Chapitre 18
Ce ne fut que par manque de forces que je ne partis pas m'isoler dans quelque recoin perdu de la Cour Noire. Heureusement, Naseok commençait à me connaître et devina que tout ce que je voulais pour le moment, c'était un peu de solitude. Nahl tenta de protester mais mon ami eut l'avantage et parvint à le traîner hors de la chambre.
Je me roulai en boule dans les couvertures, appréciant la légère brise qui soufflait dans la pièce, rafraîchissant l'air. C'était agréable, surtout quand j'étais aussi épuisée. Avoir combattu le Roi Blanc m'avait vidée de toute énergie.
Ce qui, malheureusement pour moi, ne signifiait pas que mon cerveau allait cesser de tourner en rond et de me rappeler ce que j'avais vu dans l'esprit du Roi Blanc. Je n'aurais jamais dû pousser cette porte. Il aurait été plus facile de vivre en ignorant la vérité. Même si continuer en ayant un doute n'aurait pas été plus simple. La question de la sincérité de mon... père m'aurait hantée. J'avais vécu bien assez longtemps en ayant milles questions sur ma famille...
Désormais, j'avais toutes les réponses sur mes origines. Je savais qui était mon père, qui était ma mère, dans quelles conditions j'étais née et pourquoi. Enfin, presque. Après tout, Miléna m'avait désignée comme un monstre. Selon elle, j'étais un être contre-nature, une abomination qui n'aurait jamais dû voir le jour. Et pourtant, elle m'avait laissé grandir dans son ventre. Son seul acte avait été de m'abandonner chez sa sœur, très loin d'elle.
Toutefois, il y avait des choses qui continuaient de ne pas avoir de sens, pour moi. J'avais beau avoir l'allure d'une Seelie, mes pouvoirs étaient bien plus Unseelie. Le feu n'avait assurément rien à voir avec la Cour Blanche et, pourtant, c'était l'élément que je maîtrisais le mieux. Au fond, cela n'avait pas de sens. Comme si cette erreur dans ma filiation avec Nahl avait jeté un flou dans la limite entre Seelie et Unseelie.
Je savais que les jumeaux étaient considérés comme deux individus exactement identiques mais je n'avais jamais songé que cela allait jusqu'au sang. Je n'avais pensé qu'au physique. Les habitudes et mimiques venaient de l'éducation et de la vie ensemble. Deux personnes recevant la même éducation et vivant ensemble chaque jour, faisant les mêmes choses... Les ressemblances étaient destinées à arriver.
En y songeant, ce n'était pas si insensé que les deux jumeaux partagent le même sang. Puisqu'ils partageaient leur physique, il devait y avoir des racines plus profondes. Si c'était surprenant sur l'instant, ça ne l'était plus tellement lorsque l'on y réfléchissait un minimum.
De toute façon, rien n'avait de sens et tout en avait dans la Faerie.
Je dus finir par m'endormir car ce fut le violent coup dans la porte de la chambre qui me réveilla en sursaut. Ryker vint me secouer sans douceur. Une coupure profonde entaillait sa joue, saignant abondamment.
- Qu'est-ce qui se passe ? questionnai-je.
- Les Rois Jumeaux sont en train de se battre, répondit-il. Apparemment, il est impératif de les empêcher de s'entre-tuer. Ton cher ami Naseok m'a envoyé te chercher d'urgence.
Je soupirai et me frottai les yeux.
- Allons-y.
Je fis de mon mieux pour lutter contre les sensations que sa présence si près de moi déclenchaient. Je ne lui avais pas pardonné, loin de là. Toutefois, mon propre corps me trahissait en écoutant un peu trop mon cœur à mon goût. Je me souvenais un peu trop bien desrares touchers que nous avions échangé. En dépit du manque de confiance, je ne pouvais que regretter ce qu'il s'était passé. Même si tout était de sa faute.
Il ne me fallut pas longtemps pour savoir où se passait l'affrontement entre les deux frères. Un vacarme assourdissant résonnait dans la salle de réception. Le bâtiment tout entier tremblait sous les assauts magiques.
Nahl et Naseok luttaient côte à côte pour séparer les deux rois. Le Roi Noir était enragé, le regard fixé sur son jumeau, sa magie se déchaînant en bouffées brutales qui brûlaient et détruisaient tout sur leur passage. L'une d'elle frappa Nahl en pleine poitrine, l'envoyant voler à travers. Il heurta le mur si violemment que je redoutais de le retrouver avec des os cassés.
- Aide-nous ! me cria Naseok. Il faut les empêcher de se tuer !
Je n'en voyais pas l'intérêt. Qu'ils se tuent l'un l'autre. Ils étaient exécrables et ils ne manqueraient à personne. Je n'avais aucune raison de les aider, de les épargner. Je n'avais aucune envie de m'inclure dans leur conflit alors que je ne supportais pas de les regarder.
- SIXTINE ! beugla Naseok.
Je levai un mur de feu opaque et dense entre les deux Jumeaux. Si le Roi Blanc se calma, ce ne fut pas le cas de son frère qui chercha à le contourner.
- Explique-moi pourquoi je devrais les empêcher de s'assassiner l'un l'autre ? apostrophai-je mon ami. Pourquoi ne pourraient-ils pas en finir en nous laissant regarder ?
- Parce que si l'un meurt, l'autre le suivra dès que sa tête touchera l'oreiller, expliqua le Unseelie, le souffle court, couvert de sueur. Et s'ils meurent, quelqu'un d'autre devra prendre leur place. Or, il y aura un jour de vacance avant votre couronnement donc, les trônes choisiront une personne à la lignée suffisamment décente pour reprendre le règne et vous perdrez votre trône. Parce que si une autre famille monte dessus, ça sera les enfants des nouveaux rois qui prendront la succession.
- Ça n'a aucun sens ! Si nous sommes les héritiers de ces trônes, pourquoi iraient-ils choisir quelqu'un d'autre alors que nous sommes là ?
- C'est ainsi. J'ignore pourquoi. Sûrement pour qu'il n'y ait jamais de vacance dans les Cours. S'il y a une chose que la Faerie déteste, c'est le vide. Et comme c'est la famille sur le trône qui règne et prend sa descendance pour continuer, toi et Nahl perdriez tout votre héritage.
- Serait-ce si mal ?
Naseok plongea son regard dans le mien, posa ses mains sur mes épaules.
- Je sais que tu voudrais échapper à tout cela. Je le comprends. Mais tu as des promesses et des dettes à remplir. Si tu renies ton devoir envers l'Ancienne, envers les pirates, envers l'autre humain abruti... Comment te sentiras-tu ?
- Je doute de sentir quoi que ce soit longtemps, marmonnai-je. Je suppose que les Démons auront très vite ma peau.
Il sourit légèrement et hocha la tête.
- Intelligente avec ça.
Je ne pus que sourire en retour. Naseok savait comment se charger de moi. Comment me faire accepter son raisonnement. Je détestais ça. Je détestais savoir qu'il avait raison et que je ne pouvais rien faire contre. Il n'allait pas retourner le couteau dans la plaie mais ça n'en restait pas moins énervant.
- Je n'aurais rien tant voulu que de laisser les Rois Jumeauxs'entre-tuer et jeter l'éponge pour ne pas avoir à faire face à lacouronne. Malheureusement pour moi, Naseok avait raison. Je nepouvais pas tourner le dos à mon héritage. J'avais fait la promesseà l'Ancienne de la libérer. Si je ne prenais pas le trône Seelie,je ne pourrais jamais trouver sa remplaçante et la lui envoyer etdonc, me libérer de ma dette. Ce qui aurait pour unique conséquencede voir un Démon me régler mon compte.
Or, je ne comptais pas mourir si jeune.
- Très bien, cédai-je. Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?
- Aide-moi à les séparer.
Je rejoignis le Roi Blanc qui me considéra avec dédain.
- Retournez dans votre Cour, ordonnai-je. À moins que vous ne vouliez tous nous faire tuer.
- Faire un pacte avec les Démons, cracha-t-il. Quelle idée stupide !
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde et dégagez.
- Puisque tu es ma fille, il me semble que tout ce qui te concerne me regarde.
- Contentez-vous de dégager au lieu de faire de jolis rêves éveillés. N'espérez même pas vous mêler de mes affaires. Vous n'êtes rien pour moi qu'un monstre froid et sans cœur.
- Ce qui aurait tendance à prouver notre filiation, n'est-ce pas ?
Avec un sourire narquois, il tourna les talons et s'éloigna. Je dus lutter pour ne pas lui arracher la tête lorsqu'il passa à côté de moi.
Allait-il s'amuser longtemps de moi à cause de sa grande révélation ? Je ne supporterais pas qu'il me rappelle toujours que j'étais sa fille. Le savoir était déjà atroce alors si, en plus, il prenait plaisir à me le dire encore et encore à chaque rencontre... Il n'allait pas vivre longtemps.
Je rejoignis Nahl qui grimaçait en se relevant. Le Roi Noir ne l'avait pas loupé et il semblait réellement s'en vouloir. Nous savions qu'il n'avait pas voulu le blesser. Cependant, c'était un Unseelie. Une fois enragé, il oubliait de regarder qui il frappait avec sa magie et taillait dans le vif.
- Est-ce que ça va ? Rien de cassé ?
- Honnêtement ? J'en sais fichtre rien. Mais c'est pas plaisant du tout.
- Emmenez-le chez le soigneur, dit le Roi Noir. Au cas où.
Je lui jetai un regard glacial avant de passer le bras de Nahl autour de mon cou pendant que Naseok le soutenait par la taille. Nous le traînâmes à travers la Cour Noire en suivant ses instructions. Il était le seul de nous trois à connaître le chemin.
Le soigneur travaillait dans une large pièce circulaire. Les murs étaient percés de nombreuses fenêtres qui faisaient entrer la lumière. Une dizaine de lit suivaient la courbure de la pièce. Tout au fond, derrière un bureau en bois brut massif, se tenait un homme à la carrure étonnamment massive. Il possédait de larges épaules carrées, un torse compact, des jambes comme des troncs d'arbres. Il se leva en nous voyant entrer.
- Installez-le sur ce lit, ordonna-t-il.
Sa voix était bien trop haute pour quelqu'un avec sa carrure. Je m'étais attendue à une voix profonde et grave, roulante même. Au lieu de ça, il avait la voix d'un jeune palefrenier qui viendrait de se prendre un manche de râteau entre les jambes. C'était... perturbant.
- Que s'est-il passé ?
Naseok prit sur lui d'expliquer. Je m'assis sur le lit adjacent et observai le soigneur s'occuper de mon frère. Je n'avais jamais utilisé ma magie pour soigner. Je n'avais même pas songé à cela comme une possibilité. Ça en disait long sur moi.
Mon seul ami vint s'asseoir à côté de moi et me poussa de l'épaule.
- Tu te sens un peu mieux ?
- Non. Pas le moins du monde. Je m'étais faite à l'idée d'être la sœur de Nahl et au final... J'ignore lequel est le pire : être sa sœur avec tout ce que cela implique ou être sa demi-sœur avec tout ce que ça implique.
- Je ne le connais pas encore beaucoup mais je pense qu'il te dira comme moi dès qu'il sera en état. Tu es sa sœur. Vous avez le même sang. C'est comme si vous étiez des jumeaux. C'est tout ce qui compte.
- Sauf que nous ne le sommes pas. Il est un an plus jeune que moi. Je ne peux pas oublier ce que je sais. Et je sais de qui je suis réellement la fille. Rien que pour ça, j'accueillerais bien les Démons à bras ouverts.
Le Unseelie me jeta un regard noir et furieux.
- Ne dis jamais ce genre de chose ! Je me doute que ce n'est pas facile mais je refuse de te voir abandonner ! La Sixtine que j'ai appris à connaître n'est pas assez lâche pour baisser les bras et jeter l'éponge ! Pour sûr, ta filiation est encore plus tordue qu'à l'origine mais ça ne change rien. Tu haïssais le Roi Noir et tu hais le Roi Blanc. Ça ne fait aucune différence.
- Ça fait que je ne suis pas réellement la sœur de Nahl ! Il n'est pas mon petit frère ! explosai-je. Peu importe cette histoire tordue de sang similaire ! Nous n'avons pas le même père donc il n'est pas mon petit frère !
- Il n'en est pas moins ta famille.
Ses mots furent un coup de poing qui me coupa le souffle. En quelques mots, il avait trouvé la faille et l'avait ouverte en grand. Tant et si bien que je fus désarçonnée. Il me connaissait vraiment trop bien.
- Ce n'est pas parce que tu es la fille du Roi Blanc que tu perdras ton frère. Il te le dira lui-même, tu verras.
Je gardai le silence et me frottai les yeux. Je n'avais plus qu'une envie : retourner coucher. J'avais besoin de sommeil. Et de réfléchir à tout ça.
Le soigneur se tourna vers nous.
- Il va relativement bien si ce n'est qu'il a trois côtes fêlées et que sa colonne vertébrale est bien abîmée. Il a de la chance que rien n'ait cassé sans quoi je n'aurais eu personne à soigner. Il va avoir besoin de quelques jours de repos. Je vais le garder ici pour être certain qu'il n'aggrave pas son cas.
Il n'attendit pas une quelconque réponse et tourna les talons. Je surpris le regard de Naseok vers le lit et haussai un sourcil.
- Méfie-toi des pensées que tu as pour mon frère, Naseok.
- Je ne vois pas à quoi tu fais référence.
- N'essaie même pas.
- Je ne t'aurais pas prise pour la grande sœur surprotectrice, je dois l'admettre.
- Moi non plus mais c'est mon petit frère et je compte bien prendre mon rôle au sérieux. Je n'ai pas pu avant pour des raisons évidentes mais je vais me rattraper.
- Tu n'as pas à le protéger de quoi que ce soit, Sixtine. Il ne se passe absolument rien.
- Pour l'instant. Mais je ne suis pas idiote. Je vois bien comment ça se passe.
Il eut le bon sens de détourner le regard. Je poussai la porte de la chambre et m'arrêtai sur le seuil.
- Alors fais gaffe à tes fesses. Ami ou non, je n'hésiterais pas à te les botter si besoin s'en fait sentir.
- Va dormir, tu m'épuises.
Je ne pus retenir un sourire en fermant la porte derrière moi. Il était évident qu'il se moquait totalement de mes menaces. Et c'était pour le mieux.
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NdlA : Vos avis ? Vos théories ?
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