21. Refus de réfléchir


Levi accueillit chaudement l'aube tout en la regrettant aussi, amèrement. La fatigue alourdissait ses sens et les heures précédentes s'étaient révélées plus chargées qu'il ne les aurait présagés.

Il se servit un café directement à la machine, non sans noter la lenteur de cette dernière et le goût acre du liquide fumant. Erwin le dépassa sans faire la moindre allusion sur sa présence, visiblement affairé à d'autres préoccupations.

Le temps imparti était presque écoulé et il serait bientôt l'heure de laisser partir Eren. Cette pensée effleura le lieutenant et il la rejeta immédiatement, par pur réflexe. Il attendait ce moment autant qu'il le redoutait. Conscience professionnelle et conscience humaine. Après ce qu'il s'était produit, Levi ne souhaitait simplement plus croiser la route du brun. Une attitude presque pathétique mais légitime aux yeux du policier. Le plus jeune avait entrevu une part de lui-même qu'il préférait cacher, une part cruelle de sentiments. Cet accès soudain d''empathie représentait un danger réel à ses yeux.

Le trentenaire observait les nuances pâles colorant le ciel à travers la fenêtre du commissariat. Une angoisse sourde lui tenant le ventre, il attendait péniblement l'arrivée de Petra. Celle-ci était chargée de mettre fin à la garde à vue.

Totalement absorbé par sa contemplation, il ne put échapper aux souvenirs qui le frappèrent. Des images d'une étonnante intensité se superposèrent sur celles qu'il apercevait actuellement. Le présent s'effaçait et le passé reprenait ses droits pourtant interdits. Tout cela emprisonna Levi qui fut témoin de ses propres actions.

Des lèvres se pressent doucement contre les tiennes et tu fermes les yeux.

Pourquoi ?

Pour ne pas faire face à la réalité, pour ne pas faire face à l'erreur que tu commets en ce même instant. Tu ne souhaites rien de plus que profiter de ce baiser volé, de ce contact maladroit et regrettable. Ta conscience t'en empêche et tu la combats afin de t'octroyer ce privilège.

Lequel ? Quel privilège exactement ?

Celui d'embrasser ce garçon. Il s'agit d'une faute grave de ta part, une erreur impardonnable pour un policier de ta trempe. Tes résolutions ne t'atteignent plus et c'est toi-même qui les éloigne, par simple caprice. C'est impensable à tes yeux mais c'est la réalité. Toute notion de professionnalisme s'éteint, t'échappe.

Tu l'embrasses et souhaites oublier son identité. Tu préférais penser que ton homologue n'est rien de plus qu'un inconnu. Oui, un inconnu dont tu ignorais tout et dont tu te jouerais, comme le pire des connards !

Mais ce n'est pas un anonyme, n'est-ce pas ?

Non, ce n'est rien de cela. Il s'agit d'Eren Jaeger, la victime d'une affaire des plus sombres et dont tu ignores encore toute l'ampleur. Une enquête qui t'obsède de part sa complexité et son fruit se trouvait là, juste contre tes lèvres.

Rien que professionnel alors ?

Non, encore une fois. Tu préférais oublier ton rôle, ton poste. Le lieutenant Levi Ackerman se meurt sous ce faible contact. Il se laisse couler sous cette apaisante caresse.

Alors ça signifie quelque chose ?

Non, évidemment que non ! Rien n'a d'importance pour toi et l'ignorer serait une cruelle erreur. Tu ne fais que profiter de ce qui t'es gentiment offert. Les seules limites sont celles imposées par ton esprit perfectionniste qui refuse cet ultime plaisir. C'est d'ailleurs lui qui t'impose le raisonnement alors que tu t'écartes de la chaleur d'Eren. Ce dernier cligne plusieurs fois des paupières, comme s'il peinait à se reconnecter à la réalité. Ce serait mentir que de prétendre que ce n'est pas ton cas.

—Monsieur, je ...

Tu le repousses avec brutalité, te retenant de peu de lui asséner un coup magistral. Un tel acte relèverait de l'hypocrisie et tu ne t'y risquerais pas ! La tristesse et la gêne se couplent sur le visage enfantin du plus jeune. Il semble réellement perdu et une rougeur s'installe sur ses deux joues.

Tu te relèves sans égard à son trouble, n'écoutant que le tien qui menace de grossir encore. La froideur dont tu fais usage n'a rien de factice mais elle est davantage dirigée vers toi-même. Tu toises Eren qui regarde autour de lui, égaré. Tu t'élances vers la sortie mais t'arrêtes malgré tout avant de franchir le seuil. Tu te retournes et dardes ton regard dans celui, émeraude, du prisonnier :

—Tache de ne pas causer d'ennuis jusqu'à demain. Evite aussi de crever de froid ou de connerie avant mon retour, j'ai pas besoin d'un mort sur les bras.

La méchanceté de tes propos t'arracherait presque une once de culpabilité.

Presque !

Sous les yeux effarés du plus jeune, tu sors de la petite cellule et places le plus de distance possible entre ce lieu confiné et impropre. Entre Eren et toi !

Le présent intègre à nouveau l'esprit de Levi, chassant les derniers effluves de souvenirs. Le soulagement naît au creux de ses entrailles alors qu'il se hait pour ce qu'il s'était produit la veille. Une main soutient son corps contre la vitre tandis qu'il peine à reprendre ses esprits. Le choc et les émotions qui déferlèrent sur son être le marquèrent d'une expression presque douloureuse. Cela ne dure qu'une seconde puisque qu'il se reprit l'instant d'après.

Levi se fit violence afin de se ressaisir, décidant subitement de devancer l'arrivée de Petra. Qui sait ce que le gamin allait dire en le voyant ? Il était inconcevable qu'il lâche une remarque concernant le baiser d'hier !

Le lieutenant revint sur ses pas, traversant rapidement le couloir et dépassa le bureau de son supérieur. Il n'y prêta aucune attention et arriva devant la cellule d'Eren gardée par deux nouveaux policiers. Le trentenaire les toisa durement avant d'annoncer, avec toute l'importance pressentie :

—C'est l'heure.

S'ils furent étonnés, aucun ne le montra ou risqua la moindre remarque, bien plus dociles que leurs prédécesseurs. Ils s'écartèrent et le plus âgé déverrouilla l'issue dans un bruit de clé caractéristique. Levi put pénétrer dans la petite pièce, non sans noter l'état déplorable dans lequel elle se trouvait. Son cadet se tenait assis sur la couchette, visiblement épuisé. Ses paupières gonflées ne cachaient rien de ses pleurs et ses cheveux semblaient encore plus ébouriffés qu'à l'ordinaire.

Le lieutenant se retourna pour constater le départ des deux policiers avant de faire face à son homologue. Ce dernier le dévisagea sans comprendre, prêt à entamer une conversation déplaisante.

—Il est sept heures et demie, Petra va venir te chercher.

C'était simple, professionnel et sans bavure. Infiniment blessant aux yeux d'Eren qui attendait visiblement infiniment plus. Il secoua négativement la tête, d'un air désabusé.

—C'est comme s'il ne s'était rien passé alors ...

Une grimace manqua de se peindre sur el visage de Levi, il la ravala in extremis.

—Il ne s'est rien passé gamin. Rien qu'il ne mérite des explications ou des excuses.

—Vous m'avez embrassé ! glapit le brun, comme un cri du cœur.

—On s'est embrassé, gamin, nuance. Et alors ? Tu veux quoi ? Des explications, que je m'excuse ? Te fous pas de moi !

Eren se mordit furieusement les lèvres, l'épuisement jouait visiblement sur ses émotions et ses nerfs. Le trentenaire se tenait face à lui, impassible et intransigeant.

—Ecoute, gamin. Je te dois rien, ce ... baiser, tu peux le mettre sur le compte de ce qui te chante. On oublie ça tous les deux, tu piges ?

Le plus jeune semblait sur le point de s'énerver pour de bon, mais, sans l'aide de personne, il se calma. Un profond soupir ébranla sa silhouette et il répondit, sans réel conviction :

—Ouais, pigé.

Petra choisit cet instant pour pénétrer dans la petite pièce, étonnée d'y trouver son supérieur en compagnie du prisonnier. Malgré l'heure matinale, elle était impeccablement apprêtée et toujours avec la même simplicité. Ses cheveux mi-longs effleuraient ses épaules à chaque pas et un léger sourire éblouissait son joli minois.

—Bonjour, lieutenant Levi. Bonjour Eren.

—Bonjour Petra, répondit Eren tandis que son ainé la salua d'un mouvement sec de la tête.

La brigadière intima gentiment au plus jeune de se lever avant de préciser, dans le plus grand calme :

—Tu vas pouvoir sortir, il est déjà l'heure.

Le brun opina et obtempéra sans faire d'histoire, le lieutenant sur ses talons. Ils quittèrent ensemble la cellule sans prononcer le moindre mot et traversèrent le long couloir dans ce même silence. Arrivés à la hauteur du bureau du commissaire, Levi ralentit le pas et il ne mima même pas la surprise lorsqu'Erwin en sortit. Sa silhouette large leur barra le passage et il s'adressa directement à son cadet, ignorant superbement les deux autres :

—Levi, je peux te parler un instant ?

—Oui, bien-sûr.

L'obéissance du trentenaire marquait un parallèle avec son détachement et sa froideur étudiés. Il entra le premier dans le bureau, sans accorder un regard à Eren ou à la jeune femme. La conversation qui allait suivre porterait certainement sur le prisonnier et son avenir, le lieutenant s'étonna presque que cela arrive si tard. Quel genre d'événement avait pu retarder cette entrevue ? Une part de lui redoutait aussi que le commissaire sache pour la nui précédente. Mais comment le pourrait-il ?

Il attendit l'arrivée de son supérieur dans la pièce mais ce dernier tarda quelque peu. Il put l'observer face à sa subalterne et le prisonnier sans qu'un mot ne soit échangé. Il s'impatienta rapidement jusqu'à ce qu'Erwin ne s'exclame :

—Petra, surveille-le en attendant, quitte à le remettre en cellule si besoin.

—Bien, commissaire.

L'homme ajouta à l'égard du brun, avec une grande fermeté et un rare sérieux :

—Eren Jaeger, j'aurais à te parler avant que tu ne puisses sortir. 


Un chapitre le dimanche, je suis en forme !

Un petit flash-back sympa dans l'emploi du temps chargé de ce cher Levi. Comme prévu, il n'est pas prêt à assumer véritablement ce qu'il s'est passé et ça ne fait pas franchement plaisir à Reren :3

Le prochain chapitre, "Prévisions contrariantes", réunira Levi et Erwin pour une discussion sérieuse par rapport à l'avenir de ce cher Ereren :p

A jeudi prochain ~


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