10 - Et pour terrasser le Golem

Salman s'était retiré en s'inclinant respectueusement, devant le regard vide de Saburo, peut-être dépassé par des événements qu'il avait mis en branle, et qu'il était désormais impossible de stopper. L'ado avait marché dans un état second vers leur pavillon, pour le trouver vide. Il appela Dian, puis Cass d'une voix blanche mais personne n'était là.

Quand il insista, Aiko se présenta : cette fois-ci elle portait un sabre au côté, comme si de rien n'était.

Ils sont en train de s'armer, se dit Salman. Il la congédia très poliment, puis se posa dos au coin de leur grande pièce, le visage dans les mains. Quelle chance, se disait-il ironiquement, qu'il ne soit qu'un garçon inutile et impuissant. Il n'avait rien à faire sinon attendre la guerre, et s'en sortir d'une façon ou d'une autre, car il était bien né. Pour lui, le monde était un jeu qu'il ne pouvait pas perdre, tout juste avoir des petites frayeurs, qui construiront des récits qui feront fureurs dans des galas mondains.

Dian arriva enfin, après plusieurs heures, trempée d'eau de mer. D'un regard échangé, ils comprirent l'un l'autre que la situation était grave. Dian se mit à lui parler dans le patois du québec qu'utilisait Raymond, un pilote d'hydravion d'une précédente aventure au Canada. Cette langue que baragouinait Dian avait suscité l'intérêt de Salman et ils utilisaient volontiers cette méthode, quand, à l'école, il fallait dire devant tout le monde des choses que personne ne devait savoir.

« Soyons brefs et efficaces, Salman. Sab - euh, le maître de cet endroit a des yeux et des oreilles. Il va savoir que nous utilisons un langage secret et il va peut-être prendre des mesures. Mais ça ne peut pas attendre. Tu me comprends ? »

Salman fit oui de la tête alors que Dian vint se poster à genoux devant lui, leurs visages très proches.

- « Je suis allé de l'autre côté de l'île. Il y a notre bateau et notre pilote. Il y a toute une ville de gens. Des usines entières. Ces gens pensent que la guerre...la 2e, se poursuit, depuis 80 ans. Ils construisent des armes, Salman.

- Une flotte de navires capables de concentrer la lumière pour brûler une côte. Un robot titanesque semblable à un samourai qui va semer la terreur.

- Tu les as vus ?
- Ce soir. Le maître de ces lieux m'a montré.
- On va faire quoi ?
- Rien. L'attaque sera à l'aube, dans quelques heures. Que veux-tu faire ?
- Tu ne peux pas dissuader...tu sais qui...de faire ça ?
- Non. Je crois que tu connais les japonais mieux que moi d'ailleurs. Quand ils sont persuadés d'une chose...
- Tu penses qu'il va se passer quoi ?
- Il y aura des morts, pas beaucoup. Mais il y en aura. L'armée...leurs adversaires vont les pulvériser, tôt ou tard. Pauvres gens. Et nous, on viendra nous chercher. On va être des spectateurs impuissants, mais il n'y a rien à faire. »

Dian se posa dos au mur, à ses côtés, et laissa tomber sa tête sur Salman.

- « On lui dit à Cass ?
- Tu veux mon avis sur la question ?
- Ouais. Il est plus sûr qu'elle n'en sache rien. »

Quand on parle du diable, voici Cass qui tire la porte du pavillon comme si elle voulait l'arracher, et saute pieds joints au milieu de la salle. Elle porte encore le bas de sa tenue de combat. Elle parle avec excitation, en français, elle hurle presque :

« LES GARS ! IL Y A UN ROBOT GÉANT SOUS CETTE ÎLE ! SABURO VA LANCER UNE ATTAQUE CONTRE LES AMÉRICAINS ! »

Salman et Dian se regardent, désespérés, qu'elle hurle à la caméra du maître de ces lieux les secrets qu'ils s'échangeaient jusqu'à présent. Quand elle les voit ainsi, proches et complices, elle s'interroge :

- « Vous étiez pas en train de vous embrasser par hasard ?
- Mais non ! rougit Salman.
- Exactement ce que dirait un gars en train d'embrasser en douce, alors arrêtez tout de suite ! On a pas le time ! On doit aller empêcher cette guerre !
- Tu as un plan génial pour ça, évidemment ! rétorque Salman.
- On fonce au robot, et on en prend le contrôle. Je l'aurais fait seule mais s'il y a des trucs techniques, je préfère que tu sois là, Salman ! Allez, on file ! »

Salman se relève et montre la caméra.

- « Vu que tu viens de dire ton plan à la caméra du Seigneur Saburo, il va t'accueillir bien gentiment dans sa caverne immense avec son armée de loyaux sujets, c'est ça ?
- Quoi ? Tu veux rien faire ?
- Ils préparent leur guerre depuis presque un siècle, Cass. À un moment il faut être réaliste.
- Les gars...si vous faites rien, alors vous êtes pires qu'eux. Pires ! Dire qu'on va pas y arriver c'est nul à chier ! Vous savez pourquoi et comment j'ai déglingué la bande de Dave qui s'en prenait à Salman ? Je l'ai fait parce que c'était ce qu'il fallait faire, et il n'y avait pas de question à se poser.

- Tu as fini à l'infirmerie et je crois que ton nez n'est plus vraiment droit. Et pour David et ses amis, déjà il y en a un que t'as pas touché et eux, ils n'ont pas eu besoin de soins.
- Mais ils ont arrêté de te chercher ! Le Pourquoi c'était parce qu'il fallait le faire, et là, le truc à faire, juste maintenant, c'est pas de pleurnicher ou de se faire des calins, c'est de partir dans la nuit, de prier le Kise Manito, et de prendre le contrôle de ce fichu robot ! Et pour le Comment, les gars ! Il y a une seule façon de mettre cinq types balaises à terre ! Une seule façon d'abattre un robot géant. Une seule façon de terrasser le golem. »

Dian fut frappé par cette expression, « une seule façon de terrasser le golem », car elle avait été prononcée par la diseuse de bonne aventure - et donc, il en savait la fin. Il coupe alors la parole à Cass et dit :

- « Il faut frapper en premier.
- Exactement Dian. Il faut frapper en premier.
- Dian, gémit Salman, me dis pas que t'es dans son camp ! »

Dian eut un regard un peu résigné :

« Je suis navré Salman. Mais je crois que nous devons suivre Cass. Go, ma fille. »

Cass pose ses mains sur les épaules de ses amis et leur dit que tout ira bien. Et puis elle s'enfuit, presque en courant, vers l'extérieur.

Le temps a brusquement viré à l'orage : un rideau mouvant de pluie s'abat sur l'île, et un vent puissant pousse de grandes vagues sur le chemin désormais détrempé face à leur pavillon. Cass ralentit, puis stoppe tout à fait. Illuminé des petits flambeaux faméliques du chemin bordant la mer, mais aussi d'un éclair propitiatoire et fatal, la silhouette armée d'un sabre du jeune Kojiro s'approche.

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