Chapitre 16
La salle où avait lieu le dîner était magnifique. Et immense. Tout dans cette Cour était disproportionné. Un chandelier jetait des reflets dorés sur toutes les surfaces. Une table massive et brute faisait toute la longueur de la pièce, entourée de chaises droites et rembourrées par de moelleux coussins.
La vaisselle était en porcelaine et en argent, détonnant délibérément de ce que ce que l'on pourrait attendre des Unseelies. À moins que ça ne soit le Roi Blanc qui ait pris en main les préparations. J'en doutais.
Seuls Naseok, Nahl et Ryker m'accompagnèrent au dîner. Les Démons et les pirates demeurèrent avec Gallagher dans nos quartiers. Les Rois Jumeaux étaient déjà installés lorsque nous arrivâmes. Chacun était assis à une extrémité de la table et ils se faisaient face, s'affrontant froidement dans un silence de mort. Je pris place entre le Roi Blanc et mon frère, laissant la place la plus Unseelie à mon frère.
Aucun des deux Rois n'avait amené quiconque. Ce qui était assez étrange. J'avais l'habitude de voir les royaux entourés de leurs conseillers et de leurs serviteurs et de toute une foule de personnes aux emplois divers et variés, la plupart du temps inutiles. Ici, rien de tout ça. Pas de fioritures. J'aurais aussi bien pu venir uniquement avec Nahl que ça n'aurait rien changé.
Les assiettes et les verres se remplirent par eux-mêmes. Personne ne bougea. Ce fut le Roi Blanc qui rompit la tension en saisissant ses couverts et en commençant à manger.
- Et si nous passions au sujet principal tout de suite ? dit-il posément, sa voix froide résonnant dans toute la salle.
Je frémis.
- Qu'y a-t-il à dire ? répondit le Roi Noir, défiant. J'ai eu deux enfants que les trônes réclament. Tu ne peux rien faire contre ça.
Un sourire en coin apparut sur les lèvres du Seelie. Il secoua la tête.
- Tu n'as pas eu deux enfants, Kaiser.
Toutes les têtes se tournèrent vers lui. De quoi parlait-il ? Les mains du Roi Noir se crispèrent autour de ses couverts.
- Tu n'as eu que ton... chien, continua le Roi Blanc. Sixtine n'est pas ta fille.
- Pardon ? me récriai-je en chœur avec Nahl et le Roi Noir.
Seuls Naseok et Ryker eurent un minimum de contrôle et gardèrent le silence. Ils avaient tous deux l'air aussi choqués que nous mais, au moins, ils parvinrent à ne pas le dire ouvertement.
Le Seelie se tourna vers moi.
- Tu n'es pas sa fille. Tu es la mienne.
Le Roi Noir bondit sur ses pieds, laissant tomber ses couverts dans son assiette. Son visage était ravagé par sa fureur.
- Cesse tes maudits jeux ! tonna-t-il. Sixtine ne peut pas être ta fille !
- Elle l'est. Et ça ne lui retire pas son trône.
- Comment cela serait-il possible ? questionnai-je, la voix plus tremblante que je n'aurais aimé l'avoir. Si je ne suis pas la sœur de Nahl, comment pourrais-je hériter du trône malgré tout ?
- Parce que vous avez le même sang.
- C'est impossible ! gronda le Roi Noir.
Nahl saisit ma main et la serra. Je lui rendis la pression. Je commençais à me sentir mal. Vraiment mal. Si ce que le Roi Blanc disait était vrai...
J'allais être malade.
- C'est parfaitement possible. Réfléchis un peu. Nous sommes jumeaux issus du même œuf. Nous avons le même sang. Nous sommes parfaitement interchangeables.
- Tu n'as jamais été en contact avec Miléna !
- C'est là que tu te trompes. Tu crois vraiment que j'allais prendre le risque d'avoir des amants et de risquer d'avoir des bâtards alors que tu prends ce rôle si facilement ? Tu n'as jamais caché ta relation avec Miléna ni avec aucune de tes autres amantes. Personne ne saura jamais qu'elle est ma fille.
Le Roi Noir se laissa retomber sur sa chaise. Il avait la même expression que s'il s'était retrouvé pris sous une cascade glaciale. Il paraissait si choqué, plus encore que moi. Pourtant, c'était toute ma vie qui était encore remise en question.
- Alors pourquoi le dire ? demandai-je.
S'il le révélait, il devait avoir une raison. Forcément. Il ne pouvait en aller autrement. Il était impensable qu'il veuille seulement blesser son frère. Lui faire réaliser qu'il s'était fait doubler et que la femme qu'il avait supposément aimée l'avait trompé avec son jumeau et avait même eu un enfant avec lui.
- Il sait pourquoi, répondit-il.
Son jumeau le fusillait du regard. Il était si tendu qu'il semblait prêt à exploser. Ou à lui sauter à la gorge et lui arracher la tête. Il était dans une véritable fureur.
- Je ne comprends toujours pas comment c'est possible que Sixtine ne soit pas ma sœur et qu'elle hérite tout de même du trône, intervint Nahl.
Le Roi Blanc lui jeta un regard dédaigneux. Il le prenait pour un idiot. J'étais cependant certaine qu'il savait que mon frère... queNahl était loin d'être un crétin. Cependant, j'étais toujours aussi confuse. C'était un concept très flou. Je n'étais pas sûre de saisir ce qui s'était exactement passé.
Le Seelie recommença à manger, ne semblant pas décidé à répondre. Malgré tout, nous patientâmes. J'étais sûre qu'il finirait par s'expliquer.
Il me donna raison quelques minutes plus tard.
- Lorsque la relation de mon frère avec cette humaine a été révélée et qu'il n'a pas cherché à se cacher, j'ai saisi l'occasion. Je n'avais pas prévu de la mettre enceinte. Juste de profiter de la bêtise de mon frère. Je ne sais pas si elle s'est rendue compte qu'elle était avec le mauvais jumeau. Les humains sont idiots.
- Tu voulais qu'elle s'en rende compte et qu'elle me le dise, siffla le Roi Noir. C'était ce que tu voulais. Tout ce que tu voulais, c'était la détruire parce que tu savais que ça me briserait.
- Ça a quelques dizaines d'années de retard mais je suis ravi de voir que ça fonctionne. Je n'avais pas imaginé que je lui ferais un enfant au passage mais je ne vais pas me plaindre. Il semblerait que ma fille soit plus puissante que ton... chien de chasse.
- Ne m'appelez pas comme ça. Rien ne me prouve que ce que vous racontez est vrai, objectai-je.
Ses yeux pastels se tournèrent vers moi, un rictus sur les lèvres.
- Ça ne m'explique pas comment c'est possible, dit Nahl, sec et agressif, vexé.
- Les jumeaux issus du même œuf, comme ton père et moi, possèdent exactement le même sang. C'est ce qui fait qu'ils sont reconnus par les trônes. Or, comme nous avons tous deux mis la même humaine enceinte, vous avez le même sang.
- Ça me paraît très improbable, objecta-t-il.
- Peu importe que ça te paraisse probable ou non. Les lois des trônes sont strictes et vous les remplissez.
La façon dont il me regarda me rappela les mots de Miléna. Il m'aurait fait perdre le bébé. Définitivement. Elle avait pensé que ça serait pour ne pas avoir honte face à son frère. À moins qu'elle ait menti. C'était impossible qu'elle n'ait pas su qu'elle n'était pas avec Kaiser. Elle devait forcément l'avoir su.
Je considérai le Roi Blanc longuement, sans rien dire. Si je suivais mon instinct, j'aurais tendance à penser qu'il avait depuis longtemps qu'il avait un enfant. Sûrement avant même le jour où Miléna s'était enfuie chez sa sœur pour dissimuler sa grossesse. Le lui avait-elle dit ou avait-il deviné ? S'était-il passé quelque chose entre eux qui l'avait mis sur la voie ? Je l'ignorais mais j'étais certaine qu'il avait su bien avant Kaiser.
Et ce n'était pas du Roi Noir qu'elle avait voulu se protéger. C'était du Roi Blanc. Elle avait su depuis le début. Avant même de partir, elle avait su de qui elle était enceinte.
L'expression sur le visage du Seelie me le confirmait.
- Tu l'aurais tuée, cracha le Roi Noir. Si elle n'avait pas fui, tu l'aurais tuée.
- C'est probable, en effet. Ça n'aurait pas été volontaire. Plutôt un... dommage collatéral.
Il était si froid et détaché que je frémis. Se pouvait-il qu'il soit réellement mon père ? Que cet être immonde et sans pitié ait été celui qui ait participé à ma conception ?
Et moi qui avais pensé que rien ne pouvait être pire que d'avoir le Roi Noir pour père...
- Je vais te tuer, siffla Kaiser, la voix basse et pleine d'une violence furieuse.
- Qu'est-ce que cela change que je sois la fille de l'un ou de l'autre ? questionnai-je.
- Ça change énormément de choses, très chère, répondit le Roi Blanc. Cela veut dire que, non seulement vous serez les premiers bâtards à monter sur le trône mais aussi les premiers demi-frère et demi-sœur à prendre le pouvoir.
Demi-frère. Nahl n'était pas mon frère. Pas totalement. Seulement à moitié. Cela changeait-il quelque chose entre nous ? Si nous avions le même sang, nous pouvions très bien choisir de nous considérer comme frère et sœur. Je préférais que Nahl soit mon frère plutôt que mon demi-frère. Je détestais cette séparation qui me rendait encore plus Seelie que je n'étais censée l'être.
- Entre la Cage et cela, c'est surprenant que la Faerie ne soit pas encore morte, ne put-il s'empêcher d'ajouter.
Nahl et moi le fusillâmes du regard. Ses doigts se resserrèrent autour des miens, pratiquement en train de les écraser tant sa prise était forte. Malgré tout, je le laissai faire. C'était mon petit-frère. Quoi qu'il arrive, quoi qu'il en pense.
Le Roi Blanc ne me volerait pas le semblant de famille que j'avais trouvé. Que ce qu'il raconte soit vrai ou non, je m'en moquais. Les seules personnes qui comptaient étaient Nahl et Miléna.
J'empalai un morceau de tomate sur ma fourchette et le portai à ma bouche. Il fallait reprendre le contrôle. Le Roi Blanc s'était amusé à nous jeter cette information pour se jouer de nous, pour détruire tous nos plans. Il avait su que, quoi que nous ayons prévu, cette information allait tout mettre à mal.
Je regardai Naseok droit dans les yeux. Il haussa un sourcil. Je lui fis signe de se remettre à manger, d'insister Ryker à faire de même. La viande était à peine tiède désormais mais je me forçai à la mâcher et à l'avaler.
Lentement, tout le monde se remit à manger. Nous étions tous tendus et sur les nerfs mais il fallait faire semblant. J'ignorais s'ils comprenaient que cette tension était recherchée par le Roi Blanc et qu'il fallait le contrer d'une manière ou d'une autre.
Je tentai de me recentrer sur l'objectif que nous avions eu en arrivant. Je n'étais pas certaine que ça soit l'unique raison de l'attitude des Seelies ce qui faisait qu'il fallait que j'aille à la Cour Blanche. Je devais découvrir ce qu'ils dissimulaient.
Les assiettes disparurent et furent remplacées par des desserts. Je croisai les bras et me tournai vers le Roi Blanc.
- Je veux visiter la Cour Blanche, exigeai-je.
- Et pourquoi cela ?
- Pourquoi pas ?
Il haussa un sourcil en souriant sombrement.
- Il est déjà certain que je vais monter sur le trône Seelie. Si, en plus, je suis réellement votre fille... Je doute d'avoir besoin de plus de raisons pour avoir droit à un tour de la Cour Blanche. De ma Cour.
Je dus toucher un point sensible puisque sa mâchoire se crispa subtilement. J'arrivais sur un terrain glissant. Je n'avais pas intérêt à me louper.
Je jetai un coup d'œil vers Ryker qui hocha imperceptiblement la tête.
- Tu n'es pas encore sur le trône, répondit finalement le Roi Blanc. Ce n'est pas ta Cour. C'est encore la mienne.
La menace sous-jacente me fit frémir. Se pouvait-il qu'il cherche un moyen de se débarrasser de moi ? Il était censé en être incapable. Les trônes nous protégeaient, Nahl et moi. Mais j'avais la sensation que, s'il y avait un moyen de contourner les protections, le Roi Blanc le trouverait et en abuserait. S'il ne l'avait pas déjà trouvé.
- Plus pour longtemps. Mieux vaut vous y habituer au plus tôt.
Il me jeta un regard glacial. Je luttai pour ne pas bouger alors que ma peau se couvrait de glace hérissée de pics acérés. Dessous, ma peau brûlait et protestait.
- Si vous ne vouliez pas que ça arrive, il ne fallait pas engrosser l'amante de votre frère, continuai-je, la voix aussi calme et froide que possible. Vous avez amené votre propre déchéance par un cruel manque de calcul. Ce n'est pas très digne du Roi Seelie, n'est-ce pas ?
La glace sur mon bras remonta jusqu'à mon épaule, enfonçant des pointes dans ma chair. Je luttai pour conserver un air composé et ne pas laisser transparaître la douleur. Malgré tout, mes dents grincèrent tant je crispai ma mâchoire.
- Fais attention à ce que tu dis, jeune sotte. Je ne peux peut-être pas te tuer, mais je peux te réduire à un état où tu souhaiteras mourir.
- J'aimerais vous y voir. Si vous le pouviez réellement, vous l'auriez déjà fait. Vous ne me faites pas peur. Vous vous affaiblissez un peu plus à chaque moment et je crois en puissance. Si nous venions à nous affronter, vous n'auriez aucune chance.
La main de Nahl se posa sur mon bras gelé, les stalagmites passant entre ses doigts. Sa chaleur ne dura pas longtemps contre le froid de la glace. Il n'essayait pas de lutter contre elle. Son geste était le simple soutien dont j'avais besoin.
- Et pourquoi ne vérifierions-nous pas cela ?
Je ne fus pas la seule surprise par sa réponse. Les Seelies n'étaient pas censés se battre autrement que dans un jeu d'échecs perpétuel. Pour quelle obscure raison le Roi Blanc acceptait-il ce duel ?
Il claqua des doigts et mon bras fut libéré de sa manche de glace. Il était de retour à son état normal, sans une trace. Mon... père... se leva et me tendit la main.
- Allons voir si je suis si affaibli qu'une gamine sans contrôle sur ses pouvoirs pourrait avoir raison de moi.
Après une inspiration, je pris sa main.
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NdlA : Je crois que je n'ai jamais eu autant de réactions que sur les deux chapitres qui précèdent celui-ci ! Presque tous pour me dire que c'est "trop facile". Vous devriez me connaître mieux que ça, depuis le temps que vous me lisez ! Rien n'est jamais "trop facile" !
Sinon, j'espère que vous avez aimé ce nouveau chapitre et ses révélations ! Dites-moi tout en commentaire !
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