Chapitre 11 (4/4)
— Il reste bien des questions auxquelles je n'ai pas trouvé réponse ce soir, poursuivit de Montreaux. Notamment la raison qui pousse l'Entité à s'attaquer exclusivement aux marionnettistes. Ne peut-on judicieusement conjecturer que leur technique ancestrale est l'arme dont nous avons besoin pour la vaincre ?
L'adolescent releva légèrement la tête en entendant la supposition de son grand-oncle. Certes, elle faisait sens, mais il ne parvenait pas à se convaincre de sa réalité. Il avait fait face à l'Entité par trois fois. Les deux dernières, il avait usé de son marionnettisme. Certes, il n'avait pas utilisé ses dix fils, mais quelle différence une main ferait-elle devant la puissance monstrueuse de l'anomalie ? Il l'avait senti : il avait été dépassé. Même lorsqu'elle ne s'était manifestée qu'au travers d'un petit morceau de toile, il n'avait rien pu faire...
Pourtant, les murmures approbateurs de l'assemblée ne laissaient aucun doute quant à l'opinion de la majorité. Nathanaël voulait les croire. Peut-être que dans les bonnes conditions... Entouré des bonnes personnes...
Un mouvement au premier rang, dans un coin éloigné de la salle, attira l'attention de Nathanaël. Était-ce la silhouette ou la démarche ? Ses yeux se posèrent sur Sandra Glanet. Celle-ci fit un pas en avant et se tourna vers son oncle :
— Dois-je te rappeler que sa lignée périclite depuis maintenant plusieurs siècles par notre faute ? Même le sang de notre famille ne suffit pas à pallier ce déclin. Tu demandes à un adolescent au pouvoir bridé par les millénaires et les circonstances de sa naissance de détruire une anomalie de catégorie dix ? Je n'appelle pas cela une stratégie, mais une exécution.
Un silence gêné s'abattit dans l'amphithéâtre que monsieur de Montreaux ne laissa pas perdurer :
— Ne me dis pas que tu envisages de lui donner libre accès à la totalité de son aura ?
— Bien entendu. Nous ne pouvons décemment pas l'envoyer sur le front sans armes.
Même s'il comprenait le raisonnement de Sandra, ce dernier mettait Nathanaël mal-à-l'aise. Une fois l'aura éveillée, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Le combat terminé, à supposer qu'ils gagnent la guerre et que Nathanaël s'en sorte vivant, il devrait porter ce fardeau toute sa vie : celui d'un marionnettiste trop puissant pour le bien de ses pairs. Une source de craintes et de haine.
Son niveau actuel lui convenait. Il n'avait pas besoin de plus pour être heureux. Même si Lucas relevait haut la main des défis que lui-même peinait à accomplir, même s'il devait ravaler sa fierté et demander de l'aide lorsque l'adversaire le surpassait, il pouvait vivre ainsi. Et il était sûr au vu des circonstances que la majorité des médiums partageaient son opinion.
— Qu'est-ce que tu racontes, Glanet numéro deux ? intervint le président en se massant la hanche. Inutile d'éveiller son aura, vous serez bien suffisants, non ?
Monsieur de Montreaux répondit au vieil homme d'un hochement de tête. Il s'attendait visiblement à cette remarque. Peut-être même avait-il prévu cette intervention du président pour ranger les derniers récalcitrants de son côté.
— Avec l'aide de notre technique ancestrale, Jackowski pourrait effectivement atteindre un niveau supérieur à ce qu'il pourrait obtenir en éveillant son aura, sans que cet effet soit permanent.
— Comment veux-tu qu'il parvienne à utiliser pleinement sa technique alors qu'il n'a jamais manipulé autant d'énergie spirituelle, enfin ?
— Eh ! En anglais, Glanet numéro deux ! Une pensée pour les non-francophones qui veulent suivre !
Trop focalisé sur l'échange entre les deux médiums, Nathanaël n'avait pas remarqué le pop-corn qui était apparu sur le bureau du président. Son assistante disposait un verre à pied devant lui, une bouteille de jus de fruits à la main. Peut-être l'adolescent aurait-il trouvé la scène amusant s'il n'avait pas été le thème principal du divertissement.
Entre deux bouchées, le vieil homme pointa un doigt sur la femme :
— D'ailleurs, qui t'a dit que tu avais ton mot à dire ? Tu rentres en France sur le vol de ce soir, je te rappelle. Rends-toi utile là-bas en attendant qu'on règle cette histoire. Et profites-en bien, hein, tu pars pour quinze ans de suspension ensuite.
Sandra s'inclina respectueusement avant de rejoindre sa place.
Nathanaël n'en attendait pas énormément de la part de sa mère biologique, mais il aurait aimé qu'elle le défende davantage. Même une minute de plus... Et Jacques... Il s'étonnait de ne pas l'entendre... Peut-être n'avait-il pas compris la nature de la proposition. Son interprète avait sans doute lâcher l'affaire depuis longtemps.
— Je me chargerai de son entraînement, annonça monsieur de Montreaux en bombant le torse. Donnez-moi une semaine et il sera prêt.
Aux côtés de Nathanaël, Osborne bondit sur ses pieds :
— Il en est hors de question ! Niez-le autant que vous le souhaitez, il ne fait aucun doute que l'identité de Nathanaël Jackowski vous était parfaitement connue depuis le début !
— Vos allégations sont ridicules ! protesta monsieur de Montreaux.
— Vraiment ? Vous n'allez pas me dire que le directeur Ferron et vous-mêmes avez laissé une telle information vous passer sous le nez ?
Le double menton de l'homme accueillit un triplet lorsque leur propriétaire baissa la tête vers l'adolescent :
— N'est-ce pas ? Dis-nous la vérité.
Nathanaël ouvrit la bouche, surpris de cette attention soudaine. Heureusement, il n'eut pas à réfléchir trop longtemps à la réponse à apporter : la femme qui avait fait taire Mallory se leva à son tour. Son regard acéré se planta sur Osborne et le marionnettiste s'enfonça un peu plus dans sa chaise. Elle avait beau avoir pris fait taire la trouble-fête quelques minutes plus tôt, la froideur qui se dégageait de ses traits ne la rendait pas plus agréable aux yeux de l'adolescent.
— Je doute fort que le directeur Ferron soit impliqué. Si j'en crois le rapport, le signalement venait de lui.
Américaine, songea aussitôt Nathanaël en entendant son accent. Après les accusations à tire larigot de sa collègue, il apprécia le raisonnement plus mesuré et individualisé de la femme.
L'attention de cette dernière se porta cette fois sur le second chef de l'Institut. Elle reprit, un peu plus fort :
— Le directeur de Montreaux, en revanche, coche toutes les cases. Du lien de parenté qu'il entretient avec Sandra Glanet aux désavantages que l'éventement d'un tel secret lui apporterait, à lui et à sa famille, il était assurément au courant, de même que Jacques Glanet.
Quelques rangs devant, Nathanaël vit l'interprète se pencher sur son grand-père. Celui-ci s'agita sur sa chaise, visiblement prêt à riposter. La barrière de la langue calma pourtant rapidement ses ardeurs.
Comme l'adolescent s'en doutait, les deux boucs émissaires que l'Institut avait jetés en pâture à l'OSI ne leur suffisait pas. Son superviseur risquait déjà des sanctions pour l'avoir protégé de de Montreaux (si le verdict n'avait pas déjà été rendu), il ne pouvait pas laisser de telles accusations passer.
Il se leva donc. Une main d'Osborne chercha à l'empoigner, à l'obliger à se rasseoir. Il se dégagea et fixa tour à tour l'agent de l'OSI et l'Américaine :
— Vous avez lu le rapport, non ? Seuls Sandra Glanet et sa mère savaient. Si vous aviez des preuves du contraire, vous en discuteriez au lieu de faire connaître votre avis à tout le monde.
Les yeux clairs du président se posèrent sur lui et il retint son souffle. Le petit homme lui donnait davantage l'impression d'un animateur de débat doublé d'un clown que du personnage le plus puissant de la pièce, mais si l'intervention du marionnettiste lui déplaisait, sa position signifiait qu'un mot de sa part pouvait le faire arrêter... Ou exécuter.
— Bon sang, je rêve ou Sasha déteint sur lui ? Je rêve pas, hein ? D'ailleurs, il est où, ce morveux ? C'est suspect... Pourquoi il est pas en train de m'emmerder ?
Le regard du vieillard ne s'attarda pas davantage sur Nathanaël. Sourcils froncés, il se mit à parcourir l'assistance avec attention. Son assistante haussa les épaules avant de l'imiter.
Le marionnettiste sentit la fureur d'Osborne frapper son côté gauche. Il s'empêcha de déglutir et garda la tête haute. Il ne devait pas céder, mais le message était clair : il paierait cher cet affront. Tout compte fait, peut-être valait-il mieux pour lui que la proposition de de Montreaux soit acceptée de suite...
— Bon, c'est pas tout, mais c'est qu'on est là depuis un moment, là... C'est encore un peu tôt pour décider qui fait quoi. Pour l'instant, pas de changement, Jackowski junior reste sous la surveillance d'Osborne. Je réfléchirai à ton idée demain, de Reaureaux. Ou après-demain... Enfin bref, bientôt. Maintenant, on ferme boutique avant que Sasha rapplique. Allez, barrez-vous !
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