Chapitre 10 (1/2)
Monsieur Beaulieu rapporta rapidement un café, un chocolat chaud et deux parts de gâteaux à la table où Nathanaël s'était installé. Il déposa la commande de l'adolescent face à lui avant de s'asseoir à son tour.
— Ma chambre est devenue bien spacieuse, tout à coup... remarqua-t-il.
Le secrétaire pouffa de rire. Il leva un doigt savant.
— J'ai proposé de te ramener dans ta chambre, cet homme m'a simplement ordonné de m'occuper de toi.
Le marionnettiste ne trouva rien à redire à cette logique imparable.
— Alors, que deviens-tu depuis ton départ précipité de France ? s'enquit monsieur Beaulieu. Tu n'as pas trop le mal du pays ?
Le lycéen laissa échapper un rire las. Il entreprit de lui raconter brièvement les derniers événements, de sa captivité à l'hôtel à l'attaque de l'Entité. Le secrétaire l'écouta attentivement tout en maniant couteau et fourchette pour découper sa part de tarte aux pommes. Un choix d'ustensiles intéressant que ne put s'empêcher de noter l'adolescent.
— Ton séjour outre-Manche n'a pas été de tout repos, on dirait... Tu t'es blessé en te défendant face à ce mauvais esprit ?
Son regard se posa sur la béquille que Nathanaël ramena vers lui, un peu embarrassé.
— Non, j'ai... une maladie. Mais tout va bien, j'ai récupéré mon traitement et je vais avoir quelques séances de kiné. Avec un peu de chance, je pourrai à nouveau boiter normalement dans quelques semaines !
Monsieur Beaulieu accueillit la blague avec un léger rire.
— Maintenant que tu le dis, je me rappelle ton dossier... Hémophilie, si mes souvenirs sont bons ?
Nathanaël acquiesça et enfonça sa cuillère dans son fondant au chocolat. Il sourit avec félicité lorsqu'il mordit dans la part, encore chaude. Décidément, cette cafétéria mettait la misère au self de son lycée...
— N'empêche, tu joues vraiment de malchance, poursuivit monsieur Beaulieu. Malade, orphelin, cible d'une anomalie spirituelle... Marionnettiste...
Il se plongea dans une profonde réflexion, les yeux perdus sur la lame de son couteau.
— J'ai dû modifier ton dossier, tu me pardonneras de ne pas t'avoir demandé l'autorisation... Monsieur Ferron y tenait, malgré les réserves de monsieur de Montreaux.
Nathanaël se remémora les réticences du second directeur spirituel du l'IFSS à l'idée de cacher son existence. Une hypothèse lui vint soudain en tête :
— Ce ne serait pas lui qui a craché le morceau à l'OSI, par hasard ?
— Si... Monsieur de Montreaux était furieux.
Le marionnettiste planta rageusement sa cuillère dans son gâteau au chocolat.
— Pourquoi ? Il lui suffisait de se taire...
— La situation de Monsieur Ferron est assez... particulière. Il vient d'une grande famille, mais ne possède pas de technique ancestrale. Un temps, des rumeurs circulaient sur l'infidélité de sa mère, si j'en crois mes recherches. Toujours est-il que pour en arriver à sa position actuelle, il a dû trimer dur... et pas forcément très légalement. Quand il a pris conscience du danger que tu représentais pour sa carrière, j'imagine qu'il a paniqué.
Nathanaël rit jaune. Une fois de plus, un adulte craignait pour les vingt années dorées qu'il lui restait à vivre, et un ado trinquait...
— Et monsieur de Montreaux ?
— Oh, il a fait jouer quelques relations pour passer entre les gouttes, et il connaît suffisamment les magouilles de Ferron pour que ce dernier garde le silence sur son implication. Je ne pense pas que l'OSI soit dupe, mais la situation actuelle les empêche de trop déstabiliser les centres de commandements mondiaux. Madame Glanet est donc la seule à prendre le blâme.
La peine et l'injustice qu'il vit briller dans les yeux de monsieur Beaulieu fit un pincement de cœur à Nathanaël. L'homme souffrait tous les jours du regard méprisant des directeurs spirituels, et il n'avait rien pu faire pour sauver la seule supérieure qui ne le considérait pas comme un moins-que-rien. Pendant ce temps, les pontes à l'ego aussi haut que l'Everest s'en sortaient indemnes. Son avenir dans l'organisation intéressa soudain l'adolescent :
— Que faites-vous ici, d'ailleurs ? Je ne pensais pas que monsieur de Montreaux oserait s'afficher en public avec un non-sensible... Sans vouloir vous offenser, bien sûr.
Monsieur Beaulieu secoua la tête, un sourire triste, mais rassurant sur les lèvres.
— Il n'apprécie pas... les gens comme moi, c'est vrai, mais force est de constater qu'aucun médium n'est disponible pour se charger de mon travail... Et je suis un as de l'organisation, il aurait bien du mal à me remplacer. Je m'occupe de l'intendance et de la liaison avec l'Institut pendant qu'il participe aux assemblées dans le cadre de la gestion de crise.
Pour illustrer ses dires, l'homme sortit un téléphone portable de sa poche et jeta un œil à l'écran. Satisfait par ce qu'il y vit – ou par ce qu'il n'y vit pas –, il posa l'appareil à côté de son plateau. Il profita de cette courte pause pour changer de sujet :
— Et toi, que faisais-tu dans ce couloir ? Si j'en crois la réaction de cet homme, tu n'avais pas à t'y trouver...
Le rappel de son escapade raviva inexorablement le souvenir de sa conversation avec Fanny. Son sourire fâna aussitôt. Il prit le temps de siroter son chocolat chaud encore brûlant sous l'œil attentif de monsieur Beaulieu avant de se lancer dans une réponse :
— Je me baladais... tenta-t-il.
— Mais encore ?
Loin d'être insistants, les propos de son interlocuteur lui apparaissaient davantage comme une invitation à se confier à lui. Son sourire compatissant rassura Nathanaël. Après une ultime minute d'hésitation, il lâcha :
— J'ai dit des conneries à Fanny... Je regrette, parce qu'elle est super sympa. Elle m'aide beaucoup, elle me remonte le moral, elle passe beaucoup de temps avec moi...
— Tu l'aimes bien, pas vrai ?
L'adolescent manqua de s'étouffer avec un morceau de fondant. Il essaya de calmer sa toux en avalant une gorgée de chocolat chaud, se brûla la langue et sentit les larmes lui monter aux yeux. Quand, enfin, il se fut remis de ses émotions, monsieur Beaulieu de fixait d'un regard amusé.
— Eh bien, je ne m'attendais pas à une telle réaction...
Il porta une nouvelle bouchée de tarte aux pommes à ses lèvres en souriant.
— Alors, que s'est-il passé ?
Nathanaël lui fut reconnaissant de ne pas insister sur le sujet précédent. Lui-même ne s'était jamais posé la question de ce qu'il ressentait pour Fanny, mais évoquer le sujet devant quelqu'un qu'il connaissait à peine – aussi sympathique soit-il – le mettait mal à l'aise.
— Béatrice n'est pas responsable de ce qui m'est arrivé... J'ai une assez bonne idée de l'identité du coupable, mais Fanny ne me croit pas. Je me suis un peu emporté et...
Il passa une main sur son front, s'offrant un quart de seconde de discrétion à l'abri du regard de monsieur Beaulieu. Le sourire de ce dernier se fit désolé. Il ne le jugeait pas. Il écoutait.
— Donc si tu te promenais dans ce couloir, c'était...
— Je voulais trouver des preuves... Elle m'accompagnait et on s'est disputés.
Le secrétaire avala son dernier morceau de tarte aux pommes avant de reposer ses couverts et de le fixer dans les yeux.
— Que comptes-tu faire ?
— Je... Je ne sais pas... Je ne pense pas qu'elle acceptera de me parler tout de suite... Peut-être demain...
— Demain... Ça lui laisse le temps d'extrapoler tes paroles. Et peut-être qu'elle n'en fera rien... Tout le monde est différent, tout le monde réagit différemment... Pour autant, je suis d'avis de ne pas fermer le dialogue sur un malentendu. Dis-lui ce qu'il en est vraiment et laisse-la se faire son opinion ensuite.
Nathanaël joua quelques secondes avec un bout de gâteau au chocolat. Il lui faisait terriblement envie, mais le nœud qui s'était formé dans son estomac le dissuadait de se laisser tenter.
Les conseils de monsieur Beaulieu lui paraissaient sensés, mais il craignait que voir apparaître sa tête devant sa porte ne convainque définitivement Fanny qu'il n'était qu'un gros macho lourd à souhait, bien décidé à lui faire entendre raison même après qu'elle avait elle-même mis un terme à la discussion.
— Il n'est pas évident de gérer les relations humaines... ajouta le secrétaire dans un soupir.
— Je donnerais n'importe quoi pour faire face à une anomalie de catégorie six, là... grommela Nathanaël.
L'homme se permit un rire discret.
— Si tu as besoin d'aide ou de conseils, n'hésite pas à venir me trouver, en tout cas.
Il tira d'une de ses poches une petite carte de visite qu'il tendit à l'adolescent. Lorsque celui-ci finit par terminer son assiette, il disposa couverts et plats sales sur le plateau et se leva pour débarrasser.
— Merci pour tout, monsieur Beaulieu.
— Je t'en prie, appelle-moi Quentin, lui répondit l'homme en s'éloignant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top