Chapitre XXIII : Ravages et brigandage

Lucius Cornelius Caper s'agenouilla auprès de ce qui restait du corps méconnaissable qu'il supposait être celui du tribun Kaeso Atilius Valens. Les charognards avaient rongé et déchiré les chairs. Des voleurs ou des vagabonds avaient volé tout ce qu'il y avait à voler: caligaes, vêtements, équipement, il ne restait rien. Quatre cadavres se trouvaient dans le périmètre qui entourait l'ancien foyer que les légionnaires avaient allumé pour s'éclairer et préparer leurs repas.

Le tribun avait choisi l'emplacement du bivouac en retrait de la route qui menait de Kastabara à Podalia et c'était un berger qui avait retrouvé les corps. Il n'aurait peut-être signalé sa trouvaille à personne si son chien n'avait hurlé et qu'il n'avait pas trouvé un quart de mille plus loin, quatre nouveaux corps. Ceux-là avaient gardé leurs vêtements, de simples tuniques blanches* en laine, que rien ne distinguait de celles que portaient les gens assez riches pour se vêtir correctement sans pour autant dépenser de folles sommes. Les tuniques n'étaient ni brodées, ni décorées d'aucune façon, mais le tissage était de bonne facture. Le berger avait ensuite, remarqué les chaussures que les cadavres portaient. Des caligaes de légionnaire. Si un seul en avait porté, il se serait tu et aurait passé son chemin, mais quatre hommes ? Plus les quatre autres ? Ceux-là aussi avaient peut-être porté des caligaes. Il était retourné à l'endroit où il avait trouvé les quatre premiers corps.

Ces hommes avaient été victimes d'une attaque. Et ces hommes n'étaient pas de simples voyageurs, il y avait fort à parier qu'ils appartinssent à la légion romaine. Le berger avait hésité, mais il avait préféré prévenir l'intendant du domaine pour le compte duquel il gardait les moutons. Il ne voulait pas courir le risque d'être plus tard accusé d'un meurtre aussi grave que l'assassinat de huit légionnaires.

L'intendant était venu, guidé par le berger, puis il avait envoyé une tablette au maître du domaine, qui lui, avait prévenu les magistrats de Podalia. Des miliciens avaient été envoyés et avaient confirmé l'hypothèse du berger. Ces hommes étaient des légionnaires. Mais que faisaient-ils ici et qui étaient-ils ? On se souvint très vite qu'un petit détachement d'hommes, commandé par un principal, avait été envoyé par le tribun Kaeso Atilius Valens dans la région. Ils devaient rencontrer les notables, en ville, comme dans leurs domaines. Le tribun avait envoyé des tablettes demandant d'accueillir ses hommes et de leur fournir logement et nourriture. Il n'avait pas précisé de dates, seulement prévenu de leur arrivée au cours du mois d'août ou du mois de septembre. Personne ne s'était donc inquiété de ne pas les avoir encore vus.

Il fut décidé de ne pas toucher aux corps. Ils avaient été tués depuis plus de deux semaines et il n'en restait pas grand-chose, mais le tribun enverrait certainement des soldats pour enquêter et il serait reconnaissant aux notables d'avoir faciliter le travail de ses hommes.

Caper avait pris connaissance de la tablette envoyée à Kaeso Valens et il avait senti le malheur frapper à sa porte. Si ce qu'elle racontait était exact, Valens était mort.

Il aurait perdu un ami et Marcia Atilia se retrouverait seule au monde.

Il avait convoqué la jeune fille, lui avait annoncé qu'il devait s'absenter et qu'elle ne pouvait rester seule à Patara. Lucius Caper espérait qu'elle fût recueillie par Julia Metella Valeria. La femme de Quintus Valerius aimait la jeune fille et elle s'occuperait d'elle en attendant son retour, mais Marcia lui apprit que Julia était partie en Pamphylie dans une propriété qu'elle possédait dans les environs d'Amaxia, presque à la frontière de la Cilicie et qu'elle devait ensuite régler des affaires à Myra. Deux-cent quarante milles de routes qui passaient par les montagnes, rejoignaient Attalya, longeaient la côte jusqu'à Korakesion, pour remonter ensuite plus au nord.

Caper ne pouvait pas envoyer la jeune fille là-bas, il ne pouvait pas l'emmener avec lui et il ne pouvait pas confier la mission de reconnaître le corps de Valens à un autre que lui-même.

Je peux rester ici, Caper. Papa rentrera bientôt de toute façon. Il a dit qu'il ne s'attarderait pas après fin septembre. Si cela te rassure, j'irai au Grand Domaine. Julia Metella m'a assurée que j'y serais toujours la bienvenue, même si elle ne s'y trouvait pas. Ce n'est pas très loin et je ne serai pas tentée d'aller courir les banquets, avait-t-elle ajouté en plaisantant.

Caper s'était rangé à son avis. Il l'avait lui-même accompagnée et avait été fortement impressionné par l'accueil que réserva l'ensemble de la familia du domaine à la jeune fille. Par les domina affectueux qui s'étaient multipliés à chaque rencontre d'une nouvelle personne.

Marcus Severus donna toutes les garanties voulues au cornicularius, inquiet de laisser sa protégée derrière lui :

Marcia Atilia fait partie de notre familia, principal, lui assura chaleureusement Marcus Severus. Elle est autant respectée que l'est Julia Metella, et notre domina est non seulement respectée, mais aussi très aimée.

Au nom du tribun Kaeso Atilius Valens, je te remercie, déclara solennellement Caper.

Va sans crainte.

Marcia avait serré le principal dans ses bras et il l'avait confiée à la garde de Mercure, le protecteur des voyageurs.

Caper avait prié pour que ce ne fut pas Valens qui reposait assassiné dans les montagnes sauvages du nord de la Lycie.

.

Huit hommes. C'était bien des légionnaires.

Kaeso Valens avait eu une jambe brisée lors du siège de Jérusalem. Un accident. Une fracture grave que lui avait soignée un vieux médecin grec. Le tribun en avait gardé une vilaine cicatrice et des démangeaisons occasionnelles qu'il disait fort désagréables. Les chairs sur le cadavre étaient décomposées ou manquantes, mais peut-être l'os porterait-il encore une trace de cette blessure. Caper regarda le masque de la mort, les trous béants laissés parles yeux et le nez disparus. Les dents. Il n'en manquait aucune, c'était assez incroyable pour un soldat, pour un homme de plus de quarante ans. Dieux ! se reprit le cornicularius, il identifiait déjà le cadavre au tribun. Il tourna ses regards vers la jambe droite du mort, dégaina son poignard et se mit à dégager la zone qui correspondait à l'emplacement de la blessure. Il pâlit et retourna son regard sur la tête du cadavre.

Qu'avez retrouvé à part les habits des quatre hommes qui se trouvent plus loin ? demanda-t-il à l'un des miliciens qui avaient gardé le campement.

Rien. Nous avons fouillé les alentours, mais nous n'avons rien trouvé.

Et le berger ?

Il nous a certifié qu'il n'avait rien trouvé, je ne crois pas qu'il ait menti.

J'aimerais quand même l'interroger.

Nous vous l'amènerons. Je crois que les voleurs ont tout emporté. Ce sont des soldats de chez vous ?

Oui.

On devrait facilement retrouver leurs assassins. S'ils ont emporté leurs armes et leur équipement, ils seront rapidement repérés. C'est difficile de vendre ou de porter sans se faire remarquer des armes et des équipements tout droit sortis des magasins de la légion.

Vous avez des tablettes ?

Oui.

Je vais vous donner une description du matériel que transportaient ces hommes. Vous en ferez des copies et vous les enverrez dans toutes les villes de Lycie, de Pamphylie, dans la province d'Asie aussi. Les assassins doivent être retrouvés. Le commandant de ce détachement n'était pas un simple sous-officier et le légat de la Fulminata doit être informé de sa mort, le propréteur Sextus Baebius Constans aussi.

Qui est cet homme ?

Le tribun Kaeso Atilius Valens.

Le milicien ouvrit la bouche. Un tribun ? Assassiné à quelques dizaines de milles de Podalia ? Il priait les dieux pour qu'aucun résident de la cité ne fût coupable d'un tel crime.

Vous croyez que ce sont des brigands ?

Vous connaissez dans le coin des brigands assez audacieux pour s'en prendre à un détachement de la Fulminata ? rétorqua agressivement Caper.

Non, concéda immédiatement le milicien. Ceux qui opèrent dans la région se contentent d'attaquer des voyageurs isolés ou des convois mal protégés.

Ouais, comme c'est souvent le cas.


***


Quintus gémit de bien-être et se retourna vers Julia. La jeune femme sourit. Il rebascula sur le dos et Julia vint loger sa tête au creux de son épaule. Quintus referma ses bras sur elle et la jeune femme grogna de plaisir.

Tu as bien fait de nous accompagner, Quintus. Je suis heureuse que tu ne sois pas resté à Patara.

C'était l'occasion de visiter le domaine de Bois Vert. Il y a longtemps que je ne m'y suis pas rendu et à vrai dire, m'y rendre avec toi est plutôt une bonne chose.

Ah, oui ?

Tu sais bien mieux gérer les affaires que moi. J'avoue surtout m'en remettre à mes intendants.

Mais tu sais les choisir. Au moins, ils ne passent pas leur temps à te voler.

Quintus Valerius laissa un rire bref lui échapper.

Tu as débauché pour ton compte mon meilleur intendant. Marcus Severus faisait des merveilles au domaine de Quercus Ilex, je n'ai jamais eu de revenus aussi importants que quand il était en charge.

Mmm, mon pauvre chéri, fit Julia en l'embrassant gentiment dans le cou. Je ne connaissais personne. Qui mieux que toi pouvait me conseiller un bon intendant ? Severus a été parfait, et je sais parfaitement que je te dois d'avoir fait du Grand Domaine, une propriété aussi prospère.

Tu ne le dois qu'à toi, Julia. Severus m'a parlé de tout ce que tu avais mis en place pour faire prospérer ce domaine laissé à l'abandon par son ancien propriétaire.

Mmm...

Et je ne regrette pas de t'avoir cédé Severus, une bonne partie de ce que nous mangeons provient du Grand Domaine et je n'ai vraiment pas à m'en plaindre. D'ailleurs, je me demande de quoi je peux avoir à me plaindre en ce qui te concerne.

D'être la risée des gens parce que tu es amoureux ? suggéra Julia.

Si tu savais comme m'indiffère l'avis de fâcheux hypocrites. J'en connais plus d'un ou plus d'une, qui rêveraient d'être à ma place rien que pour l'argent que tu rapportes à la maison.

Rien que pour ça ?

Pour bénéficier de ton influence aussi.

Quintus...

Et de tes talents plus intimes.

Mes talents ? répéta Julia vexée.

Oui, de tes talents, mais aussi de ton amitié et de ta gentillesse.

Tu me flattes, Quintus.

Je mesure chaque jour ma chance de t'avoir rencontrée.

Et de m'avoir épousée !

Oui, de ça aussi, confirma Quintus.

Julia leva la tête, Quintus baissa la sienne et leurs lèvres se trouvèrent, puis leur corps. Ils firent encore une fois fi de ce que leur amour pouvait passer pour scandaleux aux yeux de la bonne société, aux rires qu'il provoquait, de la faiblesse qu'on leur imputait. Julia était au-dessus de ces considérations et Quintus Valerius Pulvillus n'en avait cure. Julia se sentait aimée et Quintus plus fort qu'il ne l'avait jamais été au cours de sa vie. Il était aussi conscient que les rires et les lazzis qui fusaient derrière son dos dissimulaient du dépit et de l'envie. Il referma doucement les bras sur sa jeune femme et ils s'oublièrent tous les deux dans leur étreinte.

.

La villa était plongée dans le noir. Aucune lampe n'était visible, même si quelques-unes devaient briller dans des recoins.

Le groupe avait discrètement surveillé la bâtisse durant la journée. Deux de leurs hommes travaillaient depuis une semaine comme journaliers et dormaient la nuit dans une grange mise à disposition des ouvriers agricoles non-permanents. Ils avaient fourni un plan très détaillé des bâtiments. Ils avaient aussi décidé de la nuit durant laquelle aurait lieu l'attaque.

Ce soir, parce que le maître et sa femme étaient présents. Ce soir, parce que le lendemain était jour de repos et que les maîtres avaient permis aux ouvriers et à tous ceux qui n'étaient pas indispensables au service de la villa, de partir, à Myra pour certains, dans leurs famille pour d'autres. La plupart des journaliers avaient momentanément quitté le domaine, espérant se faire engager ailleurs ne serait-ce que pour gagner le salaire d'une journée de travail en plus. Restaient des gardes, des serviteurs, l'intendant, les maîtres et quelques journaliers qui profiteraient sagement de leur jour de repos. Tant pis pour eux.

Une opération facile et sans grands risques. Attaquer, tuer, amasser le butin qu'on pouvait, disparaître. Du brigandage violent et barbare.

Les trois jeunes gladiatrices, allongées dans l'herbe, attendaient le signal qui lancerait l'attaque.

Qu'est-ce qu'on fout là ? maugréa Astarté à voix basse. Je déteste les gars qui nous accompagnent, ils ne m'inspirent aucune confiance.

On ne t'a pas demandé ton avis, rétorqua Galia d'une voix dure.

Je suis gladiatrice, pas une espèce de brigand sauvage. Aeshma ?demanda Astarté en se tournant vers la jeune Parthe. T'en penses quoi ?

On s'en fout de l'avis d'Aeshma, coupa sèchement Galia. Elle fait ce que Téos lui a demandé de faire, c'est tout.

Aeshma ? insista la jeune Dace.

Laisse tomber, Astarté, répondit la jeune Parthe d'une voix contrariée.

Ça ne me plaît pas, grommela Astarté.

Tu n'auras qu'à te plaindre à Téos, lui suggéra ironiquement Galia. Je suis sûre qu'il écoutera tes doléances avec beaucoup d'attention.

On ne sait même pas à qui appartient cette villa ni pourquoi on doit la mettre à feu et à sang.

Téos nous a promis une belle récompense. Et si on trouve du butin, il est à nous. Qu'est-ce que nous avons à savoir d'autre ? Maintenant, tu la fermes, Astarté. Téos m'a nommée responsable de notre équipe et si tu ne veux pas souffrir de ton indiscipline, tu ferais mieux de te la mettre en veilleuse.

Astarté grogna sa désapprobation, mais n'insista pas. Elle ne comprenait pas à quoi jouait leur laniste. Il y avait eu le meurtre des légionnaires fin août et maintenant cette opération de brigandage ?

Fin août, elle était partie avec des membres de la familia et sous les ordres d'Aeshma. Elle respectait la thrace, elle avait confiance en elle et sa camarade avait sélectionné avec soin ceux qui les avaient accompagnées. La mission s'était bien déroulée et les quinze jours passés hors de la familia avaient été agréables. Aeshma n'était pas la personne la plus folichonne qu'on pût trouver, mais Astarté n'avait rien eu à lui reprocher. La thrace avait su maintenir une bonne ambiance dans le groupe. Ils avaient pu prendre du bon temps et Aeshma, si elle prenait très au sérieux sa fonction de chef de groupe, n'avait jamais abusé de son autorité.


***


Astarté, en découvrant sa présence dans la tente quand Téos leur avait annoncé qu'il les envoyait sur une nouvelle mission, s'était félicitée de se retrouver une fois encore sous ses ordres. Elle avait déchanté quand Téos avait désigné Galia responsable de leur groupe et affiché une contrariété aussi évidente que celle d'Aeshma. Téos s'en était aperçu et il les avait vertement mises en garde contre toute velléité de rébellion.

Les deux gladiatrices s'étaient écrasées. Elles n'avaient pas vraiment le choix. La flagellation d'Aeshma après le dernier munus de juin avait durement frappé l'esprit d'Astarté. Si Téos était capable de punir aussi cruellement l'une de ses gladiatrices préférées, c'était qu'il ne reculerait devant rien. Astarté devait la vie au laniste parce que, s'il ne l'avait pas achetée à Antioche, six ans auparavant, le marchand qui l'avait vendue au laniste l'aurait garrottée. Elle appartenait à Téos et se montrer rétive détruirait tout ce à quoi elle avait travaillé durant des années. Téos l'appréciait. Il l'appréciait à la mesure de ses résultats sur le sable et à la mesure de son obéissance en dehors.

Mais pourquoi Galia ?

Parce que cette salope, en sus d'être une vraie brute, est une sale moucharde, avait craché Aeshma quand Astarté lui avait confié sa contrariété.

Mais il t'avait bien confié à toi la dernière mission.

Signe que celle-ci ne doit pas être de même nature.

Mauvais signe alors ?

M'emmerde pas, Astarté.

Je suis désolée d'avoir été choisie avec toi, Aeshma. Je n'ai pas la chance d'être ta copine. Non seulement, elle a la côte avec toi, mais en plus, elle est toujours dispensée de nous suivre dans ce genre d'embrouille.

Tu parles d'Atalante ? gronda Aeshma.

Oui, je te parle d'Atalante. À part en juin, où Téos l'a désignée pour se rendre au banquet avec toi, il ne lui demande jamais rien.

Tu regrettes tes soirées dans les banquets ? demanda Aeshma qui n'en croyait pas un mot.

Non, pas vraiment. Je sais en retirer des avantages.

Alors, de quoi te plains-tu ? Laisse Atalante en dehors de ça.

C'est une de nos meilleures combattantes. En fait, toi, moi, elle et Sabina sommes les meilleures. Sabina est une fieffée bavarde et elle est incapable de garder un secret, mais Atalante vaut mieux que Galia. Pourquoi n'est-elle pas venue avec nous ?

Je ne sais pas, se renfrogna Aeshma. Si tu crois que je ne le regrette pas.

Je n'aime pas Galia, déclara Astarté. Je n'ai pas confiance en elle.

Ben, on fera avec, parce qu'on y est bien obligées.

Je sais, rétorqua acidement Astarté. Merci de me le rappeler.

Astarté ? demanda soudain Aeshma sur un ton radouci.

Quoi ?

Tu étais avec Atalante à Pergame, il y a quatre ans... lors du banquet.

La grande Dace pâlit légèrement.

Que s'est-il passé ?

Je ne sais pas tout, Aeshma.

Elle a été malade après ça. Pourquoi ?

Il y avait des types... de sales types. Atalante était jeune et...

Ils l'ont forcée ?

Pff, Aeshma, souffla Astarté dépitée. Tu la prends pour une débile ? Téos n'aurait jamais envoyé une vierge à un banquet. Atalante est plutôt discrète, mais ce n'est pas une oie blanche et elle ne l'était déjà plus à cette époque.

Alors ?

Elle a été emmenée à part. Je n'y ai pas fait attention. C'était une véritable orgie et la soirée a vite tourné à... Les gens étaient ivres, tout le monde baisait n'importe où, avec n'importe qui. Enfin n'importe qui... façon de parler. Les femmes, à part nous, étaient toutes des danseuses, des musiciennes, des comédiennes ou des prostituées, il n'y avait pas d'aristocrates parmi elles. Au moment de partir, on n'a pas retrouvé Atalante dans la salle. Nous étions venues à trois. Lydia, Atalante et moi. J'étais à moitié dans les vaps, Lydia m'a secouée comme un prunier pour qu'on la retrouve. On a fouillé une bonne partie de la maison et on a fini par faire appel aux deux gardes et aux deux valets qui nous avaient accompagnées à la soirée, pour nous aider.

Et... ?

C'est un valet qui l'a retrouvée. Il n'a pas osé l'approcher, il a couru nous chercher. Il est d'abord tombé sur moi. Je l'ai suivi et... Je sais pas, Aeshma. Je ne sais pas ce qui s'était passé. Elle était recroquevillée par terre dans un petit cubiculum, couverte de sang, de vin, d'urine et de merde. Elle tremblait et quand je me suis approchée, elle s'est encore plus recroquevillée sur elle-même. Je m'étais pas trop mal amusée à cette soirée, et là... Je ne trouvais plus du tout que c'était drôle. Je m'étais souvent entraînée avec elle, on avait combattu une fois dans l'arène et elle m'avait battue. Atalante déjà à cette époque m'impressionnait et je l'aimais bien. Et là ? Elle pleurait en silence. Je ne savais pas quoi faire. J'ai demandé au valet d'aller chercher Lydia. C'était une rétiaire elle-aussi, elle était plus âgée que nous. Quand elle est arrivée, elle m'a demandé d'aller chercher de l'eau et de quoi laver Atalante, de trouver des vêtements propres. Elle m'a commandé d'égorger quiconque se mettrait en travers de mon chemin. Je n'aimais pas trop Lydia. C'était une vieille, mais elle ce jour-là, j'ai été heureuse qu'elle soit avec moi. On a trouvé de l'eau, des vêtements et quand on les lui a apporté, elle nous a demandé de la laisser seule avec Atalante. Une demi-heure après, elles sont ressorties. Atalante était propre ou à peu près. Lydia lui avait aussi bandé les entailles qu'elle portait en haut des bras et sur les cuisses.

Je croyais que...

Qu'elle les avait gagnées sur le sable ? Tu as souvent vu Atalante se faire entailler comme ça ? Cette fille est peut-être une rétiaire, mais c'est un vrai poisson. Tu l'as souvent touchée ?

Ouais.

Évidemment ! souffla Astarté. Mais à part celles que tu as pu lui laisser, Atalante ne porte pas beaucoup d'autres cicatrices.

Qu'est-ce qu'il lui est arrivé alors ? Elle t'a raconté ?

Non, si elle en a parlé à quelqu'un, c'est à Lydia et comme elle n'est plus là, si Atalante ne te le raconte pas, tu ne sauras rien de plus. Je crois seulement qu'elle a servi de jouet à quelques tordus et que ça n'a pas été une partie de plaisir. Je ne peux rien te dire de plus.

C'est pour cela que Téos ne l'envoie jamais participer à des extras, dit pensivement Aeshma. Elle a dû me haïr pour la soirée du propréteur.

Vu comme vous êtes revenues copines après cela, elle ne doit plus trop t'en vouloir, grimaça Astarté.

Aeshma lui jeta un regard suspicieux, mais Astarté n'avait pas voulu en dire plus que ce qu'elle en avait dit. La jeune Dace n'avait pas voulu placer une plaisanterie, ni se moquer des liens qui unissaient Atalante et Aeshma, et faisaient les gorges chaudes de certains.

Elle avait intégré la familia peu de temps après Atalante et ses raisons d'être gladiatrice n'étaient pas très éloignées de celles qui faisaient qu'Atalante et Aeshma travaillaient dur durant leurs entraînements. Astarté brillait dans l'armatura de mirmillon et elle respectait les qualités guerrières de la jeune Syrienne, comme celles de la jeune Parthe. Atalante s'était toujours montrée une camarade agréable et Aeshma ne lui avait jamais causé de problèmes du moment qu'elle n'assommait pas trop celle-ci de ses bavardages.

Si Astarté, profitant de sa carrure, avait voulu jouer la dure à son arrivée dans la familia, elle avait vite arrêté. Atalante malgré son affabilité ne se laissait pas marcher sur les pieds, quant à Aeshma, elle maîtrisait bien trop le pancrace pour qu'on lui cherchât longtemps des noises. Astarté n'avait pas l'âme d'une comploteuse ni d'une envieuse. Elle considérait qu'on n'avait que ce qu'on méritait. Elle avait mérité sa place dans l'élite des gladiateurs et elle ne contesterait jamais la leur aux autres, et certainement pas la leur à Atalante ou à Aeshma.


***


Un cri. Pas un cri, un hurlement. Julia leva la tête et tendit l'oreille. Elle secoua Quintus.

Quintus... Quintus, réveille-toi.

Quintus grogna et se colla le nez dans le cou de Julia.

Quintus !

Qu'est-ce qu'il y a, Julia ?

Aux armes ! cria soudain un homme.

La porte s'ouvrit brusquement.

Dominus, des brigands ! Nous sommes attaqués ! cria affolée une voix féminine. Ils tuent tout le monde. Dominus...

Julia repoussa Quintus et sauta au bas de son lit.

Ferme la porte et viens ici, dit-elle à la servante.

Ils vont nous tuer, domina, Plautus est mort, pleura soudain la femme dont Julia n'arrivait pas à distinguer les traits.

Tais-toi, claqua la voix de Julia.

Des bruits de lutte s'élevèrent du rez-de-chaussée. Quintus, enfin réveillé, tâtonna vainement pour récupérer sa tunique.

On peut peut-être parlementer ? suggéra-t-il.

Je ne crois pas qu'ils soient venus parlementer, observa Julia.

Mais il n'y a rien à voler ici, remarqua Quintus.

Ils ne le savent peut-être pas.

Combien sont-ils ? demanda Julia à la servante.

Je ne sais pas, domina. C'est Plautus qui m'a prévenue et qui m'a envoyée vous réveiller.

Quintus, tu as des armes ici ?

Non, Julia, non. Que veux-tu que je fasse avec des armes ? Seuls les gardes en ont. Je conserve juste un pugio dans le coffre.

Julia demanda des précisions. Un pugio ? Elle se rappela d'Aeshma et des cours qu'elle avait donnés à Gaïa. Julia alla le chercher. Elle libéra la lame de sa gaine et l'assura fermement dans sa main, cruellement consciente de son impuissance et de sa faiblesse face des brigands armés de glaives, de bâtons, de haches et de lances.

Il faut qu'on fuie.

Comment ? On ne va pas sauter du balcon ? geignit Quintus.

Il faut sortir de la maison, Quintus, et fuir si on veut rester en vie.

D'accord.

Je ne veux plus sortir, pleura la servante affolée.

Cache-toi bien alors, lui conseilla Julia. Quintus, on y va.

Julia, le poignard à la main, ouvrit précautionneusement la porte.

.

Astarté avait raison. Les hommes qu'elles accompagnaient étaient de véritables bouchers, des sauvages. Des pirates qui n'avaient pas leur place sur la terre ferme.

Les gladiatrices les avaient retrouvés à proximité de Myra. Galia s'était faite reconnaître et elles les avaient ensuite suivis. Leur chef leur avait assigné une place et un rôle. Tuer tout ce qui vivait. Nettoyer. Eux se chargeaient de mettre le feu et de détruire. Il avait négligé d'ajouter les verbes voler et violer.

Aeshma dépassa un atrium, une fille hurlait et suppliait qu'on l'épargnât. La jeune Parthe accéléra le pas en jurant. Comment Téos avait-il pu les associer à ça ? se demanda-t-elle dégoûtée. Un homme surgit d'une pièce sur sa droite, brandissant un glaive, Astarté qui venait derrière elle lui cria qu'elle s'en occupait et lui intima l'ordre de continuer. Galia leur avait confié une mission. S'assurer de la mort des maîtres, voler, comme pour légionnaire leurs bagues au dominus et à la domina, et les lui rapporter si elles les trouvaient avant elle. Encore une preuve à présenter au mystérieux commanditaire de Téos. Pourquoi cet imbécile ne se contentait-il pas de louer ses gladiateurs à des munéraires ? Leur faire endosser le rôle d'assassins et de crapules comme aux plus beaux temps de La République finirait par lui attirer des problèmes. Et pourquoi des gladiatrices ? Il n'avait qu'à envoyer des hommes.

En haut, lui souffla Galia qui venait de la rattraper.

Aeshma hocha la tête et se dirigea en sa compagnie vers les escaliers qui menaient au premier étage, mais elles se heurtèrent à une forte résistance et s'engagèrent dans un furieux combat. Un brigand vint leur porter secours, puis un autre. Astarté surgit soudain et à l'aide d'Aeshma, elle manœuvra pour laisser la possibilité à Galia et trois brigands de se faufiler dans les escaliers. La bataille devint confuse et furieuse. Les gens de la villa semblaient s'être regroupés. Ils attaquaient en désordre, mais comprenant que leur vie en dépendait, avec opiniâtreté et fureur. Dans la mêlée, un brigand blessa Aeshma par mégarde, elle grimaça, le traita d'imbécile et comme il la gênait, elle le repoussa brutalement et il alla s'empaler sur une fourche. Un véritable crétin. Elle entendit des cris plus haut. Son glaive ouvrit le passage et elle monta les marches quatre à quatre. Elle avança ensuite plus prudemment.


***

NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

La couleur des tuniques des légionnaires, blanche ou rouge ? : Après bien des études, des recherches, des débats et des combats, on peut avancer sans trop d'incertitudes, mais cependant avec prudence qu'habituellement les légionnaires revêtaient des tuniques blanches, mais que, les tuniques rouges étaient préférées lors des combats, entre autre comme signe d'identification.

Si le sujet vous intéresse je vous invite à vous rendre sur le forum d'ave-babacum, sujet : la couleur des tuniques, éternel débat !

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