Chapitre 21
Après le déjeuner, le Roi Blanc m'entraîna vers la salle du conseil. Nous avions terminé de manger dans un relatif silence où j'avais retourné dans tous les sens la nouvelle de cette seconde cérémonie. Cependant, j'avais besoin de savoir certaines choses indispensables et j'ignorais si c'était quelque chose qui passerait par la cérémonie ou qu'il garderait pour lui. Je n'avais pas envie de poser la question car il allait deviner tout ce qu'elle impliquait mais je n'avais pas vraiment le choix.
- Par cette cérémonie, commençai-je prudemment, vais-je connaître absolument tous les secrets de la Cour Blanche ?
- Oui. Tu sauras tout ce que je sais. Je ne pourrais rien garder de toi, si c'est ce qui t'inquiète. À part les choses personnelles n'ayant rien à voir avec le travail de monarque, tu sauras tout. Y compris l'endroit où est gardé la prochaine Ancienne.
Je me figeai. Comment... ?
- Pensais-tu réellement que je ne le saurais pas ? Les humains ne sont pas doués pour dissimuler leurs intrigues. Ils n'apprennent jamais de leurs erreurs, peu importe depuis combien d'années ils foulent la terre. Leurs cerveaux ne retiennent jamais l'apprentissage que leur courte vie leur offre.
- Qu'allez-vous faire ?
- Rien. À part te mettre en garde.
- Me mettre en garde ? répétai-je bêtement.
J'accélérai l'allure pour le rattraper et me remettre à sa hauteur.
- Oui. Vois-tu, les Anciennes sont formées durant de longues années avant de pouvoir entrer en fonction. C'est pour cette raison qu'elles sont si vieilles lorsqu'elles arrivent à Wringden. Dès qu'une nouvelle Ancienne est affectée, une jeune humaine est amenée ici, dans cette cour, pour commencer son apprentissage. Il n'y en a qu'une au monde pour remplacer celle que l'on envoie à Wringden. Une nouvelle enfant est élue lorsque celle en apprentissage signe son accord pour passer son test final. Si elle échoue, nous amenons la nouvelle élue ici et l'entraînons en espérant qu'elle réussisse.
- Vous voulez dire que ce test est mortel ?
- En effet. C'est pour cela que nous ne le proposons pas à l'humaine avant que nous la pensions prête à le passer. Elles ont besoin de centaines d'années avant d'être capables de survivre à ce test. Si celle que nous avons pris tant de temps à entraîner meurt, ce sont de nouveaux siècles ajoutés au poids de l'Ancienne. Les humains ne sont pas fait pour vivre aussi longtemps, certes. Mais ce poste est nécessaire. L'Ancienne possède une magie que nous, Faes, ne pouvons pas atteindre. C'est pour cela que nous faisons de notre mieux pour le faire durer au minimum.
- Et celle que vous entraînez... Est-elle prête ?
- Tu poseras la question durant le conseil. Éméraldine sera plus à même de te répondre que moi puisque c'est elle qui est en contact avec les divers précepteurs de l'humaine.
Il s'arrêta devant une large porte en bois clair ornée de moulures fines et florales.
- D'ailleurs, nous y sommes. Ils sont déjà à l'intérieur.
Il poussa la porte et nous pénétrâmes dans une serre immense dont les verres étaient majoritairement recouverts de verdure et de fleurs aux couleurs éclatantes. Le sol ressemblait à du marbre blanc et gris. Ses teintes rehaussaient la beauté de la table ronde qui trônait au centre de la pièce. En fer forgé avec un plateau en verre, elle semblait avoir jailli du sol à la manière d'une plante et s'être figée, emprisonnée par le métal.
Cinq personnes étaient déjà assises, deux femmes et trois hommes, et aucune ne se leva pour saluer l'entrée de leur roi. Cependant, elles lui offrirent un sourire et une brève inclinaison de la tête.
- Majesté, dirent-ils en chœur.
Je les observai, tous les cinq, tout en m'installant à côté du Roi Blanc, dans l'unique chaise restante. Les deux femmes étaient deux opposés complets. La plus jeune des deux avaient des cheveux d'un vert clair et profond et des yeux assortis. Elle était fine et gracile mais gratifiée d'un visage doux et rosé. Elle avait le genre de beauté naturelle qui était si déprécié à la cour des Madsen.
Quant à la plus âgée, ses cheveux étaient jaunes. Vraiment jaunes. La couleur était assez horrible et donnait à sa peau un teint maladif. Elle avait l'air calme et serein mais sérieux, à la manière d'une bibliothécaire.
Elle était entourée de deux hommes, l'un au visage ouvert et aux cheveux d'une étonnante teinte rosée qui s'associait à sa carnation, et l'autre qui ressemblait à une statue de bronze polie par le sel et la pluie, de ses cheveux brun clair et sa peau bronzée – une teinte que je n'avais jamais vue à la Cour Blanche jusque là – à son expression fermée et figée.
Le dernier conseiller était si grand qu'il était assis de biais sur sa chaise pour pouvoir étendre ses jambes sur le côtés. Ses yeux violets étincelaient et il m'offrit un sourire engageant.
À part pour la statue de bronze, tous semblaient chaleureux et accueillants. Je ne savais pas si c'était le signal que je pouvais me détendre ou que, au contraire, j'avais intérêt à être sur mes gardes.
- Je doute d'avoir à vous présenter mon héritière, Sixtine, énonça le Roi Blanc. Sixtine, voici Vixsin (le géant), Éméraldine (la conseillère aux cheveux verts), Tmasen (la statue de bronze), Drenna (le tournesol) et Harsa (celui aux cheveux roses).
- Enchantée, fut tout ce que je trouvais à dire.
- Nous de même, assura Harsa avec un large sourire. Nous avions tous hâte d'enfin vous rencontrer, Altesse. D'ordinaire, nous rencontrons notre futur monarque bien avant la veille du couronnement. C'est très étrange de faire les présentations aussi tard.
- Comme tu l'as dit, la cérémonie a lieu demain, releva le Roi Blanc. Quelles sont les nouvelles ?
- Comme ce sont ces ignorants de Unseelies qui la préparent, nous avons prévu une plus grande protection, répondit Tmasen assez sèchement, sa voix trop aiguë pour son expression et sa carrure. Nous garderons une partie des gardes pour protéger la Cour pendant qu'un autre assurera votre protection à tous les deux durant la cérémonie. Toutes les entrées seront gardées et les invités triés sur le volet que cela plaise ou non aux Unseelies.
- Quant à la cérémonie du savoir, nous sommes déjà en train de tout préparer, assura Drenna. Autant vos quartiers respectifs que la salle où aura lieu la cérémonie en elle-même. Le cuisinier est en train de travailler sur un menu qui permettra votre mise en condition.
À chaque annonce, le Roi Blanc hochait pensivement la tête avec approbation. Il fit courir ses doigts sur le bord de son verre, comme perdu dans ses réflexions. Toutefois, je ne m'y fiais pas. J'étais certaine qu'il retenait chacun des mots de ses conseillers.
La séance s'étira en longueur et je retins autant d'informations que possible. Aucun des conseillers ne semblait s'inquiéter du fait que je ne comprenais rien à ce qu'ils racontaient. Ils agissaient avec moi comme si j'étais l'une des leurs. Ils devaient se douter que tout finirait par faire sens à un moment donné. Après cette cérémonie du savoir.
La perspective d'obtenir toutes les connaissances du Roi Blanc me laissait mitigée. D'un côté, c'était la solution parfaite à tous mes problèmes. Je connaîtrais le peuple Seelie, la Faerie... Peut-être serais-je même capable d'utiliser mes pouvoirs sans créer de catastrophe. De plus, avantage non-négligeable, je pourrais revenir sur mon marché avec Ryker.
C'était ce point qui me donnait le plus à réfléchir. Notre accord était simple : il m'apprenait la politique et je lui prêtais une armée. Sauf que, jusque là, il n'avait pas rempli sa part du contrat. Ce qui le rendait caduc. Or, s'il était caduc et que je n'en avais plus la nécessité, je pouvais le rompre sans soucis et renvoyer Ryker chez lui.
C'était une occasion sur laquelle je n'allais pas cracher. Je ne voulais plus avoir à affronter la vue de l'héritier Madsen. Tout ce qu'il m'inspirait, désormais, c'était de la colère. Sa trahison... Je ne pourrais pas la pardonner. Aurait-ce été à propos de quelque chose de moins important, j'aurais pu le supporter. Cependant, nous parlions de l'assassinat de son propre père. Certes, j'avais tenu la lame qui l'avait transpercé mais Ryker était aussi coupable que moi.
Il avait su depuis le début et il n'avait rien fait. Il m'avait regardée droit dans les yeux, m'avait courtisée, faute d'un meilleur terme, mais pas une seule fois il n'avait tenté de me dissuader d'assassiner son père. Il m'avait laissée faire.
Il ne devait pas avoir prévu que j'hériterais d'un trône. Que j'aurais le dessus sur lui. Parce que, sans mon soutien, il ne pourrait jamais récupérer son trône. L'idée de devoir traiter avec Lux et Jullian ne me ravissait pas. Pas du tout. Nonobstant, je préférerais traiter avec eux plutôt qu'avec Ryker. Au moins, eux étaient directs sur ce qu'ils étaient. Je pouvais gérer des monstres lorsqu'ils ne se cachaient pas sous de jolis sourires et de beaux mensonges.
Malheureusement pour moi, j'allais devoir attendre deux semaines avant d'obtenir toutes les informations dont j'avais besoin. Si la cérémonie fonctionnait. Je n'avais aucune garantie. Je n'oubliais pas les rumeurs sur les Seelies. Les apparences étaient souvent trompeuses.
- Il y a autre chose que vous devez savoir, annonça Harsa. Le Traître n'est jamais arrivé à la Maison de la Honte. On ignore où il se trouve.
Le Traître.
Le père de Naseok. Ce Seelie immonde qui pouvait s'insinuer dans l'esprit d'autrui et en prendre le contrôle. Ce qu'il avait tenté de faire avec le Roi Blanc. C'était ce qui l'avait envoyé droit à la Maison de la Honte, la prison réservée aux pires criminels de la Faerie.
Je frémis au souvenir du temps que j'avais passé avec lui. Il s'était collé à mon côté pendant que je tentais de rattraper Naseok, Ryker, Addy et Ghur. Celui à cause de qui je m'étais retrouvée avec les deux bras brûlés. Il prétendait vouloir se racheter une conduite et renouer avec son fils mais personne n'y croyait.
Le Roi Blanc se redressa.
- Comment cela ? Je croyais que le Chasseur l'avait ramené !
- D'après ce que l'on sait, il l'a fait. Ils ont atteint la Maison de la Honte mais le Traître a disparu dès que le Chasseur a eu le dos tourné.
- Nous doutons même que le Chasseur soit au courant de cette nouvelle disparition, ajouta Éméraldine.
- Je veux une sécurité maximale sur toute la Cour. Et qu'elle se prolonge demain. Forcez les Unseelies à vous prêter des hommes s'il le faut. Personne ne doit pouvoir entrer ni sortir sans être remarqué. Faites passer le mot dans toute la Cour.
- Et les Unseelies ? questionnai-je.
- Tu les préviendras lorsque tu iras voir ton frère, répondit simplement le Roi Blanc. Pas que tu aies compté faire autrement, n'est-ce pas ?
Je ne cherchai pas à nier. Mon frère avait le droit d'être au courant de la menace qui rôdait. Et puis, si j'étais censée lier les deux Cours, autant commencer tout de suite. Partager cette information ne pouvait qu'être un pas en avant car il était évident que personne autour de cette table n'avait songé à le faire.
Il n'attendit pas de réponse et ramena son attention sur ses conseillers. Je me retins de rouler des yeux. Qu'il prétende me connaître si ça lui faisait plaisir. Ce n'était qu'un mensonge au travers duquel même de parfaits inconnus voyaient sans mal.
Je laissai le conseil se dérouler sans intervenir à nouveau. Je grignotai les biscuits qui avaient été amenés par un jeune homme discret et au sourire lumineux. Il était reparti aussi vite qu'il était entré, sans faire de vagues. Personne à part moi ne semblait avoir remarqué son apparition.
- Il me semble que tu avais une question pour le conseil, me lança le Roi Blanc.
Il s'était enfoncé dans son siège et avait croisé les bras sur son torse, l'air calme et presque amusé. Mais je vis plus loin. J'avais vu cette expression sur le visage du Traître avec que nous entrions à Wringden. Je ne l'avais pas reconnue pour ce qu'elle était, à ce temps-là. Sans quoi, j'aurais su qu'il me lançait un défi.
- En effet, répondis-je.
Tout comme à Wringden, je n'allais pas me dégonfler. J'avais besoin de savoir ce qu'il en était avec la remplaçante de l'Ancienne. J'avais besoin de savoir si j'allais avoir du mal à la faire sortir de là où elle était confinée ou s'ils allaient me faciliter la tâche.
- Que désirez-vous savoir ? me demanda Vixsin, curieux.
- Cette remplaçante de l'Ancienne... Est-elle prête à prendre son rôle ?
Les cinq conseillers échangèrent un regard, surpris par ma question. Leur hésitation était palpable. Ce fut Éméraldine qui merépondit.
- Pourquoi... ?
- Cela ne regarde que moi, objectai-je. Tout ce que je veux savoir, c'est si elle est prête ou non.
- Son enseignement avance bien, admit Vixsin. Cependant, de là à dire qu'elle est prête à passer le test... Je n'irai pas jusque là. Elle a encore de nombreuses lacunes à combler avant de pouvoir prétendre survivre.
- Dans combien de temps serait-elle prête, selon vous ?
- Hmm... Dans trois ou quatre mois minimum, je pense. Ce n'est qu'une vague estimation. Cela dépendra d'elle et de son avancée dans son apprentissage.
Je hochai la tête. Leurs réponses semblaient honnêtes. Toutefois, je demeurai sur mes gardes, ne les prenant pas pour argent comptant. Aussi accueillant qu'ait été Vixsin, il pouvait parfaitement m'avoir donné cette estimation dans le simple but de me faire patienter et, dans trois mois, me dire qu'elle n'était toujours pas prête. C'était une possibilité que je ne pouvais pas exclure.
Je les vis échanger un nouveau regard, à peine discret.
- Bien, s'exclama le Roi Blanc. Il me semble que nous sommes arrivé au terme de cette session. Je vous laisse retourner aux préparatifs des cérémonies.
Les cinq conseillers se levèrent et s'inclinèrent poliment avant de quitter la serre. Je ne me détendis pas pour autant.
- Tu finiras par leur faire confiance, m'assura le Seelie. Je ne les ai pas choisi pour rien. Ils sont d'une fidélité sans faille au trône Seelie. De plus, ils ne sont pas contre l'union des Cours.
- Tmasen n'avait pas ravi de mon apparition, remarquai-je.
- Tmasen est un peu... froissé. Il est facile de le vexer et j'ai peut-être omis de le prévenir de ta présence. Il est à prendre avec des pincettes mais sa loyauté est sans faille. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'il donnerait sa vie sans hésiter pour te protéger si le besoin survenait.
J'en doutais grandement mais je gardai ma bouche scellée. Il y avait beaucoup de choses auxquelles je ne croyais pas réellement mais je préférais me taire. Si l'atmosphère de la Cour Blanche était largement différente de ce que j'avais attendu, ce n'était pas le signe définitif de leur bonne volonté. Le Roi Blanc lui-même avait admis qu'ils excellaient à l'art de la manipulation.
Je me massai les tempes. J'avais beau me sentir étonnamment à mon aise ici, j'avais envie de retourner auprès de Nahl. J'espérais qu'il était réveillé et qu'il allait mieux. Le soigneur m'avait assuré qu'il allait vite se remettre, je n'étais pas convaincue. Je voulais le voir de mes yeux.
- Il se fait tard, dis-je. Et je suis épuisée. Je voudrais passer voir Nahl avant d'aller me coucher aussi ferais-je mieux de rentrer.
Il ne me retint pas et me laissa quitter sa Cour seule pour retourner chez les Unseelies.
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NdlA : Alors ? Vos avis ?
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