Chapitre 8

Allez, Fanny ! Essaye ! l'encouragea Agatha. Je peux t'aider, si tu veux...

Non merci... Mais c'est gentil de proposer.

Tu es sûre ? Même pas un petit niveau un ? Juste un petit nuage de miasme... insista Sasha.

Laissez-la, si elle n'a pas envie...

Nathanaël referma la bouche, coupé dans son élan. Il darda un regard furieux sur Lucas.

L'arrière-petit-fils du président soupira de déception. Il vérifia sa montre, puis se tourna vers l'écran d'ordinateur pour éteindre le simulateur.

Fin de l'étude ! Le professeur ne tardera pas pour fermer la salle, éclipsons-nous avant ! Merci encore pour votre aide, Jacques !

— Hein ? maugréa le vieux médium.

Nathanaël constata avec amusement que son grand-père commençait à repérer les phrases qui lui étaient destinées. Il lui fit la traduction, à laquelle l'instructeur répondit de son habituel haussement d'épaule.

Les adolescents quittèrent la salle l'un après l'autre. Le marionnettiste observa avec réticences la porte de la salle d'entraînement derrière laquelle ils disparaissaient. Il savait ce qui l'attendait de l'autre côté. Qui l'attendait. Et il n'avait aucune envie de le voir.

Il tourna les talons et ce qu'il découvrit sous ce nouvel angle lui déplut tout autant : dans la salle du simulateur, Lucas discutait avec Fanny, à moitié penché sur elle.

Son sang ne fit qu'un tour. Sa camarade se laissait duper par un assassin, un gosse de riches sans états d'âme. Sans âme tout court, puisqu'il l'avait livré à l'Entité. Il était même surprenant que l'OSI lui permette d'assister aux entraînements des apprentis plutôt que de l'enfermer dans une cellule.

La scène se retrouva amputée de l'adolescent condescendant par une tête blond platine.

Dis, je me demandais... Cette photo, l'autre jour...

On n'en sait toujours pas plus, l'interrompit Nathanaël.

L'intérêt déplacé de Sasha pour ses affaires l'horripilait, mais pas autant que son intervention malvenue, alors même qu'il devait empêcher Fanny de faire une énorme bêtise.

Ah... Dommage... J'étais quasiment certain d'avoir déjà vu cette femme quelque part, mais impossible de me rappeler où.

Le marionnettiste reporta son attention sur le jeune Anglais.

Tu l'as déjà vue ?

En photo... Du moins, je pense que c'était elle. J'ai une assez bonne mémoire des visages, mais...

Il se tut quand Jacques se glissa à côté d'eux en toussotant.

— Je peux te parler ? C'est à propos de... tu sais...

Nathanaël ne savait pas, mais il acquiesça et suivit son grand-père un peu à l'écart.

— Laurent a fouillé dans les documents de l'IFSS. Il pense avoir retrouvé une trace de la femme dans les années cinquante, mais ça s'arrête là. Son poste à l'Institut, sa famille, ce qu'elle est devenue... Il n'en a aucune idée.

Le marionnettiste tenta de ravaler sa déception. Jacques avait contacté le médium archiviste trois jours plus tôt. Obtenir un embryon de résultats en si peu de temps constituait déjà un exploit.

Nathanaël reporta son attention sur Sasha.

— Tu crois qu'elle pourrait avoir un lien avec l'OSI, Papy ?

Le vieux médium observa quelques secondes de silence pour grimacer, puis quelques secondes supplémentaires pour réfléchir.

— Aucune idée, mais c'est possible. Quand des médiums passent d'une branche à une autre, leur dossier les suit. À l'époque, ils auraient embarqué le truc papier sans s'embarrasser de laisser une copie en France. Pourquoi ?

Le lycéen expliqua brièvement ce que venait de lui raconter Sasha. Jacques l'écouta en silence avant de faire signe à l'autre adolescent d'approcher. Il lui posa quelques questions, traduites par Nathanaël, dans le but affiché de l'aider à se rappeler plus de détails. Si certaines ne produisirent aucun effet, d'autres allumèrent une lueur dans les yeux clairs de l'Anglais.

J'étais jeune... Ce n'était pas à l'école, ni dans les anciens bureaux de l'OSI... À la maison, sans doute. La photo se trouvait sur une pile de documents... Sur une table en bois. Avec un mug de café. Donc ce n'était pas dans l'étude de Grand-Papy...

Celle de l'un de tes parents ou de tes grands-parents ? tenta le marionnettiste.

Son interlocuteur secoua la tête, désolé.

Je ne m'en souviens pas. Mais je n'abandonne pas. Cela me reviendra en temps voulu. Du moins, je l'espère. En attendant, j'essaierai de me renseigner de mon côté. Je n'ai pas encore réussi à accéder à l'étage des archives, les documentalistes sont particulièrement coriaces. Je tiens là une bonne occasion de réessayer.

Nathanaël tenta de se représenter Sasha, tenu en échec dans une joute verbale. Après l'avoir vu affronter sans broncher un bon nombre d'agents, Osborne et le président de l'OSI, le tableau lui paraissait un peu bancal.

Tous trois prirent la direction de la sortie. Ainsi entouré, la perspective de retrouver son garde du corps bedonnant n'effrayait plus tant le marionnettiste. Pourtant, personne ne l'attendait dans le couloir qui remontait doucement vers le hall. Il s'y engagea donc, un sourire un coin. Chaque minute sans Osborne méritait une célébration.

Les éclats de voix qui descendirent soudain face à eux effacèrent aussitôt la joie de son visage. Jacques ralentit à son tour la cadence et Sasha, surpris par leur réaction, les imita.

Dans le carré de lumière qui annonçait la fin du couloir, trois silhouettes s'engouffrèrent dans la pénombre. La première, assez large, ne laissait aucun doute quand à l'identité de l'homme. La seconde, grande, sa veste de costard flottant dans l'air, ne s'embarrassait pas de réduire l'allure pour son compagnon. Si Nathanaël ne connaissait pas suffisamment l'individu pour l'identifier du premier coup d'oeil, sa voix lui donna des sueurs froides.

— La garde du marionnettiste revenait de droit à l'IFSS, déclarait monsieur de Montreaux. Vous vous êtes présentés dans nos bureaux sans préavis, sans documents signés, sans procès. La gestion de cet événement ne répondait à aucune loi internationale, votre intervention illégale rend votre action nulle et non-avenue.

— Nous ne vous laisserons pas ramener le marionnettiste en France. Attendez un peu que le président entende parler de...

— Peu importe. Tant que les formalités n'auront pas été effectuées, je me chargerai moi-même de sa supervision.

Les deux hommes s'immobilisèrent devant Nathanaël, qui envisagea un instant d'envoyer un coup de béquille dans les jambes d'Osborne et de profiter de l'effet de surprise pour s'enfuir. Mais le regard noir de monsieur de Montreaux le cloua sur place. Lorsque sa main lui enserra le bras, il voulut se débattre, mais ses muscles demeurèrent figés.

Jacques tendit un bras entre l'adolescent et son grand-oncle, soudain menaçant.

— T'emmerde pas, gronda-t-il. Si quelqu'un doit le surveiller, je m'en charge.

— Conflit d'intérêt... rétorqua monsieur de Montreaux sur le même ton.

— Rien à foutre.

Les deux hommes se fixèrent un long moment dans les yeux, sous le regard attentif de Nathanaël. Les mots de protestation se pressaient dans sa bouche, mais les répercussions d'une telle effronterie l'effrayaient plus que tout. Il n'avait pas la répartie ou le pedigree de Sasha. Un mot plus haut que l'autre pouvait lui valoir un bannissement ou un emprisonnement dans sa chambre pour le restant de ses jours.

Messieurs, votre intérêt sans commune mesure pour Nathanaël est vraiment touchante, mais pensez un peu à votre tension, vous n'être plus tout jeunes.

Deux pairs d'yeux le foudroyèrent. Il leur répondit d'un sourire calme.

Si vous êtes incapables de vous décider, peut-être voulez-vous que je choisisse pour vous ?

Osborne ferma les paupières et poussa un profond soupir. Quand il reprit la parole, sa voix vibrait d'une supplication que Nathanaël ne lui avait jamais entendue.

Monsieur Campbell-Hamilton, veuillez, je vous prie, rester en dehors de cette histoire.

Je me propose en tant que médiateur, je m'attends à plus de reconnaissance de votre part...

Il n'y a pas à choisir, je récupère de plein droit la garde du marionnettiste, rétorqua monsieur de Montreaux.

— Et allez, continuez sans moi, je dirais rien... bougonna Jacques.

Les espoirs de Nathanaël se portaient désormais sur Sasha. L'adolescent lui avait bien fait comprendre qu'il n'était pas tout puissant à l'OSI, mais si quelqu'un pouvait améliorer un tant soit peu sa situation, c'était lui.

Le marionnettiste s'en voulait de s'appuyer sans cesse sur sa famille et ses amis. Il aurait aimé bénéficier du dixième d'éloquence dont jouissait Sasha pour se sortir seul de ses problèmes, du je-m'en-foutisme de Jacques qui permettait à son grand-père de tenir tête à plus gros poisson que lui sans craindre les conséquences... Malheureusement, les adultes ne lui laissaient pas le choix.

La peste ou le choléra ? La suite dépendrait des performances de son nouvel ami.

Ou pas.

Monsieur de Montreaux balaya sans vergogne le bras tendu de Jacques et tira Nathanaël à lui. Le marionnettiste essaya tant bien que mal de garder l'équilibre sans prendre appui sur son genou droit, mais un éclair de douleur lui arracha tout de même un petit cri.

Aussitôt, Jacques fondit sur le directeur spirituel. Son poing frôla le sommet du crâne de Nathanaël. Il s'abattit violemment contre la joue de l'homme. Celui-ci tituba, sonné, lâcha le marionnettiste, avant de se retrouver les fesses par terre.

L'adolescent découvrit alors monsieur Beaulieu, l'assistant de Sandra, debout derrière son chef, les yeux écarquillés d'effroi. Osborne ouvrait la bouche, incapable d'émettre le moindre son. Quant à Sasha, il se retenait visiblement d'exploser de rire.

— Pose encore une fois tes mains de planqué sur mon petit-fils et je te jure que tu finis chez le dentiste ! hurla Jacques.

Trois applaudissements retentirent en provenance de Sasha. Une bouffée de joie envahit Nathanaël. Elle fut de courte durée. Alertés par le bruit, d'autres médiums passaient la tête dans le couloir, dont les deux armoires à glace d'Osborne.

— Tu es mort, Glanet ! s'égosilla monsieur de Montreaux. Tu m'entends ? Mort ! Fini ! Radié !

À côté de lui, l'agent de l'OSI hésitait visiblement sur la marche à suivre. Il finit par faire signe à ses hommes de s'approcher. Livide, Quentin se plaqua aussitôt au mur, comme si son souhait le plus cher aurait été de se fondre dedans.

Les nouveaux venus saisirent chacun un bras de Jacques, qui ne parvint pas à s'en défaire malgré sa véhémence.

Attendez ! intervint Sasha. Vous n'allez tout de même pas arrêter un invité qui...

Bien sûr que si, l'interrompit monsieur de Montreaux. Il m'a agressé devant témoins. Il ne s'en sortira pas impunément, cette fois !

« Cette fois ? » chuchota Sasha à l'intention de Nathanaël. Le lycéen lui répondit d'une grimace. Il suivit les deux armoires à glace des yeux tandis qu'elles emportaient son grand-père, laissant le champ libre à Osborne et à son grand-oncle pour se disputer sa garde.

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