Chapitre 20 - Accord royal
Cela faisait à présent quelques jours que les Déchus étaient tombés dans le piège tendu par Léhodore et Manolis avec la complicité de Moïra.
Gaëlan les avait passés enfermé dans les appartements des invités du palais où on l'avait conduit dès leur capture.
Officiellement, il ne semblait pas prisonnier mais bien accueilli au palais de Tikkr'eth, dans une aile un peu reculée, mais il y avait en permanence des gardes qui se relayaient régulièrement devant l'accès à ces appartements. Le jeune homme était effectivement prisonnier, bien que sa prison soit dorée, et qu'il estimait qu'il n'était absolument pas à plaindre, contrairement aux Déchus.
Il se doutait que ses compagnons de voyage croupissaient actuellement dans une cellule sordide dans les sous-sols du palais alors que, lui, était confortablement installé dans des appartements comportant plusieurs pièces, il avait un lit chaud et des équipements d'hygiène dont il pouvait profiter, cependant, il n'en faisait pas grand chose.
Rongé par l'angoisse,l'appréhension et la peur, il demeurait prostré et presque apathique, assis au sol, recroquevillé sur lui-même, les genoux remontés contre la poitrine, appuyé contre le large lit de la chambre.
Ses pensées s'agitaient dans son esprit, se répétant et augmentant encore son inquiétude.
Il s'angoissait évidemment avant tout pour ses camarades, même pour Morcia avec qui ils avaient passé plusieurs jours à voyager, et se demandait ce qui les attendait à présent qu'ils avaient été capturés.
Léhodore Cécyly allait-il les faire exécuter ou bien les garder prisonniers indéfiniment ? Après tout, lorsqu'ils avaient chacun déclaré les Déchus ennemis de la loi, aucun des souverains ne s'était accordé sur la sentence à appliquer. Le roi de Névinda possédait donc de nombreuses options.
Imaginer ses compagnons, à qui il s'était attaché au fil des voyages et des épreuves partagées,croupir dans une cellule entravés et enchaînés lui brisait le cœur mais certainement pas autant que l'idée de leur exécution. Cette éventualité ne pouvait effleurer son esprit sans lui déclencher de violentes crises d'angoisse, durant lesquelles les gardes le surveillant se voyaient forcés d'intervenir pour éviter qu'il ne se blesse.
Nigel était évidemment celui pour qui il s'inquiétait le plus. A présent qu'il se retrouvait seul face à la situation, il s'apercevait d'à quel point la présence de son amant était primordiale pour son équilibre mental. Si ils avaient pu être ensemble, Nigel l'aurait probablement serré contre lui en déposant des baisers dans ses boucles claires pour le rassurer et le réconforter, tout en lui permettant de croire que rien n'aurait pu l'atteindre, même si il aurait jugé ne pas en faire suffisamment pour lui, mais il était seul, terriblement seul.
Totalement démuni loin de ses camarades, tous ces événements qui avaient fragilisé son psychisme, où il avait dû affronter la noirceur du monde et de l'esprit humain, où il avait dû redéfinir son concept du bien et du mal et modifier sa définition de la morale,lui revenaient brutalement en mémoire, le heurtant à nouveau. Il se sentait comme un jeune enfant qui comprenait pour la première fois que tout avait une fin, y compris sa propre vie.
Les questions et les doutes qui avaient augmenté durant ces voyages revenaient le frapper de plein fouet et il s'écroulait totalement, aussi bien physiquement que mentalement. Si seulement Nigel avait été à ses côtés, toutes ces choses ne lui auraient pas semblé si graves et destructrices mais, surtout, si son amant avait été auprès de lui actuellement, cela aurait signifié qu'il ne se trouvait pas enfermé dans une cellule à attendre une terrible sentence.
Malgré le décors beaucoup plus effrayant que celui dressé par ces appartements, il aurait vraiment préféré se trouver en cellule aux côtés de ses compagnons d'infortune.
Etrangement, il se sentait plus proche des Déchus, avec qui un lien indéfinissable s'était forgé durant les épreuves face aux dangers que des membres de sa famille. Avec eux, toute leur situation actuellement aurait certainement paru moins terrifiante que cette solitude le laissant seul face à ses traumatismes récents. Après tout, il avait accepté de les accompagner en suivant Nigel, même si il savait parfaitement qu'il désobéissait aux lois et s'exposait aux conséquences de ses actes, alors il lui semblait normal et logique de partager leur sort. Ça avait été son choix que de devenir un criminel à son tour par amour et il se devait de l'assumer, même si il en était terrifié et que tout son univers s'effondrait, le maigre équilibre qu'il était parvenu à bâtir et conserver depuis qu'il accompagnait Nigel se brisait en le laissant totalement perdu, pourtant, on ne l'avait pas jeté encellule avec les autres. La seule raison à cela était ses origines.Il était issu de la noblesse de Thamyre, dont Névinda cherchait à se faire apprécier pour obtenir un accord face à Taïfyne par le mariage, et, de ce fait, Léhodore ne pouvait pas se permettre de simplement le condamner avec ses camarades.
A nouveau, le fossé de la différence se creusait entre lui et Nigel et les autres Déchus. Certains auraient probablement été soulagés à sa place d'être relativement épargné mais pas Gaëlan. Il voulait affronter les conséquences de ses choix aux côtés de ceux qu'il avait choisis pour compagnons car y faire face avec eux lui semblait être la suite logique des choses et car ça aurait été moins effrayant.
Par ailleurs, avoir conscience de la sentence qui l'attendait lui paraissait moins angoissante que l'incertitude du sort qu'on lui réservait.
Même si il s'inquiétait profondément pour Nigel et ses camarades, très égoïstement, il s'en faisait aussi pour lui-même.
Si il ne méritait pas de croupir en cellule avec les Déchus, grâce ou à cause de la noblesse de son sang, que Léhodore comptait-il faire de lui ?Lorsque Moïra l'avait averti de son identité, le souverain avait affirmé pouvoir lui trouver une utilité. Ces quelques mots inquiétaient Gaëlan alors qu'il se demandait ce qu'ils signifiaient exactement. Qu'allait-il lui arriver ?Qu'allait-il arriver aux autres ? Assumer ses actes lui semblait beaucoup plus difficile alors qu'il devrait certainement y faire face seul.
Plusieurs jours s'étaient déjà écoulé et personne n'était venu l'avertir de l'évolution de la situation ou de si Léhodore s'était prononcé sur son cas,augmentant son appréhension, mais, d'un autre côté, rien ne paraissait se passer concernant les Déchus, pas d'exécution en perspective pour l'instant, ce qui le rassurait grandement.
Toujours replié sur lui-même dans un recoin de la chambre, luttant pour retenir ses larmes et pour maîtriser les tremblements qui l'agitaient, il entendit soudainement le son de la porte donnant dans le couloir qu'on déverrouillait puis des pas résonnèrent dans les appartements. Le jeune homme aurait pu penser qu'on venait simplement lui apporter de quoi manger, comme on l'avait fait chaque jour, le gardant visiblement en aussi bonne santé que possible, même si on ne pouvait rien pour prendre soin de sa santé mentale dans ses conditions, mais l'heure ne correspondait pas à celle d'un repas.
Venait-on enfin lui annoncer ce qu'il allait advenir de lui ?
Intrigué et angoissé par cette possibilité, Gaëlan voulut se lever pour accueillir ces visiteurs mais son corps refusa de lui obéir,tétanisé par la peur et l'appréhension, si bien qu'il était toujours recroquevillé contre le lit lorsque deux domestiques accompagnés de deux gardes entrèrent dans la chambre. Se découvrant dans un état pouvant s'apparenter à celui d'un choc depuis des jours, Gaëlan ne parvint qu'à les fixer de ses yeux agrandis à la pupille tremblante sans comprendre ce qu'ils faisaient là.
Ses oreilles entendirent que l'un des gardes lui ordonna de se lever et de les suivre mais son esprit ne réussit pas à traiter l'information et à y réagir, si bien qu'il demeura immobile, la même expression totalement perdue sur le visage. Répéter l'ordre ne changea rien et les gardes durent saisir chacun le jeune homme par un bras pour le tirer sur ses jambes puis ils le forcèrent à emboîter le pas aux domestiques.
Son corps et son esprit semblaient s'être dissocié mais il parvenait toujours à mener quelques réflexions.
A sa grande surprise, on ne le conduisit pas devant Léhodore pour entendre sa sentence, comme il le pensa, mais au cabinet de toilette que comportaient les appartements, où les domestiques lui firent sa toilette, lui lavèrent les cheveux, les lui peignèrent puis lui enfilèrent une élégante tenue avec veston brodé et redingote assortie.
En avisant son reflet dans le miroir, Gaëlan resta surpris un instant. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait pas été aussi propre. Cette vie sur les routes à suivre les Déchus avait fait des dégâts à son image de jeune noble parfaitement apprêté qu'il avait toujours eue mais,visiblement, elle n'était pas difficile à reprendre. A croire qu'il n'avait jamais quitté Eluville.
La question sur pourquoi on venait de se donner la peine de le laver lui fit froncer les sourcils. C'était comme si on cherchait à la rendre présentable, peut-être justement pour rencontrer Léhodore.
Paraissant confirmer cette hypothèse, les gardes lui firent quitter ces appartements pour la première fois depuis des jours.
S'étant repris durant ses ablutions, Gaëlan parvint à marcher seul et les gardes ne le tinrent plus que par les bras mais l'encadrèrent en le surveillant étroitement, lui faisant comprendre qu'il restait prisonnier.
Certainement était-ce encore une fois dû à son rang si on ne l'entravait pas de quelconque manière.
Dans les couloirs richement décorés, ils croisèrent quelques personnes, gardes, serviteurs et officiels et tous échangèrent des murmures en fixant Gaëlan en coin sur son passage. Le jeune noble en conclut que tous connaissaient son identité ainsi que son implication avec les célèbres Déchus.
Devinant que tous le jugeaient, il se sentit faiblir,surtout que, encore une fois, il était seul et n'avait personne derrière qui se cacher.
La gorge nouée et les épaules tremblantes, il s'efforça de conserver autant que possible la maitrise de lui-même jusqu'à ce que les gardes le fassent stopper devant une porte elle-même encadrée par deux soldats dont l'emblème sur la poitrine indiquait l'appartenance au fameux corps d'élite de Névinda.
Les annonçant, l'un d'entre eux frappa quelques coups contre le battant, qu'il ouvrit lorsque l'autorisation d'entrer fusa à travers.
Poussé dans ce qui se révéla être un bureau, Gaëlan crut défaillir en découvrait qui s'y tenait.Si il ne fut pas surpris d'y trouver Léhodore, siégeant dans un haut fauteuil, il le fut davantage à la vue de la princesse Taminiëlle, vêtue d'atours somptueux et coiffée d'un voile brodé de larmes de diamants qui couvrait sa chevelure, assise dans un siège plus modeste face à son père, cependant la présence qui causa un véritable choc au jeune homme était celle de l'homme installé à côté de Taminiëlle, les jambes élégamment croisées : William De Ohcaire, souverain de Thamyre, autrement dit, son roi.
La surprise et l'incompréhension de le découvrir ici fut telle que Gaëlan ne prêta aucune attention à l'escorte royale, composée de quelques gardes entourant William, ni à Moïra se tenant en retrait dans un recoin de la pièce, adossée contre le mur et les bras croisés sur la poitrine.
Les Souffian étant établis à Eluville et non à Evelymme, la capitale, Gaëlan n'avait jamais vraiment eu l'occasion de fréquenter la famille royale de Thamyre malgré son appartenance à la noblesse du royaume. Il l'avait seulement aperçue à quelques reprises lors de certains événements.
Rattrapé par un apprentissage strict de l'étiquette et de la bienséance de plusieurs années, Gaëlan effectua une profonde révérence de circonstance face à toutes ces personnes de sang royal, alors que la porte claquait dans son dos, l'enfermant dans ce bureau, et qu'il percevait sur lui les regards inquisiteurs de William De Ohcaire et de Taminiëlle.
Se tournant à nouveau vers Léhodore derrière son bureau, William lui lança, apparemment dans une attitude plutôt incrédule :
« Il ne me parait pas aussi sauvage que me l'aviez décrit, Léhodore. Ce jeune homme ressemble à n'importe quel noble que j'ai coutume de fréquenter. Exceptées vos affirmations, nous ne disposons d'aucune preuve assurant qu'il se soit compromis avec les Déchus.
- Nous disposons également du témoignage de mademoiselle Albhore, qui l'a à plusieurs reprise vu en compagnie d'au moins un membre des Déchus. Insista Léhodore et Gaëlan écarquilla les yeux : était-ce donc son procès ?
- Le témoignage d'une mercenaire ? Railla William. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus fiable. En échange d'une certaine somme, vous lui faites dire ce que vous souhaitez.
- Pardonnez-moi, Votre Majesté, mais vous me comparez presque à une prostituée. Grinça Moïra.
- Pour moi, il n'y a guère de différence, rétorqua William. Nous n'avons donc aucune preuve tangible pour prouver que le sieur Souffian a...
- C'est la vérité ! J'ai délibérément aidé les Déchus, je suis coupable !
Intervint soudainement Gaëlan en transgressant l'étiquette, interrompant son souverain.
Ce crime de lèse-majesté allait très probablement alourdir sa peine pour avoir trahi son royaume au profit de criminels mais il s'en moquait.
Il ne supportait pas d'entendre William De Ohcaire répéter qu'on ne pouvait l'associer aux Déchus, comme si il reniait ses décisions, tout ce qu'il avait vécu ces dernières semaines, son amour pour Nigel.
Qu'importe qu'il soit puni, il devait assumer ses actes, même si l'idée des conséquences le terrifiait au point de trembler et que ses jambes peinaient à le soutenir. Sans compter qu'il profitait déjà d'une différence de traitement avec ses compagnons seulement car il avait eu la bonne idée de naître dans l'aristocratie et il était hors de question qu'il échappe en plus à la condamnation à cause de ce même statut social.
De toute manière, ce n'était pas vraiment de lui et de son cas dont les deux souverains débattaient. Il s'agissait plus d'une affaire de pouvoir et d'influence, de refuser de céder face à un autre royaume, que de réellement chercher à l'écrouer.
S'opposer à l'autorité n'était guère dans sa nature, lui qui était facilement impressionné et qui avait toujours appris à respecter la hiérarchie sociale, mais il se sentait fier de l'avoir fait pour Nigel, pour leurs compagnons, malgré ses tremblements.
Face à lui, tous le fixèrent de regard écarquillé, stupéfaits par sa déclaration, son attitude et son profond manque de respect envers la royauté.
Se reprenant le premier, finalement satisfait de cette tournure, Léhodore demanda à son homologue :
- Bien, avez-vous besoin de davantage de preuves ?
- Seigneur Souffian, êtes-vous certain de vos dires ? S'enquit William auprès de Gaëlan mais le regard su souverain lui conseillait vivement de démentir immédiatement, si bien que le jeune homme hésita un instant avant de se raccrocher à l'image de Nigel pour puiser de la détermination.
- Oui, j'en suis parfaitement certain. Confirma le jeune homme en tremblant, tétanisé par les yeux furieux de William vrillés sur lui.
- La preuve de la culpabilité étant à présent faite, parlons de ce qu'il pourrait se produire à présent reprit Léhodore. A présent, seule la condamnation peut suivre mais, si l'histoire de la trahison du sieur Souffian se répand, ce qui ne manquera pas avec l'annonce de la capture des Déchus, c'est toute la noblesse de Thamyre qui se trouvera ridiculisée. Sans parler de vous, cher William. Vous allez passer pour un roi incompétent incapable de contrôler sa propre aristocratie, qui, elle, semblera totalement dégénérée et gangrenée par la criminalité. Vos gens n'apprécieront probablement pas cette image, sans parler des autres royaumes. Le lien entre Thamyre et les Déchus pourrait également rebuter les commerçants étrangers garants de votre prospérité. Sans eux, la pauvreté vous guettera. Evidemment, vous pourrez certainement compter sur votre alliance avec Orondd et Lithyneth mais pourrait-ce suffire ? Ils ont déjà tant à faire avec leurs propres affaires. Quelle triste fin pour un royaume comme Thamyre. Les scandales peuvent faire tant de dégâts.
- Tout cela n'est qu'exagération. Prétendit William, les dents serrées.
- Certes, je me projette dans l'avenir, cependant, souhaitez-vous réellement prendre le risque de découvrir lequel de nous deux avait raison ? Tant de vies dépendent de la bonne réputation de votre royaume. Insista Léhodore.
- Et vous vous apprêtez à me soumettre une alternative. Votre proposition, je suppose.
- Exactement, acquiesça Léhodore, acceptez-la et toute trace de l'implication de Monsieur Souffian auprès des Déchus pourraient disparaitre. Le scandale sera évité et ce jeune homme pourra tranquillement rentrer chez lui.
- Je trouve cela plutôt amusant. Habituellement, ce sont les jeunes hommes qui se battent pour la main d'une demoiselle, non l'inverse, ironisa William. Que reste t-il à faire, excepté accepter ? Je suppose que, de toute manière, cette rivalité entre vous et Trystan de Lauvel n'a que trop duré. Vous avez gagné, Léhodore. Mon fils, Ilian, épousera votre fille. Remerciez ce garçon pour cela. »
Souriant, satisfait, Léhodore tendit la main à William pour échanger une poignée de main de façon à sceller leur accord.
Gaëlan observa la scène comme il avait assisté à la conversation, en silence, les yeux écarquillés et se maudissant pour ses aveux précédents. En les prononçant, il ne pensait absolument pas à ce que Léhodore les utilise pour faire du chantage à William. A présent, à cause de lui, Léhodore venait enfin d'obtenir ce qu'il cherchait depuis des années : une alliance avec Thamyre par une union entre Ilian et Taminiëlle de manière à former un bloc à Taïfyne.
En un sens, il ne s'agissait que d'affaires de politique auxquelles Gaëlan était extérieur, ce n'était ni une bonne ni une mauvaise chose, pourtant, il se sentait affreusement responsable car, de part sa naissance, il connaissait la souffrance de savoir que son mariage ne serait certainement qu'un prétexte pour obtenir des avantages où l'amour n'était pas une composante.
Désolé, il posa un regard navré sur Taminiëlle, qui gardait le visage détourné sur le côté en serrant les poings sur les plis de sa robe mauve.
Dépassé par ce qu'il se passait et rattrapé par toute son angoisse et son appréhension, qu'il avait réussi à repousser durant ces dernières minutes, Gaëlan peina à parfaitement suivre la suite de la conversation entre les deux souverains, qui terminaient de préciser les termes de leur accord et réglèrent les premiers détails du futur mariage. Le jeune noble fut néanmoins choqué qu'à aucun moment Taminiëlle ne s'exprima alors qu'il était sujet de sa vie et que même Moïra avait eu droit à la parole.
Ne souhaitant probablement pas s'attarder davantage à Névinda et ayant du travail à accomplir dans son royaume suite à cette alliance naissante, William De Ohcaire regagna Evelymme immédiatement grâce au passage de Tikkr'eth et Gaëlan fut du voyage puisque, selon l'arrangement entre Léhodore et William, il devait rentrer chez lui à Eluville.
Le jeune homme aurait aimé pouvoir se débattre, ne pas se plier à des décisions prises par d'autres, mais il ne parvint qu'à se laisser faire, toujours aussi sous l'effet du choc, qui le laissait sans réaction.
La détresse qui s'emparait de lui le paralysait également, une détresse qui provenait du fait qu'il se voyait probablement définitivement séparé de Nigel, qui restait à Tikkr'eth avec les autres Déchus.
Il avait voulu assumer ses actes, reconnaître son alliance avec les Déchus pour ne pas qu'on nie cette partie de sa vie, qu'il jugeait certainement être la plus importante, et on l'avait pourtant retirée de l'histoire, on l'arrachait à cette existence, on réfutait tout ce qu'il avait traversé aux côtés des Déchus. Officiellement, il ne les aurait jamais accompagnés. Il aurait dû en être révolté et tenter de s'opposer cependant, il ne parvenait qu'à se sentir dévasté et résigné.Si il ne s'écroulait pas suite à cet enchaînement, ce fut seulement car on l'en empêcha en le forçant à suivre les directives des souverains. Les soldats qui se chargèrent de l'escorter le traînèrent à leur suite.
Une fois à Evelymme, le jeune noble fut entraîné vers Eluville dans un voyage de plusieurs jours, toujours accompagné et surveillé par des soldats.
Le trajet s'avéra plus confortable que ceux que Gaëlan avait effectué aux côtés des Déchus, puisqu'il le parcourut à cheval, tranquillement installé en selle, et bien qu'il puisse être considéré comme leur prisonnier, les soldats qui l'escortaient le traitèrent avec respect, certainement à cause de la noblesse de sa naissance.
Après plusieurs jours, durant lesquels Gaëlan tenta de se renseigner sur la situation des Déchus sans qu'aucune information ne semble filtrer depuis Tikkr'eth, ne laissant qu'un étrange silence sur le sujet, et s'angoissa également de plus en plus alors qu'il se demandait ce qui l'attendait chez lui, surtout alors que sa famille avait été avertie de ce dont il s'était rendu coupable avec les Déchus, le jeune noble et son escorte pénétrèrent dans Eluville.
Sa ville natale recelait de nombreux bons souvenirs pourtant, Gaëlan ne put se réjouir car il était loin de Nigel, on l'avait dépossédé de ses choix et de ses actes et car il savait que son retour dans la demeure familiale ne serait pas paisible.
Même si ses parents avaient accepté de cacher Nigel, jugeant qu'ils devaient rembourser la dette qu'ils avaient envers les Déchus, ils n'auraient jamais toléré qu'un de leurs fils bafoue les règles qui régissaient la noblesse en fuguant pour s'allier ouvertement à des criminels recherchés or, c'était justement ce que Gaëlan avait fait.
L'un des gardes l'accompagna jusqu'à l'intérieur de la demeure des Souffian alors que le jeune noble percevait sa gorge se nouer de plus en plus, l'empêchant de respirer correctement, et une sueur glacée recouvrir ses paumes,jusqu'au grand salon, normalement utilisé pour recevoir des invités. Son père, Mirondd, et son frère, Osephe, l'y attendaient, le visage sombre et la posture fermée.
N'osant pas les regarder, Gaëlan conserva les yeux baissés, certainement plus mal-à-l'aise qu'il ne l'avait jamais été. En comparaison,l'atmosphère de la maison close de Kaleth lui paraissait confortable. Ignorant que dire et comment se comporter, surtout avec l'intense froideur qu'il percevait émaner de son père et de son frère, le jeune homme ouvrit la bouche, sachant qu'il devait formuler au moins un mot, cependant, Mirondd ne lui en accorda pas l'occasion.
Il fallut quelques secondes à Gaëlan pour réaliser que la douleur pulsant dans sa joue et son visage soudainement tourné sur le côté étaient dus à la violente gifle que son père venait de lui décocher alors que jamais Mirondd n'avait levé la main sur lui.
Les yeux écarquillés, il les releva sur son père qui quittait déjà le salon à grandes enjambées furieuses ans lui accorder le moindre regard.
A défaut de pouvoir lui faire face, Gaëlan se tourna vers son frère, qui le toisait, les bras croisés sur la poitrine.
Un rictus méprisant se dessina sur les lèvres d'Osephe alors qu'il lançait en une cruelle ironie :
« Bon retour à la maison. J'espère que tu t'es bien reposé durant ta petite escapade car un travail conséquent nous attend pour rattraper tes frasques.
- Mère...ne veut-elle pas me voir ? Demanda timidement Gaëlan, préférant ne pas s'appesantir sur les paroles mordantes de son aîné.
- Même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pas pu. Mère est forcée de garder le lit depuis plusieurs jours déjà. Pendant que tu t'amusais avec une bande de dégénérés à peine humains plutôt que de te soucier de ta famille, elle est tombée gravement malade. Certainement est-ce Eévyha qui nous a envoyé une punition pour tes fautes. »
Sur ce qui aurait presque pu sonner comme la sentence suivant l'accusation qui le blessa, Osephe quitta à son tour le salon en bousculant Gaëlan, qui demeura figé sur place, choqué par cette annonce qui le déstabilisait profondément. L'angoisse qui le rongeait trouva une nouvelle source : la santé de sa mère, et la culpabilité se rajouta également.
Tout était de sa faute.
Il avait eu le sentiment de retourner à son triste point de départ mais il constatait que c'était encore pire.
Comme l'avait dit Osephe : bon retour à la maison.
***
La nouvelle de l'accord passé entre Névinda et Thamyre pour l'union prochaine entre Taminiëlle et Ilian avait commencé à se répandre à travers le continent et même tout Thamarèthe, notamment dans les hautes sphères de chaque royaume.
L'information était évidemment parvenue jusqu'à Taïfyne et jusqu'à son souverain, Trystan De Lauvel.
Lui aussi avait assidûment cherché à créer une alliance avec Thamyre pour faire face à Névinda, avec qui les tensions ne cessaient d'augmenter, en mariant sa sœur, Safran, à Ilian De Ohcaire, mais Léhodore Cécyly avait remporté cet affrontement pour la main de l'héritier de Thamyre.
En le découvrant, Trystan sentit la rage monter en lui. Tous ses plans se trouvaient contrecarrés par ce mariage. Il avait vraiment pensé pouvoir réussir.
A présent, son royaume allait se retrouver seul face à Névinda et Thamyre, jamais il ne pourrait conserver sa souveraineté sur une partie du Massif des Eaux Secrètes. Tout ce qui l'attendait maintenant était un colossal désastre.
Dans un mouvement de rage, Trystan jeta à terre tout ce qui se trouvait sur son bureau en hurlant.
La seule alternative qui lui restait à présent était de passer par la violence en oubliant les accords.Depuis un temps déjà, il pensait déjà à attaquer Névinda. Léhodore le prenait de haut depuis trop longtemps. La guerre serait sa réponse à ce mariage.
La face de Thamarèthe semblait changer.
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