Chapitre 14 (2/2)
— Tu sais, j'ai bien réfléchi, poursuivit-elle enfin. Je ne veux plus vivre pour les autres. Je veux vivre pour moi. Et actuellement, j'ai surtout l'impression de suivre un plan détaillé par quelqu'un plutôt que de créer le mien.
Il acquiesça en silence. Il savait où elle voulait en venir. Par anticipation, ce qui allait suivre l'attrista un peu, mais il comprenait. Aujourd'hui, plus que jamais.
— Je ne veux pas être médium. Les anomalies me font peur, je n'ai aucune confiance en moi et je n'ai pas envie de mettre mes coéquipiers en danger à cause de mes hésitations. Je vais avoir l'air d'une lâche, mais tant pis. Ce n'est pas ma voie, j'ose enfin le dire.
— Tu as bien raison...
Elle pouvait le clamer haut et fort. Si elle le souhaitait, elle pouvait même monter dans le premier train en direction de Paris, retrouver sa famille et tout oublier de ce monde. Lui y était enchaîné jusqu'à la fin de ses jours.
— Je t'avais dit que je changerai le système pour toi. Je ne l'oublie pas, reprit-elle. J'ai trouvé un autre moyen ! Bon, ce ne sera peut-être pas aussi grandiose que la petite aimant qui gravit les échelons un à un jusqu'au sommet, mais ce sera bien plus efficace ! J'espère, en tout cas...
Il entendit la nervosité dans ses derniers mots. Nervosité et excitation. Lorsque Fanny reprit, sa voix lui paraissait plus proche. Comme si elle avait finalement tourné la tête dans sa direction.
— Je veux être psychiatre ! Mais pas n'importe quelle psychiatre, je veux me spécialiser en soin des traumatismes liés aux anomalies spirituelles. Il n'y en a absolument aucun dans ce milieu, je trouve ça stupide, vu les dangers qui accompagnent le métier.
Un instant, Nathanaël s'imagina Fanny en blouse blanche, à la place d'Aina, enveloppée de son aura dorée. Cette pensée le rasséréna. Les barrières mentales qu'il érigeait inconsciemment lorsqu'il parlait à un inconnu non-sensible cédaient. Il avait enfin l'impression de pouvoir se livrer pleinement, auprès de quelqu'un qui savait de quoi il parlait, qui voyait le monde comme lui.
Il se remémora les fantômes de l'hôpital. Grégoire, le petit Denis... Combien de spectres un psychiatre spécialisé pouvait-il aider à reposer en paix ? Combien de dégradations en poltergeist un tel professionnel pouvait-il prévenir ?
Il était temps que le monde du spiritisme abandonne enfin ses préjugés sur la médecine moderne, pour les maladies physiques comme mentales. Si la création du service de Linda constituait un premier pas dans la bonne direction, l'idée de Fanny ajoutait une petite pierre à l'édifice fragile que le docteur consolidait petit à petit, année après année. La voie demeurait semée d'embuches, surtout pour une aimant comme elle : les hautes instances de leur communauté ne verraient sans doute en cette incursion de modernité dans leur monde de rituels et de spiritualité qu'une preuve que sa camarade n'était pas une vraie médium. Sa volonté d'aider serait décriée, elle-même se retrouverait peut-être dénigrée, voire rabaissée. Elle en avait conscience, son ton le lui soufflait.
— C'est un beau projet, la félicita-t-il.
Il voulait l'encourager, mais dans son état actuel, il avait peur de ne pas réussir à insuffler suffisamment de confiance dans sa voix pour obtenir l'effet désiré. Une telle intervention ne ferait sans doute que confirmer les craintes de sa camarade et détruire son enthousiasme.
— Merci ! glissa-t-elle. J'en ai un peu discuté avec Aina et le personnel médical d'ici, ils m'ont tous assurée qu'ils me soutenaient. Bon, avec mes notes en physique, je ne sais pas si je serai prise en médecine, mais...
— Tu as plus de quinze de moyenne... lui rappela Nathanaël.
— J'ai baissé ! J'ai eu à peine douze en physique au dernier trimestre...
— On est en seconde, tu as le temps de te rattraper.
Tu es en seconde, songea-t-il. Le marionnettiste n'était plus vraiment certain de pouvoir s'inclure dans cette catégorie. Il n'avait plus suivi le moindre cours depuis bientôt un mois et il n'était même pas sûr de pouvoir retourner au lycéen un jour...
— Tu as raison, concéda-t-elle. Je vais m'accrocher ! Et toi ?
La question le prit de court.
— C'est quoi, ton rêve ? Devenir un vrai médium ?
Il baissa les yeux. Son aura se devinait dans la pénombre. Une aura polluée, l'ombre de ce qu'elle avait été. Même s'il le souhaitait, jamais il ne pourrait être considéré comme un vrai médium.
— Oublie l'OSI, oublie ta technique, oublie l'état de ton aura, insista Fanny. Tu es un sensible qui se retrouve face à une page blanche, avec son avenir à tracer. Qu'est-ce que tu fais ? Tu rejoins l'Institut ? Tu continues tes études et tu deviens ingénieur ? Médecin ? Cuisinier ?
Nathanaël hésita à se prendre au jeu. En s'imaginant un avenir idéal, impossible, le retour à la réalité n'en serait que plus brutal. Cependant, son coeur lui hurlait de répondre. De donner de la voix à son individualité et à ses rêves, de ne pas les laisser mourir à petit feu avec lui. Même si leurs situations n'étaient pas vraiment comparables, Fanny avait osé, elle.
— Si j'avais le choix, je ne rejoindrais pas l'Institut, se lança-t-il. Je pense que je serais indépendant, comme mon père.
— Médium auto-entrepreneur... nota Fanny. Pas mal ! Tu te crées un nom dans le milieu, tu embauches du personnel et tu détrônes l'Institut avec ta micro-entreprise ! Je te ferai une réduction pour mes services...
— C'est très aimable à toi... On sera sur la paille, mais au moins, on aura le sourire !
Ils éclatèrent de rire. Lorsque leurs deux voix se turent enfin, l'adolescent remarqua que la morosité ne réinvestissait pas les traits de son visage. Un petite étincelle victorieuse émergea timidement dans son esprit.
Fanny ne laissa pas le silence s'installer trop longtemps.
— Pour l'instant, je lève un peu le pied sur l'apprentissage de l'exorcisme. Si je veux avoir un peu de crédibilité par la suite, je ne peux pas arrêter complètement, mais Linda m'a proposé d'observer un peu comment ils travaillent au service médical entre mes cours pour le lycée. J'y passe déjà pas mal de temps pour soutenir Agatha, sa maman n'est toujours pas sortie d'affaire...
Sa tristesse toucha Nathanaël. Les nouvelles ne semblaient pas au beau fixe...
D'un soupir, Fanny conclut la conversation.
— Je vais devoir y aller, j'ai un cours de maths dans dix minutes. Je repasserai ! À bientôt !
La porte bougea à nouveau dans ses gonds et l'ombre de sa camarade disparut.
Le marionnettiste écouta le silence. Il lui sembla soudain un peu moins agréable.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top