44. Cris muets
La main de Levi saisit par réflexe l'arme qui se trouvait sur le siège passager. Un engin de fonction qu'il maîtrisait comme personne et qui lui donnait un avantage certain dans le tête-à-tête qui se préparait. Il raccrocha, le cœur lourd.
Rhodes Reiss possédait une dernière et ultime arme : Eren. Malgré tous les efforts du lieutenant, cette perspective ne put le laisser indifférent. La tension de ses muscles l'illustrait ainsi que les émotions indistinctes qui faisaient rage en son for intérieur.
Le silence retomba comme un poids immense sur les épaules du policier. Il n'était pas plus de quatorze heures trente et toute notion temporelle lui échappait déjà. Le soldat signait son grand retour et Levi était prêt à lui faire honneur. Lui qui n'avait essuyé aucun échec ne pouvait se permettre la demi-mesure en cet instant. La tête de son amant tenait à sa réussite et cela suffit à le conditionner au combat.
Il sortit du véhicule, le pistolet chargé bien en main. Son regard expert balaya la zone, cherchant les moyens de pénétrer dans le bâtiment. Cette fois, une armée de pairs ne le suivaient pas, l'affut du moindre ordre craché. Cette fois, les corps ne se pressaient pas sur ses pas. Cette fois, les cibles ne se multipliaient pas dans l'œil de l'ennemi pour lui permettre d'échapper à la mort, encore et encore. Cette fois, rien ne viendrait le sauver. Cette fois, c'était quitte ou double. Cette fois, il serait seul !
Levi contourna la bâtisse, longeant le mur avec un dégoût qu'il ravala bien vite. Un talkie-walkie accroché à la ceinture, il avait malgré tout conservé son portable dans sa poche arrière, par simple précaution. A tout moment, Rhodes ou Erwin pouvait le contacter pour une raison ou pour une autre.
Le cœur battant à vivre allure, l'homme finit par trouver une entrée complètement déserte. Une issue de secours s'il en jugeait par les indications gravées en vert. Méfiant, le trentenaire se fondit dans le décor, prêt à dégainer son arme à la moindre occasion. Les réflexes guidaient entièrement son être, qu'il s'agisse de sa position ou de chacun de ses gestes.
Un bruit faible troubla le silence du long couloir. Des salles numérotées et qui devaient servir aux diverses expériences s'offraient à la vue de Levi qui tira le talkie-walkie dans sa main avant de murmurer, conscience de se trouver en territoire ennemi :
—Erwin ?
—Levi. Donne-moi ta position !
L'interpellé ne tenta même pas de contredire son supérieur. Il avait besoin des ordres de celui-ci comme un soutien presque infaillible. Son immense fierté l'empêchait de l'avouer mais l'aide du commissaire lui serait quasi indispensable dans le sauvetage d'Eren.
—Le laboratoire, je suis entré par la porte de secours. Personne en vu, la voie est libre.
Un crépitement indistinct parvint aux oreilles de Levi qui retint une grimace. Dos au mur, il restait sur ses gardes malgré son immobilité. Le danger pouvait surgir de partir et il le savait que trop bien.
—Tes ordres, Erwin ?
Un soupir bien audible se fit entendre. Le lieutenant avait conscience de son erreur mais les reproches attendraient. L'heure actuelle ne s'y prêtait pas et le plus âge ne pouvait le nier.
—Il m'a appelé. Aucun moyen de le faire renoncer, il veut lâcher Eren et faire le plus de victimes possible. Tch !
—Bien. Essaie de t'approcher le plus possible de l'endroit où il se trouve. N'agis pas sans mes ordres, c'est clair ?
—Entendu.
—Tiens-moi au courant.
L'adulte avait conscience du trouble de son supérieur ainsi que de son courroux. La situation leur était étrangère, autant à l'un qu'à l'autre et leurs paroles comme leurs actes paraissaient démesurées. Un aperçu de leur personnalité dont il ne doutait même l'existence. Ce que le plus grand des dangers éveillait chez chacun d'eux. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Levi Ackerman avait peur.
—Ouais.
Il garda l'objet bien serré dans sa paume, comme le crosse d'une arme avant que le meurtre ne soit commis. Une lueur miroitait dans son regard, tel un reflet dans un miroir. Le reflet d'Eren. Le reflet de la relation inqualifiable qu'ils avaient mené sans qu'ils ne le sachent. Le reflet de ce garçon innocent et dont le sang allait être versé.
Il se redressa lentement, à la manière d'un automate vieilli par le temps. Il jeta un regard au couloir qui lui offrait une perspective parfaite. Ainsi qu'un champ de tirs rêvé pour un quelconque ennemi. Il avança à pas compté, l'arme tendue devant lui et l'index sur la détente. Le soldat ne laisserait rien lui échapper, les mains crispés sur les événements qu'il était loin de maîtriser en réalité.
Le silence le fit frémir. Etait-ce réellement une faille qui se lisait sur son visage impassible ? Ou simplement l'illusion de la vérité ? Comment s'en montrer sûr alors que tout s'écroulait ? Jamais l'implication de l'homme n'avait été aussi unanime. Il pouvait sentir ses entrailles se tordre alors que son rythme cardiaque s'emballait sans jamais faiblir. Les actes et les pensées se mêlaient jusqu'à ne former qu'un amas immonde et pullulant.
Le policier bifurqua et une silhouette se dressa face à lui, à quelques mètres seulement. Le choc l'immobilisa alors qu'il prenait douloureusement conscience de l'être qui lui tournait le dos. Le tremblement de ses épaules mettait en péril l'équilibre de tout le corps du garçon. Levi balbutia, alors que les ordres d'Erwin s'envolaient tout aussi vite :
—Eren ?
L'interpellé ne se retourna pas immédiatement, comme si l'évocation de son propre nom ne suffisait pas à le tirer de sa rêverie. Face à une vitre éventrée, il observait l'extérieur derrière l'épaisse couche de poussière qui couvrait le verre tranchant. Son ainé capta son regard à travers le reflet, déglutissant péniblement. Malgré tous ses efforts pour demeurer imperturbable, le résultat demeurait bien piètre.
—Gamin ? Eren, réponds-moi !
Levi ne s'approcha pas davantage, conservant une distance ridicule entre leurs deux êtres. Le plus jeune ne réagit toujours pas, à peine tiqua-t-il lorsque l'autre haussa la voix, échaudé par cet étrange mutisme :
—Qu'est-ce que tu fais là ? Et Reiss, il est où ? Putain, réponds-moi Eren ! C'est pas le moment de jouer les précieux.
Le trentenaire faillit esquisser le moindre mouvement, prêt à détruire l'espace qui les séparait encore. Seule son éternelle méfiance le cloua sur place, elle lui avait sauvé la vie à de trop nombreuses reprises pour que le policier ne se risque à prêter oreille à ses émotions. Ces traitresses d'émotions !
Il activa mécaniquement son talkie-walkie, délaissant un court instant son arme. Il articula, très rapidement, la bouche pressée contre l'appareil qui enregistrait ses dires :
—Erwin, je ... j'ai retrouvé Eren. Il est devant moi. Pas de trace de Reiss, il est seul.
Eren se retourna lentement, comme si chaque mouvement attirait une douleur insoutenable en son sein. Son homologue ne le quitta des yeux qu'un seul instant, juste le temps d'aviser la situation autour de lui. Une unique porte se tenait à sa gauche, close elle aussi. Aucune issue possible, aucune chance de s'en sortir au cas où les choses tournaient mal. Ainsi, tout semblait irréel. Comme une mascarade macabre dont Rhodes retenait les ficelles, là, dans l'ombre.
—Eren, qu'est-ce qu'il se passe putain ?
Levi rencontra le regard de son amant et il y lut un trouble sans limite. Une lueur animale qui brillait tout au fond de ses orbes vertes, au-delà de la peur, de la souffrance et de l'amour. De l'amour ? Le policier n'eut pas le loisir de se pencher sur la question, hypnotisé par la bestialité des prunelles voisines.
—Eren ?
—Levi ? Levi, que se passe-t-il ? vomit la voix dans l'appareil toujours allumé, dans un concert de bruits inintelligibles.
Incapable d'apporter une réponse correcte, le susnommé fit un pas en direction de son cadet, masquant l'arme contre son côté droit alors que son autre main se tendait en direction de son interlocuteur. Ce dernier prononça alors, avant d'abandonner toute forme de lutte :
—Je suis désolé, Levi.
Des retrouvailles tendus.
Eren n'est plus véritablement lui-même et cela n'annonce rien de bon pour la suite. L'expérience ayant montrée qu'il était complètement incontrôlable, je peux vous dire que la situation craint.
Des bisous ~
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top