Chapitre 14 (1/2)

Les coups à la porte résonnait dans l'obscurité. Nathanaël glissa la tête sous son oreiller. Il rabattit sa couette par-dessus. Rien n'y faisait. Le sommeil refusait d'engourdir son esprit.

Nathanaël ! S'il te plaît, ouvre ! Sinon, j'entre ! Je vais aller chercher un passe partout, je te préviens !

Les menaces de Sasha ne l'atteignaient plus depuis plusieurs jours. Seul Osborne possédait la carte d'accès ainsi que le double et il s'assurait d'être l'unique personne à s'en servir depuis la dernière assemblée.

Cela convenait bien à l'adolescent : il voulait rester seul. Évidemment, Philippine et Sasha ne l'entendaient pas de cette oreille. Tous les jours, leurs voix le harcelaient, lui ordonnaient de retrouver le moral, de sortir.

Il ne les écoutait pas. Les premiers jours, il avait tout de même ouvert ses volets, regardé les nuages qui défilaient au-dessus de Londres. Pourtant, son malaise n'avait pas disparu.

Il avait réfléchi aux solutions que l'OSI lui offriraient. Il avait attendu. Ses pensées avaient dérivé.

Il avait douté. Peut-être faudrait-il plusieurs mois aux chercheurs pour trouver un remède. Peut-être ne voudraient-ils pas le soigner tout de suite, pour étudier ce mystérieux phénomène dont il était victime.

Les jours suivants, il avait ouvert les volets avant de s'allonger sur son lit, les yeux rivés sur le plafond.

Finalement, il n'était qu'un marionnettiste. L'OSI le détestait. Pourquoi dépenseraient-ils le moindre euro pour lui ?

La veille, il avait gardé les volets fermés. Plongé dans le noir, il n'avait pas pris la peine de se lever quand Osborne lui avait apporté ses repas.

Jamais son aura ne redeviendrait comme avant. Il était condamné à vivre le reste de son existence enveloppé des miasmes d'une abomination. Il s'était imaginé le mince voile doré virer au noir abismal de l'Entité. Émettre cette même odeur de pourriture. Provoquer ce même frisson de dégoût chez les sensibles qu'il croisait.

Était-il toujours médium ? Humain ? Ou n'était-il plus qu'un mauvais esprit parmi tant d'autres ?

De nouveau, les nausées s'étaient emparées de lui. Il n'avait gardé le contrôle sur son aura qu'au terme de longues minutes de lutte.

Le lendemain, il avait cherché le sommeil par tous les moyens. Lui seul garantissait un peu de répits à son esprit en ébullition.

— Nathanaël, parle au moins à cette dame... Aina, c'est ça ?

Une proposition de Philippine que Sasha et elle ne cessaient de lui rabâcher. Son silence aurait normalement dû leur suffire comme réponse.

Aucun d'eux ne pouvait comprendre. La psychiatre était une simple non-sensible. Elle ne savait pas à quel point une aura faisait partie intégrante d'un médium. Elle ne pouvait se représenter la détresse qu'il ressentait en la sachant souillée. Philippine ne valait pas mieux. Quant à Sasha, il venait de l'une des familles spirituelles les plus puissantes du monde. La vie lui souriait. Tous les agents de l'OSI ou presque lui obéissaient au doigt et à l'œil. Si c'était la qualité de son aura qui avait été en jeu, il aurait obtenu les résultats de ses analyses dans l'heure. Les plus grands spécialistes du monde entier auraient sauté dans le premier avion pour offrir leurs conseils à Linda. Il aurait été guéri d'ici la fin de la semaine.

Lui devait attendre, avec la crainte de ne jamais retrouver une vie normale. Non. La certitude.

Les tambourinements à la porte s'estompèrent. Nathanaël détendit les muscles de ses paupières. Il finirait bien par s'endormir.

Un silence bienvenu envahit la pièce. Les secondes devinrent minutes. L'agacement de l'adolescent se tarit.

— Nathanaël ?

Il ouvrit les yeux. Sa tête se décolla légèrement de l'oreiller. Il avait dû mal entendre.

— Nathanaël, tu es là ?

La voix de Fanny, douce et mesurée, s'éleva à nouveau. Il demeura silencieux un moment, incapable de trouver quoi répondre.

— Je... Je vais parler. Tu m'écoutes si tu veux, d'accord ? Sinon... Bah, c'est pas grave.

La porte bougea dans ses gonds quand sa camarade s'y adossa. Nathanaël attendit.

— Quand j'étais toute petite, les membres de ma famille ont commencé à multiplier les accidents. Voiture, chutes, maladies... Mon grand frère a failli mourir d'une leucémie quand j'avais deux ans. Ma grand-mère est morte d'un cancer de l'estomac. Ma maman a été diagnostiquée d'un cancer du sein cinq ans plus tard. Quand j'étais en troisième, Papa a fait un AVC. Il n'a jamais vraiment récupéré. J'aide beaucoup à la maison depuis. On me dit que ce n'est pas la peine, qu'il faut que je vive... Mais bon...

Elle s'interrompit. Nathanaël déglutit. Voilà quel était le parcours de vie d'un aimant. Celui dont il aurait fait l'expérience si son père ne l'avait pas récupéré à temps. Son père, tué par l'anomalie qui hantait désormais son aura...

— Quand je leur ai dit que j'avais une super opportunité pour partir un trimestre en Angleterre pour un échange scolaire, mes parents étaient fous de joie ! rit-elle. C'est dire à quel point ils avaient peur que je reste à la maison toute ma vie pour m'occuper d'eux...

L'adolescent se redressa un peu plus. Ses yeux se posèrent sur la raie de lumière qui attaquait son obscurité depuis le couloir. La présence de Fanny se devinait à sa brusque interruption en son centre.

— Je sais que j'ai eu de la chance : ils n'ont pas mis tous les malheurs de la famille sur mon dos. Moi non plus, je n'avais pas fait le lien. Mais quand j'ai appris la vérité, à l'Institut, ça m'a fait un choc.

Sa voix devint rauque. Nathanaël se remémora leurs échanges, peu après sa rencontre avec les médiums de l'IFSS. Son sourire. Sa joie. Son désir d'aider les autres, quand bien même elle débarquait à peine dans ce monde.

— J'ai compris que tout était de ma faute. Que cette aura avec laquelle j'étais née avait tué ma grand-mère, détruit l'enfance de mon frère et la vie de mes parents. Quand je l'ai vue pour la première fois, j'en ai pleuré. Baptiste a cru que j'étais heureuse. Il m'a servi un jus d'orange pour trinquer...

Son éclat de rire mourut à l'instant où il commençait. L'adolescent l'entendit renifler. Il s'assit en tailleur, le dos contre la tête de lit. Une bourde typique de Baptiste, qui projetait son enthousiasme sur les autres sans chercher à les comprendre... 

— Et puis j'ai vu la passion dans tes yeux quand tu parlais d'exorcisme... Je me suis dit que c'était moi qui devais être bizarre. Tu étais le seul de mon âge avec qui je pouvais discuter librement sans me sentir jugée, donc j'ai gardé mes appréhensions pour moi, pour ne pas te décevoir. Je me suis dit qu'en souriant, avec le temps, ça passerait.

Elle se tut. Quelques secondes s'écoulèrent. Puis quelques minutes.

— Euh... Désolée... marmonna-t-elle enfin. Le drama était un peu trop... dramatique. Il manquait juste le violon en fond sonore.

— Ce n'était pas ta faute.

Nathanaël se mordit la lèvre. Il avait cédé. Il avait parlé. Elle ne le lâcherait plus.

— Non, tu as raison... soupira-t-elle. Je ne sais pas trop ce que j'espérais en te balançant tout ça dans les oreilles alors que tu as déjà assez de mal à accepter ta propre situation.

Aucun sourire, aucune satisfaction ne perça dans sa voix. Elle répondait simplement, comme si son intervention avait été précédée de bien d'autres. Comme si l'entendre enfin n'était pas l'objectif premier de sa venue. Elle ne savourait pas sa victoire sur le silence de son camarade et ce constat le soulagea grandement.

— Je ne dis pas que je sais exactement ce que tu ressens, ce serait mentir... Et ce n'était pas le but.

L'ombre sur le sol remua.

— En arrivant ici, te raconter mon histoire sonnait super bien dans ma tête, comme accroche... Mais je ne sais même plus vers quoi j'espérais que ça me mène, en fait ! Bon sang, je suis nulle...

La fin de sa phrase se perdit entre les rires gênés et l'étouffement du tissu. Elle avait sans doute enfoui son visage dans ses bras, embarrassée. Nathanaël attendit. Il ne la trouvait pas nulle, au contraire. En ajoutant une ombre de plus dans sa chambre, elle l'avait poussé à regarder la lumière. Comme si elle lui cachait le soleil pour éviter qu'il ne l'éblouisse.

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