Chapitre 5 -Protocole expérimental

Abélianne revint difficilement à elle, l'esprit encore envahi des brumes de l'inconscience qui refusaient de s'estomper et continuaient à s'accrocher à elle. La jeune femme reconnaissait cette sensation de lourdeur, de pensées embrouillées, de bouche sèche et de fourmillements dans les extrémités.
Cela faisait des années qu'elle n'avait pas goûté les effets de la mélandrie, pas depuis qu'elle s'en était sevré auprès des Déchus,et les expérimenter à nouveau se révélait aussi délicieux qu'effrayant. Elle en avait été dépendante et elle ne souhaitait pas que cela recommence pourtant, le léger manque, tapis au fond d'elle comme un creux qu'elle avait appris à ignorer, était enfin satisfait, comblé.
Peu à peu, ses sens revinrent à la normale et son cerveau parvint à traiter les informations qu'ils lui adressaient, initialement tous anesthésiés par la mélandrie, comme si son esprit réintégrait son corps, d'une manière très différente de celle qu'elle rencontrait lorsqu'elle usait de ses pouvoirs.
La première chose qu'elle perçut fut la douleur à la naissance de sa nuque, qui irradia le long de sa colonne vertébrale. Les souvenirs de ce qui l'avait causée revinrent brutalement à sa mémoire parasitée par les effets de la mélandrie, la blessure de Lysange, son retour à Sémoth, ses supplications auprès de ses parents, leur nouvelle trahison et l'injection de mélandrie.
Paniquant à ces souvenirs, également inquiète pour ses compagnons enfermés quelque part dans la demeure familiale, la jeune femme voulut se redresser mais ses membres ne lui obéirent pas et, surtout, elle fut retenue par quelque chose de plus physiquement concret que l'effet d'une drogue stagnant dans ses veines.
Retombant plutôt lourdement, elle sentit le contact dur et rugueux,inconfortable, d'une table de bois contre son dos. Y être allongée s'avérait douloureux avec ses omoplates saillantes.
Un tintement métallique résonna dans son crâne lourd et encore embrumé.
Son esprit s'éclairant lentement, elle baissa les yeux sur ses poignets entravés, qui l'avaient empêchée de se redresser, et elle les découvrit attachés à la table par de larges sangles de cuir renforcées de chaînes, tout comme ses chevilles. Elle était solidement ligotée et ne pouvait pas se relever.
Cette situation lui évoquait bien trop ce qu'elle avait vécu durant des années enfermée dans le sanatorium pour qu'elle conserve le détachement courtois qu'elle adoptait habituellement et qu'on lui avait appris à toujours afficher. L'affolement la gagna alors même que la peur primaire inspirée par l'Ombre durant des années se réveillait.
S'agitant, elle tenta de se libérer, sans succès. Même si elle n'avait pas souffert de la lourde faiblesse pesante sur elle, elle n'aurait pas eu la force dans ses membres sveltes pour s'arracher à ses liens.
Ne gaspillant donc pas le peu d'énergie qu'il lui restait après son inconscience, elle ne lutta pas davantage contre les sangles et préféra se concentrer sur le reste de son environnement, espérant y trouver de quoi solutionner sa situation, au moins en partie.
Le manque de luminosité ne représentait pas un obstacle pour son regard nyctalope, elle constata qu'elle se trouvait visiblement toujours dans les sous-sols de la demeure de la famille De Rosamire à en juger par les murs de briques nues et le sol dallé. La pièce semblait plus large que longue et la table trônait en son centre. Le reste de l'ameublement l'entourait.
Il y avait une autre table couverte de toutes sortes d'instruments dont Abélianne ignorait la fonction exacte mais dont l'utilité semblait médicale, notamment des seringues. Des flacons se trouvaient à côté. Certains étaient étiquetés avec la mention ''teinture de mélandrie'', la même que celle qui circulait encore dans l'organisme d'Abélianne en la ralentissant mais d'autres ne présentaient aucune indication sur leur contenu : un liquide blanchâtre légèrement translucide aux reflets mouvants qui paraissaient presque former des visages, impression dont Abélianne se convainquit n'être due qu'à son état drogué.
En les observant, une étrange sensation d'oppression serra la poitrine de la jeune femme en rendant sa respiration laborieuse. Ce n'était pas la première fois qu'elle expérimentait ce malaise mais son esprit embrumé ne réussissait pas à faire remonter le souvenir des fois précédentes.
Un impressionnant haut fourneau de cuivre avec une forme d'alambic occupait un large coin, matériel qu'il était particulièrement surprenant de découvrir dans les sous-sols du palais du gouverneur de Sémoth. Pour l'instant éteint, il servait certainement à distiller quelque chose ou à extraire une substance spécifique d'une autre.
Des schémas anatomiques recouvraient une partie des murs mais ils ne représentaient pas le corps humain comme Abélianne avait pris l'habitude de le voir durant ses études. Les dessins de corps étaient parcourus de courants qui suivaient les veines sans pouvoir se confondre avec elles. Que ces schémas représentaient-ils ?
Se tournant comme elle le put malgré les sangles qui la retenaient, Abélianne tenta d'apercevoir l'autre côté de la pièce. Même sans le voir, elle sentait que quelque chose d'oppressant s'y trouvait.
A sa grande surprise, elle ne découvrit rien de particulier. Il n'y avait qu'une autre table, plus petite, sur laquelle était posé un coffret solidement fermé par un épais cadenas. Dans les conditions actuelles, Abélianne ne pouvait deviner son contenu mais il s'en échappait quelque chose qui alimentait sa pénible sensation de malaise. Plus elle l'observait, plus son cœur s'affolait dans sa poitrine qui, elle, semblait rétrécir, empêchant suffisamment d'oxygène d'arriver à ses poumons. Si elle n'avait pas déjà été allongée, elle aurait probablement défailli.
Pour son propre bien, elle préféra s'en détourner et se retrouva à fixer le plafond sans savoir que faire. Son examen des liens ne lui avait pas permis de repérer quelque chose de susceptible de l'aider dans sa situation. Elle n'avait aucun moyen de desserrer les sangles qui la retenaient et n'entrevoyait aucune solution. En général, elle comptait sur ses réflexions pour l'aider, ayant toujours eu l'esprit plutôt aiguisé, mais, actuellement, il était encore envahi de quelques brumes de mélandrie. Dans ces conditions, elle ne voyait pas ce qu'elle pouvait faire d'autre qu d'espérer que ses compagnons viennent lui porter secours prochainement mais, d'après ses souvenirs, eux-mêmes étaient détenus.
Allongée sur cette table, Abélianne ignorait donc si elle devait attendre en se fiant à ses camarades ou si elle devait se résigner à ne compter que sur elle-même.
Pour commencer, il fallait absolument qu'elle comprenne où elle se trouvait et ce qu'il se passait.
Il lui semblait bien qu'elle était toujours dans les sous-sols de la demeure de son enfance, où ses parents les avaient conduits, mais tout le matériel qu'elle voyait autour d'elle paraissait démentir cette possibilité. La pièce possédait des allures de laboratoire et Abélianne savait que le palais n'avait jamais comporté un tel endroit. De toute manière, quelle utilité ses parents auraient-ils pu avoir d'une pièce de ce genre ?
La ressemblance avec le laboratoire du sanatorium, qu'elle avait visité à quelques rapides reprises, et où on avait pratiqué des expériences effrayantes sur les patients de l'établissement la frappa soudainement et la peur monta brutalement en elle en se conjuguant à son malaise initial. Ses parents pensaient-ils toujours qu'elle souffrait d'une quelconque aliénation mentale qu'ils comptaient soigner avec des méthodes dont elle préférait ne pas songer aux séquelles pour elle.
Cette hypothèse la terrifiant, Abélianne s'agita à nouveau encore plus furieusement, se moquant de se blesser avec les sangles. Si il y avait bien une chose qu'elle refusait catégoriquement et qui pouvait lui faire quitter sa réserve courtoise coutumière, c'était retomber sous le joug de ses parents.
Ses grognements d'effort désespéré et les tintements métalliques des chaînes résonnèrent entre les parois de pierre de son étrange cellule durant plusieurs minutes mais elle ne parvint toujours pas à se libérer, comme elle aurait dû s'y attendre, cependant, avec la panique, elle ne résonnait plus correctement.
Le raclement de la porte contre le sol de dalles interrompit sa lutte vaine alors qu'on poussait le lourd battant. Sa peur augmentant encore davantage en tambourinant sourdement dans son crâne, Abélianne se figea, un nœud dans la gorge et sa respiration s'affolant.
Ses parents entrèrent, ce qui ne fut nullement pour la rassurer, bien au contraire, accompagnés par un homme à la barbe parfaitement rasée qu'Abélianne identifia comme un guérisseur ou un savant quelconque dans le domaine de la médecine d'après le regard purement analytique qu'il posa sur elle. Le chef de la garde personnelle de la famille De Rosamire les escortait, tenant une lanterne qui éclairait leurs pas. Sans un mot, il en alluma d'autres se trouvant autour de la pièce, l'illuminant, puis il sortit en refermant soigneusement la porte derrière lui, et Abélianne devina qu'il se posta devant dans le couloir, l'enfermant encore plus sûrement.
Réprimant sa peur pour ne pas la leur montrer – avoir appris toute sa vie à ne rien manifester de ses émotions pouvait parfois se révéler avantageux – la jeune femme releva un regard empli de haine et de colère, sentiments toujours tapis au fond d'elle exacerbés par les souvenirs de son adolescence et du sanatorium qui lui revenaient évidemment depuis les dernières heures, sur ses parents.
N'appréciant que peu ce comportement rebelle et irrespectueux, Fannyba émit un claquement de langue désapprobateur alors que Hugues ne réagissait pas. D'un geste, il autorisa le médecin, impassible, à débuter, même si Abélianne ignorait ce qu'il était censé débuter.
Se postant à côté de la table, il se pencha sur la jeune femme,l'expression concentrée, et il saisit son bras de ses mains gantées en le palpant, comme pour l'examiner. D'un mouvement brusque, Abélianne chercha à se dégager mais elle fut retenue par les sangles.

« Vas-tu te tenir tranquille ? La somma Hugues.

- Que voulez-vous me faire ? Exigea de savoir Abélianne en bafouant toutes les règles de l'étiquette si chères à ses parents. Qu'est-ce que tout cela signifie ?

- Tout ceci est pour ton bien alors cesse cette attitude indocile ! Ordonna Fannyba.

- Pour mon bien ? Répéta Abélianne avec ironie. Si vous vous souciez réellement de mon bien, vous me demanderiez mon avis plutôt que de prendre les décisions sans me consulter ! Je ne suis pas un objet dont vous avez la liberté d'user selon votre bon vouloir !

- Silence ! Tonna Fannyba en décochant une gifle à sa fille.

- S'il vous plaît, ma dame, intervint le médecin, j'ai besoin que le sujet reste au maximum de son intégrité, je vous l'ai expliqué.

- Comptez-vous nous dire comment traiter notre fille ? Siffla Fannyba.

- Bien sûr que non, mes seigneurs, mais le protocole est expérimental et le véritable maître dans le domaine est Centhvint, j'ai seulement travailler à ses côtés. Je pense être en mesure de tenter l'expérimentation mais je crains que la moindre blessure ne risque d'entraîner des conséquences indésirables et imprévisibles.

- Très bien, nous vous laissons faire mais ne nous décevez pas. Accepta Hugues.

- Quel protocole ? Quelle expérience ? De quoi parlez-vous ? »

S'inquiéta Abélianne en s'efforçant toujours de s'arracher à ses liens sans plus de succès que précédemment mais personne ne lui apporta de réponse, la laissant s'affoler en élaborant des hypothèses angoissantes.
Sous le regard de ses parents, qui se postèrent en retrait, conformément à la demande du médecin, ce dernier poursuivit son examen en prenant quelques notes alors qu'il vérifiait dans les détails l'état de la jeune femme.
Ayant rapidement compris qu'elle n'obtiendrait aucune réponse ni aucun résultat en se débattant, Abélianne se tut et s'immobilisa, préférant réfléchir et économiser son énergie.
Lorsqu'il eut terminé, il alla se pencher sur le matériel rangé sur l'autre table. Tordant le cou, Abélianne le vit remplir une seringue à une fiole étiquetée ''teinture de mélandrie''. Le calme de la jeune femme devint difficile à maintenir pour elle. La première injection avait déjà risqué de probablement réveiller sa dépendance et il allait lui en infliger une deuxième mais elle n'avait d'autre choix que de l'accepter et de se résigner à cette détestable situation.
Se munissant d'une autre seringue, dont il prit soin de stériliser l'aiguille à la flamme d'une chandelle, il la remplit également mais du contenu d'un des flacons dépourvus d'indication. Cela rassura encore moins Abélianne. Au moins, avec la mélandrie, elle savait à quels effets s'attendre.
Les deux seringues en main, le médecin revint auprès de la jeune femme. Le corps de cette dernière se tendit sur la table mais elle demeura toujours immobile, sachant qu'elle n'aurait pu y échapper alors autant s'épargner la douleur d'une injection mal réalisée.
Le médecin enfonça l'aiguille dans les veines au creux du bras d'Abélianne, qui apparaissaient sous son épiderme blanc. Sa dextérité et son habilité impressionnèrent la jeune femme car elle ne sentit presque rien, contrairement à l'injection faite parsa mère, dont elle percevait encore le point d'entrée sous forme d'élancements douloureux dans sa nuque. Les dents serrées et légèrement tremblantes, elle vit la seringue, celle contenant la mélandrie, se vider dans son organisme.
En quelques secondes, elle sentit son corps se relâcher et sa tête lui parut plus légère mais elle ne sombra pas dans l'inconscience derrière un épais voile noir. Son esprit demeura relativement alerte bien que ce qui l'entourait semblait noyé dans un léger flou qui rendait les actions imprécises à ses yeux.
De toute évidence, le dosage ou la composition de cette teinture de mélandrie était différent de celle dont elle avait eu coutume au sanatorium et elle semblait seulement anesthésier ses sens au lieu de lui faire totalement perdre connaissance.
La seconde injection fut encore moins perceptible que la première,certainement sous l'effet de celle-ci, cependant, elle sentit le liquide couler dans ses veines depuis l'aiguille de la seringue plantée dans son bras. Une brûlure froide se répandit en elle en lui semblant fendre ses chairs de l'intérieur et geler ses organes qui s'en retrouvaient brisés et dont les éclats la lacérèrent de l'intérieur.
Son cœur commença à battre follement de manière douloureuse,erratique, et ses poumons se bloquèrent soudainement, l'empêchant de respirer. La bouche ouverte, elle tenta d'aspirer de l'oxygène,en vain. Son corps s'arqua soudainement en arrière malgré les sangles, contracté et raidi.
Des spasmes l'agitèrent de plus en plus violemment et de la salive moussa aux coins de ses lèvres alors que son regard exorbité observait en tous sens pendant qu'elle tentait de comprendre ce qu'il lui arrivait et ce qu'ils lui avaient fait.
Se ruant vers elle, le médecin pratiqua sur elle des soins d'urgence,notamment un bouche à bouche qui permit à ses poumons de reprendre leur fonctionnement ordinaire.
La douleur qui vibrait toujours dans l'ensemble de son corps,difficilement supportable, lui arrachait grimaces et grognements,mais elle ne paraissait plus sur le point de mourir. Vérifiant ses constantes vitales, qui lui semblaient dans un état alarmant, le médecin hocha le menton, pourtant visiblement satisfait de ses constatations. Cette fois, Abélianne douta de ses compétences car elle n'était certainement pas en état correcte. Sa poitrine et son cœur se comprimaient très douloureusement, comme si son malaise précédent s'intensifiait violemment.
Ne s'en souciant visiblement pas, le médecin se munit d'un scalpel à la longue lame effilée et ouvrit une fine plaie sur l'avant-bras d'Abélianne.
Au moins, l'injection de mélandrie fonctionnait toujours car, si la jeune femme sentit la lame tracer cette entaille, elle n'en éprouva pas la moindre douleur et elle n'en ressentit pas davantage lorsque le médecin la désinfecta à l'alcool en essuyant quelques filets de sang.
A sa demande, qu'il formula excessivement poliment, Hugues déverrouilla le coffret placé dans le recoin de la pièce et le couvercle révéla plusieurs éclats de pierres brutes blanchâtres aux reflets changeants et irisés, la même essence de gemmes que celles incrustées dans les miroirs qui composaient les passages à travers Thamarèthe.
A leur vision, Abélianne comprit d'où provenait son malaise, qui ne cessait d'augmenter : il s'agissait des mêmes pénibles sensations qui l'étreignaient dès qu'elle s'approchait d'un de ces passages.
A quoi ces pierres pouvaient-elles bien servir ?
Le médecin choisit soigneusement l'un des éclats, mettant de longues minutes à en sélectionner un parmi les dizaines rangés le coffret,puis, maintenant la plaie d'Abélianne ouverte à l'aide de pinces métalliques sans que la jeune femme n'en ressente la moindre douleur, il glissa le morceau de pierre sous sa peau, dans l'entaille.
Les courants glacés qui brûlaient Abélianne de l'intérieur convergèrent soudainement vers l'éclat sous son épiderme et elle eut la sensation qu'ils emportaient quelque chose avec eux, une part d'elle-même que la pierre aspirait. Quelle que soit cette partie qu'on vidait ainsi de sa substance, la jeune femme la sentait se recroqueviller, se dessécher, dépérir lentement et se décomposer.
Cette fois, l'effet anesthésiant de la mélandrie n'y put rien et n'amoindrit pas la souffrance insupportable qui déferla sur Abélianne.
S'arquant en arrière alors que les sangles se tendaient au maximum pour la retenir avec l'impression que son corps allait se briser et sa raison vaciller, elle poussa un hurlement de douleur pure qui ressemblait davantage au cri d'un animal à l'agonie qui se débattait avec la mort qui pesait sur lui. Son hurlement s'éteignit dans sa gorge lorsqu'elle ne fut plus physiquement capable de l'émettre mais seulement pour en pousser un autre, encore plus puissant qui résonna dans la pièce en s'élevant vers le plafond.
Evidemment, les parois et les pierres du palais étaient bien trop épaisses pour que les hurlements de douleur d'Abélianne parviennent aux étages supérieurs, des mètres plus haut dans l'imposante demeure, pourtant, Lysange crut entendre quelque chose à travers son inconscience. Tout son épiderme se hérissa et elle ressentit un appel qui déchira son esprit embrumé.
Revenant brusquement à elle, la jeune femme se redressa vivement mais une douleur fulgurante lui traversa l'abdomen et elle retomba en arrière,incapable de se maintenir en position assise. La façon dont elle retomba soudainement stimula à nouveau cette vive douleur qui lui arracha même une exclamation et un grognement.
Se reprenant, ne réagissant pas par instinct, ne le pouvant de toute évidence pas, Lysange prit le temps d'observer ce qui l'entourait et de se forger une idée de la situation.
Elle se découvrit étendue dans un large lit aux draps luxueux trônant dans une chambre dont la décoration sobre et dépourvue d'éléments personnels paraissaient indiquer qu'elle était réservée aux invités, même si Lysange n'avait absolument pas coutume de ce genre de milieux.
De toute évidence, elle ne se trouvait plus à Bourg-sur-Broliadd et cette chambre n'appartenait visiblement pas à l'auberge du modeste village.
Comment s'était-elle retrouvé dans cet endroit, quel était-il ? Et que s'était-il passé exactement ?
Les souvenirs de Lysange étaient imprécis et sa tête pesait lourd, comme si elle était épuisée.
Baissant le regard tout en s'interrogeant, se questionnant également sur la douleur qui pulsait, elle découvrit d'épais bandages qui entouraient son abdomen, le serrant, en recouvrant une partie de sa poitrine. Un peu de sang les tachait en les transperçant à l'endroit où sa douleur était la plus intense.
A cette vision, la mémoire de Lysange fit ressurgir les images des événements survenus durant les festivités de Bourg-sur-Broliadd, Inniël soudainement surgi du passé, la danse, le tourbillon ingérable de ses sentiments, le baiser et la lame s'enfonçant dans son corps puis tout avait disparu derrière un voile noir.
Visiblement, on avait soigné sa blessure et d'une manière plutôt experte d'après ce qu'elle pouvait constater mais elle ignorait par qui et cela ne l'éclairait pas sur l'endroit où elle se trouvait.
Elle était seule dans cette chambre et n'avait donc personne à interroger. Par ailleurs, elle ne relevait aucune trace de ses compagnons dans la pièce et la seule de ses affaires qu'elle repéra était sa tunique, partiellement déchirée et tachée de sang, posée au pied du lit.
Quelque chose échappait à Lysange quant à la situation actuelle et cela la frustrait grandement. Se concentrer sur cela l'empêchait de songer à Inniël sans compter que, si il y avait bien un danger dans les environs, comme elle l'avait instinctivement perçu en sortant de son inconscience, elle devait se concentrer sur ce qui l'entourait dans l'immédiat.
Le son d'une démarche qui s'approchait de la porte de sa chambre l'alerta. Qui que cela soit, elle préférait se tenir prête à recevoir ce visiteur malgré la possibilité qu'il aurait pu s'agir d'un allié ou de l'un de ses camarades.
Se saisissant de sa tunique, elle la passa pour couvrir sa poitrine en partie dénudée puis elle voulut se lever vivement mais rien que les mouvements pour enfiler son vêtement lui demandèrent de gros efforts en lui arrachant des grognements qu'elle retint comme elle le put, les dents serrées. Dès qu'elle quitta le lit en écartant les couvertures, ses jambes se dérobèrent sous son poids, trop faibles pour le supporter. S'affaissant, elle s'agrippa au sommier en luttant pour demeurer à moitié debout, si bien qu'elle ne parvint pas à se redresser en une attitude assurée avant que la porte ne s'ouvre.
L'homme qui entra écarquilla les yeux en avisant la jeune femme à moitié à terre.
Se précipitant vers elle, il alla pour la soutenir en s'exclamant avec une certaine inquiétude :

« Que faites-vous ? Vous devez rester couchée !

Lysange repoussa l'homme d'un mouvement brusque en se dégageant brutalement mais cela tira douloureusement sur sa blessure et la jeune femme se recroquevilla autour, les paumes plaquées sur son abdomen, dans un sifflement de douleur.
Se penchant vers elle en outrepassant sa véhémence, l'homme vérifia comme il le put l'état de la blessure de la jeune femme en la sermonnant :

- Vous allez faire sauter vos points de suture. Si possible, j'aimerais éviter d'avoir à vous recoudre encore.

- C'est vous qui m'avez soignée ? Comprit Lysange et l'homme confirma d'un hochement du menton. Je suis où ?

- Au palais du gouverneur de Sémoth.

- Sémoth ? Ça a aucun sens... Où sont mes camarades ?

- Je n'en suis pas sûr mais...ils ont probablement été conduits aux sous-sols.

Lysange acquiesça à l'information en tentant de visualiser où l'accès aux sous-sols pouvaient bien se situer dans une telle demeure et en occultant toutes les nouvelles interrogations soulevées par ce court échange, l'urgent étant de retrouver ses compagnons.
Les mâchoires contractées pour résister à la douleur qui pulser sous ses bandages, elle se releva en prenant appui sur le lit. A côté d'elle, l'homme, qui s'était donc identifié comme un guérisseur d'après ses propos, tendit les mains vers elle pour la soutenir et il alla pour lui ordonner de se ménager mais elle l'ignora pour se diriger vers la porte en chancelant, pas aussi assurée sur ses jambes qu'elle l'aurait souhaité ou aurait souhaité le faire croire.

- Attendez ! La retint le guérisseur. Vous ne pouvez pas partir dans votre état !

- Allez vous faire foutre. Si vous en avez vraiment quelque chose à faire de mon état, vous avez qu'à venir. »

Là-dessus, Lysange quitta la chambre, une main sur sa blessure, à moitié courbée en deux et se tenant au mur, luttant contre la douleur face à laquelle elle ne pouvait opposer que sa détermination.
Le guérisseur hésita un court instant avant de lui emboîter le pas, visiblement réellement soucieux et impliqué dans son travail.
Lysange camoufla son soulagement. Même si elle refusait de l'avouer, elle avait bien conscience qu'elle n'aurait pu aller très loin, entre la douleur et le manque de sang. Elle n'était même pas certaine d'avoir la force d'invoquer ses armes. Par ailleurs, l'homme pourrait la guider vers les sous-sols et possiblement vers ses compagnons, ce qui serait plus efficace que d'errer dans les couloirs.
Tout en se retournant régulièrement vers elle, ayant pris la tête, prêt à la rattraper, il l'entraîna vers une porte à moitié dissimulée, non loin des cuisines.
Alors qu'il s'apprêtait à l'ouvrir, des cris et une odeur de chair brûlée montèrent depuis l'autre bout du couloir.

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