléchi. Tu es, pour ainsi dire, ma seule famille. Alors j'ai dû accepter tes explications et passer outre. Je n'avais pas le choix si je voulais avoir le courage de faire demi-tour pour venir te sauver. Alors que tu allais parfaitement bien, ajoutai-je avec un regard appuyé.
Il haussa les épaules et son sourire amusé devint une grimace douloureuse.
- Il fallait que tu reviennes.
- Je serais revenue, je crois. Même sans cette façade, je pense que je serais revenue.
- Pourquoi ? Tu voulais rester auprès de Ryker, non ? Il s'est passé quelque chose ?
Je soupirai. Ce n'était pas un sujet que j'avais envie d'aborder. Surtout pas aussi tard.
- Disons que c'est un menteur et un manipulateur. Je n'ai pas vraiment envie de m'étaler sur les détails.
- D'accord. Parle-moi de la Cour Blanche, dans ce cas. Comment c'était ?
Je tournai la tête vers Nahl qui forçait un sourire. Je ne cherchai même pas à lui demander de ne pas s'impliquer dans ce qu'il se passait entre Ryker et moi. Je me moquais bien de ce que le tempérament de feu de mon frère pourrait lui amener. Si j'étais trop faible pour agir, ça ne serait pas le cas du Chasseur.
Je cédai et m'orientai un peu plus vers lui pour lui raconter ma journée. J'aimais parler avec Nahl. Autant, si ce n'était plus, qu'avec Naseok. Il avait une façon si naturelle de rebondir sur ce que je disais, d'alléger l'ambiance, de m'écouter avec attention... Avec lui, j'avais la sensation que chacun de mes mots était crucial.
Ce que j'appréciais le plus, c'était qu'il ne rejeta pas l'idée que les Seelies soient différents de ce qu'il pensait. Il était né avec cette image en noir de la Cour Blanche et pourtant, tandis que je lui racontais en détail ce que j'avais appris, il ne me remit pas en cause et chercha uniquement à en savoir plus. Il possédait une maturité et un esprit pratique hors du commun. Certes, il n'était pas beaucoup plus jeune que moi mais je ne pouvais que m'émerveiller du caractère si étonnant de mon frère.
Lorsque j'eus terminé, il demeura songeur quelques instants.
- J'ai envie de penser que ce n'est qu'une jolie façade qu'ils ont mis en place mais, si c'est le cas, quel en serait leur intérêt ? Après tout, d'ici demain, tu seras reine. Pourquoi prendraient-ils tant de précautions pour créer un mensonge aussi inutile ?
- Sans compter la cérémonie du savoir dans deux semaines. Ça serait totalement inutile. Un gaspillage de ressources et d'énergie qui ne mènerait à rien.
- C'est pour ça que je pense que, peut-être, ils t'ont montré leur vrai visage. Il est probable que le Roi Blanc ait été sincère en parlant d'union des Cours. Ça serait une bonne nouvelle pour nous. Nous pourrions régner à deux. Je n'ai pas tellement envie de me retrouver à gérer une bande d'Unseelies dégénérés tout seul.
- Tu vas devoir le faire, pourtant. Ça va prendre du temps d'allier les Seelies et les Unseelies.
- Tu m'aideras ?
J'observai les émotions jouer sur son visage. Le masque était totalement tombé. Il me laissa voir combien il était effrayé et appréhensif. Derrière cette façade de redoutable Chasseur, il n'était qu'un gosse qui n'avait pas été préparé à son rôle. Tout comme moi.
- Bien sûr.
Il sourit. Je tressaillis lorsqu'il passa ses bras autour de moi. J'étais certaine que ça lui faisait mal aux côtes et au dos. Toutefois, je ne me voyais pas le repousser. Il en avait besoin sûrement autant que moi. Malgré tout, je ne le laissais pas faire durer cette étreinte trop longtemps et je le repoussai dans son lit. Il était encore faible et fragile.
- Recouche-toi et dors. Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose demain. Je ne pourrais pas empêcher la cérémonie, que je le veuille ou non.
Je me rendis compte après coup que je l'avais bordé comme une mère borde son enfant malade. Il me fit son sourire le plus mignon avant de fermer les yeux. Je soufflai les bougies, n'en gardant qu'une pour moi naviguer dans les couloirs.
Je retrouvai mes quartiers sans mal. Malheureusement, une mauvaise surprise m'attendait dans le petit salon. Ryker était encore debout, lisant à la lueur du feu de cheminée. Les ronflements des Démons et des pirates étaient assourdissants.
- Tu rentres tard, m'apostropha-t-il.
- Cela ne te regarde en rien. Tu n'as plus ton mot à dire. Pas que tu l'aies jamais réellement eu.
- Sixtine...
Je levai une main pour l'interrompre.
- C'est une bonne chose que tu sois là, en vérité. J'ai appris beaucoup de choses, aujourd'hui. Dont une qui rend notre marché caduc. Je n'ai plus besoin de ton aide. Comme je ne te dois rien, tu peux partir dès demain. Je peux demander aux pirates de t'escorter jusqu'à la frontière si besoin est. N'attends rien de plus de ma part.
Il se leva brusquement. Son livre rebondit sur le sofa et s'écrasa à terre dans un bruit mat.
- Pardon ? De quoi est-ce que tu parles ?
- Vois-tu, les Seelies sont des gardiens du savoir. Ils accumulent tout ce qu'ils savent. En tant que future reine, je vais obtenir toutes leurs connaissances. Absolument toutes. Ce qui veut dire que je n'ai plus besoin de tes petits cours de politique. Je vais obtenir encore plus que tu ne peux en rêver. Aussi notre marché ne tient-il plus.
Je vis la fureur sur ses traits. Il tentait de se maîtriser et échouait. Il ne m'effrayait pas. Que pouvait-il me faire ? J'avais affronté des Démons et survécu. Un humain aussi incapable de se défendre que lui ne pourrait rien me faire.
Il s'approcha de moi, les mâchoires et les poings serrés.
- Tu ne peux pas annuler notre marché comme ça !
- Et qu'est-ce qui m'en empêche ? Tu ne m'as apporté aucune aide depuis notre accord verbal. En plus, il n'existe aucune preuve de ce marché. Désormais, tout ce qui subsiste, ce sont tes dires. Or, toutes les autres personnes présentes sont mes sujets. Ils diront ce que je leur demande de dire. Surtout qu'ils te détestent. Quant à tes sujets, ils sont loin et aucun ne saura de quoi tu parles. Si tant est qu'il y en ait un seul qui veuille lutter à tes côtés. Tu n'as aucun point d'appui, Ryker. Rends-toi à l'évidence. Tu n'auras pas mon armée ni celle de Nahl. Tu as échoué.
Sa fureur était égale à la mienne. Je ne cillai pas, lui faisant face sans céder. Révélait-il son vrai visage ? Si Jedrek avait été un traître, il n'avait pas été le seul. La cour des Madsen était pourrie jusqu'à la moelle. Aussi horribles que pussent être les Unseelies, ils l'assumaient. De même que les Seelies qui ne se cachaient pas d'être des manipulateurs et des traîtres. Ils avaient leurs vices et ils les assumaient avec une fierté presque malvenue. Leurs adversaires savaient à quoi s'en tenir.
Tandis que les Madsen, eux, prétendaient être innocents avant de poignarder dans le dos avec férocité et venin. Ce n'était pas plus mal qu'il goûte à son propre poison. Avec de l'espoir, ça le ferait réfléchir. Bien que j'en doute.
- Tu es encore pire que ces enfoirés de Rois Jumeaux, cracha-t-il.
- J'ai appris du meilleur, répliquai-je avec un sourire mauvais. Sois fier. L'élève a dépassé le maître.
Je tournai les talons pour rejoindre ma chambre. C'était une chance que je partage ma chambre avec Naseok. J'étais prête à parier que Ryker n'allait pas en rester là. Je pouvais compter sur lui pour trouver une stratégie pour se sortir d'affaires.
Je m'assis sur mon lit et me frottai les yeux. J'étais plus épuisée que je ne le croyais.
- C'était rusé de ta part, souffla Naseok depuis son lit. Je crois que tu commences à saisir comment ça marche parmi la royauté.
Je me tournai vers lui. Il se redressa, la lueur dansante de ma bougie projetant son ombre sur le mur et obscurcissant ses traits.
- Honnêtement, je ne t'en croyais pas capable. Tu as toujours été aveugle lorsqu'il s'agissait de lui. Je priais pour que tu ne cèdes pas encore. Si tu l'avais pardonné, j'ignore ce que j'aurais fait mais je t'aurais réveillée. Je suis fier de toi.
- Tu croyais que j'allais lui pardonner ? Alors qu'il m'a utilisée pour se débarrasser de son père en prétendant tout avoir ignoré de mes motivations et en me blâmant ? J'ai eu des sentiments pour lui, pour sûr. Plus maintenant. J'ai trop à faire pour pouvoir me préoccuper de lui. Demain, je vais être couronnée reine. Dans deux semaines, j'aurais toutes les connaissances du Roi Blanc. Après ça, je vais devoir aider Nahl et unir les deux Cours. Je ne peux pas m'occuper des affaires humaines.
- Et la guerre ?
- Plus tard. Lorsque le peuple sera uni sous une même bannière. En attendant, je verrais avec Nahl pour fermer toutes les frontières. Mettre la Faerie en bulle le temps qu'elle récupère et se renfonce pour affronter Lux et Jullian.
- Tu crois que les Faes vont être d'accord ?
- C'est le choix le plus censé. J'ai beaucoup d'arguments pour le soutenir. Plus j'y songe et plus j'en ai.
- Il faudra que tu penses à tous me les donner, dans ce cas. Pour l'instant, mieux vaut dormir. Demain va être une longue journée.
Je hochai la tête et m'allongeai dans mon lit. Je m'enroulai dans mes draps glacés et soufflai la bougie.
- Tu crois que j'en suis capable ? demandai-je dans un souffle.
- Tu es capable de tout.
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NdlA : Alors ? Verdict ? Théories ?
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