Chapitre 29 - Enfant caché
Durant ces derniers mois aux côtés des Déchus, Gaëlan n'avait pas encore visité Yfanag, petit royaume coincé entre Névinda et Thamyre, sur la côte de la Mer d'Elioppe, et l'attrait de la découverte le saisissant en l'électrisant légèrement malgré la situation.
La salle abritant le passage où ils réapparurent ne se différenciait guère de toutes les autres déjà visitées, avec le haut miroir trônant en son centre avec l'étrange pierre laiteuse enchâssée dans le verre réfléchissant, mais contrairement à celles par lesquelles ils avaient déjà eu l'occasion de passer, elle ne se situait pas dans le palais royal ou celui du régent mais dans l'une des casernes de la Garde de la ville.
A cette constatation, Gaëlan se raidit, effrayé par la présence de tous ces soldats, certainement plus informés sur le signalement des Déchus que la majorité de la population. Après tout, il pouvait à présent officiellement se considérer comme un criminel en fuite, tout comme les Déchus, ni plus ni moins.
Ensuivant Lysange dans la précipitation, il n'avait pas réellement songé à cela, ni aux conséquences possibles pour sa famille,n'ayant très égoïstement pensé qu'à retrouver Nigel, mais, à présent, cela le frappait. Léhodore lui avait pardonné une fois sans alliance avec les Déchus, car il y trouvait largement son compte, mais certainement pas une seconde.
Leur unique avantage était que, Léhodore ayant conservé le secret de la capture des Déchus, utilisant ces derniers pour ses propres intérêts, il ne pouvait annoncer leur fuite et leur donner la chasse plus intensément que précédemment, pas sans avouer à ses voisins qui leur avait menti, transgressant l'accord qu'il les avait forcés à accepter. Les seuls pisteurs qu'il pouvait envoyer à leur poursuite étaient les membres de son corps d'élite.
Ne semblant pas partager les angoisses de Gaëlan, Lysange saisit le jeune homme par le poignet pour le tirer hors de la caserne sans se préoccuper des soldats qu'ils y croisèrent, ignorant les regards que certains posèrent sur elle.
La surprise heurta à nouveau Gaëlan à la découverte de la ville d'Akkreth. En suivant Nigel et accompagnant les Déchus à travers Thamarèthe, il avait eu l'occasion de voir des paysages dont il ne soupçonnait l'existence qu'à travers les descriptions rencontrées durant ses cours,élargissant son horizon loin d'Eluville, mais il ne s'attendait pas à ce qu'il existe une telle différence entre les villes d'Yfanag et celles des autres royaumes du continent.
Plus petit royaume d'Heïllanore, Yfanag ne comptait que deux villes, Akkreth, la capitale, et Ephilte, leur destination, mais le pays ne souffrait d'aucun problème de pauvreté. En plus des habituels commerçants et artisans communs à tous les pays, la population vivait principalement de l'exploitation des vignobles, situés à l'est à proximité de la frontière avec Névinda, de celle de l'imposante Forêt Modhäl, qui marquait le centre du royaume, de celle de l'océan ou bien de celle des montagnes de l'île de Nassrite, au large des côtes. Les veines de pierres précieuses y étaient nombreuses et leur exportation apportait une grande richesse, tant que le royaume détenait sa suprématie sur ce territoire, que Névinda réfutait, attiré par l'argent représenté par l'exploitation des montagnes.
Le massif de Nassrite étant le seul relief du territoire, trouver des pierres pour servir à la construction s'avérait difficile. La majorité des bâtiments étaient donc fait de bois, même les plus officiels.
Les plus luxueux possédaient parfois jusqu'à trois étages bâtis en pierres avant que le reste, fait de bois, ne s'élève sur cette base. Le palais royal était construit sur ce modèle. Le bois des étages supérieurs était sculpté ou gravés en des figures impressionnantes. Les représentations qui ornaient tous les bâtiments de la cité rivalisaient d'imagination et de finesse.Certaines, probablement pour exhiber la richesse de leurs propriétaires, à l'instar des éléments de pierres, étaient dorées à la feuille d'or ou possédaient des yeux de pierre précieuse.
La plupart des pierres amenée depuis Nassrite servait à paver les rues ou à consolider les quais du port.
Gaëlan aurait pu souhaiter s'attarder à Akkreth, avec son architecture si particulière, mais il refusait de perdre du temps en laissant la séparation avec Nigel se prolonger. De toute manière, Lysange ne le lui aurait pas permis.
Entrainé par la jeune femme, ils quittèrent la capitale la journée même de leur arrivée pour s'engager dans les coteaux qui couvraient les vallons de la région.
Longeant la côte, ils se dirigèrent vers l'ouest et pénétrèrent sous le couvert de la Forêt Modhäl. Comme Gaëlan l'espérait, elle était riche en gibier et le manque de vivres ne se fit pas sentir. Lysange chassa des lièvres, même si l'épée n'était pas l'outil le plus pratique pour ce faire, et ils conservèrent leur viande cuite dans un baluchon sommaire confectionné avec le tissu du veston de Gaëlan. L'eau ne représenta pas non plus de problème mais ils n'avaient aucun contenant pour s'en constituer une réserve et le jeune noble se demandait de plus en plus comment ils pourraient se désaltérer dans la plaine rocailleuse de Reynelsky, s'en inquiétant.
Après trois jours de voyage sous les frondaisons, où la progression ne s'avéra pas des plus difficiles puisque le trajet le plus court reliant Akkreth à Ephilte passait par la forêt et les passages y étaient donc fréquents, créant un chemin, les chênes, qui composaient la zone boisée, commencèrent à s'espacer peu à peu jusqu'à ce que Ephilte se profile à l'orée de la forêt.
Tout comme à Akkreth, la très grande majorité des constructions était de bois et ornée de sculptures mais, contrairement à la capitale,où l'on semblait préférer la sobriété du bois brute seulement rehaussée de vernis ou de dorures, de nombreuses peintures recouvraient les parois, mettant en valeur certaines gravures. Une certaine joie paraissait se dégager des façades colorées.
L'après-midi tirait sur sa fin et certaines personnes regagnaient leur domicile, envahissant les rues qui fourmillaient alors.
Gaëlan aurait également apprécié pouvoir effectuer une pause dans une auberge, seulement une petite heure,ayant besoin de se reposer dans un endroit plus confortable que le sol irrégulier de la forêt déformé par les racines car, malgré sa détermination à retrouver Nigel, il peinait à soutenir le rythme impitoyable de Lysange qui ne ralentit à aucun moment, mais la jeune femme ne lui accorda pas de répit.
Ne s'attardant pas dans les rues de la cité, qu'elle traversa à grand renforts de coups de coude, elle se dirigea immédiatement vers l'adresse indiquée par Manolis, souhaitant en terminer au plus vite.
Elle était quelques fois passées par Ephilte dans le cadre de ses anciennes activités avec les Déchus, suffisamment pour s'y orienter un minimum, heureusement car elle n'aurait probablement pas tolérer que Gaëlan s'arrête pour demander leur chemin à un badaud.
A sa suite, le jeune homme accélérait, se glissant parmi la foule pour ne pas risquer de la perdre et de se faire distancer.
Les rues étroites du cœur de la ville s'élargirent alors que les constructions s'espaçaient de plus en plus à mesure qu'ils progressaient vers le nord de la cité. Cette zone d'Ephilte était plus rurale, des champs apparaissaient régulièrement entre les quelques habitations et la terre battue remplaça les pavés sur la route qu'ils foulaient.
Pensif, Gaëlan se demandait ce qu'il pouvait bien y avoir de si important pour Manolis dans ce secteur paisible et assez peu intéressant d'Ephilte. Les lieux n'avaient probablement jamais fait parler d'eux d'une quelconque manière. Lysange ne comprenait pas davantage mais elle se moquait des raisons de son ancien meneur, n'entretenant que du ressentiment à son égard.
La surprise la frappa néanmoins, tout autant que Gaëlan,lorsqu'ils arrivèrent à l'adresse notée sur le morceau de papier. Il s'agissait d'un grand bâtiment, possédant visiblement une cour intérieure à en juger par les frondaisons qui dépassaient au-dessus du toit. Les vignobles l'entouraient et il se nichait au centre.
Comme toutes les constructions du royaume,il était intégralement construit de bois, tellement gravé et sculpté qu'il ne semblait plus demeurer aucun espace vierge ou vide, pas même la lourde porte à doubles battants ni sur le montant des fenêtres. Toutes étaient très simples, sans fioritures, aucune couleur ni joyaux. La seule trace de richesse du bâtiment résidait dans les fenêtres faites de carreaux colorés de rouge, de blanc et de vert.
L'étonnement de Lysange et Gaëlan provenait de la fonction de ce bâtiment.
Il s'agissait d'un monastère, comme on en trouvait certains à travers Heïllanore ou même à Tientinildh. Certains riches religieux avaient même financé l'installation de ce genre d'édifices sur Béathla, sur Lithyneth ou Duwantach, pour répandre la bonne parole à travers tout Thamarèthe, mais ces tentatives ne se révélaient pas particulièrement couronnées de succès.
La région la plus croyante de Thamarèthe était le sud d'Heïllanore et trouver un monastère à Ephilte était donc normal et même logique. Les sculptures et gravures qui ornaient le bâtiment faisaient référence à Eévhya, la divinité omnipotente vénérée à Heïllanore, lui rendaient hommages et parlaient de sa puissance et de sa gloire.
Ce qui étonnait réellement Lysange et Gaëlan n'était pas de se retrouver face à un bâtiment du genre mais que Manolis les y ait envoyés. Le jeune homme ne connaissait pas vraiment Manolis mais il n'avait jamais entendu parler de lui d'une façon qui renvoyait à la religion. D'ailleurs, le Déchu surnommé le Pieu était Ysandre, non Manolis.
En se tournant vers Lysange, il eut la confirmation dans son expression surprise que cette destination n'avait aucun sens. Jamais durant ses années avec les Déchus elle n'avait entendu Manolis évoquer Eévhya ou la religion plus généralement.
Ne comprenant pas quelle chose d'importance pour son ancien meneur pouvait bien être détenue dans un monastère, la jeune femme revérifia l'emplacement du lieu inscrit dans le court message de Manolis, certaine d'avoir fait une erreur, mais elle ne put que constater qu'ils se trouvaient au bon endroit.
Qu'est-ce que cela signifiait ?L'affaire agaçait Lysange encore davantage qu'au départ alors que, à la place des explications attendues, elle découvrait encore plus de questions. Elle aurait dû rester sur sa première décision,bien se moquer des justifications et des états d'âme de Manolis pour se concentrer sur la recherche de ses vrais camarades, froisser ce bout de papier sans plus s'en soucier.
Contrariée, elle s'apprêta à le faire pour ensuite se diriger vers Kaleth, en quête de ses camarades en fuite, sans plus se préoccuper du cas de Manolis, sauf pour se venger de sa trahison, mais elle fut soudainement interrompue par une voix chaleureuse qui lui demanda si ils avaient besoin d'aide.
Se tournant vers ce timbre, Lysange et Gaëlan découvrirent un homme au crâne rasé vêtu d'une longue aube verte qui se tenait parmi les vignes, un sécateur à la main. De toute évidence, il s'agissait d'un des moines de la congrégation locale.
Lui adressant un peine un regard, Lysange alla pour se détourner en retournant vers le cœur de la ville, ne comptant pas s'attarder, estimant avoir déjà perdu suffisamment de temps avec toute cette histoire, mais Gaëlan la retint en répondant au moine :
« Un...ami nous a envoyés ici pour...chercher quelque chose qu'il aurait laissé parmi vous. Navré, ce n'est guère clair...
- Si, je vois de quoi vous parlez, annonça le moine, les surprenant, le visage soudain grave. Suivez-moi. »
Gaëlan releva un regard surpris sur Lysange, étonné que le moine devine si aisément les raisons de leur venue mais la jeune femme ne le lui rendit pas, ne réagissant pas, ayant seulement hâte d'en terminer.
Posant son sécateur parmi les pieds de vignes, le moine réitéra son invitation en leur faisant signe de le suivre et les entraîna à sa suite vers le monastère mais il ne se dirigea pas vers la large double-porte, la délaissant pour un accès plus discret, s'ouvrant sur le côté de l'édifice. Ils débouchèrent dans un cloître aux colonnades de bois sculpté entourant une cour carrée où se trouvait un pressoir à l'impressionnant mécanisme et un potager entretenu à la perfection où poussaient quelques légumes.
Les quelques moines qu'ils croisèrent, tous vêtus d'aubes vertes, leur adressèrent des regards surpris en s'arrêtant particulièrement sur Lysange, ne recevant que rarement des visites et encore moins celles de femmes majoritairement habillée de cuir et armée, mais leur guide assura à ses pairs que tout allait bien.
Aux quelques mots qu'il échangea avec les plus curieux, tous hochèrent le menton alors qu'ils se faisaient graves, tout comme le premier moine. Ces réactions troublaient de plus en plus Gaëlan, qui s'interrogeait sur leur cause.
Qu'est-ce que Manolis avait-il bien pu laisser dans ce monastère pour provoquer un pareil effet et,surtout, pourquoi les moines acceptaient-ils de le conserver ?De ce qu'il savait et avait déjà pu constater, certains fervents croyants toléraient difficilement l'existence des Déchus, des semi-humains qui, d'après eux, faisaient affront à leurs divinités.
Heureusement, les moines de cette congrégation ne paraissaient pas partager cette opinion. Le fait que Lysange camouflait les longueurs effilées de ses oreilles sous son épaisse chevelure contribuait peut-être également à ne pas réveiller une quelconque hostilité à leur égard.
Contournant la cour en remontant le cloître, ils se dirigèrent vers une autre porte que leur guide leur tint ouverte pour leur permettre de la passer pour entrer dans ce qui se révéla être un large réfectoire aux murs de bois peints de scènes religieuses.
Quelques moines s'y trouvaient, dressant le couvert sur les longues tables encadrées de bancs en préparation du repas du soir qui approchait.
Une unique personne était déjà attablée devant une écuelle fumante, qui échangeait avec les moines présents qui lui rappelaient de ne pas parler la bouche pleine, entre deux bouchées. Il s'agissait d'un garçon d'une petite dizaine d'années, vêtu d'une robe de bure blanche légèrement trop grande, certainement le seul vêtement que les moines avaient eu à lui prêter, et dont les larges boucles d'un blond cendré presque gris tombaient sur ses épaules.
Le moine qui avait amené Lysange et Gaëlan jusqu'ici appela un nom, auquel le garçon se retourna vers eux.
La stupeur frappa les deux voyageurs encore plus violemment que précédemment lorsque les yeux jaune vif parcourus de veinules rouges à la pupilles fendues de l'enfant se posèrent sur eux.
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