Chapitre 3 (1/2)
Comme promis, des éclats de voix ne tardèrent pas à se faire entendre dans le couloir. Allongé sur son lit, sa jambe droite surélevée par des coussins, les doigts dont il s'était servi pour son sort enveloppés dans un mouchoir, Nathanaël se redressa sur ses coudes et tendit l'oreille. Il écouta le garde protester en anglais, son instructeur râler qu'il ne comprenait rien, puis la porte s'ouvrit et il apparut, suivi de près par Fanny et Lucas. La présence de ce dernier ne fit pas spécialement plaisir à l'adolescent, mais il n'en dit rien : il n'allait pas laisser le garçon pourri gâté gâcher ses retrouvailles avec ses proches.
L'agent de l'OSI tenta de leur barrer la route, sans succès. C'est alors que Judith pointa la tête dans le cadre de la porte.
— Madame, ils refusent de quitter les lieux ! s'offusqua-t-il.
— Bah, tant pis... répondit-elle d'une voix fluette. Essayez de le dire en français si vous voulez, moi, je passe mon tour.
Sur ce, elle sortit de leur champ de vision, laissant le garde pantois. Après un temps d'hésitation, il quitta finalement la chambre à son tour.
Le silence s'installa quelques secondes dans la pièce.
— J'avais bien dit qu'ils nous laisseraient entrer, se félicita Jacques.
— Vous vous êtes un peu laissés entrer tous seuls, fit remarquer Nathanaël en éclatant de rire.
Peu lui importait que sa voix soit rauque et faible. Pour la première fois depuis son arrivée, il se sentait enfin à l'aise dans cette chambre qui lui servait de prison. Fanny était là, Jacques aussi... Voir des visages familiers, entendre du français sans une trace d'accent anglais le soulageait à un point qu'il ne s'était pas imaginé possible.
— Tu t'es à nouveau fait mal ? demanda soudain Fanny avec inquiétude.
Elle désignait sa jambe droite, qu'il avait posée sur un tas de coussins sur le lit pour la lever au maximum.
— Ils n'ont pas voulu te donner ton traitement contre l'hémophilie, c'est ça ? comprit Jacques.
Nathanaël secoua la tête. Cela suffit à faire apparaître un éclair de colère dans les yeux du vieux médium.
— Quels abrutis... marmonna-t-il. Tous autant qu'ils sont... Le jour où ils apprendront que leurs herbes et leurs pierres ont des limites, on arrêtera d'exploser la moyenne de mortalité infantile.
L'adolescent pinça les lèvres en un rictus embarrassé, incapable de répondre. Certes, lui-même était directement concerné par le problème, mais il sentait toute la rage de Jacques, sa haine envers le système qui faisait souffrir des enfants inutilement. Nathanaël avait toujours su qu'il avait une chance immense de pouvoir compter sur Philippine. Pendant quatre ans, il s'était demandé ce qui lui serait arrivé sans elle... Il comprenait à présent que la réponse se trouvait devant lui. Ou plutôt qu'elle s'était trouvé devant Jacques en la personne de son fils. Le frère de Sandra, enfermé dans ce monde où le traditionnel détenait plus de pouvoir que la science, avait sans doute dû composer avec ces croyances toute sa vie, jusqu'à ce qu'elles l'envoient à la mort.
À la culpabilité qu'il voyait briller dans les yeux de son instructeur, presque totalement dissimulée par la colère, le lycéen sut qu'il n'avait rien pu faire alors. Il s'en voulait encore de n'avoir pu sauver son fils. Il ne laisserait rien de tel arriver à son petit-fils.
Comme pour appuyer cette pensée, Jacques s'approcha de Nathanaël et posa une main sur son épaule :
— On a transmis tout ce qu'on sait sur l'Entité à l'OSI. Si ce truc t'a trouvé à l'Institut, il risque fort de te suivre jusqu'ici. Tiens-toi prêt au cas où, d'accord ?
Nathanaël déglutit difficilement et acquiesça.
— Merci, Ja...
— Papy. Tout le monde est au courant, de toute façon.
— Papy... se corrigea l'adolescent.
Le vieux médium tenta de masquer son malaise en dessinant des cercles avec son cou sous le regard amusé de Fanny. Nathanaël se désintéressa rapidement de la réaction de son grand-père. Il voulait se convaincre que Jacques se faisait des films, qu'il était impossible que cette anomalie monstrueuse réapparaisse ainsi devant lui. Mais il ne pouvait se permettre de vivre dans le déni : Pachéry avait été clair, l'Entité visait les marionnettistes, elle reviendrait forcément le chercher un jour. Il n'avait survécu que de justesse à la première attaque. S'il relâchait sa vigilance, la seconde lui serait fatale.
Enfin remis, Jacques se redressa et se tourna vers Fanny et Lucas :
— Bref, je vous laisse discuter, les jeunes, j'ai un rapport à faire...
Après un dernier coup d'œil satisfait en direction de Nathanaël, il quitta la pièce en se plaignant de l'injustice de la paperasse.
Dès que le bruit de ses pas se fut éloigné dans le couloir, Fanny s'assit doucement sur son lit, de sorte à ne pas faire bouger sa jambe.
— L'hémophilie ? demanda-t-elle.
— Une maladie génétique... Mais Philippine m'a apporté mon traitement, ne t'en fais pas.
Le petit sourire qui illumina son visage apprit à Nathanaël qu'elle était parfaitement au courant de la présence de sa tutrice à l'hôtel. C'était sans doute le cas de Jacques aussi.
— Comment vous avez su où me trouver ?
Fanny se tourna vers Lucas.
— Grâce à son correspondant ! On a un peu échangé avant de venir, Sasha était méga-motivé pour nous aider !
L'autre apprenti releva les yeux à la mention de son nom. Il acquiesça sans un mot. Nathanaël s'interrogea brièvement sur ce silence inhabituel. Il décida de s'intéresser à la question plus tard.
Ainsi, c'était sous l'effet de leur impulsion que Sasha l'avait retrouvé ? Étant donné l'attitude d'Osborne face à lui, nul doute qu'il bénéficiait d'une position privilégiée au sein de l'OSI...
— Il nous a réservé des chambres dans cet hôtel, a fait engager Philippine... poursuivit Fanny. Un vrai magicien ! Il suffit de lui demander quelque chose et tu l'obtiens dans l'heure...
Une position très privilégiée... Et il n'hésitait pas à s'en servir. Heureusement pour Nathanaël, il semblait acquis à sa cause. Ce mystère résolu, le marionnettiste passa au second sujet qui l'intéressait :
— Quoi de neuf en France ? Ne me retournez pas la question, je ne suis pas sorti de cette chambre pendant deux semaines.
C'est Fanny qui se lança dans les explications. En à peine plus d'une semaine, l'Institut était devenu méconnaissable : comme il l'avait appris de la bouche d'Osborne, Sandra avait été renvoyée, les deux directeurs spirituels assuraient l'intérim en attendant qu'un remplaçant soit officiellement désigné. Dès le lendemain, la formation des jeunes médiums avait été jugée suffisante pour que les derniers encore dépendants de l'instruction obtiennent le statut d'apprentis. Leurs professeurs avaient été réintégrés dans les équipes, celles-ci éclatées en groupe de deux, à l'exception des trios formés par les instructeurs et leurs deux apprentis chacun. Jacques avait d'abord râlé quand on lui avait appris qu'il se retrouverait seul avec deux débutants en mission, mais quand Fanny avait soulevé la question du stage d'observation prévu à Londres, il avait immédiatement – et de sa propre initiative – confirmé sa bonne tenue et s'était porté volontaire pour faire office d'accompagnateur. À la grande surprise de l'adolescente, le voyage avait été approuvé et ils avaient pris le train ce matin même pour la capitale britannique.
Nathanaël se demanda si Jacques avait fait chanter les directeurs spirituels pour qu'ils les laissent partir... La tâche n'était pas bien difficile, finalement : un simple mot bien placé et l'OSI saurait que les plus hautes sphères de l'Institut connaissaient l'existence d'un marionnettiste en leur sein depuis presque deux mois sans en avoir référé aux instances internationales. C'était l'assurance d'une fin de carrière prématurée.
— Jacques doit vraiment beaucoup t'aimer, conclut Fanny.
Son visage rayonnait d'une joie tellement sincère que le cœur de l'adolescent manqua un battement. Il lui fallut un moment pour détourner son attention des yeux pétillants de sa camarade, son sourire, sa petite fossette sur sa joue droite, pour se concentrer sur ce qu'elle venait de supposer. De nouveau, ses émotions se lancèrent dans une petite danse endiablée qu'il eut du mal à calmer. Il espérait simplement qu'il n'avait pas trop rougi...
— Tu le savais depuis combien de temps ? rit-elle.
— J'ai compris que Sandra était ma mère le soir où on s'est fait attaquer dans la réserve... lui avoua-t-il.
Il entreprit ensuite de lui raconter tout ce qu'il avait appris depuis ce fameux soir. Du moins presque... Il tut ses doutes et ses peurs, passées comme actuelles. Ce n'était pourtant pas l'envie de s'ouvrir au visage si avenant de Fanny qui lui manquait, mais la présence de Lucas à leurs côtés l'incita au silence.
L'apprenti n'avait pas ouvert la bouche depuis son arrivée. Il avait pris place dans la chaise adossée contre le mur, à côté de la table. La tête basse, il semblait davantage concentré sur la petite boîte métallique qu'il faisait tourner entre ses doigts que sur la conversation. Son attitude contrastait tellement avec la condescendance que Nathanaël voyait d'ordinaire sur ses traits qu'il douta un instant d'avoir vraiment Lucas devant lui et non son double angélique.
Et puis il comprit : à ses yeux, il n'était plus un simple aimant insignifiant adopté par un médium de bas étages, mais un descendant de l'une des plus puissantes familles françaises de spiritisme. L'adolescent dut fournir un effort surhumain pour ne pas faire étale du sarcasme qu'il sentait monter en lui. Il n'en pensait cependant pas moins...
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