La réaction de Levi ne s'était pas fait attendre, d'une redoutable efficacité. Il avait abandonné le blessé à son sort ainsi qu'Hanji, après leur avoir accordé un dernier regard. Il fit taire la moindre trace d'émotions parasites avant même qu'elles ne l'atteignent. Ce genre d'événements insignifiants ne devait pas entraver son professionnalisme.

Après avoir quitté la pièce, il s'empressa de sortir son portable, son intention évidente perlant à ses lèvres. Il se trouvait dans un des multiples couloirs de l'hôpital, encore une fois déserts à cette heure de la journée. Après quelques sonneries, la voix d'Erwin s'éleva :

—Levi, il y a un problème ?

—Le gamin s'appelle Eren, trancha immédiatement le lieutenant, sans se répandre en futilités.

Un instant de silence signala au trentenaire que son supérieur absorbait l'information. Il réfléchissait certainement à la suite des événements, guidé par les responsabilités de son poste. Ce dernier s'enquit à nouveau, demeurant parfaitement calme :

—Tu as pu obtenir d'autres informations ?

—Rien de plus que son nom. Il vient juste de me le donner et ne sait rien d'autres. Il n'a plus aucun souvenir pour quoi que ce soit. Hanji pense que ça reviendra d'ici quelques jours.

—Oui, c'est sans doute dû à un choc ou au fait qu'il soit resté longtemps inconscient.

Levi opina gravement, c'était tout ce qu'ils pouvaient encore espérer. Le cas contraire serait certainement catastrophique pour l'enquête. Il passa sa main dans ses cheveux pour toute manifestation d'une tension omniprésente.

—Tu as quelque chose à ajouter. Il t'a semblé comment, étrange, perturbé, troublé ?

—Très perturbé, assez effrayé aussi, lâcha le trentenaire du bout des lèvres. Il semblait ailleurs.

C'était la réalité, il restait une curieuse impression de cette première entrevue. Quelque chose de froid et profond, de sombre et étrange. Comme un venin perfide qui circulerait dans l'être d'Eren, sans que ce dernier ne s'en doute réellement. C'en était effrayant !

—D'accord. Je vais mettre Petra sur les recherches. Il doit y avoir une disparition sous le nom du môme, même si elle date de plusieurs années. Remonter ses traces est certainement la solution la plus efficace.

—Tu penses à un enlèvement ?

—C'est le plus probable vu ses blessures et son état. Tu pensais à autre chose ?

Levi prit un instant pour réfléchir. Le fait d'avoir rencontré la victime influençait considérablement son jugement, ajoutait un poids supplémentaire à celui-ci. Pourtant, le résultat demeurait le même bien que les émotions encore vives le trahissent. Il inspira longuement, dans l'espoir de faire taire cet afflux incontrôlé et de se concentrer. Il répondit finalement, d'apparence très calme et sûr de lui :

—Tu as raison, la thèse de l'enlèvement est la plus logique. Il a l'air traumatisé, même pour moi.

—Tu me feras un rapport quand même, surtout s'il s'est passé des choses étranges. Vu le peu d'informations dont nous disposons, il vaut mieux ne rien négliger, surtout pas à ce stade.

Une démonstration claire de la sagesse de son supérieur, Levi ne pouvait qu'approuver. Ces paroles faisaient écho à ses pensées, sans qu'il ne prenne la peine de le faire savoir. La fatigue se lisait dans ses prunelles grises et dans la courbure de son corps contre le mur. Mêmes ses traits semblaient plus tirés qu'à l'ordinaire et des cernes ombraient son regard.

—Tu peux rentrer, on en a assez pour aujourd'hui et ...

Un cri retentit derrière le lieutenant, un son guttural et inhumain. L'instant d'après, la voix d'Hanji l'interpella :

—Levi !

Sans plus de cérémonie, le dénommé raccrocha et se précipita dans la pièce à côté. La panique audible du médecin avait suffi à faire réapparaître des réflexes encrés en lui. Ce qu'il vit derrière la porte le laissa interdit quelques instants : Eren tremblait violemment sur le matelas, son corps entier prit de convulsions. Ses yeux verts révulsés témoignaient d'une terreur et d'une rage sans égales.

La femme tentait vainement de le clouer au lit alors que Levi prenait la relève. La force dont le blessé faisait preuve était tout bonnement incroyable, son ainé peinait à le maintenir allongé.

—Tiens-le bien, je vais lui injecter un calmant.

Le trentenaire obéit, les muscles tendus à l'extrême sous l'effort. Il croisa le regard de son homologue et frémit. Ce n'était pas un être humain qu'il combattait mais bel et bien un animal régit par l'instinct et la violence. Un mélange douloureux de haine et de peur. Eren se débattait farouchement, tentant d'échapper à la poigne solide de l'autre, frappant parfois sans retenu la chair à portée de main. Le plus âgé n'eut pas le loisir d'en réfléchir davantage, encaissant sans un son ce déchaînement sans nom.

Ses mains agrippées aux bras de son vis-à-vis, toute sa force se voyait sollicitée, aussi improbable ce fait soit-il. Jamais le policier ne s'était vu confronté à pareille chose et cette pensée l'effleura. L'adrénaline coulait dans ses veines, endormant ses sens au profit d'un usage plus primitif. Il n'était plus question de penser mais de se battre, parce que le plus âgé savait pertinemment que le blessé ne s'arrêterait pas. C'était bien une folle envie de tuer qu'il lisait dans ses prunelles, l'appel de la Mort et du sang. Tout cela allié à une férocité sans précédent entre les mains d'un simple adolescent.

Des grognements inhumains s'échappaient des lèvres d'Eren alors qu'Hanji lui injectait le produit dans les veines. Le résultat ne se fit pas attendre et le corps du jeune garçon se détendit jusqu'à s'effondrer dans les bras de Levi. Son visage endormi reposait sur le torse trempé d'un effort aussi vif qu'intense de son ainé. Ce dernier l'allongea sur le matelas, d'apparence calme bien que sa respiration saccadé ne révèle le contraire. Il souffla, sans comprendre :

—Putain, mais il s'est passé quoi ?

Le médecin se rapprocha de son homologue masculin, tout aussi choquée que lui. Elle s'enquit, la piqure toujours en main :

—Ca va Levi, tu n'es pas blessé ?

Il recula d'un pas, absorbant douloureusement le choc. Dans son corps s'éveillait légère mais réelle au creux de son torse, vestige des coups et de la rage d'Eren. Ce dernier reposait maintenant sur le lit, une expression totalement neutre peinte sur son beau minois. C'était comme si rien ne s'était jamais produit. Comme si rien n'était venu perturber le calme apparent.

—Non, ça va et je t'ai posé une question la cinglée. Tu peux m'expliquer ce qu'il s'est passé avec ce gamin pour qu'il pète un plomb ?

—Je ne sais pas, avoua Hanji, j'allais partir et il a commencé à convulser. Il a essayé de se lever mais je l'ai retenu avant de t'appeler.

—C'est tout ? Y'a vraiment rien d'autre ? Tu ne lui as rien dit de particulier avant ça ?

—Non, je lui ai tourné le dos et voilà.

Levi prit une profonde inspiration, sans toutefois parvenir à réaliser l'ampleur de ce qu'il venait de s'abattre sur lui. Il passa une main dans ses cheveux, nerveusement. En cet instant, le lieutenant ne contrôlait plus rien, pas même son éternel masque d'impassibilité. Les émotions se lisaient clairement sur ses traits sans que rien ne vienne y mettre fin.

—C'était quoi encore cette merde ?

Le lieutenant recula d'un pas, son cœur tambourinant à ses oreilles jusqu'à faire naître une migraine. Tout c'était passé si vite qu'il n'en subsistait qu'un souvenir diffus, celui d'une rare animosité. Il tressaillit, l'adrénaline laissa place à une lassitude profonde.

—Je ne sais pas, souffla Hanji, visiblement sans voix elle aussi.

Levi accorda un regard à cette dernière avant de reporter son attention sur le jeune garçon. Que c'était-il vraiment produit ? Ils se voyaient dans l'incapacité de poser des mots sur les récents événements.

—Je vais prendre ses constantes, raisonna le médecin derrière ses lunettes, et aussi ...

—Vérifie les prélèvements, quitte à en refaire maintenant pour être sûr.

—Oui, je vais faire ça.

Cette conversation leur sembla bien décousue, sans que rien ne la porte. Il n'y avait ni entrain ni volonté, rien qu'un professionnalisme atroce en cette situation. Le lieutenant soupira lourdement, abasourdi par tout cela et par cette fatigue tenace. Un mouvement éveilla une vive douleur sur le torse et les cotes, il pouvait déjà imaginer des hématomes s'y former.

—Tu vas prévenir Erwin ?

—Oui, et j'aurais besoin de ton rapport papier avant la fin de la journée, répondit platement Levi.

Il était sur le point de quitter la pièce lorsque ses responsabilités le rattrapèrent, comme un brusque retour à la réalité. Un éclair balaya le trouble de son regard, pour toute certitude.

—Surveille-le et surtout, je ne veux pas qu'il soit mis au courant. Je me chargerais de lui parler demain.

Hanji pinça les lèvres, démontrant par ce geste sa désapprobation. Toutefois, le lieutenant savait ce qu'il faisait et il était préférable d'attendre les ordres pour agir. Eren représentait désormais une potentielle menace et la sous-estimer, une erreur de taille.

—Bien, je vais prévenir mes collègues. Ce n'est certainement pas une crise d'épilepsie qu'il vient de faire.

—Ne leur donne aucun détail, ça évitera la panique pendant un moment.

—Va pour la crise d'épilepsie, capitula la jeune femme.

Levi opina faiblement, étonné malgré tout par un accord aussi simple. Ce serait mentir au personnel soignant, mais ce genre de situation pouvait facilement dégénérer. Un scénario tout trouvé s'imposa au trentenaire, où l'enquête se voyait entravé par la peur des médecins et de la police elle-même.

—Je reviendrai demain et je lui expliquerai tout.

—N'oublie pas de le ménager.

—Putain Hanji, tu n'as aucune idée des dégâts que ce gamin aurait pu faire sans personne autour de lui pour l'arrêter. Alors ne me parle pas de le ménager ou de toutes les conneries du genre ! La rabroua violemment le lieutenant.

—Faut toujours prendre des pincettes avec les patients, surtout quand ils sont instables comme Eren, maugréa le médecin, pour la forme.

Levi se détourna, les nerfs à vif. La pression n'était pas encore retombée et se jouait de lui. Agacé, il reprit :

—Je te demande juste de ne pas lui parler de ça et d'éviter d'ameuter tes collègues sans raison. Je reviens demain et je verrai à ce moment-là avec le gamin !

Hanji opina sèchement, son regard s'hasarda sur la silhouette apaisée du blessé. La situation la dépassait elle-même, jusqu'à empiété sur sa gaieté naturelle.

Sans rien ajouter de plus, Levi quitta la pièce, avec la solide résolution de ne plus y remettre les pieds avant le lendemain. Il y avait pourtant encore tant de choses à faire d'ici là. La lassitude signait son grand retour alors qu'il tournait le dos à cette fameuse chambre et à l'hôpital tout entier. Dehors, le temps semblait avoir repris son cours, lui assénant un choc brutal. Le Soleil narguait ses sens alors que l'atmosphère les alourdissait considérablement.

Il s'arrêta un court instant juste devant le bâtiment qui lui faisait dos et jura :

—Tch, quelle merde !

Long chapitre en perspective !

La violence injustifiée d'Eren a de quoi étonner et même déstabiliser Levi, ce qui relève de l'exploit. Il prend d'ailleurs la menace au sérieux ...

Dans le chapitre suivant, "Acharnement personnel", il va mener ses recherches sur Eren. Ouais, c'est pas vraiment son job mais tant pis  :p

Des bisous ~