38. Contre coup

 Eren se tira des limbes du sommeil le premier. Les paupières lourdes et l'esprit embrumé, il semblait avoir dormi plusieurs jours. Le décor s'imposa à lui avec difficulté, se superposant sous sa rétine comme l'évidence retardée.

Il ressentit ensuite la douleur, celle de son corps meurtri. Elle s'éveilla d'abord diffusément avant de se faire plus vivace, plus certaine. Un pauvre gémissement passa le seuil de ses lèvres alors qu'il fermait les yeux un court moment. Ce geste lui permit de réacquérir quelques faibles souvenirs que Morphée lui avait dérobés. Un choc qu'il ne put encaisser.

Le garçon se redressa sèchement sans égard pour ses blessures. Ce mouvement lui arracha une plainte qui n'avait rien en commun avec la souffrance mentale. Qu'avait-il fait ?

—Eren ?

La voix rendue rauque par le sommeil, Levi avait les yeux petits de sommeil et l'attention moins vive qu'à l'ordinaire.

—L-Levi.

Le nom prononcé sonna comme une supplique, une litanie qu'Eren aurait pu répéter sans jamais s'en lasser. Quelques syllabes qui roulaient dans sa bouche, épousaient ses lèvres pour finalement emplir majestueusement l'air. Le regard effaré du plus jeune accrocha le corps à demi-dénudé du lieutenant. Les stigmates d'un combat qui lui revenait subitement à l'esprit, à la fois vague et atrocement réaliste.

—Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'enquit-il, incertain.

Le brun espérait encore bêtement que son cerveau lui joue des tours. Que les images de sa dernière crise n'étaient que le fruit d'une imagination trop active. Une part de lui n'y croyait plus, totalement résigner face à cette violence et à ce chaos. Tout semblait prêt à s'écrouler, tel un château de cartes emporté par une bourrasque trop violente. Un château de sable envahit par la marée montante. Que pouvait-il encore espérer ?

—Crois-moi, tu ne veux pas l'entendre, énonça Levi, très lentement.

—Levi, dis-moi ce que j'ai fait !

—Tu n'as aucun souvenir ? renchérit l'homme, toujours assis sur le matelas.

Eren reculait sur le lit avant de passer les jambes du côté opposé. Il passa sa main dans sa tignasse emmêlée, faisant taire la migraine qui menaçait déjà. Il craignait la vérité, celle que le monstre avait façonnée de ses mains et qui ne manquerait pas de le détruire.

—C'est confus. J'ai besoin d'entendre ce qu'il s'est passé de ta bouche.

Levi se surprit à souhaiter lui mentir, à détourner les faits véritables afin de préserver son amant. Les risquent qu'il prenait étaient considérables et un regard à son portable lui confirma qu'Erwin avait déjà tenté de le contacter à plusieurs reprises. De même que Petra dont les appels se chiffraient en dizaines. L'urgence se déterminait face à lui, s'offrait à son regard comme une concrétisation de ses pires craintes. La décision avait été prise et revenir sur ses pas n'était pas envisageable.

—Tu as attaqué une infirmière, Christa Reiss et un autre infirmier. Il est certainement mort à l'heure qu'il est. Je suis arrivé avant que tu ne t'en prennes à Hanji. La femme de la dernière fois était là. Je l'ai tuée.

Les faits exposés ainsi heurtèrent violemment Eren qui accusa péniblement le choc. Le lieutenant annonçait seulement ce qu'il connaissait, ce dont il avait été témoin, sans apitoiement ou émotions générales.

—N-Non ... Mais ... comment ?

—On t'a piégé, Eren, reprit Levi, plus doucement.

Ce dernier se leva sur ces quelques paroles. Si son cadet pouvait se plaindre d'un certain traumatisme, lui se trouvait en pleine réflexion. Il n'avait pourtant pas d'autres choix que d'expliquer clairement l'état des choses au garçon.

—Explique-moi, avança Eren, la voix chevrotante.

—Je pense que celui qui t'a fait ça s'appelle Rhodes Reiss.

Le policier s'octroya un instant, le temps d'observer la réaction de son homologue. Les traits effarés de celui-ci n'accusèrent aucune forme de changement. Le plus âgé inspira donc une grande bouffée d'oxygène, impassible malgré le trouble qui le secouait :

—Christa est sa fille et il s'est certainement servi d'elle pour te retrouver. Il veut à tout prix te retrouver, Eren.

—Je ne sais qui il est ... murmura le susnommé

—Un ancien chimiste. Son laboratoire a exposé et il a disparu juste après. Les dates coïncident avec ton arrestation.

—Pourquoi moi ?

Levi effectuait des allers et venus devant le lit, incapable de rester immobile un instant de plus. Les interrogations successives de son amant l'empêchaient de porter à réflexion ses propres angoisses. Il comprenait pourtant celles qui animaient le brun et y répondait au mieux, brièvement et avec un certain recul.

—C'est la pièce manquante. Lorsque nous saurons ça, nous pourrons m'être la main sur ce batard !

Soudain, le téléphone de l'adulte émit un bruit strident tout en vibrant sur la surface dure de la table de nuit. Il jeta un coup d'œil à l'écran, y lisant sans surprise le nom d'Erwin. Les secondes s'écoulèrent sans que l'homme n'esquisse le moindre mouvement, son regard accrochant par maladresse celui d'Eren. Ce dernier demanda, le cœur au bord des lèvres :

—Tu ne réponds pas ?

—Non.

Se pinçant les lèvres, Levi comprit qu'il ne s'en tirait pas aussi facilement cette fois-ci. Un regard méprisant et un mensonge ne seraient pas suffisants pour tromper le blessé qui se tenait pendu à ses lèvres. Son ainé cherchait soigneusement ses mots, immobile au beau milieu de l'appartement :

—Je t'ai sorti de l'hôpital inconscient. Je ne sais pas si Hanji a prévenu Erwin ou pas et je ne peux pas lui dire que tu es ici.

Les yeux émeraude de l'intéressé se voilèrent tandis qu'il tentait de faire le lien entre les informations. Son vis-à-vis et lui s'étaient visiblement battus et les déboires de son corps confirmaient cette hypothèse. Chaque mouvement lui arrachait une souffrance aiguë alors que son cerveau fonctionnait à plein régime.

—Tu as tué quelqu'un et si quelqu'un d'autre était venu à ma place, il t'aurait arrêté. Tu serais derrière les barreaux et je ne suis pas certain que l'arrestation du responsable y change grand-chose. La situation est instable, Eren et on risque gros tous les deux.

—Si j'ai tué quelqu'un, je le mérite, non ?

Levi sourcilla face à ces quelques paroles. Il darda son regard gris sur celui de son amant, épinglant un trouble entier et d'énormes attentes. Une lueur de déception peut-être aussi, un doute au milieu de toutes les convictions pouvant animer un homme.

—J'ai enfermé beaucoup de personnes, gamin et j'en ai tué presque autant. Parmi toutes ces ordures, tu es le seul qui ne le mérite pas !

Eren déglutit péniblement. Incapable de se lever, il observa par réflexe ses mains meurtris, images parfaites de l'état pitoyable de son corps. Les questions se bousculaient à ses lèvres, tout comme les larmes qui piquaient ses yeux. Un sanglot étouffé lui échappa sans qu'il ne soit capable de pleurer. Ses épaules tremblèrent tandis qu'il respirait profondément. Il reprit un semblant de calme, l'illusion d'une contenance qu'il avait abandonnée depuis bien longtemps.

—Je ne me souviens pas de tout ... J'ai peur que ça recommence et que je fasse du mal à quelqu'un d'autre. J'avais peur de la prison aussi, mais c'est peut-être la meilleure solution.

—Pour le moment, il n'y a pas de solutions et agir sans réfléchir n'aidera personne !

Un court silence accueillit cette bravade. Levi toisait son cadet avec une froideur qu'il était loin de ressentir. Le cœur battant, le plus jeune reprit, incertain :

—Pourquoi m'avez-vous ramené ici ?

—C'est le seul endroit où tu peux être en sécurité, rétorqua fermement l'adulte.

Ce n'était pas exactement la réponse recherchait et l'interrogation touchait davantage à un autre sujet. Pourquoi le lieutenant prenait-il autant de risques pour un simple amant ? Pourquoi ne l'avait-il pas seulement abandonné puisque l'indifférence semblait le motiver ? Pourquoi l'avait-il sauvé au juste ? Eren ravala chacune de ses questions avant qu'elles ne franchissent le seuil de ses lèvres. Impuissant, il choisit de ne pas insister.

—Je dois aller au commissariat et je ne dirai rien à Erwin. On doit boucler cette affaire le plus rapidement possible, on avisera après. Reste ici, il y a ce qu'il faut dans la salle de bain pour tes bleus et à manger à la cuisine.

Il griffonna à la hâte un numéro de téléphone sur un morceau de papier sous le regard inquiet d'Eren. Tout allait bien trop vite à ses yeux, tout se bousculait sans qu'il ne parvienne à en saisir le sens. Il avait besoin de temps, de réflexion, de solitude. Seule la présence de Levi semblait lui apporter un semblant de réconfort.

—C'est mon numéro, s'il y a un problème, tu m'appelles. Je reviens dès que je peux.

Le policier s'élança vers la porte sans rien ajouter de plus. Les courbatures de son corps ne lui empêchaient pas une grande liberté de mouvement. La douleur s'estompait face au devoir.

—Levi ?

L'usage d'une forme plus poussée de politesse échappa entièrement à Eren qui se tenait toujours sur le matelas. Les traits tirés et le visage creusé, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Son ainé se fit la réflexion brièvement, au milieu de tant d'autres bien moins innocentes. Le cours de ses pensées se perdait au profit d'un désordre qu'il haïssait déjà.

—Ouais ?

—Merci.

Et Levi passa le pas de la porte, accusant seulement un dernier regard pour son homologue. Le cœur étonnamment plus léger, il prit le chemin du commissariat. 


L'étau se resserre tout doucement !

Même si Eren est bel et bien vivant, la situation reste critique. Il a tué un homme, et ses petits soucis de contrôle ne sont pas une excuse, malheureusement. 

Le prochain chapitre se nomme "remontrances", Levi se rend au commissariat où l'attend Erwin. Quelques explications s'imposent !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top