22. Prévisions contrariantes

Erwin pénétra dans son bureau et s'installa de l'autre côté du bureau. Son visage impénétrable ne laissait rien présager de ce qui allait suivre et son regard bleuté scrutait chaque réaction de son homologue.

Levi se tenait bien droit sur son siège, attentif et réactif. Il y avait en lui cette attitude défensive qu'il avait appris à quitter en présence de son supérieur. La menace qui pesait sur lui, à la fois lourde et légère, l'empêchait de paraître moins tendu. Le commissaire nota son attitude sans toutefois en faire la remarque.

—La nuit s'est bien passée ?

Le lieutenant se retint de grimacer, pensant immédiatement à une question piège. Cela aurait été possible, l'intelligence remarquable d'Erwin ne cesserait jamais de l'étonner. Il fit son possible pour garder un ton détaché et professionnel :

—Sans accroc, le gamin n'a pas bougé de sa cellule.

—Eren, corrigea le plus âgé, presque automatique.

—Eren, répéta Levi, le nom mordant sa bouche et accrocha ses lèvres.

Un sourire en coin se forma au coin des lèvres du commissaire et son cadet déglutit. Se pouvait-il que son supérieur soit déjà au courant ?

—Bien, approuva-t-il, le menton soutenu par ses grandes mains jointes.

—C'était tout ce que vous vouliez me demander, commissaire ?

L'empressement du plus jeune n'était pas forcément de toute discrétion et le policier oublia même de s'en vouloir. Erwin se délectait de cette volonté qu'il amputa littéralement, usant du temps pourtant imparti dont il disposait.

—Non, ce n'est pas tout, finit-il par prononcer.

Levi s'installa plus confortablement sur la chaise, arborant une mine presque insolente. Un mélange d'ennui et de provocation, une expression dont son ainé ne se souvenait plus. Il y avait longtemps que le plus petit avait cessé d'être ce jeune homme arrogant et cynique.

—Qu'est-ce que je peux avoir à te dire, Levi, à ton avis ?

Le lieutenant haussa un sourcil interrogatif, intrigué et pas franchement coopératif.

—Au mieux, me dire que tu as trouvé une solution pour le gam- ... pour Eren. Au pire, que tu n'as trouvé aucune et qu'on va devoir le relâcher dans la nature.

Erwin opina lentement, se redressant sur son siège. Il semblait songeur soudainement, comme s'il venait tout juste de reprendre ce sérieux implacable qui le caractérisait.

—J'ai parlé à Hanji et elle n'a aucune solution pour lui. On ne peut plus le réintégré à l'hôpital sans raison et sa seule idée se trouve en la maison de repos.

—L'hôpital psychiatrique ?! s'enquit Levi, tiré de sa léthargie et totalement contre cette perspective.

—Oui.

Le plus jeune secoua négativement la tête, les lèvres pincées. Comment cette folle pouvait-elle avoir ce genre d'idées ? Il en venait à remettre en question l'intelligence présumée du médecin.

—Il n'en est pas question, Levi, on ne peut pas le mettre là-bas.

—Même pour la sécurité des civils ?

L'interrogation du lieutenant sonnait amère, pleine de non-dits. Erwin, pour préserver des vies humaines, était prêt à bon nombre de sacrifices. Couvrir ses mains de sang en se débarrassant d'un nuisible n'était rien à ses yeux tant qu'il protégeait par ce geste des innocents. Une vision discutée à laquelle son cadet n'adhérait jamais entièrement.

—Oui, même pour leur sécurité. Il existe des solutions mais celle-là n'est pas la bonne.

Le trentenaire acquiesça, satisfait malgré lui du choix de son supérieur. Il s'enquit, moins détaché qu'il ne l'aurait souhaité :

—Qu'est-ce que tu veux dire à Eren ?

—Lui expliquer ma vision des choses. Je n'ai pas eu le temps de lui parler et je pense que ça s'impose.

—Fais attention à ce que tu dis, il est dangereux.

—Je sais.

Levi savait que la situation pouvait rapidement lui échapper en présence d'Eren. Derrière sa peur se cachait la plus terrible des blessures, celle de l'âme prêt à se transformer en haine et en violence à la moindre occasion.

—Il repassera au commissariat tous les soirs et je vais lui demander de rester loin du centre ville. Hanji passera aussi à l'occasion pour vérifier son état de santé, en tout anonymat évidemment.

—Le type qui lui a fait ça risque de lui retomber dessus ... éructa le policier, en toute simplicité.

—Je vais lui placer un capteur. Ca nous permettra de l'identifié s'il ne se présente pas au rendez-vous journalier.

Le lieutenant hocha la tête et darda son regard acier à l'intérieur de celui, bien moins acéré mais tout aussi vif, de son ainé. Ce dernier soupira légèrement et se pinça l'arrête du nez.

—Je t'ai préparé les dossiers sur lesquels tu travailleras, annonça-t-il. Ils sont sur ton bureau et Petra t'assistera.

—Tu veux abandonner celui du gam- ... d'Eren ?

—Non, mais je veux que tu t'y consacres de manière plus raisonnée. Il y a d'autres dossiers en attente.

Levi se mordit cruellement l'intérieure de la bouche. Erwin essaierait-il à nouveau de l'éloigner de l'affaire ? Cette perspective l'agaça quelque peu mais il masqua ce sentiment amer et n'en montra rien. Il resta parfaitement impassible, d'apparence intouchable.

—Il est temps qu'il sache.

Le trentenaire sourcilla, attendant que son supérieur poursuivre. Voyant que ce dernier n'en avait aucunement l'intention, le policier l'encouragea à sa manière :

—Quoi ?

—Dis-lui ce que l'on sait. Ses blessures ne sont pas naturelles, on les lui a faites. Tu penses tout comme moi que l'on a testé des produits sur lui.

—Et cette personne a réussi, siffla le plus petit, entre ses dents.

—C'est le fruit d'expérience, ça ne fait aucun doute. Personne d'autre ne le sait mais il doit être au courant. Ca éveillera peut-être en lui de nouveaux souvenirs.

—Ou alors une nouvelle crise, répliqua amèrement Levi.

Ce dernier savait ce qu'il risquait de se produire et la violence du garçon dès qu'il perdait le contrôle. Une force titanesque selon ses propres dires. Erwin haussa les épaules, exposant sa vision à son vis-à-vis d'un air presque détaché :

—C'est un risque à prendre.

L'autre se retint de lui hurler que le danger était bien trop grand pour être ainsi considéré. L'accès soudain de rage mourut en son for intérieur.

—Bien, je le ferai.

—Assure-toi d'être seul avec lui et ne parle pas de moi, je veux qu'il pense que l'initiative vient uniquement de toi.

Levi se plongea dans l'étendue azurée et calme du regard de son ainé, y cherchant le sens de ses précédentes paroles. Rien de satisfaisant s'offrit à lui et il fut forcé de demander, à contre cœur :

—Pourquoi ça ?

—Eren Jaeger va avoir besoin de soutien, de quelqu'un en qui se retrouver, en qui s'accrocher. C'est à peine un adulte et son comportement s'apparente davantage à celui d'un enfant. Il va avoir besoin de quelqu'un, ça ne fait aucun doute. Ce quelqu'un, ça sera toi, Levi.

—Quoi ? C'est hors de question, Erwin ! J'ai pas que ça à foutre que de me mettre un gamin paumé dans la poche pour X raison ! protesta le plus jeune, contrarié et ne mâchant pas ses mots.

Un sourire échauda les lèvres du susnommé qui croisa les bras, toujours tranquillement assis sur son siège. L'autre soupira devant la détermination présumée de son ainé.

—Je ferai ce que tu me demandes, mais ne compte pas sur moi pour le reste. Petra est plus douée que moi pour le materner et le babysitting c'est toujours pas mon délire.

Levi se leva brutalement, faisant grincer la chaise sur le sol. Il hocha la tête en guise de salutation et tourna les talons. Il ne remarqua pas le rictus qui fendit le visage grave du commissaire ou son étrange satisfaction. 


Erwin est de retour !

Une conversation plutôt animée entre les deux policiers. J'essaie de respecter les caractères (ou plutôt, ce que j'estime comprendre d'eux) au maximum :3

Le prochain chapitre, "Question de contrôle", s'axe sur l'après conversation entre Eren et Erwin avec, en bonus, de l'action !

Des bisous <3

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