11 - Dernier duel
Ils sont face à face, Kojiro et les trois ados, sur l'avancée de terre qui mène au pavillon. La pluie tombe dru et elle ruisselle sur leurs visage, goutte sous leur menton. Kojiro n'a pas un sabre dans la main : il en a deux.
« Kojiro, mon vieux, tu sais qu'on t'aime bien et qu'on aime bien ton père, même si c'est la pire tête de mule de l'Asie, s'exclame Cassandre plus fort que la pluie. Fais pas style qu'on va se battre parce qu'on va pas se battre. On va se mettre ensemble et faire arrêter tout ça. »
Kojiro fait glisser un des sabres à terre - sur le ciment recouvert d'eau, il tourbillonne - et qui se bloque sous le pied de Cass. Elle s'en saisit, le défouraille d'un centimètre, pour voir à la lueur d'un éclair que c'est une lame en acier.
Une vague immense passe par dessus la digue entre eux - à la hokusai - et Dian se souvient de la carte : duel à mort, mais tu n'y participeras pas, avait sentencé la diseuse de bonne aventure.
« Tu veux qu'on se batte, Kojiro ? Qu'on se batte à mort ? Tu voulais pas qu'on se marie ? »
Salman et Dian regardent Cass stupéfaits.
- « Écoutez, Dame Cassandre, fit Kojiro dans un anglais poli et maladroit, haché par l'émotion et le roulement du tonnerre, faites demi-tour avec vos deux compagnons et laissez-nous faire ce que nous voulions faire, ce pourquoi nous avons travaillé toute notre vie. Mon père m'a simplement dit de vous arrêter pour de bon, mais il est en guerre, dans sa guerre. Dans ma guerre, il n'y aura pas de morts inutiles. Dame Cassandre...je ne veux pas vous pleurer, je vous en prie.
- Moi non plus, je ne veux pas te pleurer, Kojiro. Tu sais, ces deux mauviettes, derrière moi, ils ont bien envie de retourner au chaud et d'oublier tout ça, mais je suis là, je les ai tirés dehors. Parce qu'il faut que quelqu'un se bouge ! Ton père fait n'importe quoi ! Pardon, je vais le dire autrement : on est au 21e siècle. On ne se fait pas la guerre, pas celle là. On est dans un monde où rien ne justifie la mort de quelqu'un !
- Oui ! s'exclama Salman. Cass, tu t'exprimes mieux que je pourrais le faire !
- Tu as dit que tu m'aimais ! Et tu brandis ta lame pour me menacer ! C'est pas que t'es bête, c'est que t'es ringard ! Tu veux vivre à mes côtés ? Viens dans le futur, mon présent ! Celui où on s'explique, parfois en se tapant dessus, mais on ne tue personne !
- Oui, je vous aime, Dame Cassandre, dit Kojiro en tirant son sabre et en le maintenant en position de kendoka. Et je comprends ce que vous dites. Peut-être qu'un jour vous m'aimerez, et vous comprendrez pourquoi j'agis ainsi. Je vous en supplie, retournez au pavillon. Sinon je vous tuerai. Et je vous aime tellement, Dame Cassandre, que j'en mourrai aussi. »
Dian, qui connaissait la mentalité japonaise et le cheminement du destin pour l'avoir lu dans les cartes, déclara, comme un arbitre :
« Il n'y a rien à faire. Le combat est inévitable. »
Cassandre tire la lame et jette le fourreau dans la mer, avalé par une vague furieuse. Elle se mit en garde. Immédiatement ses amis virent la portée de l'entrainement d'Hideyasu : sa position était parfaite, et elle dégageait une aura de puissance. Les fantômes de la mer et de la pluie semblaient s'incliner devant elle. Tout dans ce monde bougeait, sauf la mécanique rôdée de ses muscles.
Mais en face, Kojiro semblait tout aussi un roc invincible. Une grande vague recouvrit les étoiles et l'allée de ciment, se dispersa, et ils se jetèrent l'un sur l'autre. Lame contre lame, une fois, deux fois, tirant des étincelles, et une tranche verticale de Kojiro coupa une partie de la robe de combat de Cassandre. Un centimètre à gauche, et c'était un bout de chair qui partait.
Ils se tournent autour, sur la mince allée...Salman est désespéré, il se voit tenir Cassandre mourante dans ses bras.
Encore un enchaînement, et Cass perd l'avantage : elle recule, se défend, recule...elle a peur de la lame qui signifie la blessure, la douleur, le sang et la mort. Les coups de Kojiro redoublent de force, sous l'aiguillon des émotions contraires, et Cassandre lâche sa prise, lâche son sabre, tombe à terre. Kojiro est au-dessus d'elle, son propre sabre au-dessus de sa tête, prêt à être abaissé. De nombreuses années on lui avait appris, dans ce cas, d'attendre, d'accepter la défaite de l'autre, mais ces dernières semaines, Hideyasu lui avait dit : c'est la guerre. Frappe comme ton ennemi te frapperait. Alors c'est dur, et sans y croire, il abat sa lame alors que Salman et Dian poussent des cris d'horreur.
Une grande vague passe et balaie la fille à terre et celui qui voulait la tuer. Cass, blanche d'avoir vu la mort si près, reprend son sabre, recule doucement, tremble, tremble totalement. Kojiro aussi est livide, et sa main tremble. Il n'en revient pas qu'il a failli tuer, et qu'il va devoir le faire encore. Il recule, essaie de retrouver ses esprits.
- « Je suis pas sûre d'y arriver, avoue Cass (on aurait dit qu'elle allait pleurer).
- Alors abandonne, je pense qu'il sera content qu'on rentre au pavillon, » dit Dian.
Cass et Kojiro se regardent, de côté. Ils ne savent pas s'il faut continuer, et s'ils sont capables de continuer. Et pourtant, il y a une étincelle dans le ventre de Cassandre.
- « Je dois y aller. Mais je ne veux pas le tuer. Je dois y aller. Je dois y aller. Tant pis. Je dois y aller.
- Cass...dit Salman.
- Sal, je sais ce que tu vas me dire, mais déso...je vais y aller.
- Cass, je crois que j'ai une idée. Je sais que je vais dire un truc dingue mais...je comprends le langage des vagues. C'est un truc que j'ai appris sur le bateau. Je sais quand il y aura la grande vague. »
Dian plissa les yeux...c'était difficile à croire, quand même. Cass posa sa main sur l'épaule de Salman et dit simplement « D'accord. Bonne idée. Préviens moi juste avant. »
Elle reprend son courage et sa posture, puis avance d'un pas décidé vers Kojiro. Il soupire, semble désespéré, amoureux, admiratif, en colère. Ils sont symétriques. Kojiro tente des attaques brèves mais Cassandre dévie patiemment. D'où vient cette patience ? se dit-il. Qu'est ce qu'ils se sont dits ? Leur a-t-elle fait des adieux ? Pourquoi semble-t-elle si forte ? Pourquoi il l'aimait tant ?
Salman cria un mot et Cass démultiplia son hurlement, en se vidant de toute son énergie. Elle aurait pu terrasser son adversaire, mais elle frappa sa lame comme pour la briser, et il fut rejeté en arrière, perdant l'équilibre - alors, une vague géante, un dôme d'eau se dressa au-dessus de lui avec tant de force que l'air sembla aspiré vers le haut, et que la pluie ne tombait plus.
Quand elle s'abattit, le duel était manifestement terminé : il n'y avait plus de Kojiro sur l'allée, juste son sabre, planté dans sa lame entre deux rochers.
Cass plongea dans les eaux sombres.
Dian et Salman remontèrent la digue, mais il n'y avait trace ni de l'une et de l'autre. Salman semblait désespéré, avoir surmonté tant de périls mortels pour mourir aussi bêtement, mais Dian lui montre la plage, celle-même où ils s'étaient échoués : Cass traînait le corps inanimé de Kojiro. La tempête passait...la plus grande vague avait fait son œuvre. La dernière goutte tombait quand ils se rejoignirent tous. Cass était à genoux devant son adversaire, sur le dos, les yeux fermés.
- « Il s'est noyé, Cass ?
- Non, les abrutis ne meurent jamais.
- J'ai eu drôlement peur pour toi, Cass. Franchement... » et Salman se mit à pleurer de soulagement et de frayeur. Dian lui fit une étreinte, dans son dos :
- « On a eu peur.
- Ben écoutez, moi aussi j'ai eu peur, super peur. Je ne veux plus me battre. Mais ne le dites plus à personne, sinon je vous tue, et après, je me suicide. »
Salman et Dian se retinrent de rire parce qu'ils savaient qu'elle était très sérieuse. Kojiro papillona des yeux et cracha de l'eau, et Cass lui dit :
« Repose toi, mon vieux. Quand ce sera fini, on prendra le temps de parler, ok ? »
Il se mit sur le coté, et cracha encore de l'eau. Sa respiration était sifflante, et il semblait vidé de forces. Sa peau était d'un blanc pâle.
Cass lui donna un baiser sur le front et il perdit connaissance.
« Tu nous dis que tu as peur, puis tu fais un bisou...on ne te reconnaît pas, Cass. », confia Dian.
Cassandre partit en direction de la maison et s'exclama, une main en l'air : « Vous n'avez encore rien vu les gars. Cette nuit, je pilote un robot géant. »
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