Chapitre 2 (1/2)

Nathanaël ralentit en jurant. Lorsque trois hommes sortirent du véhicule et avancèrent dans sa direction, il afficha son expression la plus neutre possible et poursuivit son chemin sans leur accorder la moindre attention.

Avec un peu de chance, ils ne remarqueraient pas son aura. Avec un peu de chance, ils se concentreraient sur Fanny et sur l'anomalie à présent détruite plutôt que sur lui. Avec un peu de chance...

Les nouveaux venus passèrent à côté de lui sans tourner la tête. L'adolescent s'autorisa un bref soupir de soulagement avant de forcer le pas.

Un étau se referma sur son bras et il sursauta. Ses yeux se baissèrent sur la main qui le retenait, puis se levèrent vers le visage de l'adulte auquel elle appartenait.

Raté.

— Un instant, jeune homme, nous avons quelques questions à te poser.

Nathanaël se mordit l'intérieur de la lèvre, mais s'arrêta sans protester. Il savait qu'il ne risquait rien. Il n'avait fait que prêter main-forte à sa camarade en détresse. En gros, il avait fait leur travail. Cependant, il n'avait pas spécialement envie de s'attarder avec ces gens.

Il ne faisait aucun doute à ses yeux que les trois hommes étaient des médiums de l'IFSS, l'Institut Français des Sciences Spirituelles. Leur aura avait beau paraître bien fine comparée à celle de Fanny, Nathanaël savait qu'il ne pouvait s'y fier pour mesurer leur pouvoir : si elle leur collait si près du corps, c'était qu'ils la maîtrisaient à la perfection.

Pendant que les deux autres médiums se dirigeaient vers sa camarade, encore choquée par les événements et la tentative de fuite du lycéen, l'homme qui l'avait interpelé le lâcha enfin et sortit un petit calepin d'une de ses poches.

— Nous avons été envoyés ici en réponse à une menace de catégorie deux. Force est de constater que tu t'en es occupé avant notre arrivée, je tenais donc tout d'abord à te féliciter.

Nathanaël bredouilla quelques remerciements avant de se replonger dans le silence. Son interlocuteur profita de son silence pour le jauger de la tête aux pieds. Il reprit finalement :

— Je vois que tu es entraîné. Puis-je te demander qui est ton maître ?

L'adolescent laissa son regard dériver vers Fanny. L'un des deux hommes avait posé une main rassurante sur son épaule. Ils lui apprenaient très certainement cette information que Nathanaël gardait pour lui depuis qu'il l'avait rencontrée. Cette information qui allait changer sa vie à tout jamais : l'existence de ce monde spirituel auquel elle appartenait sans le savoir depuis sa naissance.

— C'était mon père, grommela le lycéen. Il est mort il y a cinq ans.

L'homme écrivit quelques mots sur son calepin.

— Ton père, hein... Comment t'appelles-tu ?

— Nathanaël Jackowski.

Le grattement du stylo contre le papier s'interrompit. L'adolescent s'arracha donc à la scène qui se déroulait à côté de lui pour reporter son attention sur son interlocuteur. Les yeux de ce dernier étaient à présent fixés sur lui, sourcils froncés.

— Le fils de Manuel ? s'enquit-il.

Nathanaël acquiesça. De son vivant, son père travaillait comme médium indépendant, et il lui arrivait d'accomplir quelques missions pour l'IFSS. Il n'était donc pas étonnant que son nom soit resté gravé dans la mémoire de certains de leurs agents.

L'homme resta un instant plongé dans ses pensées. Il finit par reprendre d'une voix grave :

— Il t'a bien formé. Il est rare de croiser des médiums de ton âge qui ont un tel contrôle sur leur aura. As-tu songé à t'inscrire auprès de l'Institut pour effectuer quelques renforts pendant les vacances scolaires ?

— Je n'ai que quinze ans, lui fit remarquer l'adolescent.

C'était la réponse courte. En vérité, il évitait tout ce qui avait trait à l'IFSS depuis que Philippine avait officiellement récupéré sa garde, près de quatre ans plus tôt. Perdre son père avait déjà été une épreuve en soi, mais la façon dont il avait été considéré par l'organisme par la suite, comme un vulgaire bibelot qu'on ne sait où mettre et comment traiter, lui avait passé l'envie de s'associer un jour à eux, de près comme de loin. Et au cas où il lui viendrait à douter de cette décision, l'état déplorable de son genou droit lui servait de douloureux rappel.

— Tu peux faire les démarches dès à présent, tu sais ? L'Institut ne pourra pas t'envoyer sans supervision en mission avant tes seize ans, ni te rémunérer, mais nous proposons des activités pour les jeunes de ton âge, des camps d'entraînement, des cours du soir... Même si je doute que ces derniers te soient d'une quelconque utilité, tu sembles avoir déjà un bon niveau. Par contre, tu serais éligible au programme d'apprentissage ! Nous te mettrions en relation avec un médium titulaire que tu accompagnerais et assisterais lors de certains de ses déplacements.

Devant le silence qui accueillit ses propositions, l'homme n'insista pas. Il se racla la gorge et afficha une expression neutre.

— Bien... Peux-tu me raconter ce qui s'est passé ici ?

— Je voulais donner un talisman à Fanny pour éviter qu'elle n'attire n'importe quoi. Je l'ai suivie et j'ai remarqué le mauvais esprit.

Nathanaël passa toute la partie « sort de recherche » sous silence. Elle était inutile à l'enquête et l'adolescent ne voulait pas risquer de susciter plus d'intérêt chez son interlocuteur.

— Catégorie deux, c'est bien ça ?

— Quand je suis arrivé, oui... Il est passé au trois rapidement, par contre. Vraiment très rapidement, je ne sais pas pourquoi...

À la grimace du médium, Nathanaël comprit deux choses : d'une, il faisait confiance à son jugement ; de deux, il n'était pas surpris.

— Vous savez ce qu'il s'est passé ? s'enquit l'adolescent.

L'homme haussa les épaules et porta son attention sur l'amoncellement de meubles.

— Pas exactement, non... Il y a eu une sacrée recrudescence d'anomalies spirituelles, ces derniers temps, et elles ont toutes un point commun : leur vitesse d'évolution hors-norme. L'enquête est en cours pour déterminer les causes du phénomène, mais...

« Pour l'instant, on fait chou blanc... » compléta mentalement Nathanaël.

Un silence pesant s'installa entre eux. Le regard du lycéen glissa vers l'avenue passante qu'il apercevait de l'autre côté de la voiture. N'était-ce pas le moment parfait pour s'éclipser ? Il allait ouvrir la bouche pour prendre congé quand le médium s'ébroua enfin pour sortir de ses pensées.

— Bref... L'exorcisme ! Comment ça s'est passé ?

L'adolescent retint un soupir. Il lui suffisait pourtant d'étudier la scène pour répondre à cette question...

— J'ai fait au plus simple. Attaque directe.

Ou, comme l'avait baptisée son père, la méthode « ça passe ou ça casse ». Encore appelée « ne fais jamais ça, d'accord ? ». Son interlocuteur s'attarda quelques instants sur la barrière de sel linéaire, puis les légères traces de brûlé sur le miroir. Il fronça les sourcils.

— Au plus dangereux, tu veux dire ? Abaisser totalement ses barrières pour atteindre la cible, c'est de l'inconscience. Tu as eu de la chance...

Nathanaël ne répondit pas. Rien de ce que pouvait lui reprocher l'homme ne changerait le passé. Celui-ci dut en arriver à la même conclusion. Il secoua la tête en soupirant et griffonna quelques mots supplémentaires sur son calepin.

Quand il eut terminé, il glissa une main dans la poche de sa veste et en sortit une carte de visite pliée en deux qu'il défroissa comme il put.

— Ce sera tout pour moi. Je vais prendre tes coordonnées, au cas où... Je te donne ça en échange.

Sans laisser à Nathanaël l'opportunité de protester, il lui plaqua le papier dans la paume. L'adolescent y jeta un rapide coup d'œil, peu convaincu. Baptiste Rambault, responsable communication, Institut Français des Sports sur Sable. C'était en tout cas ce qu'indiquaient les lettres à l'encre noire. Cependant, superposés à ces dernières, des mots brillaient d'une lueur dorée, accompagnés du logo de l'IFSS, une branche et une bougie dans un cercle : Baptiste Rambault, département instruction, Institut Français des Sciences Spirituelles.

— C'est la première fois que tu vois ça ? comprit l'homme en voyant son air perplexe. Malin, pas vrai ? Seuls les sensibles éveillés parviennent à distinguer ce qui est véritablement écrit sur la carte. Bref, je t'écoute. Adresse et numéro de téléphone, si tu en as un.

Nathanaël hésita. Il n'avait pas spécialement envie que l'Institut puisse le contacter si facilement. D'autant qu'ils devaient encore avoir une trace de son adresse : quand Philippine l'avait récupéré, leurs services sociaux n'avaient certainement pas manquer de la noter.

Conscient que même s'il ne donnait pas ses coordonnées de son plein gré, les médiums les dénicheraient quoi qu'il arrive, l'adolescent renseigna Baptiste Rambault à contre-cœur.

— Je te remercie ! conclut l'homme. Ne t'inquiète pas pour ta camarade, nous allons la raccompagner chez elle et nous assurer qu'elle y est en sécurité. À bientôt, j'espère !

Nathanaël regarda le médium s'éloigner en direction de Fanny et de ses collègues. Il s'imagina un instant les rejoindre pour s'excuser de son comportement auprès de la lycéenne. Cependant, l'horreur qui se lisait dans son regard tandis que le monde qu'elle croyait connaître s'écroulait petit à petit autour d'elle le convainquit de se tenir à l'écart.

Alors qu'il tournait les talons, Baptiste Rambault le rappela. Il lui lança quelque chose qui lui tomba littéralement dans les mains. Quand l'adolescent constata qu'il s'agissait de la sacoche dans laquelle l'un des médiums avait rangé son matériel éparpillé sur les pavés, il leur adressa un signe de remerciement, rajusta son sac sur ses épaules et s'éloigna sans un regard en arrière.

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