Chapitre 13 (1/2)
À cinq heures moins cinq, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur le service médical. Les médecins et infirmiers couraient dans le couloir, plus surmenés que jamais. Des gémissements émanaient de certaines chambres. D'autres, portes fermées, respiraient un silence aussi rassurant qu'inquiétant.
Nathanaël s'avança lentement. Derrière lui, le garde qui l'accompagnait depuis la sortie de sa chambre le suivit sans un mot. Il n'avait pas protesté quand l'adolescent avait annoncé sa visite au dixième étage et lui avait emboîté le pas. Soit cet homme se montrait étonnamment conciliant, soit Osborne avait eu pour ordre de ne pas interférer avec le rendez-vous médical. Le marionnettiste se serait bien penché sur la probabilité de ces deux hypothèses, mais ses pensées envahies par le stress ne lui en avait pas donné le loisir.
Il arpenta le couloir sans oser tourner la tête. Il ne voulait pas voir les médiums blessés dans l'entrebaillement des portes. Il ne voulait pas voir la souffrance sur leur visage. Il ne voulait pas voir leur air hagard.
Son regard s'arrêta un bref instant sur les boucles brunes qui cascadaient devant le distributeur. Leur propriétaire, vêtue d'un simple jean et d'une veste bleu clair, se pencha vers le bac pour récupérer ses achats. Quand elle se redressa, deux bouteilles d'eau à la main, elle rejoignit un homme vêtu d'une tunique blanche, un peu plus loin. Nathanaël les vit échanger quelques mots, avant de disparaître dans une chambre au bout du couloir.
Il ne courut pas pour rattraper Fanny. Il savait qui se trouvait dans la pièce, mais ne connaissait pas suffisamment Agatha pour s'y inviter. Sa place était ailleurs. Dans le bureau au fond du couloir, dont ils approchaient un peu plus à chaque pas.
Il était tenté de ralentir. De feindre une douleur au genou ou à la tête et de s'arrêter. De faire demi-tour et de retourner dans sa chambre. Les idées fusaient dans son esprit, mais son corps n'en mit aucune en œuvre. Il avançait simplement, vers cette porte blanche, identique aux autres, derrière laquelle l'attendait la nouvelle qu'il redoutait.
Ses doigts se serrèrent en poing. Il le leva et frappa trois coups. La voix de Linda lui intima d'entrer.
Elle se trouvait derrière son bureau, comme lors de leur premier échange. Elle triait quelques feuilles, mais ses yeux divaguaient parfois, comme attirés par des souvenirs et des pensées qu'elle ne pouvait réprimer. Elle argumenta quelques secondes avec le garde du corps. Accord avec Osborne... Secret médical... Le rapport viendrait plus tard... Il céda et quitta la pièce. Enfin, elle proposa à Nathanaël d'appeler Philippine. Il acquiesça. Elle sortit son téléphone.
Cinq minutes plus tard, sa tutrice passait le pas de la porte, qu'elle ferma derrière elle. Il l'avait déjà vue en tenue d'infirmière, mais les profonds cernes qui marquaient ses pommettes l'inquiétèrent. Depuis combien de temps n'avait-elle pas dormi ?
Les yeux nerveux de Philippine se posèrent sur lui. Elle s'assit sur la dernière chaise et porta une main rassurante à son épaule.
Le docteur afficha un dossier sur son ordinateur. Elle le parcourut une dernière fois des yeux avant de les fixer sur l'adolescent. Médecin-chercheur pour le compte de l'OSI, elle n'était pas titulaire en centre hospitalier. L'expression nerveuse qu'elle arborait trahissait la nature de l'annonce avant même qu'elle n'ait ouvert la bouche. Le cœur de Nathanaël battit un peu plus fort.
— Je suis navrée pour l'attente... commença-t-elle. Les analyses de mes confrères sont arrivées ce matin, mais je dois avouer que tout cela tombait relativement mal...
Nathanaël acquiesça, silencieux. Il voulait simplement qu'elle lui explique ce qui clochait chez lui.
Non... Il voulait simplement creuser un trou dans le sol et y disparaître.
— Bref. Avant toute chose, sache que plusieurs spécialistes se sont penchés sur ton cas et... ils n'avaient jamais vu cela. Moi non plus.
Elle marqua un temps d'arrêt, comme pour réfléchir à la meilleure manière de développer le sujet. Enfin, sa main se posa sur son écran et elle le fit pivoter en direction de Nathanaël et de Philippine. Quelques courbes apparurent, mais les yeux de l'adolescent les fixèrent sans comprendre.
— Ton aura est comme... polluée, annonça Linda.
Nathanaël baissa les yeux sur le mince voile doré qui flottait à quelques millimètres de sa peau. Il ne lui paraissait pas différent de d'habitude. Il ne se sentait pas différent de d'habitude. Polluée... Les images de la Seine s'imposèrent à lui, dans toute sa splendeur boueuse et son décor de déchets. Son énergie spirituelle n'y ressemblait pas.
À ses côtés, Philippine se pencha vers le bureau. Elle examina l'écran, les yeux plissés.
— Que voulez-vous dire ? C'est possible, ça ? Comment ? Avec quoi ?
— Nous y avons détecté des traces de miasme, expliqua le docteur. Plus que des traces, même. Il compose environ sept pourcents de ton énergie spirituelle... Voire huit, selon certaines mesures. Nous avons également retrouvé des traces dans son sang. Je n'avais jamais entendu parler d'un tel phénomène, nous ignorons encore avec certitude ce qui pourrait en être la cause...
Malgré toutes ses recherches, toutes ses lectures interdites, Nathanaël n'avait pas plus d'explications que ces spécialistes. Il s'obligea à quitter ses mains tremblantes des yeux.
— Est-ce que le... miasme aurait pu arriver quand j'utilise ma technique ? s'enquit-il.
— Cela m'étonnerait beaucoup. À ma connaissance, un incident de ce genre n'a jamais été documenté, ni chez un médium lambda, ni chez un marionnettiste.
Philippine dévisagea l'adolescent avec inquiétude. Il tenta de masquer ses propres appréhensions. L'inquiéter ne résoudrait rien à la situation. Il préférait voir sa tutrice sourire, lui répéter que tout irait bien, que les spécialistes trouveraient une solution, plutôt que de voir la peine assombrir son regard. Ce dernier se baissa finalement vers son ventre.
— Est-ce qu'une blessure pourrait être en cause ? demanda-t-elle finalement. Si un mauvais esprit lui transperçait la peau avec son miasme et se retrouvait en contact direct avec son sang ?
L'air grave du médecin fit comprendre à Nathanaël qu'elle ne leur avait pas encore tout divulgué. Elle ferma les yeux un bref instant, puis afficha la page suivante du rapport. Le nouveau graphique attira aussitôt l'œil du marionnettiste. Il avait déjà vu ce motif et ces pics quelque part...
— Voici le spectre du miasme relevé dans nos échantillons, annonça-t-elle. J'ai préféré ne pas aborder le sujet à l'assemblée ce matin, Nathanaël fait face à suffisamment d'hostilité de la part de la communauté internationale sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter...
Le cœur de l'adolescent plongea dans sa poitrine.
— Nous estimons en effet que cette blessure dont tu as souffert il y a quelques mois pourrait jouer un rôle dans ta situation actuelle, Nathanaël. Ce miasme qui parasite ton aura est en tout point identique à celui de l'Entité.
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