Chapitre 7 (2/3)

Tous les quatre se frayèrent un chemin jusqu'à la porte et se glissèrent à l'intérieur. Dès que Nathanaël eut posé un pied dans la pénombre, Jacques lui attrapa le bras pour l'éloigner de l'entrer. Alexis s'empressa de repousser la porte et ils se retrouvèrent plongés dans l'obscurité.

Lorsqu'un « clic » résonna à côté de l'adolescent, un faisceau de lumière blanche apparut soudain entre les mains d'Audrey. Elle pointa d'abord sa lampe torche sur la porte où son collègue fixait un talisman à l'aide d'une punaise, puis sur leur environnement.

L'endroit était jonché de détritus, des canettes de bière vides aux briques esseulées, en passant par les vieux meubles cassés. Une épaisse couche de saleté masquait la matière du sol, mais au bruit de ses pas, Nathanaël estima qu'il s'agissait d'un plancher. À en juger par son état, il espérait simplement qu'une dalle de béton soutenait le tout.

Recouverts d'une tapisserie passée, déchirée, dont la décoration florale oscillait entre le vert kaki et le marron sale, les murs se poursuivaient en couloir sur quelques mètres avant de laisser deviner les premières marches d'un escalier.

— Reste à côté de moi, lui ordonna le vieux médium avant de s'enfoncer plus profondément dans la maison.

Pour une fois, Nathanaël accueillit la sommation de Jacques sans hésitation. Il hocha la tête et emboîta le pas à l'instructeur. Audrey se plaça en première position et Alexis fermait la marche.

Ils progressèrent ainsi sans un mot, le silence de la maison uniquement perturbé par le craquement du parquet sous leurs pieds et les occasionnels claquements d'une bâtisse livrée aux éléments depuis trop longtemps.

La première porte sur leur gauche menait au salon, rempli de détritus et de vieux matelas. Les meubles anciens avaient été repoussés dans un coin pour libérer l'espace central, sans doute par les squatteurs qui y avaient un jour trouvé refuge. Quelques planches noircies au milieu de la pièce indiquaient l'emplacement d'un vieux feu de camp.

Les émanations maléfiques ne provenaient cependant pas du rez-de-chaussée. Le groupe ne s'attarda donc pas sur les pièces au fond du couloir et se concentrèrent sur l'escalier. Nathanaël observa avec appréhension le bois gondolé par les ans qui le composait. Il songea avec appréhension que leurs protections spirituelles auraient dû être doublées de protections physiques, type casques de chantier et chaussures de sécurité. Voire la combinaison intégrale du démineur.

Audrey s'engagea sur les marches avec précaution, jaugeant chacune d'elles d'une pression du pied avant d'y apposer tout son poids. À la suite de Jacques, l'adolescent l'imita. Il se doutait que si les planches pouvaient supporter son instructeur, il ne risquait pas grand-chose, mais l'ambiance générale du lieu l'incitait à redoubler de prudence.

Ce n'est qu'à la moitié de l'ascension que les bruits qu'il pensait naturels dans une maison abandonnée lui apparurent étranges : ils étaient trop réguliers. Trop nets. Et surtout, ils semblaient provenir d'un seul et même endroit.

À quelques marches du premier étage, Audrey se mit à genoux dans les escaliers et glissa lentement la tête au-dessus du plancher.

— Poltergeist, annonça-t-elle dans un murmure.

Nathanaël sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il n'avait rencontré qu'un seul esprit frappeur dans sa vie. Le visage tordu de haine et de malice du mauvais esprit hantait encore certaines de ses nuits... De sa cachette sur l'escalier, il sentait l'énergie dégagée par le spectre et savait que ce qui l'attendait quelques mètres plus loin serait d'un tout autre niveau. Il s'obligea à respirer lentement pour contenir son appréhension et rester concentré.

Devant lui, le vieux médium acquiesça et ouvrit l'une des petites poches de sa ceinture.

— Sauge, achillée musquée, cannelle, ordonna-t-il. Associez-y l'agate jaune, on en aura besoin.

Nathanaël regarda ses compagnons sortir leur matériel avec stupéfaction. Il connaissait la théorie et savait quelles plantes et quelles pierres étaient les plus efficaces contre un poltergeist. Cependant, son père et lui n'avaient jamais laissé les lignes d'un livre dicter leurs cérémonies. L'adolescent ne se reposait que rarement sur ses connaissances générales, considérant chaque mission comme unique.

Les médiums ne pouvaient pas être certains que le mauvais esprit réagirait comme prévu à ces ingrédients... Une plante ou une pierre supplémentaire permettrait peut-être d'accélérer le processus. En s'en tenant à leur méthode rigide, ils se fermaient bien des portes.

Fort de l'avertissement de Jacques dans la voiture, Nathanaël se mordit la lèvre pour faire taire ses questions et ses remarques. Il se doutait qu'en cas de refus du vieux médium de l'accepter au sein de l'Institut, monsieur Beaulieu trouverait quelqu'un d'autre. Cependant, face à l'hostilité de l'instructeur, intégrer l'IFSS n'était plus son seul objectif : il voulait lui donner tort, obtenir son aval à lui et à personne d'autre. Il aurait aimé le faire activement, en participant à la mission... Mais il prendrait son mal en patience. Si obéir à Jacques lui permettait de monter dans son estime, jusqu'au jour où il aurait enfin la possibilité de démontrer la pleine maîtrise de son art, alors il rongerait son frein jusqu'à ce que ce moment arrive.

— Audrey, sel. Alexis, bougies et briquet. À mon signal... On y va !

Les trois médiums s'élancèrent vers leur cible. Nathanaël s'accroupit dans les escaliers pour observer l'action sans les gêner. Il sortit son talisman de sous son t-shirt et y déversa son aura. Lorsque le mauvais esprit se sentirait attaqué, il ne manquerait pas de riposter. L'adolescent se tenait donc prêt.

De sa cachette, il aperçut une forme sombre et volatile, aux contours flous. Seul le visage du spectre lui apparaissait clairement, figé, tordu de malice, de rage et de délectation. À l'approche des médiums, il lâcha la chaise qu'il abattait à rythme régulier contre le parquet. Il se tourna vers eux en poussant un petit rire glauque. Sa main se tendit vers ses adversaires.

Ces derniers ne le laissèrent pas avancer davantage. D'un geste fluide, Audrey déversa le contenu d'un pot de sel autour de ses camarades, formant un cercle lumineux et protecteur. Alexis disposa cinq bougies le long de la courbe et les alluma dans le même mouvement. En moins de dix secondes, le rituel était prêt.

Nathanaël déglutit, fasciné par la rapidité et la précision de l'exécution. Sans compter sa puissance. Le sel brillait avec éclat, les flammèches dispersaient leur fumée dorée dans l'atmosphère. L'adolescent se ratatina sur sa marche et serra un peu plus fort le sachet de tissu entre ses doigts.

Il contrôlait son aura à la perfection, connaissait toutes les techniques que l'on pouvait attendre d'un professionnel. Il se pensait doué... Ces personnes étaient clairement d'un autre niveau. Devant un tel spectacle, l'envie de faire ses preuves se changea brusquement en honte.

Avait-il vraiment cru pouvoir aider ces gens ? Comment ? En agitant des pompons et en applaudissant ?

Pendant qu'il ruminait, Jacques avait allumé une dernière bougie au-dessus de laquelle il brûla ses plantes une à une. La fumée qu'elles dégagèrent se concentra rapidement dans l'agate jaune, qui se mit à pulser d'une intense lumière dorée.

Un violent craquement à côté de lui fit sursauter Nathanaël. Un morceau de la rambarde venait de se détacher des escaliers et flottait à quelques centimètres du sol. Il n'était pas seul : tous les détritus qui jonchaient le lieu lévitaient dans les airs. Il émanait d'eux une ombre menaçante, presque aussi perverse et maléfique que le polstergeist lui-même.

Le rire du mauvais esprit éclata à nouveau, plus fort. Il résonna contre les murs, comme s'il provenait de partout à la fois. Nathanaël ne put retenir un frisson. La barrière protectrice sur laquelle il avait toujours compté lui paraissait bien faible, fragile, comparée à celle que produisaient les adultes. Si le fantôme décidait de faire de lui sa nouvelle cible, il craignait de ne pas résister à ses assauts.

Alors même que le doute traversait son esprit, son aura vacilla. Le visage de l'anomalie se braqua sur lui. Dans un cri strident, le spectre se précipita dans sa direction. Les muscles de Nathanaël réagirent avant son esprit : il insuffla toute son énergie spirituelle dans son talisman.

Dans un intense éclair doré, le mauvais esprit se heurta à son champ de force. Il lui tourna autour, tenta une nouvelle approche, en vain. Nathanaël le regarda faire, médusé, tout en restant concentré sur le sachet de tissu entre ses doigts. Sa barrière ne payait toujours pas de mine face aux trois vétérans qui l'accompagnaient, mais elle brillait plus que d'habitude. Beaucoup plus... Jacques avait-il renforcé son sort pendant le bref instant où il l'avait tenu ?

Non, cette puissance inhabituelle ne provenait pas de son talisman. Nathanaël sentait son aura glisser avec fluidité dans les plantes autour de son cou, absorber leur pouvoir et l'en envelopper.

C'était pourtant impossible. Il ne pouvait pas manipuler autant d'énergie spirituelle... Il n'en possédait pas une telle quantité. Son ébahissement se mua rapidement en extase. C'était impossible... mais bien réel !

À cet instant, un nuage de fumée jaune envahit l'étage. Les objets que l'esprit faisait flotter retombèrent l'un après l'autre sur son passage. Enfin, le fantôme lui-même se retrouva enveloppé par le sort. Comme doté de conscience, ce dernier s'enroula autour de l'anomalie. Il l'étouffa de son aura lumineuse, l'enserra dans son étreinte brumeuse.

Un hurlement strident, métallique, perçant émana du spectre. Nathanaël porta sa main libre à l'une de ses oreilles, la bouche ouverte en un cri de douleur silencieux. La plainte de l'anomalie lui vrillait les tympans. Les ondes sonores résonnaient jusque dans son cerveau. Sa tête allait exploser.

Silence.

L'adolescent demeura immobile, à bout de souffle. Il n'osait pas ouvrir les yeux. Sa tête pulsait encore de douleur. Une larme glissa le long de sa joue et explosa sur sa main qui serrait encore le talisman de toutes ses forces. La paume plaquée contre son oreille était humide. Elle devait être pleine de sang. Quand avait-il fait sa dernière injection de facteurs coagulants ?

Au loin, des bruits étouffés lui parvinrent difficilement. Le poltergeist, peut-être... Il espérait que ce n'était pas une autre anomalie...

Quelque chose lui toucha l'épaule. Il sursauta. Le geste brusque lui fit perdre l'équilibre et il se sentit basculer sur le côté, droit vers l'étage inférieur. Une main le rattrapa au dernier moment. Ses yeux se posèrent sur le visage impassible de Jacques.

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