Chapitre 14
La garde nous attendait lorsque nous atteignîmes les Cours. Je ne me souvenais pas de mon arrivée, presque deux ans auparavant. Je ne me souvenais pas de l'immense allée de graviers blancs qui menait au palais qui s'élevait sur trois étages avec tourelles et larges fenêtres, balcons et parterres colorés. Des bancs de poissons dans des bassins aménagés autour de hautes statues. Les jardins royaux semblaient s'étendre à l'infini de tous les côtés, magnifiques et pleins de vie.
Ici, rien n'avait été touché par ce qu'il se passait à l'extérieur.
Les gardes nous regardèrent passer, la main sur l'épée à leur côté. Sur le perron du palais, les Rois Jumeaux. Mes compagnons se tenaient droits et fiers, les visages fermés et les yeux froids. Mon regard s'arrêta sur le Roi Noir. Mon père. Le monstre qui m'avait gardée enfermée durant des mois, qui avait utilisé une enfant pour me forcer à faire ce qu'il attendait de moi.
Il avait changé depuis la dernière fois que je l'avais vu. Il avait le visage émacié et encore plus pâle qu'il ne l'était naturellement. Ses cheveux couleur de feu follet tombaient lâchement, secs et abîmés, loin de leur splendeur d'antan. Ses yeux se fixèrent sur moi et il s'approcha, laissant son frère derrière lui.
Le Roi Blanc me donnait l'impression d'être un morceau de banquise transformé en Fae. Ses cheveux étaient de nuances pastel si claires que, de loin, ils paraissaient blancs. Sa peau était blanche, de même que ses iris. Ses vêtements d'une nuance de vert pâle n'arrangeaient rien. Il nous fixa, les lèvres pincées, sans bouger un cil.
- Te voilà de retour, Sixtine Aderleen. Bien entourée, en plus de cela.
- Ne cherchez pas à tourner autour du pot, coupai-je sèchement. Où est Nahl ?
- Enfin, nous venons de nous retrouver. Pourquoi précipiter les choses ?
- Où. Est. Nahl ?
Il sourit, un sourire froid et menaçant.
- Envoie tes chiens à la niche et viens discuter avec moi et nous verrons si je te laisse voir ce petit menteur de Chasseur. C'est le seul marché que tu auras, ma fille.
Je le fusillai du regard. Il cherchait à me faire reculer, à prouver mon besoin de renforts devant la garde. Or, si je n'avais pas la confiance de la garde, je n'aurais personne pour défendre ma Cour. Je n'aurais pas d'armée.
- Très bien. Allons-y.
Le Roi Noir se tourna vers deux gardes qui se tenaient près desportes.
- Montrez à nos invités leurs quartiers. Ne t'en fais pas, Sixtine, ce ne sont en rien ceux que tu as occupé avec la délicate Addy. D'ailleurs, où est cette grosse brute de Ghur ? Toujours à ses pieds ?
- En effet.
S'il voulait jouer le jeu des ragots, je pouvais le supporter. Je pouvais le gérer. Je l'avais fait durant un an. Je pouvais endurer sa présence et ses manipulations. Je pouvais y survivre sans Naseok.
- Si vous touchez à un seul de leurs cheveux, sifflai-je, je vous le ferai payer.
Il éclata de rire, marchant presque sur les pieds de son frère. Le Roi Blanc serrait si fort les dents que je les entendais grincer. Je trouvai la force de le regarder droit dans les yeux avec toute la froideur royale que je possédais.
Il ne nous suivit pas lorsque nous nous éloignèrent. Le Roi Noir me mena à l'étage, dans un petit salon décoré dans des tons chauds. Je m'installai dans un canapé brun dépourvu de tout coussin ou de toute fioriture. C'était le maître mot de la décoration de la pièce. Pas de fioriture. Juste l'utilité pure et dure.
Le Roi Noir s'assit en face de moi sur un second sofa. Il croisa les jambes et les bras, me fixant silencieusement.
- Tu lui ressembles, finit-il par dire. Je l'ai su dès que je t'ai vue dans cette chambre chez les humains. J'ignore comment mon frère a pu l'ignorer aussi longtemps alors que c'est évident.
- Si vous saviez, pourquoi m'avoir laissée partir ? Pourquoi n'avoir rien dit ?
- Si je t'avais dit que tu étais ma fille, m'aurais-tu cru ?
- Probablement pas, admis-je.
- Quant à te laisser partir, remercie ton frère. C'est lui qui a réussi à ouvrir le passage pour ton prince humain. Je n'ai rien fait.
- Mais la malédiction ?
- Simplement pour savoir où tu étais. Les légers... éclats étaient simplement pour te pousser à y croire. Si tu avais su que ce n'était qu'un simulacre, ça n'aurait pas fonctionné. Tu aurais su que quelque chose clochait.
Il n'avait pas tort. Déjà là, en dépit des moments où j'avais vraiment failli tuer Ryker, il y avait eu des doutes.
- Où est Nahl ?
- En sécurité. Il ne lui est rien arrivé.
- Il m'a fait parvenir un message qui s'accordait sur le contraire.
- Qu'est-ce qui t'aurait fait revenir plus tôt ? Le savoir en sécurité à la Cour ou en train de souffrir ?
- Et la Faerie ? La nature qui se meurt ?
- Un jeu que j'ai dû jouer avec mon frère. Si la Faerie avait continué à resplendir, il aurait compris que Nahl allait un peu trop bien pour quelqu'un qui se faisait torturer. Et comme il ne restait plus que lui sur le territoire, il était la seule source directe de magie.
- Pourquoi tout cela ? Pourquoi ne pas simplement m'avoir dit ce qu'il en était ? Je suis restée plus d'un an ici.
- Tu ne m'aurais pas cru et tu n'aurais pas plus cru Nahl. Il fallait que tu vois ta mère et que tu aies le temps d'entendre toute l'histoire sans risque d'être interrompus. Vous aviez besoin d'être loin d'ici, de vous découvrir. Surtout avec ce que je t'ai fait lorsque tu étais ici. Mais lorsqu'il a été clair que tu n'avais pas l'intention de revenir dans la Faerie malgré tout, il fallait agir. Nahl est venu me voir et nous avons monté ce plan pour te faire revenir. Il savait que ça te ferait revenir. Il avait raison.
- Je n'y croirais que quand je le verrais.
Il se leva et sortit brièvement de la pièce. Je me tendis, ignorant à quoi m'attendre avec lui. Tout pouvait aussi bien être un brillant mensonge que la réalité. Ce qu'il disait pouvait être crédible. C'était possible. Toutefois, j'avais du mal à croire à son changement de comportement. Il avait toujours été cet être immonde et vicieux et je refusais de croire qu'il y avait du bon en lui. Qu'il ait su que j'étais sa fille ou non, ça ne changeait rien. Il demeurait un monstre.
Mais s'il avait protégé Nahl... Peut-être que... Peut-être y avait-il quelque chose de supportable en lui.
La porte se rouvrit rapidement. Je bondis sur mes pieds en voyant Nahl entrer. Il était sain et sauf, sans la moindre égratignure. Il eut l'un des rares sourires qui ait jamais touché ses lèvres et il me rejoignit. Je retrouvai le petit frère que j'avais découvert à WreitheKeep.
Il me rejoignit et me prit dans ses bras sans hésiter. C'était la première fois que ça arrivait. Malgré tout, je refermai mes bras autour de lui à mon tour. C'était étrange de le serrer contre moi, de le retrouver. Nous nous étions séparés très rapidement après qu'il m'ait révélé ce qui nous reliait. Et puis, j'avais reçu son message.
- Content de te revoir, grande sœur, se moqua-t-il. Heureux de savoir que tu viendrais à ma rescousse.
Je lui donnai un coup dans l'épaule qui le fit rire. Le Roi Noir s'approcha, détruisant l'ambiance. Je me laissai entraîner par Nahl jusqu'au canapé. Il garda un bras sur mes épaules alors que notre... père reprenait place dans l'autre.
- Me crois-tu, désormais ? Ai-je un minimum de confiance de ta part ?
- Non.
Nahl pouffa.
- Je t'avais prévenu, dit-il. Elle ne fait pas confiance. Avec raison.
- Donc tout n'était que mise en scène ? questionnai-je.
- Globalement, oui. Comme tu le vois, je vais bien. Je ne m'attendais pas à ce qu'il joue dans mon plan mais je n'avais pas d'autre choix. Il fallait que tu reviennes alors j'ai joué sur la seule corde sensible que je te connaissais. C'était le seul choix que j'avais pour t'obliger à revenir.
- Parce qu'il faut que je prenne le trône.
- Oui.
- Dès que tu as mis un pied dans la Faerie, c'était fini, dit le Roi Noir. Tu n'as plus le choix. Tu dois prendre le trône aux côtés de ton frère, que tu le veuilles ou non.
- Je sais. Je ne compte pas repartir.
Nahl dut sentir qu'il s'était passé quelque chose. Il ne dit rien mais la façon dont son bras se resserra autour de mes épaules fut suffisante. C'était une discussion que nous aurions plus tard. Peut-être.
- Bien. Alors mettons en route les préparations du couronnement. Si nous laissons le temps à mon frère d'atteindre le solstice d'automne, il trouvera un moyen de vous détruire tous les deux. Tu m'as dit vicieux mais, à côté de lui, je suis un amateur. Ce n'est que grâce à Merl que nous avons pu déjouer chacune de ses attaques contre vous depuis que tu es revenue sur le territoire.
- Il n'est pas mort ?
- Non, répondit Nahl. Birn et les autres sont en train de lui passer un savon pour ce mensonge. Mais il était nécessaire. J'avais besoin d'yeux et d'oreilles. Merl et le meilleur des quatre pour espionner. Le seul moyen de le garder ici, c'était de le faire passer pour mort et personne ne devait savoir que c'était une manipulation. Les Seelies sont de redoutables espions.
- C'est pourquoi il va falloir agir vite avec les préparatifs, reprit le Roi Noir. Il ne nous reste que cinq jours avant le solstice donc il faut que votre ascension au pouvoir ait lieu avant. Disons, dans trois jours maximum. Pour pouvoir célébrer le solstice après.
Je sentis mon estomac se nouer. Trois jours. C'était peu. Très peu. Dans trois jours, je deviendrais reine. J'avais cru que j'aurais encore du temps avant de devoir monter sur le trône aux côtés de Nahl. J'avais cru qu'il me faudrait lutter pour ma place !
Au lieu de ça, le Roi Noir me la tendait sur un plateau, sans que j'ai à lever le petit doigt. Je les regardai, tous les deux, discuter de la façon de gérer les préparatifs. Je m'étais déconnectée de leur discussion, sonnée par la nouvelle. Nahl avait eu le temps de se faire à l'idée que tout se passerait rapidement dès que j'arriverais à la Cour.
Aucun des deux hommes ne parut réaliser que je n'étais pas prête. Que je commençais à paniquer. Oui, j'allais être reine. Mais pas dans trois jours ! Je n'étais pas prête à être reine dans trois jours !
Cependant, il était évident que nous n'avions pas d'autre choix s'ils en arrivaient à précipiter le couronnement. C'était quelque chose d'important qui était censé apporter de longues célébrations. Or, devoir tout préparer en deux jours... Ça allait être très, très court. L'urgence de la situation ne m'échappait pas. C'était la seule raison pour laquelle je ne protestais pas.
Je ne cherchai pas à participer à l'établissement de leur plan. J'étais fatiguée, stressée, angoissée. J'avais envie de m'enfoncer dans un lit et de dormir et de ne plus en sortir. Je n'étais pas prête.
Je cillai lorsque le Roi Noir se leva et nous abandonna. J'ignorais ce qu'il s'était passé.
- Il est parti lancer les préparatifs, me dit Nahl. Ça n'a pas l'air d'aller.
- Je... J'essaie de me faire à l'idée que je n'ai plus que quelques trois jours avant de monter sur le trône.
Il serra ma main et entrelaça nos doigts. En dépit du fait que nous ne nous connaissions pas tellement, ça me fit du bien. Ça me rassura.
- Tu n'es pas toute seule. On va gérer ça ensemble. On a le temps de trouver un moyen d'unir les Cours. Je n'ai absolument rien qui puisse faire de moi un roi. J'ai passé ma vie dans la Cage et puis, en tant que Chasseur. Je n'ai jamais vraiment vécu à la Cour. J'en connais sûrement moins que toi sur ce que je suis censé faire. J'ai passé ma vie hors de la Cour, je pense que j'aurais plus besoin de toi que toi de moi.
- J'en doute. Ryker n'a pas caché ce qu'il pensait de ma capacité à être reine. Tu pourras participer à mes leçons de politique.
Nahl s'orienta vers moi, pliant une jambe sous lui pour me faire face.
- Que s'est-il passé depuis que nous nous sommes séparés chez maman ?
Le mot résonna entre nous, familier pour lui mais étrange pour moi. Oui, Miléna était notre mère mais utiliser un terme aussi familier et plein de connotation... J'en étais incapable. Je n'étais pas assez proche d'elle pour l'appeler ainsi.
- Pas tant de choses que ça.
Son sourcil se haussa et j'inspirai profondément, me préparant à tout lui raconter.
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NdlA : Nahl, le grand retour ! Qu'est-ce que vous en pensez ?
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