Chapitre 3 (2/3)
Après un dernier cours d'anglais particulièrement ennuyant, Nathanaël regarda Fanny quitter le lycée en direction des locaux de l'IFSS.
Il se souvenait de ses dernières visites là-bas comme si c'était hier : le parquet, les murs blancs, les néons blafards, le vaste hall... Les larmes de Philippine. Les siennes. La panique d'être arraché à la seule personne qu'il considérait comme sa famille. Les regards austères de ceux qui l'avaient pris sous leur aile... Et puis, quelques mois plus tard, les larmes, à nouveau. De joie, cette fois. Le bonheur de retrouver sa mère de cœur, d'une telle intensité qu'il avait éclipsé la douleur pulsant dans ses articulations...
En laissant Fanny arpenter ces mêmes couloirs, franchir ces mêmes portes, côtoyer ces mêmes personnes, ne la condamnait-il pas à souffrir tout autant que lui ? Un instant, il fut tenté de l'arrêter. Si elle voulait apprendre, il pouvait lui prêter des livres, lui expliquer, lui montrer...
Il secoua la tête pour en chasser cette idée absurde. Quand il repensait à leur dernière conversation, seul l'embarras lui revenait en mémoire. Alors des cours de médiumnité en tête-à-tête avec elle... Qu'allait-il donc s'imaginer ? La communication serait tellement catastrophique que les leçons prendraient des allures de séances de torture...
Mais tout se passerait bien pour Fanny : elle n'était pas orpheline et, à quinze ans, elle saurait se défendre.
Deux vibrations dans sa poche détournèrent son attention de sa camarade. Son portable affichait un nouveau message dans un style épistolaire qu'il connaissait bien.
« Bonsoir, Nathanaël. J'espère que tu te portes bien ? Notre ami fait des siennes depuis ce matin. Si tu parvenais à libérer un peu de ton temps pour t'en occuper ce soir, je t'en serais grandement reconnaissant. Bien à toi. Didier. »
Un sourire sur les lèvres, l'adolescent pianota une réponse rapide et prit le chemin du premier arrondissement.
***
Arrivé devant l'imposant bâtiment du Louvre, Nathanaël s'autorisa à flâner un peu. Il était encore tôt, à peine dix-sept heures, et le musée ne fermait que dans une heure. Il se rendit donc dans le jardin des Tuileries et parcourut les allées de long en large. L'été, il aimait s'asseoir autour des fontaines pour profiter de leur fraîcheur. En ce jour de décembre, en revanche, il ne s'y attarda pas plus que nécessaire.
Quand les cloches aux quatre coins de la capitale sonnèrent six heures et demi, il s'approcha discrètement de la Porte des Lions, sous les arches en pierre du palais, puis envoya un SMS au gardien. Didier ne tarda pas : à peine deux minutes plus tard, le cliquetis des clés lui apprit l'ouverture imminente de l'imposante porte. La chevelure blanche dégarnie du cinquantenaire, engoncé dans son uniforme noir, apparut dans l'entrebâillement. Il sourit à l'adolescent avant de se pousser pour le laisser entrer.
- Tu n'as pas attendu trop longtemps dehors, j'espère ? s'enquit-il pendant qu'ils arpentaient les couloirs vides de tout visiteur. Il ne fait vraiment pas chaud ces jours-ci...
Nathanaël bredouilla une réponse négative en essayant de dissimuler sous le col de son manteau son nez rougi par le froid. Didier lui avait proposé à de nombreuses reprises de venir attendre la fermeture à l'intérieur quand il faisait appel à lui, mais l'adolescent se sentait mieux dehors, entouré des arbres et de l'herbe.
Le jardin des Tuileries était l'un des rares espaces à Paris où il parvenait à se ressourcer, d'autant plus l'hiver, quand les allées étaient désertées par les habitants et les touristes.
Au contraire, l'atmosphère du musée, chargée en énergies anciennes, touchait un peu trop l'adolescent pour qu'il s'y sente à l'aise. S'il se concentrait sur l'air environnant, il distinguait de petits nuages de miasmes flottant çà et là, suffisamment vieux et dilués pour ne plus représenter le moindre danger. S'y entremêlaient des filaments d'auras, trop faibles pour éradiquer son ennemi de toujours. Les deux éléments, lancés dans une danse perpétuelle dans ce lieu chargé d'histoire, compagnons d'éternité, émanaient des nombreux objets entreposés entre ces murs.
Didier le mena le long des couloirs et des œuvres d'art, vers leur destination habituelle. Cela faisait bien longtemps que Nathanaël n'avait plus besoin de guide pour se repérer au Louvre, et la Porte des Lions, bien que discrète, n'était pas l'entrée la plus proche de l'aile Richelieu. Cependant, le gardien profitait de ces quelques minutes de marche pour prendre de ses nouvelles. L'adolescent le connaissait depuis toujours. Enfant, il aimait accompagner son père au musée lorsque Didier l'appelait à la rescousse.
- Qu'étudiez-vous en histoire, en ce moment ? L'Empire romain ? Oh, la Grèce antique ! Vous avez fait la Grèce antique ?
- On commence la Renaissance.
- Déjà ? Dommage, j'aurais eu grand plaisir à te refaire le cours sur les bas-reliefs... Je sais que tu l'avais particulièrement apprécié en sixième...
Il ponctua sa remarque d'un clin d'œil qui fit sourire Nathanaël. Il se souvenait l'avoir tellement aimé qu'il avait manqué de s'endormir sur place... Pour sa défense, c'était la première fois qu'il revenait au musée depuis le décès de son père, il venait de passer une journée à l'hôpital pour des examens et avait encore besoin de béquilles pour se déplacer.
Didier s'arrêta dans une pièce remplie de vases, jarres et autres ustensiles en porcelaine que Nathanaël avait baptisée le « cauchemar des éléphants » quand il était petit. Il invita l'adolescent à poursuivre seul.
- Bon, eh bien, je vous laisse. Profites-en pour jeter un œil à côté, je suis certain que tu trouveras des sujets au programme !
Après avoir salué le gardien, l'adolescent s'engagea dans les pièces suivantes. Il ne s'attarda pas sur les tapisseries et les maquettes qu'il avait déjà vues maintes et maintes fois, mais se dirigea droit vers une armure rutilante montée sur socle. Au moment où il s'en approchait, le heaume pivota lentement vers lui dans un grincement strident.
- Même pas peur, soupira le lycéen. Sors de là, Pachéry, je te ramène en bas.
Les contours de l'armure se brouillèrent un court instant, puis une silhouette se superposa aux plaques de métal. Quand le fantôme eut achevé de s'en détacher, il flotta doucement face à Nathanaël.
L'adolescent connaissait bien l'esprit. Chauve, maquillé d'un épais trait de khôl tout autour des yeux, le jeune égyptien mort depuis plus de deux mille ans portait pour tout vêtement un pagne en tissu blanc.
- Désolé, je me suis encore égaré... marmonna-t-il.
- Je t'ai déjà dit de ne pas hanter l'armure quand tu te perds... Tu fais peur aux touristes.
- J'avais oublié...
Pachéry détourna le regard, penaud. L'adolescent retint un nouveau soupir. Il savait que ce n'était pas la faute du fantôme : ce dernier ne reposait pas en paix. Les anomalies spectrales comme lui étaient relativement rares comparées aux mauvais esprits habituels, simples masses d'énergies négatives qui usaient d'un réceptacle terrestre pour quitter le plan spirituel.
Tuées dans des circonstances particulièrement violentes, attachées de façon maladive à un objet ou à un endroit, enlevées à leur lieu de repos... De nombreuses conditions pouvaient mener les âmes à se retrouver dans l'état de l'Égyptien. Même si les souvenirs les plus anciens de celui-ci demeuraient flous, il apparaissait évident qu'après la profanation de son tombeau, l'excavation de sa momie et son voyage jusqu'en France pour être exposé à la vue de tous, son esprit ne pouvait que se retrouver ancré au plan matériel.
Il errait depuis régulièrement dans les couloirs du musée, littéralement comme métaphoriquement. Quand il lui prenait l'envie de s'abriter dans l'un des objets les plus bruyants du musée, Didier faisait alors appel à Nathanaël pour le reconduire dans son enveloppe charnelle... Jusqu'à sa prochaine excursion.
Du fait de sa naturepaisible, le fantôme de Pachéry ne représentait aucune menace et se classaitparmi les anomalies de catégorie une. Une chance dont se félicitait souventl'adolescent : plus qu'une simple connaissance, l'Égyptien était depuis bienlongtemps devenu l'un de ses plus proches amis.
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