13 - La Bataille d'Okinawa
Salman et Dian montent à la longue échelle - haute comme deux étages, qui mène au dos du Titan; Cassandre tient une porte ouverte et leur crie d'aller plus vite. L'intérieur est spacieux pour un homme adulte, mais il faut se serrer, pour, comme les musiciens de brême, faire tenir trois jeunes formats à l'intérieur. L'habitacle est dans le ventre du monstre, derrière une armure impénétrable, et sur un écran invisible en son intérieur est projeté ce que les yeux du colosse pourraient voir : ici, un Saburo qui tente maladroitement de remonter par l'échelle du quai brisé.
Cassandre a mis ses bras dans des extensions bardées d'électronique : des poulies certes, mais des milliers de minuscules moteurs électriques qui tirent des câbles si fins qu'ils sont invisibles. Dans son dos, Salman, un peu plus haut, qui a sa tête dans un dispositif qui lui donne, à hauteur d'yeux, des informations données par un radar, l'emplacement de la flotte et de tous les navires, une carte des reliefs sous marins et terrestres, et enfin la direction du nord. Sous les jambes de Cassandre, pourtant assez longues, Dian a mis les siennes, car elles ne touchent pas les contrôles utilisés pour la marche.
Quand tous les contrôles sont activés, le colosse bourdonne d'une activité électrique et electronique. Cassandre donne un ordre et Dian, maladroitement essaie de soulever une jambe - une jambe du Samourai Titan se lève, soulevant des vagues considérables, et il perd l'équilibre; son sabre, aiguisé à la molécule près, traverse le plafond comme si c'était un miroir d'eau et de la roche tombe en pluie. Cassandre étend ses bras pour limiter les dégâts, et le ventre du colosse frôle Saburo, qui tombe à la renverse, apparaît en gros plan, et ne peut trouver un mot face à eux, alors que Dian crie des excuses.
D'un mouvement de bras démultiplié, Cass le remet debout.
Il faut, réellement, réapprendre à marcher. Se retourner pour atteindre la porte semble impossible, Dian tente une marche à l'envers, alors que Cass compense avec le poids des bras; c'est en tout point ridicule. Saburo hurle des ordres, ordonne à la porte de se fermer, ce que font des serviteurs zélés dans la panique et les vagues géantes.
En s'agrippant à la roche avec sa poigne de fer, Cass retourne le Titan. La porte est fermée mais le colosse s'approche et les serviteurs fuient en hurlant. En deux coups du sabre moléculaire, une ouverture plus grande que la porte est creusée à travers celle-ci.
Dans le soleil rasant du matin, sur une mer d'huile, le Titan Samouraï sort de l'île cachée. Il s'enfonce dans la mer jusqu'à la poitrine, et Salman se souvient de sa vision délirante sur l'Hypérion, alors qu'il était terrassé de fatigue - était-ce prémonitoire ? Il indique à Dian le cap à suivre : celui des hauts fonds, pour que le Titan ne se noie pas.
Dian et Cassandre parlent ensemble : « gauche, droite, gauche, droite » pour que les bras de l'une compense la marche de l'autre. La fatigue gagne Dian, mais la sensation, en un pas, de faire cent mètres, est indescriptible, elle est proche de la sensation de vol.
Leur route croise celle d'une voie maritime : éberlués, les marins d'un tanker se ruent sur le pont avec des jumelles et prennent des photos avec leurs smartphones, un chalutier dévie de sa course pour rattraper le géant impassible qui le distance rapidement et il se perd dans les vagues de son immense sillage. Salman a de mauvaises nouvelles : la flotte des bateaux miroirs de Saburo a presque atteint Okinawa, et la distance est encore longue !
Alors de marcher il faut apprendre à courir - et on découvre que courir, c'est perpétuellement tomber : Cass se penche en avant, et Dian compense avec des mouvements plus rapides. Le Titan soulève maintenant des vagues hautes comme des navires. À chacun de ses pas, il écrase des rochers sous marins et probablement des centaines d'algues et poissons, parfois même des épaves grinçantes, et une nuée d'oiseaux viennent se régaler dans son sillage. Tout le monde transpire, de fatigue et de peur.
Et puis la flotte apparaît à l'horizon, où l'on devine plus loin la côte japonaise. Elle luit déjà. Si ce n'est pas déjà le cas, elle est sur le point de réfléchir la puissance du soleil levant sur les bâtiments ancrés au port.
- « On aura tout fait - c'est trop tard, dit Salman.
- Cours, Dian, cours !
- Je peux pas aller plus vite ! se plaignit Dian, déjà épuisé.
- Salman, tu peux pas parler à la mer, pour lui dire de les engloutir ?
- Je ne parle pas à la mer, je l'écoute, euh, bref, ça marche pas comme ça et... »
Et la suggestion de Cassandre lui donna quand même une idée qu'ils ne perdraient rien à essayer. Cass demanda à Dian d'essayer de bondir : déjà à bout de souffle, elle fit un effort supplémentaire et le Titan s'arracha de la mer, pour retomber avec son sabre fendant les eaux, parallèle à la côte du nord. La lame moléculaire transforma l'eau en lumière avant de donner naissance à une lame de fond, vague immense, vague scélérate, lancée en avant avec une vitesse considérable, qui se réduisait petit à petit.
Elle gagna la flotte des navires miroirs, et, sans la couler, la dispersa et modifia son orientation. La lumière intense, concentrée, des faisceaux qui depuis quelques secondes transperçait les grands hangars militaires, tordant la tôle. Les rayons filèrent dans le ciel, tuant des nuées d'oiseaux, ou plongèrent dans les eaux qui se mirent à bouillonner...
Ils avaient gagné du temps : le Titan repris sa course vers le nord, vers les navires, alors qu'un croiseur américain, l'USS Monterey, une masse grise de métal colossale, une forteresse montée sur une coque, sort du port militaire à une telle vitesse qu'il semble transpercer les vagues; dans son sillage, l'USS Laboon, un destroyer à la silhouette fine.
Le samourai géant arrive à portée de vision : ce que les radars signalaient, sans le croire, devient maintenant observable des navires et de la côte avec des jumelles, et des minutes d'incrédulité passent dans ce spectacle semblable à un rêve - ou un film à grand budget. Le Samourai Titan est étrangement humain, il se traîne dans l'eau jusqu'aux genoux de façon épuisée, et pour cause : Dian et Cass le sont totalement, et son sabre traîne dans l'eau dans une lumière aveuglante.
Arrivé prêt de la flotte-drone, il lève son sabre, l'abat, et une dizaine de navires sont brisés; d'autres renversés par la vague qui s'ensuit, qui vient jusqu'à faire osciller les immenses masses des navires américains.
« On y est presque, dit Cass. Il ne reste presque plus de navires...»
La vue, hélas, leur offre un spectacle terrifiant en contraste avec les prémisses de la victoire. Le long canon du Laboon pointe sur le Samourai Titan. Bêtement, Cassandre lève les bras en l'air, mais la marine américaine n'en a cure : le canon retentit de façon assourdissante et un flux continu de gros calibre vient frapper le Samourai en pleine poitrine : il n'est pas transpercé, étonnamment, mais se renverse sur le dos dans une immense vague alors que les flots le recouvrent.
Tous hurlent de terreur dans l'habitacle de commandement : la surprise, l'effroi et le choc, les ténébres des eaux, les poissons géants qui passent devant leur flux vidéo, la surface qui s'éloigne...et si le colosse n'a pas été transpercé, son armure a été quelque peu fendillée : d'une petite fissure quelques gouttes tombent.
La silhouette effilée du Laboon trace un trait au-dessus d'eux. De celle-ci, des fusées anti-sous marines partent à grande vitesse...ils sont hébétés, mais Cassandre a la vivacité d'esprit de plonger son bras loin dans l'eau (et qu'est ce que la résistance est forte...), s'agripper profondément aux roches sous marines et faire glisser le Titan sur le fond marin; les torpilles explosent contre le fond et l'eau devient opaque. La déflagration résonne dans toute la structure du Titan, dans leurs oreilles, leurs intestins. Les poissons, tués sur le coup, remontent avec les algues mortes comme une pluie inversée.
Est-ce que les marins du USS Laboon se réjouissaient déjà d'avoir terrassé le géant ? Se demandaient-ils ce qu'ils avaient vu, quelques minutes seulement, avant de l'abattre ? Les canons étaient bien occupés à réduire en pièce la flotte solaire de Saburo, fruit de générations de travail d'une population inféodée.
Et une ombre masque le soleil des marins : surgissant des eaux comme un dieu, le Titan Samourai se relève à quelques mètres seulement du navire. Les soldats sont partagés entre terreur et émerveillement, prennent une seconde pour réaliser l'ampleur de leur adversaire...
À l'intérieur, les ados hurlent : ils disent qu'ils sont de leur côté, qu'ils ne veulent pas les attaquer, qu'ils sont là pour les sauver...les canons du destroyer se tournent à nouveau vers le géant. Cassandre jure, puis pousse du bras le navire : il change d'orientation en oscillant comme aucune vague ne pourrait le porter, il grince, des matelots, presque une dizaine, tombent dans l'eau. Le canon fait feu et manque sa cible, et sa formidable déflagration assourdit tout le monde.
« Je suis désolée » avoue, sincèrement, Cass, alors que le canon se retourne encore sur elle. Elle saisit la proue et la soulève...le métal grince affreusement dans une cacophonie assourdissante. 30 degrés et les marins commencent à glisser sur le pont - le canon fait feu, au-dessus de l'épaule du samourai, qui secoue le bateau comme un jouet, pour en tirer tous les humains. Ils tombent à l'eau par paquet de cinq, en hurlant, et puis le Titan laisse retomber le navire, qui plonge sous l'eau et coince sa proue dans le sol marin.
Avec de l'eau jusqu'aux genoux, le Titan a l'air d'un enfant entouré de fourmis : les marins, qui nagent et tentent de gagner le colosse...ou de s'en éloigner, suivant leur courage.
- « Ils sont débiles ! grince Cassandre. On était là pour les sauver !
- J'espère que tu n'as noyé personne...murmure Dian.
- C'est de leur faute. Enfin bon, c'est terminé. On rentre sauver Hagiwara ? Ou alors on va sur la terre ? Ça va en jeter un max, ce robot ! »
Salman les interrompt, d'un ton soucieux, l'œil sur ses écrans :
- « Cass on a un problème...l'autre navire américain...il s'est mis en route vers notre île.
- Très bien, qu'il lance quelques missiles sur Saburo, ça lui fera les pieds, à ce grincheux !
- Cass, il y a toute une ville là bas...persuadée que les américains sont les ennemis...ils vont tous se faire tuer et ils vont même être heureux d'y sacrifier leur vie...
- Bon, vous voulez qu'on se fasse un autre bateau de guerre ? C'est la routine pour moi vous savez !
- Je suis à plat, Cass, avoua Dian. Je ne pourrai pas faire un pas de plus... »
Cassandre leva les yeux vers l'océan vide. Le retour allait être long.
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