Chapitre XXXIV : Cristalisation


À l'infirmerie, une fois les soins terminés, Téos était venu leur faire la morale. Il avait accusé Aeshma d'être incontrôlable, Atalante de la suivre dans ses délires et leur avait déclaré qu'il était heureux qu'elles ne fussent pas nées à Sparte parce qu'en les voyant, les Lacédémoniens auraient toute suite vu qu'elles étaient folles et les auraient balancées sans plus attendre du haut de la falaise où ils jetaient leurs nouveaux-nés mal formés. Les deux gladiatrices restèrent muettes de surprise de se voir ainsi noyées sous les imprécations alors que derrière lui, Atticus et Typhon souriaient à pleines dents.

Vous êtes folles, jura Téos. Mais par tous les dieux ! Que ne donnerais-je pour avoir vingt gladiateurs comme vous. Au moins, je n'aurais pas si peur de vous perdre, maugréa-t-il. Peu m'importerait qu'à chaque fois que je vous appaire ensemble, l'une de vous deux manque d'y laisser sa peau ou son intégrité.

Elles vont bien, dominus, intervint Atticus. Elles pourront rapidement reprendre l'entraînement, mais il faudra attendre un peu avant qu'elles se montrent aptes à retourner sur le sable.

Je voulais les emmener à Capoue, grogna Téos. On y donne un munus dans dix jours, je suis sûr de pouvoir y ajouter une ou deux paires de gladiatrices et peut-être même de gladiateurs.

Il les avait regardées l'air contrarié puis, il avait pointé un doigt menaçant dans leur direction.

Vous allez rentrer, mais vous avez intérêt à vous tenir à carreau. Et quand je vous retrouverai, j'espère que Typhon et Herennius ne tariront pas d'éloges à votre sujet.

Herennius ne s'est jamais plaint de nous, dominus, protesta Aeshma.

Tu es tellement sûre de toi, Aeshma. Tu sais qu'un jour cela finira mal ? Que tu n'es pas éternelle ? lui dit-il méchamment.

Je suis gladiatrice, dominus. Je sais cela depuis le premier jour.

Oui, tu es tellement maligne ! Et toi, Atalante ?

Dans le désert, chaque nouveau jour qui se lève sonne comme une victoire sur la mort.

Pff... souffla le laniste énervé. Reposez-vous. Une dernière chose : vous étiez fâchées avant de rentrer dans sur le sable ?

Aeshma se renfrogna, Atalante se mordit l'intérieur de la joue, mais elle répondit :

Non, dominus. Pourquoi pensez-vous cela ?

Toi, tu n'étais pas fâchée, Atalante. Mais toi, Aeshma ? Je te regarde combattre depuis huit ans, je te connais. Tu as combattu comme une sauvage. Ça encore, ça peut passer, mais tu t'es montrée fébrile et ça, ça ne te ressemble pas.

Je n'ai aucun grief envers Atalante. Je voulais seulement montrer à ces gens de quoi nous sommes capables.

Mmm, fit Téos pas vraiment dupe de son mensonge. Je crois qu'ils se souviendront de votre prestation. Les gardes ont eu de la peine à empêcher vos admirateurs de forcer les portes du ludus. Ils avaient beau leur dire que vous étiez mourantes, ça n'en a découragé aucun. J'ai un tas d'invitations privées vous concernant et on a mis les cadeaux qui vous ont été apportés dans ta cellule, Atalante. Vous êtes insupportables, mais je ne vous volerai pas ce que les gens considèrent que vous méritez.

Merci, dominus, dit Atalante tandis qu'Aeshma se contentait de grogner.

Téos grimaça puis, il les regarda avec attention. Atalante sentit sa gorge se serrer. Il n'en avait pas encore fini avec elles, mais il hésitait.

— Vous savez, dit-il lentement. Votre appartenance au primus palus ne vous dispense pas de vous conformer au règlement et ne vous protège pas des sanctions si vous le violez.

Nous le savons, dominus, lui assura Atalante.

Oui ? Ben, faites passer le message à Sabina et Astarté.

Pourquoi ? Elles ont, euh...

Dites-leur, c'est tout.

Le ton avait été coupant, glacial et lourd de menace. Téos les laissa méditer sur ses dernières paroles et sortit accompagné de Typhon.

Atticus, tu sais quelque chose ? lui demande la jeune Syrienne.

Non. Je soigne, Atalante. Je ne vis pas avec vous. À part Aeshma, je ne vois les gladiateurs que quand ils requièrent mes soins. Ce serait bien que vous restiez ici cette nuit. Vous avez perdu beaucoup de sang, je ne veux pas que vous dormiez isolées dans vos cellules. Il y a des couches à côté. Elles sont propres et Métrios restera ici si vous avez besoin d'aide. Les autres blessés n'ont pas besoin de soins très importants.

Je n'ai pas envie de... maugréa Aeshma.

Je ne t'ai pas donné le choix de refuser, Shamiram.

Pff, souffla d'exaspération la petite thrace. D'accord, Atticus, d'accord, mais juste cette nuit.

Mmm, acquiesça le médecin. Je sais que je n'ai pas besoin de vous le dire, mais ne prenez pas à la légère la mise en garde de Téos. S'il a quelque chose à reprocher à Sabina ou Astarté et qu'il vous prévient, c'est qu'il mijote des représailles.

Il aida ensuite les deux jeunes gladiatrices à s'installer dans la salle attenante à l'infirmerie.

Il sait, déclara Aeshma d'une voix lugubre une fois Atticus parti.

Que peut-il reprocher à Sabina ?

Lucanus.

Lucanus ? s'étonna Atalante. Tu ne vas pas me dire que Sabina l'aime ?

Non, c'est juste un ami pour elle, mais Piscès m'a assurée que cet idiot l'aimait. Sabina n'a rien voulu entendre quand il le lui a dit et elle continue à le coller. Sabina ne risque que de perdre un ami.

Et nous, un bon camarade.

Je préfère perdre Lucanus qu'Astarté, répliqua Aeshma.

Atalante leva la tête.

Je... Atalante, il y a quoi entre Marcia et Astarté ?

Tu le sais, non ? Sinon, pourquoi as-tu tant voulu me faire la peau cet après-midi ?

Merde ! Ata, je ... je ne... J'étais tellement furieuse.

Sympa de me prendre pour un palus.

Tu m'en veux ?

Non.

Tu crois que c'est sérieux ?

Aucune idée, mais la première fois a été suivie par de très nombreuses fois et je connais bien Astarté. Même quand elle t'aime bien, elle n'installe jamais une vraie relation. Elle est très claire à ce propos.

C'est-à-dire ?

Atalante soupira. Parler de ses relations intimes, même si elles n'impliquaient pas vraiment de sentiments exacerbés, la mettait mal à l'aise.

Elle le dit. La première fois, elle me l'a dit. Et elle tient parole.

Comment peux-tu savoir ? Ce n'est pas parce que vous baisez de temps en temps ensemble que tu peux savoir comment...

Je le sais, la coupa Atalante.

Pff...

T'es vraiment chiante, Aesh. Tu veux savoir comment je le sais ? Parce que je me suis toujours plus ou moins bien entendue avec elle et que... Je ne sais pas comment t'expliquer. Avec elle... Quand la première fois... Elle s'était montrée si... je me suis sentie, pour la première fois depuis qu'on m'avait enlevée, je me suis sentie aimée, proche de quelqu'un.

Aimée ?! s'ébahit Aeshma.

Oui, confirma Atalante. Ça ne faisait même pas un an que j'avais rejoint la familia. Je n'avais pas vraiment d'ami, je ne me sentais proche de personne. Chez moi, je passais de longues journées seules dans le désert, parfois plusieurs jours de suite. Mais quand je retrouvais les autres au campement, leur accueil était si chaleureux, si simple, amical et joyeux... Dans la familia, tout me semblait froid, superficiel, dur. C'est peut être pour cela que tu m'as tellement plu.

Moi ? s'étonna Aeshma.

Oui, toi et ton amour de la solitude, toi et Daoud. Tu me rappelais les gens de chez moi.

Et Astarté ?

Astarté... soupira Atalante. Elle papillonne d'un homme à l'autre, d'une femme à l'autre. Mais avec elle... Après cette première nuit. J'ai voulu plus. Je sais qu'elle m'aimait bien, mais elle a refusé. Fermement.

Tu l'aimais ?

Je n'en sais rien, Aesh. Tu n'as jamais été avec elle ?

Non.

Je n'ai jamais réussi à lui résister, avoua Atalante penaude.

Donc, Marcia non plus. Pourquoi tu ne m'as pas dit ça avant ?

Parce qu'Astarté n'a jamais dérogé à sa règle.

Et maintenant ?

Elle a passé outre.

Il faut leur parler.

Oui.

Maintenant.

D'accord.

Tu parles à Astarté, je me charge de Marcia, décida Aeshma.

Non, je prends Marcia, tu t'occupes d'Astarté.

C'est débile.

Vous vous ressemblez toi et Astarté, vous pensez de la même façon.

Atalante craignait surtout qu'Aeshma se montrât violente et brutale. Astarté gérerait. Marcia aimait Aeshma, si celle-ci l'agressait, elle se fermerait comme une huître et se dresserait contre elle, ce qui ne ferait qu'énerver un peu plus Aeshma. Atalante et elle ne voulaient pas punir les fautives, elles voulaient seulement comprendre et mettre en garde. Contraindre Astarté comme Marcia à reprendre de la distance entre elles.

Sauver Astarté. Si Téos soupçonnait une histoire sentimentale, il s'en prendrait à elle. Atalante pas plus qu'Aeshma ne voulait qu'elle fût vendue. C'était une gladiatrice de valeur, mais Téos pouvait décider de la vendre à un laniste et en retirer un prix qui adoucirait sa perte. Astarté continuerait sa carrière. Elle remporterait des victoires et brillerait comme elle avait toujours brillé sur le sable. Elle serait peut-être même heureuse, mais Atalante ne se résoudrait que difficilement à ne plus voir chaque matin, la jeune Dace s'étirer et à rouler ses larges épaules pour les échauffer. Atalante aimait son sourire chaleureux et ses yeux dorés. Elle s'était souvent querellée avec elle parce qu'elle jugeait son comportement trop souvent inacceptable envers les novices et qu'elle n'avait jamais approuvé sa brutalité quand elle s'entraînait avec eux, sa morgue. Parce que cela ne correspondait pas non plus à l'image qu'Atalante avait de la jeune Dace. L'image qu'elle s'en était forgée au cours des nuits, année après année, qu'Atalante avait pu passer entre ses bras. La grande rétiaire se reprochait sa faiblesse et elle aurait aimé affirmer qu'Astarté n'était qu'une menteuse et une manipulatrice. Elle l'était parce qu'elle donnait à chacun ce qu'il attendait d'elle, ce qu'il espérait, mais Astarté, si elle en retirait du plaisir et profitait de ses dons de séductrice pour s'accorder les nuits auxquelles elle aspirait, ne profitait pas des autres. Elle connaissait son pouvoir sur Atalante, elle n'en avait jamais usé. Elles étaient camarades, rien de plus. Mais quand Atalante se retrouvait entre les bras d'Astarté, tout changeait. Voilà, aussi pourquoi elle était plus à même de parler à Marcia. Aeshma ne comprendrait pas si la jeune gladiatrice, lui parlait d'écoute, d'échange et de se sentir comprise. Aimée. Elle ne pouvait pas savoir ce qu'Astarté avait satisfait chez Marcia, ce que Marcia avait découvert, trouvé dans les bras d'Astarté, mais elle, Atalante, savait que la Dace lui avait ouvert les portes d'un univers fascinant, d'un monde auquel rêvait Marcia. Astarté avait dû, comme elle l'avait fait avec elle, donner forme à ses rêves et à ses aspirations les plus secrètes.

Je suis désolée, Aesh, j'aurais dû le prévoir.

Comment pouvais-tu prévoir que cette abrutie de Dace se conduirait comme une stupide novice ?

On y va ?

Ouais, j'espère juste qu'il n'est pas trop tard, dit sombrement Aeshma.


***


Elle n'en avait pas cru ses oreilles. Comment une fille comme Astarté pouvait ainsi s'être fait piéger par une novice ? Aeshma avait toujours pensé qu'Astarté était comme elle. Et elle lui parlait de désir ? De faiblesse ? Elle balbutiait comme une enfant prise en faute. Confuse, perdue, indécise, désemparée... Les pensées d'Aeshma gelèrent dans sa tête. Les deux derniers adjectifs qui lui étaient venus à l'esprit... Atalante les avait prononcés pour décrire son attitude quand elle était revenue du Grand Domaine. Merde.

Je ne sais pas, Aeshma... Je sais que... J'ai voulu arrêter. Je n'ai pas pu. Je n'arrive pas lui résister.

L'histoire telle que la lui narra Astarté était confondante de naïveté et de simplicité. Aeshma l'aurait trouvée pathétique si elle n'avait porté dans sa ceinture un tétradrachme qu'elle ne s'était jamais résolue à jeter et que le jour où elle l'avait rageusement lancé alors qu'elle jouait avec elle s'était ensuite précipitée comme une idiote pour le ramasser, l'essuyer avec un pan de sa tunique, caresser du pouce, le profil de Néron gravée dessus et le ranger ensuite à sa place, là où elle savait qu'elle ne la perdrait pas. Aeshma était une imbécile. Astarté ne valait pas mieux qu'elle.

.

Marcia après avoir passé la nuit dans les bras d'Aeshma, s'était aperçue qu'elle s'était trompée de ceinture en quittant la chambre d'Astarté. Elle avait voulu aller lui rendre le lendemain matin, mais Aeshma avait grogné qu'il y avait plus pressant à faire. Elles s'étaient levées tard et Téos ne voulait pas s'attarder à Corinthe. Ce qui n'empêcha pas le laniste de programmer une séance d'entraînement particulièrement dure.

Ça vous dessaoulera, apprit-il aux gladiateurs quand il les retrouva dans la cour.

Typhon et les gardes avaient reçu des instructions. Les verges et le fouet du doctor s'activèrent autant sur le dos des gladiateurs que les armes en bois sur les palus. Téos avait prévu de partir le lendemain avant la première heure. Les gladiateurs l'attendraient à Corinthe sous la responsabilité de Typhon. Il aurait aimé emmener le doctor avec lui pour bénéficier de ses conseils, mais il ne pouvait pas laisser les gladiateurs à la seule garde de Tidutanus. Le chef de la garde saurait faire régner l'ordre, mais il ne possédait pas l'aura d'un doctor. Les gladiateurs devaient être tenus d'une main ferme et continuer à s'entraîner sérieusement. Le laniste avait négocié pour que sa familia pût rester au ludus municipal. Quand Téos reviendrait, ils s'embarqueraient sur une coque ronde, traverseraient la mer Ionienne, passeraient la pointe de l'Italie et remonteraient vers Pompéi où les jeux se tiendraient un mois et demi plus tard.

Téos s'absenta trois semaines. Trois semaines qui suffirent à Marcia pour remettre en question les certitudes d'Astarté. Qui suffirent à ce que la jeune Dace reniât tous ses principes.

.

Elle est revenue le soir suivant. Elle m'avait pris ma ceinture en me quittant et n'avait pas osé me la rendre pendant la journée. Typhon ne nous avait pas lâchées. Marcia avait été dispensée d'entraînement à cause de sa cuisse. Je ne l'avais pas vue de la journée. J'allais me coucher quand elle a frappé à ma porte. Tu sais, il y a un truc qui me plaît beaucoup avec Marcia. Elle frappe et elle attend que tu répondes. En général, personne n'attend. Elle si. Elle est tellement polie.

Aeshma s'astreignit à garder le silence et à ne pas la battre comme plâtre.

Elle a fermé la porte. Elle m'a regardée, je l'aie vu se troubler et puis, elle a doucement mis la clenche en place. Elle s'est approchée. Elle m'a dit qu'elle avait emporté ma ceinture par erreur et qu'elle était désolée. Je la regardais comme une imbécile. Je ne sais pas pourquoi. Elle a...

Ouais, cet air, ce charme, qui attire ton regard, qui trouble tes sens et te rend complètement stupide, pensa Aeshma hargneusement. Les confidences d'Astarté éveillaient sa colère, créaient un point douloureux juste à la base de son sternum, comme si son diaphragme se tordait sous l'effet d'une violente crampe. Sa colère n'était qu'une réaction de défense. Aeshma prenait conscience, alors qu'Astarté parlait, que la jeune Dace s'était perdue et ses paroles, ses sentiments confiés sans fards, sa confusion, faisaient écho à ce qu'avait vécu et ressenti la petite thrace face à Gaïa Metella. Des sentiments qui la poursuivait un an après dès qu'elle pensait à elle. Des réactions incontrôlables qu'elle n'expliquait pas et dont elle ne pouvait se défaire. Astarté la mettait brutalement face à elle-même.

Elle s'est avancée doucement vers moi, elle évitait de croiser mon regard. C'est à ce moment-là que j'aurais dû reprendre ma ceinture et la jeter dehors.

Mais tu ne l'as pas fait.

J'ai pris ma ceinture, je lui ai murmuré un remerciement et je me suis retournée pour la poser sur la table. Je ne voulais plus la voir, pas l'affronter. Mais... elle m'a enlacée par derrière. Elle a posé la tête sur mon épaule et je me suis retrouvée dans l'incapacité de bouger.

Et elle l'a pris comme un encouragement, comme une permission.

Je n'en sais rien, Aeshma. Elle m'a embrassée dans le cou, doucement. Je sentais son souffle sur ma peau et des frissons me parcourir le dos, de la nuque au creux des reins. Et, euh...

Tu n'as pas résisté à ton désir et tu as oublié que c'était une très mauvaise idée.

Oui. Elle m'a fait pivoter dans ses bras. Elle a cherché mes lèvres et ensuite... acheva Astarté dans un murmure.

Ensuite, elle avait passé une nuit aussi intense que la première, mais quand elle avait posé sa tête sur l'épaule de Marcia et qu'elle s'était lentement endormie tout en caressant paisiblement la jeune fille qui, les bras refermés autour de son cou, gémissait doucement sous ses doigts, elle ne lui avait pas déclaré qu'elle était une bonne camarade et qu'il ne lui restait plus qu'une nuit à partager avec elle pour cette année.

Parce que, toutes les autres nuits, Marcia était venue la retrouver et Astarté ne l'avait jamais repoussée.

J'ai voulu mettre la clenche, la laisser dehors. Elle arrivait, elle frappait doucement à la porte, je savais que c'était elle. Je suis parfois restée allongée sur mon lit, les bras croisés derrière la tête, décidée à ne pas répondre. Le temps d'un souffle. Je l'attendais. Je savais qu'elle allait venir. Je crevais d'envie qu'elle vienne. Dès que je rentrais dans ma cellule, je ne pensais plus qu'à elle, à ses mains, à son corps, à sa bouche, je la guettais. Elle n'est jamais repartie sans que nous ayons passé la nuit ensemble.

Merde, jura Aeshma. Ça a duré les trois semaines durant lesquelles Téos est parti ?

Oui.

Toutes les nuits ?

Oui, presque.

Comment est-ce possible que personne ne se soit rendu compte de rien ?

Si personne n'avait rien vu, tu ne serais pas ici, dit misérablement Astarté.

Mais ça fait un mois et demi.

J'ai fait attention, elle aussi. On a fait en sorte de s'éviter la journée parce que, dès que je suis à côté d'elle, j'ai envie de l'embrasser, de la toucher, de... Et, Marcia ne le sait pas, mais j'ai couché avec des gars, avoua Astarté. Avec des filles, je n'ai pas pu, mais avec des gars, au moins une fois par semaine.

Je sais ça, c'est pour ça que je ne comprends rien. Et d'ailleurs, comment Marcia peut ne pas le savoir ?

Astarté releva la tête.

Elle est aveugle. Un jour, un gars a fait une réflexion devant elle. Elle m'a regardée et m'a seulement souri d'un air complice. Elle est incapable de croire que je puisse aller avec quelqu'un d'autre qu'elle.

Mais c'est pas vrai ! C'est encore pire que ce que je pensais.

Et puis, avant, tu as souvent su avec qui j'allais ?

Non. Enfin si, on sait, mais on ne sait jamais quand.

Mouais, sauf dernièrement, sourit pauvrement la jeune Dace.

Oui, c'est vrai, réalisa Aeshma. Attends... Tu l'as fait exprès ?

J'avais peur que... Si on savait que je couchais à droite à gauche, je pensais que personne ne penserait que je puisse, euh...

... te consacrer réellement qu'à une seule personne ?

Mmm, acquiesça Astarté. C'était débile, je sais. Aeshma ? Qui sait pour moi et Marcia ?

Piscès, Ata, moi...

Aeshma se tut et se pinça les lèvres.

Téos ? demanda Astarté d'une voix blanche.

Il nous a mises en garde moi et Atalante cet après-midi à l'infirmerie. Il nous a déclaré que les melioras ne bénéficiaient pas d'un régime particulier, qu'elles seraient punies comme les autres si elles violaient le règlement. Et il nous a conseillées de vous passer le mot à toi et Sabina.

Sabina ?

Lucanus est amoureux d'elle.

...

Mais elle est moins con que toi, elle ne passe pas toutes ses nuits avec lui et surtout, elle ne partage pas ses sentiments. Elle aime seulement bavarder avec lui parce que c'est le seul à pouvoir l'écouter sans ennui pendant des heures. Ils trouvent toujours quelque chose à se dire. Mais toi, Astarté ? Merde ! Atalante a beau avoir l'air de penser que tu as autant de talent qu'Ishtar...

C'est qui Ishtar ? la coupa Astarté.

Vénus, tu connais ?

Astarté rougit.

Ouais, celle-là, tu la connais. Bon, bref, Marcia n'avait pas l'air de s'être ennuyée dans tes bras et Atalante... Comment tu fais ?

Elles sont pareilles.

Mais tu n'es pas amoureuse d'Atalante.

Je ne suis...

Arrête, la coupa Aeshma. Bon, d'accord, je veux bien. Tu n'es pas amoureuse, alors quoi ? Envoûtée ?

Peut-être, répondit sombrement la jeune Dace.

N'importe quoi, grommela Aeshma.

Je suis nulle. En plus, je sais qu'elle n'est pas pour moi.

Comment ça, elle n'est pas pour toi ?

Elle est jeune, c'est la première fois, je ne suis pas débile et puis...

Vous êtes gladiatrices, la coupa Aeshma sévèrement. Et non seulement vous risquez votre vie à chaque fois que vous entrez sur le sable, mais en plus, votre histoire est interdite et si Téos s'en aperçoit, il va vous séparer.

C'est... j'aimerais, mais je sais que...

Astarté détourna la tête.

Astar... ?

Le diminutif attira l'attention de la jeune Dace. Elle n'avait jamais entendu Aeshma gratifier quelqu'un d'autre qu'Atalante d'un diminutif. Aeshma fronça les sourcils. Des larmes perlaient aux commissures des yeux de sa camarade. Elle ne l'avait jamais vue pleurer. Pas une seule fois au cours des sept ans qu'elles avaient passés, jour après jour, à vivre ensemble, à partager leurs repas, leurs entraînements. Astarté avait eu son compte de corrections, de coups de verges, de coups de poings. Elle avait peiné comme les autres et s'était entraînée jusqu'à l'épuisement pour accéder au premier palus et pour s'y maintenir ensuite. Elle se tapait qui elle voulait quand elle avait envie. Elle ne montrait jamais aucune faiblesse. Tous les gladiateurs paraissaient forts et insensibles, Aeshma savait que c'était un mensonge, mais les plus forts, comme elle, s'étaient endurcis, tellement endurcis qu'ils ne ressentaient plus rien. Aeshma s'était toujours félicitée d'être la plus forte, la plus dure. Il y avait des gars cruels qui aimaient le sang et le danger, qui bavaient d'excitation à l'idée de tuer, de blesser et d'estropier. Des brutes, mais Aeshma ne les considérait pas vraiment comme devrais gladiateurs. De toute façon, quels que fussent leur force et leur brutalité, leur courage inconscient, ils ne restaient pas longtemps dans la familia, et s'ils ne finissaient pas égorgés, trop fébriles et trop stupides pour survivre longtemps, Téos s'en débarrassait. Même Galia n'avait pas fait long feu. Aeshma reconnaissait le mensonge derrière le masque. Pour Atalante, c'était facile. Elle connaissait bien les autres filles et chez les gars, Piscès ne se cachait pas vraiment, Lucanus, Ajax, Ister, tous jouaient un rôle pour ne pas prêter le flanc aux moqueries, à la peur, à la nostalgie, à la certitude que leur vie serait brève. Ils se noyaient dans les exercices, dans l'espoir de richesse et de gloire, dans le vin ou le sexe quand il pouvait satisfaire leur concupiscence. Aeshma avait rarement rencontré un gladiateur qui ne présentât aucune faille. Elle n'en avait jamais décelé aucune chez Astarté. Du moins, pas avant de partir à Myra avec elle et qu'Astarté lui racontât ses aspirations à la vie éternelle, son angoisse que celle-ci lui fût refusée par le dieu en qui elle croyait. Elle se traita d'imbécile. Comment avait-elle pu encore croire après qu'elle lui eut décrit la forêt et ses habitants de long en large, qu'elle se fût attardée sur la beauté du firmament étoilé, qu'elle eût évoqué son dieu-ours et son aspiration à vivre éternellement, qu'Astarté était réellement ce qu'elle prétendait être.

Merde, merde, merde... maugréa Aeshma furieuse contre elle-même.

Tu m'en veux ?

Non. Je... je suis désolée, Astarté.

Pourquoi ? Tu es désolée que je sois si conne ?

Non. Tout ça, c'est de ma faute.

Pour Marcia ?

Oui.

Astarté eut un rire bref et amer.

Comment pourrais-je t'en vouloir ? Si tu savais le nombre de fois où je t'ai au contraire remerciée de ton initiative.

Ouais ?

Oui.

Ben, tu vas vite changer d'avis.

...

À partir de maintenant, tu passes toutes tes nuits avec moi ou Atalante.

Quoi ?! Ça va pas !

Oh, si ! C'est fini, Astar. T'es une abrutie, mais je tiens à toi.

Depuis quand ?

Depuis Myra.

...

Pas seulement parce que tu as égorgé cette conne de Galia, que tu m'as suivie et que tu m'as fait confiance.

Pourquoi alors ?

Parce que, daigna seulement expliquer Aeshma. Maintenant, tu vas oublier Marcia et redevenir ce que tu étais avant.

Avant ?

Ouais, Astarté, la meliora, l'un des plus grands mirmillons d'Orient avec Piscès et la plus grande baiseuse de la familia.

Super réputation. Merci.

Une réputation qui ne t'a jamais desservie, ni dans l'arène, ni dans la familia, ni, et surtout pas, aux yeux de Téos.

Mouais...

Tu es partante ?

Astarté hocha la tête. Aeshma lui donna une bourrade dans l'épaule.

Tu veux que je te fasse oublier Marcia ? dit-elle en plaisantant.

Non, on va se montrer aussi minable l'une que l'autre.

Moi, minable ?

Mmm, confirma Astarté.

Elles restèrent assises en silence en long moment.

Je croyais que tu allais me casser la gueule quand je t'ai vue défoncer ma porte et entrer ici.

J'aurais bien aimé le faire, mais je ne suis pas trop en condition pour ça. Dans une semaine, je te prends si tu veux.

Même à l'article de la mort, tu trouverais l'énergie nécessaire pour frapper si tu en avais vraiment envie.

Ce n'est pas toi que je punirais et puis, ça ne servirait à rien.

J'avais raison à ton propos, murmura Astarté.

Elle n'aurait jamais pensé qu'Aeshma pourrait la comprendre, qu'elle pourrait accepter. La Parthe réagissait toujours violemment quand elle se sentait contrariée et elle faisait toujours chèrement payer les fautes qu'elle avait jugées bon de corriger. La jeune Dace ne savait pas pourquoi elle avait montré tant d'indulgence. Elles étaient assises sur le grabat, appuyées dos au mur. Astarté s'aperçut alors qu'elle s'était assise très près d'Aeshma. Leurs épaules se touchaient. La jeune Parthe n'avait pas fui le contact. Astarté se sentait stupide. Elle se déplaça légèrement et posa la tête sur l'épaule d'Aeshma.

Astar... grommela Aeshma, sans pourtant faire un geste pour la repousser.

Je suis nulle, fit sombrement la jeune Dace.

Non, ou si tu l'es vraiment, tu n'es pas la seule.

Tu crois ?

Ouais, souffla Aeshma.

Malheureusement, pensa Aeshma à part elle.

.

Marcia était passée. Aeshma ne dormait pas, la tête d'Astarté reposait toujours sur son épaule. La jeune Dace respirait laborieusement. Elle marmonnait des phrases dans une langue qu'Aeshma ne comprenait pas. Elle ne se réveilla pas quand la porte s'ouvrit. Marcia se figea et Aeshma lui lança un regard si noir que la jeune fille battit prestement en retraite.

Le lendemain matin, Astarté grogna et se réveilla en train de baver sur les genoux d'Aeshma. La jeune Parthe ronflait, la tête rejetée en arrière. Astarté se redressa. La tunique d'Aeshma était tâchée au niveau de la cuisse, de l'abdomen et de l'épaule sur laquelle Astarté s'était endormie.

Aeshma...

La jeune gladiatrice ne se réveilla pas. Astarté la secoua doucement avant qu'elle ne commençât à grommeler et ne finît par ouvrir les yeux. Astarté s'excusa pour ses blessures, Aeshma râla, répliqua qu'elle en avait vu bien d'autres et qu'elle en verrait bien d'autres encore.

Tu veux que je t'aide à regagner l'infirmerie ?

Aeshma haussa les épaules et se releva en grimaçant. Puis, elle enjoignit rudement la jeune Dace à se bouger si elle voulait être à l'heure à l'entraînement.

Il n'est pas tard, la première heure vient seulement de sonner.

Ouais, c'est bien ce que je dis.

Je suis déjà habillée et manger un morceau de pain ne prend pas une demi-heure.

Peut-être, mais tu ne sais pas combien de temps ça va te prendre de me ramener à l'infirmerie.

Astarté se fendit d'un grand sourire.

Tu sais que je peux te porter ?

Atalante ne m'a pas portée après les quinze coups de flagellum.

Elle est nettement moins baraquée que moi.

Tu n'es qu'une abrutie, Astarté, tu le sais ça ?

Astarté n'avait pas vraiment le cœur à rire, mais elle rit quand même. Parce qu'Aeshma était vraiment contrariée, parce qu'elle s'imaginait traverser la cour sous les yeux de tous ceux qui seraient déjà levés avec la petite thrace dans les bras. La fière Aeshma ! Parce qu'aussi, elle était reconnaissante à Aeshma, mais aussi à Atalante d'être intervenues. Elles prouvaient que la solidarité entre gladiateurs existait vraiment, qu'elle ne se bornait pas à se cotiser quand l'un d'eux mourait pour lui payer des funérailles et une sépulture décente. Aeshma prendrait soin d'elle, elle la retiendrait quand elle serait tentée de se jeter tête la première dans le précipice. De céder. Astarté voulait bien se prendre des coups, elle était prête à s'en prendre plein la figure. Marcia la haïrait sans doute et elle aurait raison. Elle avait déjà trahi son innocence. Mais Astarté savait qu'elle courait au désastre parce que, plus le temps passerait et plus elle s'attacherait à la jeune auctorata.

Au début, elle avait pensé qu'elle avait seulement trouvé le partenaire idéal, celui qui s'accordait à tous ses désirs. Leurs nuits avaient emmené Astarté sur des rivages qu'elle n'avait jamais visités avant. Elle avait couché avec des tas d'hommes, des tas de femmes, elle avait rarement été déçue parce qu'elle écoutait les autres et que, quand eux ne l'écoutaient pas, elle prenait les choses en main. On ne prenait pas son plaisir avec elle, on ne l'utilisait pas. Jamais. Elle avait ses préférences selon son humeur et ses besoins. Parfois, elle recherchait la performance physique, parfois du délassement. Elle se laissait aussi de temps en temps aller à ses fantasmes et elle savait très bien à qui faire appel dans ces cas-là. Et puis, parfois, elle avait recherché de la douceur, de la sensibilité et là aussi, elle savait très bien qui le lui en dispenserait. Atalante, entre autre, était parfaite pour répondre à ce genre d'attentes. Il fallait juste qu'Astarté sût quand la grande rétiaire était prête à lui céder. En s'accordant à son désir de tendresse, en y répondant, Astarté comblait le sien. La nostalgie d'Atalante répondait à la sienne. Leurs étreintes avaient toujours été sensuelles, douces et teintées de désespoir, mais les deux jeunes gladiatrices comblaient dans les bras l'une de l'autre, un vide que parfois, elles n'arrivaient plus à supporter. Atalante parlait peu et ne s'était jamais épanchée sur elle. Elle ne l'avait pas non plus poursuivie de son amour et de ses pleurs quand après avoir passé une première nuit avec elle, elle avait espéré plus qu'une étreinte. Astarté savait très bien qu'Atalante l'avait aimée et que ses sentiments ressurgissaient à chaque fois qu'elles couchaient ensemble. Elle savait aussi que si elle l'avait encouragée ou seulement laissée faire, la jeune Syrienne serait définitivement tombée amoureuse. Astarté n'avait pas permis que cela arrivât. Atalante avait peut-être souffert de son indifférence, mais elle n'en avait rien laissé paraître et n'avait jamais montré qu'elle en voulait à Astarté. Elles étaient devenues bonnes camarades et Astarté l'entreprenait une ou deux fois par an, parfois un peu plus. Elles passaient la nuit ensemble, dormaient dans les bras l'une de l'autre, et Astarté le matin, l'embrassait gentiment sur la joue et la laissait seule avec ses pensées et ses remords.

Mais Marcia... Astarté, après trois nuits passées dans ses bras, avait compris qu'elle ne pourrait pas lutter, qu'elle ne pourrait pas repousser la jeune gladiatrice comme elle l'avait fait avec Atalante ou d'autres. Parce qu'elle n'en avait aucune envie, parce qu'elle la désirait de tout son être, parce que Marcia hantait ses pensées à toute heure du jour et de la nuit, parce que l'empreinte de ses mains la brûlait pendant des heures.

Astarté ne pouvait pas se passer de sexe, maintenant elle ne pouvait plus se passer de Marcia. Aeshma s'était moquée d'elle quand elle avait parlé d'envoûtement, mais c'était exactement ce que ressentait Astarté. Dès qu'elle se retrouvait en présence de Marcia, elle perdait le sens du jugement, toute raison et toute prudence, seule Marcia importait. Il suffisait qu'elles fussent seules, que Marcia la regardât en souriant, lui promettant un monde qu'elles deux seulement partageraient, et déjà Astarté fondait. Et quand Marcia posait une main sur elle, un doigt sur elle, le regard sur elle, plus rien d'autre n'existait. Il ne restait que leurs corps et la promesse d'une fusion totale et renversante.

Elle avait toujours manipulé les autres, obtenu ce qu'elle voulait d'eux. Elle savait très bien qu'Atalante se reprochait de lui céder et Astarté prenait un malin plaisir à contourner ses défenses et ses hésitations. Elle aimait séduire. Réduire les autres à se soumettre à leurs désirs, à ses désirs. Elle menait toujours le jeu, on ne lui résistait jamais. Marcia avait inversé les rôles ou plutôt, elle avait amené Astarté à partager sa soif. La soif inextinguible d'être ensemble. Marcia n'avait pas cherché à la séduire, elle n'usait d'aucun stratagème pour retenir Astarté auprès d'elle, pour éveiller son désir. Elle ne cherchait pas à manipuler la jeune Dace, à la plier à sa volonté. Elle venait à Astarté et Astarté venait à elle. Elle ne pouvait pas résister à Marcia. Elle ne savait même pas si c'était dû à la fusion parfaite qui s'était opérée entre leurs deux corps et leurs désirs, ou si c'était plus grave encore. De toute façon, le résultat revenait au même. Astarté ne s'en sortirait jamais toute seule tant qu'elle n'aurait pas réussi à... à se dessaouler.

Aesh ? demanda-t-elle à la jeune Parthe alors qu'elles traversaient lentement la cour du ludus.

Mmm ?

Tu ne me laisseras pas tomber ?

Ya pas de risque.

.

Aeshma retrouva Atalante allongée sur l'une des couches que leur avait assignée Atticus. La grande rétiaire leva un sourcil en découvrant la tunique tâchée de sang d'Aeshma.

Cette abrutie a dormi sur moi, déclara la jeune Parthe en regardant Astarté.

Mmm, répondit Atalante avec une moue dubitative.

Dormi, Ata, se renfrogna Aeshma. Tu me vois coucher avec cette imbécile ?

Franchement ?

Laisse tomber. Marcia ne me le pardonnerait pas de toute façon.

Astarté regarda Atalante et celle-ci répondit à son interrogation muette par une grimace entendue. La grande Dace resta ensuite, sans savoir si elle devait partir ou rester. Un appel retentit dans la cour.

Merci, murmura-t-elle aux deux jeunes gladiatrices.

Elles la regardèrent sortir

Ça s'est passé comment ? demanda Atalante.

Bien. Je me suis engagée pour toi et moi : on ne la quitte plus la nuit, elle est d'accord. Tu es d'accord aussi ?

Oui, bien sûr, mais elle...

Je ne sais pas comment elle a pu... maugréa Aeshma.

Tu ne l'as pas frappée ?

Non.

Elle a vraiment dormi sur toi ?

Oui.

C'est bien que tu te sois chargée d'elle.

Comment ça s'est passé avec Marcia ?

Mal, soupira profondément Atalante. Enfin, ça a été jusqu'à ce que je lui dise qu'il fallait que ça cesse sans délai. Et alors, après... Elle n'a plus rien voulu entendre, elle m'a insultée, elle m'a crachée à la figure que je ne comprenais rien, que toi et moi étions des sauvages, que de toute façon, il n'y avait qu'à voir dans quel état nous nous étions mises hier après-midi, qu'on lui rappelait les barbares du nord. Des tas d'horreurs. Je l'ai giflée.

Toi ?!

Je ne croyais pas qu'il puisse exister quelqu'un d'aussi borné et fermé que toi. Je comprends mieux maintenant pourquoi vous vous entendez si bien.

On s'en fout, répliqua Aeshma sans relever sa critique. Astarté jouera le jeu, mais il faudra la tenir à l'œil. Elle est devenue aussi stupide qu'une novice à peine nubile.

Je ne comprends pas.

Il n'y a rien à comprendre. Elle est incapable de résister à Marcia, c'est tout.

Marcia ne nous pardonnera pas.

Tant pis, répliqua sombrement Aeshma. Elle se vengera, d'Astarté, de toi, de moi et puis elle passera à autre chose.

...

On ne peut pas aimer quand on est gladiateur, Ata. Déjà, toi, moi, Astarté, Marcia, Marpessa, on est allées trop loin. Mais alors un vrai couple ? Je n'ai pas envie que vous... Si vous deviez partir... J'aime beaucoup Atticus, j'apprécie Saucia au-delà de toute mesure. Mais aucun d'entre eux ne risque d'être vendu ou de se faire égorger demain. Mais nous, Ata ? On a à peu près le même âge, mais combien nous reste-t-il d'années à vivre ?

On peut...

Obtenir l'épée de bois ? Mais pour quoi faire ? Nous sommes des femmes. Qu'est-ce qu'on fera après ? Tu veux rentrer chez toi ? C'est ça ?

Je ne rentrerai jamais chez moi. Je ne supporterais pas leurs regards. Je n'ai plus ma place là-bas.

Alors tu feras quoi avec ta liberté au rabais ? Tu pourras peut-être partir avec des tas de sesterces. Tu t'achèteras un domaine et après ? Tu élèveras des chèvres ?

Pourquoi pas ? murmura Atalante.

Tu ne pourras pas, Ata. Pas après avoir passé quinze ans dans une familia de gladiateurs. Ce n'est pas possible et si tu crois le contraire, c'est que tu es bien naïve.

Alors quoi ?

Alors, rien. Alors, les délires de Marcia et d'Astarté ? C'est voué à l'échec. Astarté le sait.

Mais pas Marcia.

Elle l'apprendra.


***



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top