Chapitre LXXIII : Le palus du sanglier
Aeshma mordillait un brin de lavande qu'elle avait arraché au bouquet que Marcia leur avait rapporté quelques jours auparavant. Le goût âcre et trop fort lui arrachait de temps en temps une grimace.
***
Elle était rentrée tard le matin, après la deuxième heure. Ister et Ajax l'avaient attendue dans le jardin de la villa du sénateur. Le melior s'était levé à son arrivée. Il s'inquiétait. Ister dormait, sa belle joue d'éphèbe appuyée contre un banc de pierre.
Aulus Flavius n'avait pas lâché la jeune Parthe. Il avait cherché à l'humilier, il avait surtout réussi à s'attirer son profond mépris. Il fallait plus que des pratiques réputées pour être dégradantes pour déstabiliser la jeune gladiatrice. Aulus Flavius lui en avait pourtant offert un panel complet. Et à son aimable invitation, les amis du procurateur n'avaient pas, eux non plus, ménagé leurs efforts. Ils ne lui avaient laissé aucun instant de répit. Ils avaient profité du jouet mis à leur disposition jusqu'à plus soif. Jusqu'à ce qu'un prétorien se présenta et sans s'occuper de l'activité qui se déroulait sous ses yeux, il annonça d'un ton impassible à la jeune gladiatrice qu'elle devait rentrer. Il lui avait tendu une tunique propre et une paire de sandales grossières. Le procurateur et ses amis avaient protesté.
— Les gladiateurs, sur ordre de l'Imperator, n'ont pas la permission de s'attarder dans des soirées privées au delà de la première heure, avait déclaré péremptoirement le centurion.
Ils s'étaient ralliés aux désirs de l'Empereur, avaient réajusté leurs vêtements et abandonné sans un mot ou un regard, la gladiatrice qui avait servi leur fantasmes. Aulus seul lui avait déclaré qu'il avait été enchanté de ses services et qu'ils se reverraient.
— À un moment où Titus aura cessé de superviser les plaisirs de ses amis.
Aeshma l'avait ignoré, il était parti et elle s'était retrouvée seule avec le centurion. Elle l'avait remercié d'un signe de tête pour son intervention et les vêtements, puis elle avait quitté la salle. En sortant, elle avait coincé une esclave et lui avait demandé où elle pourrait se laver. La femme l'avait conduite dans un atrium. Elle avait puisé de l'eau dans un trou ménagé dans un coin de la cour, apporté une bassine et un linge.
Aeshma s'était lavée sommairement. Elle s'était débarrassée du mieux qu'elle avait pu de ce qui lui salissait la peau, de ce qui lui engluait les cheveux, chassé la nuit de ses pensées. Elle n'avait pas revu Astarté. La Dace aux larges épaules lui avait signifié qu'elle voulait lui parler, mais le procurateur avait accaparé la petite thrace toute la nuit et Astarté était déjà partie. Aeshma s'était habillée, chaussée, pas vraiment propre, assez cependant, pour se retrouver un minimum présentable et ne pas déclencher des moues de dégoûts ou des réactions disproportionnées quand elle rentrerait au ludus.
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Herennius avait pourtant froncé les sourcils en la voyant. Il l'avait prestement envoyée aux bains. Saucia était arrivée alors qu'Aeshma venait juste de se plonger dans l'eau chaude et parfumée. Elle lui déclara qu'elle l'attendait dans la salle de soin quand elle aurait fini de se décrasser. Qu'elle pouvait prendre son temps, mais qu'elle ne devait pas attendre que l'eau refroidît.
Chloé s'introduisit dans la salle à peine Saucia l'avait-elle quittée pour saluer le retour de la jeune Parthe et prendre des nouvelles d'Atalante. Elle s'inquiétait. Elle bondit de joie en apprenant que Gaïa Metella l'avait soustraite de la soirée, puis elle avait demandé à Aeshma par quel miracle la domina s'était trouvée présente au banquet et comment il se faisait qu'elle eût quitté la soirée avec Atalante plutôt qu'avec elle. Elle avait assommé Aeshma de questions, mais celle-ci, touchée par son inquiétude sincère et par l'affection innocente qu'elle manifestait envers Atalante, lui expliqua qu'Astarté avait manigancé elle ne savait quoi, mais que c'était elle qui avait prévenu Gaïa Metella. Chloé se lança alors dans un discours dithyrambique qui louait la gentillesse d'Atalante, l'honneur d'Astarté, la solidarité dont faisaient preuve les gladiatrices, les valeurs que celles-ci accordaient à l'amitié, la faculté qu'elles avaient de rendre une fille dure comme Astarté ou une fille brutale comme Aeshma, si dévouées à leurs camarades. Aeshma aurait aimé être seule. Le bavardage de la petite masseuse l'énervait, mais ses paroles lui plurent. L'entendre parler d'amitié, de dévouement, d'honneur, de gentillesse et de fidélité l'aidèrent à jeter un voile définitif sur sa nuit. Le monde que lui décrivait Chloé, celui qu'elle partageait avec ses camarades, lui paraissait réel et réconfortant. Elle était fière et surtout heureuse de s'y mouvoir. Le monde d'Aulus Flavius ne méritait même pas qu'on y pensât.
Soudain, Chloé se tut, fronça les sourcils et demanda une nouvelle fois, parce qu'Aeshma ne lui avait pas répondu quand elle avait posé la question un peu plus tôt :
— Oui, mais pourquoi Gaïa Metella n'est pas partie avec toi ?
— Pourquoi elle serait partie avec moi ? s'était renfrognée Aeshma. Je n'avais pas besoin d'être sauvée.
— Ben, parce que... Elle t'aime bien et que ce genre de soir...
La mine furieuse de la jeune Parthe l'avait arrêtée. Elle avait balbutié des excuses et elle avait fui sans demander son reste. Il était temps, Saucia commençait à s'impatienter et si elle avait découvert que Chloé accaparait la jeune gladiatrice, elle n'aurait pas manqué de rabrouer sévèrement la jeune masseuse pour sa légèreté et son inconscience.
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Saucia n'avait pas posé de questions quand Aeshma l'avait rejointe et s'était couchée sur une banquette, mais la masseuse aux mains d'or s'était merveilleusement bien occupée de la jeune gladiatrice.
Elle avait attendu que celle-ci soit aux frontières de l'assoupissement pour l'interroger. L'état d'Aeshma l'avait révulsée. La jeune gladiatrice était couverte d'hématomes. La poitrine, le cou, les cuisses, la taille et les hanches. Elle l'avait auscultée soigneusement et Aeshma n'avait pu retenir un gémissement quand, après avoir reçu son consentement, Saucia lui avait fait subir un examen gynécologique superficiel. Elle souffrait de traumatismes multiples et elle saignait.
— Aeshma, tu as mal ?
— Non, ça va, ça passera.
— Mais...
— Je te le dirais si ça n'allait vraiment pas, tu sais que je ne prendrais aucun risque.
— Tu n'es jamais revenue si abîmée d'une soirée.
— Je suis tombée sur un pervers qui ne m'a pas lâchée de la nuit. En plus, il m'en voulait personnellement.
— Comment ça ?
— Il avait eu des vues sur moi il y a deux ans à Patara. Tu sais, quand j'avais été punie.
— Oh... À la soirée où Gaïa Metella t'a louée.
— Mmm, en plus, je lui trouvais une sale gueule...
— Et tu lui as fait comprendre, rit Saucia.
— Ouais.
— Tu dois te reposer.
— Déjà être avec toi... soupira Aeshma.
— Tu mérites qu'on s'occupe de toi, Aeshma.
— Merci.
— Et, euh... Atalante... ? Elle n'est pas revenue avec vous.
— Elle est en sécurité, elle reviendra dans la journée fraîche comme une rose.
— ...
— Une petite initiative d'Astarté.
— ...
— Elle n'a pas participé à la soirée.
***
Atalante était revenue avec Marcia en milieu d'après-midi et avait tout fait pour éviter Aeshma. Marcia était repartie à peine arrivée, invoquant un entraînement qu'elle ne pouvait rater au ludus Bestiari et Aeshma ne l'avait même pas vue.
La jeune Parthe se reposait. Ni Marcia, ni Atalante n'étaient venues lui rendre visite.
Merde. Atalante l'évitait toujours après qu'Aeshma eût participé à une soirée, mais quand même, elle aurait pu, pour une fois, faire un effort.
Aeshma la retrouva alors que la nuit tombait. Atalante s'entraînait sur un palus. Ou plutôt, frappait comme une brute épaisse sur un palus. Armée d'une lourde épée de bois qu'elle maniait à deux mains. Elle avait une tête de déterrée et se déplaçait sans une once de légèreté. Elle ahanait comme un rameur. Elle n'était même pas venue dîner.
La jeune Parthe coupa le brin de lavande mâchouillé avec ses incisives et le cracha négligemment avant de réintroduire ce qui en restait entre ses dents. Jusqu'à la fleur. Après, elle irait lui parler.
Atalante abandonna avant. Les bras gourds. Incapable de lever l'épée encore une fois.
— T'as pas vraiment la carrure pour ça, Ata, grogna Aeshma.
Les épaules de la grande rétiaire se tendirent et elle se retourna lentement.
— Aesh ?
— Mmm.
— Je n'arrive pas à réfléchir.
— Peut-être que tu y arriverais mieux dans ton lit.
— ...
— Il est tard, Ata. Je suis naze. Toi aussi. Viens, on va dormir.
— Tu veux dormir avec moi ? demanda lentement Atalante.
— On dort ensemble depuis deux mois.
— Oh ! sembla réaliser Atalante. Euh... Il faut que je rapporte l'épée à Herennius.
— Je t'accompagne
— D'accord, sourit subitement Atalante.
Elles se rendirent chez Herennius en silence. Le doctor les regarda curieusement, il aurait aimé s'excuser. Les deux jeunes gladiatrices accusaient la nuit qu'elles avaient passée à l'extérieur. Saucia s'était plainte auprès de lui des mauvais traitements qu'avait subis Aeshma. La masseuse était furieuse et elle lui avait décrit dans les moindres détails les sévices qui sans conteste, étaient la cause des divers traumatismes dont souffrait la petite Parthe. Herennius n'avait rien laissé paraître, mais le silence qu'il avait opposé à Saucia n'avait rien eu d'indifférent. Saucia l'avait compris et elle en avait profité pour dire ce qu'elle pensait de la soirée et du laniste :
— La prochaine fois que ce type la voit, si elle n'est pas sous protection de l'Empereur, il la tuera. Vous êtes tous des chiens ! Comment toi, Herennius, peux-tu accepter qu'on traite ainsi tes gladiateurs ? Vous voulez la faire crever ? Elle vous rapporte plus d'argent comme cela que sur le sable ? Convaincs Téos de ne plus la renvoyer dans ce genre de soirée. En tout cas, pas avant la fin des jeux. Vous ne devriez jamais accepter de louer les gladiatrices pour ce genre de soirée. Elles reviennent toujours dans un état lamentable, même celles qui s'en vantent ou qui disent y prendre plaisir.
— Saucia...
— Je préviendrai Atticus. Ça m'étonnerait qu'il se réjouisse de l'état dans lequel Aeshma est revenue.
Saucia avait raison, mais qu'y pouvait-il ? Il n'était pas beaucoup plus libre que les gladiateurs dont il avait la charge, à peine un peu plus.
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Aeshma tombait de fatigue, elle avait dormi une bonne partie de la journée et s'était traînée le reste du temps. Quant à Atalante, le doctor ne savait pas trop ce qui lui était arrivé, mais elle ne paraissait pas dans son état normal. Elle cherchait à fixer son regard sur des objets sans trop y parvenir. Elle était crispée et dès qu'elle se détendait un peu, un sourire idiot fleurissait sur ses lèvres.
— Dormez demain matin, leur recommanda-t-il. Ne vous inquiétez pas pour les entraînements. Vous n'avez pas de combat prévu dans les dix prochains jours. Une pause vous fera du bien. Vous viendrez me voir quand vous vous lèverez.
Les deux jeunes gladiatrices hochèrent la tête. En franchissant la porte, Atalante vacilla et Aeshma la retint par le bras en grommelant. La grande rétiaire s'accrocha à elle.
— Je me sens...
Elle ne finit pas sa phrase, elle serra Aeshma contre elle et l'embrassa sur la tempe. La petite thrace râla, Atalante s'esclaffa. Aeshma la traîna jusqu'à leur cellule et se dégagea brutalement de son bras passé en travers de son épaule.
— Assieds-toi, Ata. Tu veux que j'aille te chercher à manger ? Tu n'as pas dîné.
Atlante la regarda d'un regard extatique.
— Pourquoi tout le monde est si gentil avec moi ?
Aeshma haussa les épaules.
— Aesh... Tu es mon amie ?
— Non.
La réaction d'Atalante la prit de court. La grande rétiaire se mit à pleurer en silence.
— Merde, Ata ! Pourquoi tu pleures ?
— Je suis nulle. J'ai pleuré toute la nuit. J'ai trempée tous ses vêtements, je suis sûre que je lui ai bavé dessus.
— Sur qui ?
— Sur Gaïa.
— ...
La rétiaire s'illumina soudain, elle s'arrêta de pleurer et se mit à sourire.
— Elle est... Je ne pensais pas qu'elle était comme ça. Elle est tendre avec toi aussi ?
— Quoi ?!
— Mmm, fit Atalante d'un air entendu. Je l'aime bien.
— ...
— Mais...
Atalante rougit soudain.
— J'ai dormi avec elle. Tu as déjà dormi avec elle ?
— Ata...
— Ah, oui, c'est vrai. Que je suis bête !
Atalante réfléchit un moment. Elle s'assit sur son grabat, s'appuya contre le mur, releva les genoux et enfouit sa tête dedans.
— Je raconte et je fais n'importe quoi depuis hier soir, dit-elle consternée. C'est les trucs que m'ont filé Atticus, Saucia, Chloé et Sabina. Je n'aurais pas dû tout prendre.
Aeshma comprenait mieux. Elle s'assit à côté de sa camarade.
— Tout le monde est taré dans cette familia.
— Toi aussi ? demanda Atalante en relevant la tête.
— Mmm, moi aussi, soupira Aeshma.
— Merci, Aesh.
— Pourquoi ?
— Pour hier soir.
— Ce n'est pas moi qu'il faut remercier.
— Non ?
— Non.
— Qui alors ?
— La domina et Astarté. Astarté à prévenue Gaïa Metella je ne sais pas trop comment et elle est venue.
— Astarté lui a écrit.
—Tu vois ? Je n'ai rien fait, ce sont elles deux que tu dois remercier.
— Je sais, n'empêche que je te dois des remerciements à toi aussi. Tu es une bonne camarade, Aesh. Je t'aime beaucoup.
— Tu me l'as déjà dit et de toute façon, tu aimes tout le monde, Ata.
— Non, je n'aime pas Ister, pas trop Pikridis non plus, ni Euryale et je déteste Téos. Je le hais même.
— Qu'est-ce que tu racontes ? s'alarma Aeshma surprise par la subite vindicte dont faisait preuve la si mesurée gladiatrice.
— Il nous méprise, il est cruel et méchant. J'ai longtemps cru qu'il nous aimait, qu'il nous respectait, qu'il était fier de nous. Mais ça... Herennius et Typhon sont comme ça, Ils sont durs parfois, mais si on travaille bien, si on combat bien, ils sont fiers de nous, vraiment. Mais Téos, lui ? On est rien pour lui, même pas bonnes à baiser.
— Tu n'es pas dans ton état normal.
— Si. Avant, je le considérais comme mon maître, comme mon protecteur. Ce n'est qu'un salaud !
— Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? demanda Aeshma qui commençait à trouver le discours d'Atalante inquiétant et bien trop semblable à celui que tenait Astarté.
— La vente d'Astarté et de Lucanus. Il les a juste vendus pour le plaisir, pour nous montrer qui commandait, pour faire du mal à Marcia. Lui faire comprendre qu'elle lui appartenait. Je n'avais jamais réalisé. Il a tué Sonja, il vous a envoyés tuer des gens comme de vulgaires assassins, il ne respecte pas le contrat de Marcia. Il nous méprise. Il n'y a que l'argent que nous lui rapportons qui l'intéresse.
— Ata...
— Ça ne change rien, la coupa Atalante. Je continuerai comme avant. Seulement maintenant, je sais. Je ne suis plus aussi naïve et stupide. Je l'aimais, Aesh. Pendant des années, je l'aimais. Le dominus ? Pff... Un vulgaire laniste, un vendeur de chair humaine.
Elle se tourna vers sa camarade.
— Tu vaux cent fois mieux que lui.
Aeshma s'attendait à une grande démonstration d'affection, mais Atalante déclara tout à coup qu'elle était fatiguée.
— Tu veux dormir ? lui demanda la jeune Parthe.
— Oui.
Aeshma se leva, Atalante se coucha sans se déshabiller, sans même se couvrir et se recroquevilla en chien de fusil. Aeshma posa sa couverture sur elle et resta un moment à la contempler. Atalante dut le sentir.
— Aesh ?
— Mmm ?
— Tu peux dormir avec moi ?
— Non.
— Comme quand on était novices, fit Atalante en se retournant.
— On n'était même pas amies à cette époque.
— Peut-être, mais on dormait ensemble quand même.
— Les novices dorment toujours ensemble, les esclaves en particulier.
— Parfois, je me sentais moins seule quand j'étais à côté de toi.
— Pas à côté d'Astarté ? glissa narquoisement Aeshma.
— Non, je ne l'aimais pas particulièrement au début et ensuite, quand j'aurais voulu, elle ne voulait pas. Dormir à côté d'elle était la pire chose qui pouvait m'arriver. Avec toi, c'était différent.
— Dors et fais pas chier.
— Aesh...
— C'est non, Ata.
— Pourquoi ?
— Parce que.
Il n'y avait aucune raison, c'est pourquoi quand Aeshma, après s'être déshabillée, souffla la lampe, quand elle se coucha sur son grabat, Atalante s'efforça de ne pas s'endormir tout de suite, d'attendre. Et quand le souffle de la petite thrace lui appris qu'elle dormait, Atalante se leva. Elle la poussa. Aeshma grogna, se réveilla et n'eut pas le courage ou la méchanceté de repousser sa camarade. Elle lui tourna le dos et le front d'Atalante vint s'appuyer entre ses omoplates.
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Marcia rentra après la deuxième veille. Elle avait dîné avec Carpophorus et ils s'étaient attardés à deviser ensemble. Ils avaient parlé des animaux qu'ils connaissaient, de leurs mœurs. Carpophorus n'était pas seulement un bestiaire, c'était un véritable chasseur. Un Dace. Il avait parcouru dans sa jeunesse les profondes forêts de son pays. Traqué du gibier, appris à pister. Il lui rappelait Astarté et son amour pour la forêt. Elle avait aimé écouter Astarté lui parler de la forêt, elle aima tout autant écouter Carpophorus.
Il était tard quand ils avaient décidé qu'il était temps d'aller dormir.
Gaïa l'attendait sûrement, sa porte lui était ouverte jour et nuit. Sa villa était agréable et la chambre qu'elle lui avait aménagée, confortable, mais Marcia n'avait pas eu le courage de monter jusqu'au Capitol et elle avait envie de voir Aeshma.
Elle resta un instant interdite en trouvant les deux melioras collées l'une à l'autre dans le même lit. Et puis, elle remarqua qu'elles dormaient sur le grabat d'Aeshma, que la Parthe était allongée sur le ventre et qu'Atalante, même si elle avait une jambe passée par-dessus celles d'Aeshma, même si elle était tournée vers Aeshma, lovée contre elle, avaient les deux bras repliées sur sa propre poitrine. Atalante était habillée, pas Aeshma.
Marcia sourit en secouant la tête. Elle n'avait surpris aucun secret. Ses deux mentors étaient vraiment incroyables. Jamais Marcia aurait pensé qu'Atalante recherchât comme elle, une affection physique auprès d'Aeshma, encore moins que cette dernière la lui accordât. Une pointe de jalousie lui titilla désagréablement le plexus et puis, elle repensa à la soirée précédente, aux épreuves que les deux melioras avaient traversées et elle sourit.
Elle se coucha sans bruit et s'endormit le cœur paisible et heureux.
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Il y avait eu les naumachies. Des spectacles grandioses. Si l'une avait été donnée au bois des César*, l'autre s'était déroulée au cœur même du nouvel amphithéâtre.
L'arène avait été inondée, transformée en bassin qui, aux yeux du public, ravalèrent les naumachies de Néron et d'Auguste à de piètres petits spectacles. Des galères s'étaient affrontées, des hommes s'étaient égorgés, étripés et massacrés dans un déluge de violence. Certains s'étaient noyés.
La bataille de Leucimme avait opposée Corinthe à Corcyre, dans le nouvel amphithéâtre. La bataille du détroit de Messine opposant Athéniens et Syracusains, au Bois des Césars. Parfois, la victoire n'allait pas au vainqueur historique. Les Corinthiens avaient battu les galères de Corcyre et l'arrivée d'une petite galère de secours, sensée à elle seule représenter la flotte athénienne, n'avait pas évité une cuisante défaite à Corcyre.
Neuf gladiateurs de la familia de Téos avaient malheureusement été engagés dans les rangs de Corcyre. Pas un n'en revient. Malheur aux vaincus, criait la foule déchaînée quand venait l'heure de la défaite. Les gladiateurs professionnels avaient été ajoutés en renfort aux condamnés à mort. Ils devaient motiver leurs troupes, les organiser, les galvaniser. S'ils sortaient vivants de la naumachie, les prisonniers seraient intégrés aux ludus impériaux. Une chance de survie, la perspective de retrouver leur liberté après cinq ans de gladiature. La bataille du détroit de Messine avait mieux souri à la familia. Neuf gladiateurs sur douze en étaient revenus vivants.
La fin des jeux se profilait. Il était temps de sélectionner les derniers combattants, de ne garder que les plus forts, les plus habiles, les plus résistants. D'offrir aussi des affrontements différents. Les naumachies avaient obtenu un franc succès, les batailles terrestres aussi, mais une nouveauté s'imposait. Il ne fallait pas laisser au public le loisir de s'ennuyer. De se lasser.
Une équipe entière travaillait à l'organisation minutieuse de chaque journée. Réfléchissait aux moyens de gaver la foule de plaisir et de cadeaux. Les gladiatrices avaient heureusement charmé le public. Les femmes étaient belles et s'exhibaient nues. Leurs apparitions sur le sable excitaient le public majoritairement masculin. Elles combattaient bien. Certaines s'étaient même fait un nom et ceux-ci, apposés sur une affiche, attiraient les amateurs de beaux combats. Les places se vendaient parfois très chères au marché noir. Il y avait la bestiaire blonde bien sûr, mais aussi des gladiatrices.
Souvent casquées.
Astyanax souffla à l'Empereur qu'on pouvait mettre les femmes en scène d'une manière plus attractive. Titus cherchait l'originalité ? On pouvait célébrer l'entrée dans le dernier quart des festivités par une représentation inhabituelle. Les soixante-quinzièmes jours des jeux. Il y aurait des blessées, mais les meilleures survivraient et auraient le temps de se soigner pour honorer de leur présence la dernière semaine de réjouissance.
Titus donna son accord.
Herennius et Typhon n'entraînèrent plus leurs gladiatrices qu'au combat de groupe. Aeshma grogna de plaisir quand elle sut qu'elle se battrait enfin sans casque. Sabina beaucoup moins :
— Tu as tort de te réjouir ainsi, Aeshma. Toi, moi, ça va, mais beaucoup de filles utilisent leur casque pendant les combats, si elles oublient qu'elles n'en ont pas, elles vont se faire défoncer le crâne.
— On n'a qu'à leur faire comprendre que ce n'est pas une bonne idée.
Les coups sur la tête avaient plu.
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Marcia mâchonnait l'air absent.
— Marcia, qu'est-ce qui te préoccupe ? lui demanda Gaïa.
— Le combat dans trois jours.
— Je croyais que tu ne combattais pas cette semaine.
— Je ne combats pas.
— Alors, pourquoi... Oh ! C'est l'amazonachie qui t'inquiète ?
— Oui. Les reconstitutions de batailles sont toujours violentes. Et il y a beaucoup de morts.
— Je ne crois pas qu'ils massacreront tout le monde. Pratiquement toutes les meilleures gladiatrices y participent. Il n'y aura pas de massacre final. Sinon, il n'y aura plus de gladiatrices de valeur pour combattre jusqu'à la fin des jeux et puis, sans rire, tu vois les filles perdre ?
— Toutes n'ont pas la valeur des melioras, et si elles se font déborder ?
— Tes trois amies ne sont pas du genre à se faire déborder.
Marcia fronça les sourcils.
— Tu as revue Astarté ? demanda Gaïa.
— Non.
— Pourquoi ?
— Tu as revu Aeshma ?
Gaïa détourna le regard. Non, elle ne l'avait toujours pas revue.
Marcia ne savait pas quoi penser d'Astarté, incertaine de ses sentiments et de ceux de la Dace qu'elle avait tant aimée. Gaïa ne doutait pas de ses sentiments, mais elle ne voulait pas voir Aeshma en coup de vent, dans un ludus ou même ici, sous les yeux inquisiteurs de Kittos, les yeux de Titus. Pas après avoir vécu ce qu'elle avait vécu avec elle. Elle voulait du temps, de l'intimité. Ce voyage à Rome avait été une erreur. Elle n'avait même pas revu Titus. Avancé ses pions ?! Pas un n'avait bougé.
Oh, elle avait noué des contacts, conclu des promesses d'affaires, mais elle n'avait rien réalisé de ce qui lui tenait vraiment à cœur.
Tout n'était cependant pas aussi inutile. Son séjour lui avait permis de se rapprocher de la jeune Marcia. La jeune fille dormait au moins une fois par semaine chez elle. Elle lui racontait ses entraînements, lui donnait des nouvelles de son ludus, d'Atalante et d'Aeshma. Elle se déchargeait sur la jeune Alexandrine de ses inquiétudes et de ses peurs. Elle s'évadait. Gaïa l'accueillait avec plaisir et gentillesse. Marcia était une jeune fille bien élevée et plaisante. Volubile ou très silencieuse. Gaïa lui laissait le loisir d'être comme elle voulait, de faire ce qu'elle voulait. Si seulement Aeshma avait bénéficié de la même liberté que la jeune fille. Mais Marcia était une auctorata, Aeshma n'était qu'une esclave.
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Les melioras réunirent une dernière fois leur troupe. Le lendemain serait jour de repos, elles combattraient le jour suivant. Elles les mirent en garde contre les fautes, les erreurs à ne surtout pas commettre, leur rappelèrent de rester toujours à portée de leur meliora, de ne jamais se disperser. Xantha, Sabina et Aeshma insistèrent sur l'absence de casque, sur l'aspect particulier du bouclier dont elles étaient équipées : plus petit et moins enveloppant qu'un scutum, plus encombrant qu'une parma.
Elles se réunirent ensuite au réfectoire. Sabina alla chercher une petite amphore de vin qu'elle avait fait acheter pour l'occasion. Du vin de Chios qu'elle appréciait.
— Unies, dit-elle en tendant son gobelet après avoir servi ses trois camarades.
— Pff... souffla Aeshma.
— Aeshma... la tança Sabina.
— Tu nous fais quoi, Sabina ? rétorqua la jeune Parthe d'un ton bourru. Une oraison funèbre, une veillée mortuaire ?
— Elles sont toujours comme ça, bougonna Xantha qui approuvait l'humeur de la petite thrace. Elles enterrèrent toujours tout le monde à l'avance. C'est comme pour toi. Elles t'avaient enterrée alors qu'elles ne savaient même pas où tu étais. Elles sont nulles.
— Tu racontes n'importe quoi, Xantha ! protesta Sabina.
— Ouais, c'est ça ! lui renvoya la Germaine. Ton truc, ça ressemble au dernier verre du premier palus.
— Peut-être que Sabina voulait simplement boire à notre victoire, avança Atalante conciliante. Mais si vous doutez de celle-ci...
Atalante se pencha pour prendre le gobelet d'Aeshma.
— Ne touche pas à ça ! s'écria la jeune Parthe en refermant vivement sa main sur le gobelet. Sabina, tu veux boire à quoi ?
— À notre victoire bien évidemment ! À quoi veux-tu que je boive d'autre ? À notre défaite ? Tu ne veux pas boire parce que tu es superstitieuse et que tu as peur que...
— Je n'ai peur de rien et je ne suis pas superstitieuse !
— Bon... Xantha ?
La Germaine regarda Aeshma, celle-ci lui fit un signe de tête et Xantha se rallia à l'idée de Sabina.
— D'accord, je bois aussi, si c'est comme ça.
— Puisque tout le monde est d'accord...
Les quatre melioras levèrent leur verre et le burent cul-sec.
— Il faudra parler à Astarté avant de rentrer sur le sable, dit Sabina.
— Pas la peine, répliqua Aeshma en s'essuyant la bouche d'un revers de la main.
— Pourquoi ? demanda Xantha.
— Parce que dès qu'elle sera sur le sable, elle reprendra sa place parmi nous, dit calmement Atalante. Elle s'est entraînée des années avec nous, elle n'aura rien oublié.
— Ouais, c'est la meilleure, approuva Xantha.
Sabina fronça les sourcils.
— J'ai formé Astarté, déclara Xantha. Mais je sais ce que je vaux, ce qu'elle vaut. Je ne lui ai jamais disputé sa place. Elle est meilleure que moi. Je ne voulais pas sa place. Galini et Bellone le savent très bien. Je ne suis qu'une remplaçante. Galini est trop jeune et manque d'expérience, mais si quelqu'un mérite de remplacer Astarté un jour, c'est elle. Je ne suis là qu'en attendant.
— Notre compagnie te déplaît ? demanda Aeshma sarcastique.
Xantha prit le temps de réfléchir.
— Non, je suis digne du premier palus, mais je n'ai pas les épaules pour être vraiment une meliora. Je ne suis pas à ma place parmi vous. Vous êtes de jeunes chiens fous, mais...
— Mais...? sourit Sabina.
— Vous êtes braves et le vin est bon. Tu nous ressers, Sabina ?
L'hoplomaque s'esclaffa et resservit une tournée.
— Tu sais que pour une vieille, tu tiens bien la route ? grimaça Aeshma.
— Eh ! protesta Xantha. J'ai encore l'âge de me marier.
— Gallus t'intéresse toujours ?!
— Pfff... Ce jeune imbécile n'a d'yeux que pour Marcia.
— Tout le monde n'a d'yeux que pour Marcia, fit remarquer Sabina.
— Pas moi, rétorqua très sérieusement Xantha.
— Normal, c'est un bébé pour toi, rit Aeshma.
— Aeshma ! Tu n'es pas si jeune.
— Ben, si je ne me trompe pas, j'ai vingt-deux ans, répondit la jeune Parthe. Je ne suis pas encore gâteuse.
— J'ai vingt-huit ans, répliqua Xantha.
— Comment tu sais ça ? grimaça Aeshma.
— Je ne suis pas aussi ignorante que tu le penses. J'aurais dû te dresser quand tu n'étais qu'une petite novice, tu me respecterais un peu plus.
— Ah, ouais ?
— Tu as toujours été une tête de bois, Aeshma, c'est vrai. Mais tu étais toute frêle et toute petite quand tu as débarqué chez nous... Petite comme ça, précisa Xantha en montrant avec sa main une taille ridiculement minuscule. Tu ressemblais à un petit marcassin. Tu grognais déjà... Un petit marcassin grognon et inoffensif. C'était mignon !
Atalante et Sabina se tordirent de rire. Aeshma se renfrogna. Xantha, d'habitude dénuée de tout sens de l'humour, souriait en coin.
— Le marcassin a bien grandi, enfin pas trop... ajouta-t-elle avec une moue.
Les rires d'Atalante et de Sabina redoublèrent.
— Mais vous êtes vraiment cons, maugréa Aeshma.
— Astarté assurait que tu étais née avec l'âme d'un sanglier, rit Atalante qui se souvenait de la réplique de la grande Dace à Patara.
— Elle est aussi con que vous. D'ailleurs, c'est pas étonnant que vous...
Atalante lui décrocha une grande taloche sur le côté de la tête.
— Ne te lance pas là-dedans, Aesh, la mit en garde Atalante. Tu sais que ce n'est vraiment pas une bonne idée.
— Ouais, mais...
— À la mémoire du marcassin de la familia ! gueula soudain Sabina hilare.
— Mais...
— Devenue la terreur de Rome ! continua Sabina.
— Mais...
— Tu as aligné quatre victoires, Aesh. Perdue aucun combat, les gens connaissent ton nom et les gladiatrices redoutent de t'affronter, lui dit Atalante.
— Toi aussi, abrutie, tu as gagné tous tes combats, et Sabina et Xantha n'ont perdu aucun de leurs trois engagements.
— On est toutes habitées par l'âme d'un sanglier, rit Sabina
— Ce devrait être le sceau de notre familia, dit sérieusement Xantha.
— Ouais, on devrait en soumettre l'idée à Téos.
— Comme si, il allait accepter, fit Aeshma en levant les yeux au ciel.
— Pourquoi ce ne serait pas simplement le nôtre, alors ? Celui des gladiatrices du premier palus ? suggéra Sabina
— Le palus du sanglier ! s'enthousiasma Xantha décidément d'humeur joyeuse.
— On grognerait en rentrant sur le sable et à chaque fois qu'on obtiendrait une victoire. Aeshma nous apprendra !
— Bande d'abruties !
— Groin ! Groin ! lança Sabina.
Les gladiatrices riaient encore quand Marcia fit son entrée. Sabina placée face à la porte la salua. La jeune gladiatrice comprit qu'elles préparaient leurs affrontements et s'excusa, mais les melioras l'invitèrent à se joindre à elles à grand cris.
— Tu es la gloire de notre ludus, Marcia. Tu mérites amplement de t'asseoir à notre table, déclara fièrement Sabina.
— Je...
— Ne proteste pas, lui dit Atalante. Je suis peut-être ta meliora dans l'armatura des rétiaires, mais comme bestiaire, Dacia, Celtine et Britannia te reconnaissent comme leur meliora.
— Dis, Marcia ? On pensait se faire graver un sceau, lui annonça Sabina.
— N'importe quoi... souffla Aeshma que l'humeur joyeuse de ses camarades n'avait pas encore réussi à dérider. Ne les écoute pas, Marcia. Elles délirent complètement.
— Tais-toi, Aeshma, lui intima Sabina. Toutes les melioras porteraient le sceau, continua-t-elle à l'attention de Marcia.
— Une bague ? demanda celle-ci.
— Oui. On a ramassé beaucoup d'argent. On peut se faire fabriquer une belle bague en or ou en argent avec une pierre gravée sertie.
— J'ai une adresse si vous voulez. J'ai commandé un sceau pour moi. Je vais le récupérer demain. Je pourrais vous le montrer et si le travail vous plaît, je peux me charger de passer la commande pour vous.
— Génial, déclara Sabina ravie.
— Aeshma dessine bien, elle créera le modèle, fit Atalante.
— Je ne dessinerai rien du tout et je ne porterai jamais un sceau aussi débile.
— Tu le porteras et je t'interdis d'être rabat-joie, Aesh, rétorqua Atalante.
— Ah, ouais, ricana Aeshma. Et sinon, quoi ?
— On te rase la tête.
— T'as pas intérêt.
— Tu ne veux pas porter un sceau ? demanda Atalante.
— Non.
— Le sceau des melioras ?
— Non.
— Et vous ? demanda Atalante à Sabina et Xantha.
Les deux melioras approuvèrent l'idée encore une fois. Marcia expliqua qu'un sceau pouvait être discret.
— Je m'en fous, je ne veux pas participer à vos conneries, s'obstina la jeune Parthe.
Les melioras ne se consultèrent même pas du regard. D'un même élan, elles se jetèrent sur leur camarade. Aeshma se débattit, mais les trois autres l'avaient prise de vitesse, elles la connaissaient bien et ne se laissèrent pas déborder. Aeshma ne put leur échapper et se retrouva clouée sur une table. Les melioras appelèrent Marcia à l'aide. Aeshma lui défendit de leur prêter main forte et la menaça des pires représailles si elle ne lui obéissait pas. Marcia tergiversa. Atalante la brusqua et la jeune fille prit son parti contre Aeshma. La Parthe l'agonit d'injures.
— Rien que pour ces paroles, tu mérites d'être punie, Aesh, lui déclara Atalante.
— Lâchez-moi !
— On ne va pas te raser, parce que tu ne nous le pardonnerais jamais, mais...
— Atalante, je te promets que...
Atalante ne prêta pas attention à ses menaces. Elle réfléchissait. Soudain, elle s'illumina : elle avait trouvé !
— Marcia, va trouver Gallus et demande-lui ses peintures de guerre.
— Quoi ? non ! hurla Aeshma. Marcia, si tu y vas, je te tue !
— Petit marcassin, tu te tais, la menaça Sabina.
— Sab...
— Rapporte des liens aussi, n'importe quoi.
— Bande de...
Aeshma tendit tous ses muscles, les melioras se couchèrent sur elle.
— C'est d'accord, accepta-t-elle soudain en se relâchant entre les mains de ses trois camarades. Je veux bien pour le sceau.
Mais c'était trop tard, les gladiatrices s'amusaient beaucoup trop pour abandonner.
Marcia revint avec Gallus, mais aussi avec Ajax et Germanus. Aeshma pesta de plus belle. Les gladiateurs s'informèrent de ce qui avait conduit la petite thrace sur la table.
— Une idée...
— Elles sont débiles, Gallus, si tu me touches...
Le garçon recula. Il était thrace.
— Donne-nous ton matériel, Gallus, lui demanda Ajax. Je crois savoir ce que les filles ont en tête. Germanus, tu te peins souvent avant tes combats, tu dessines bien. À toi l'honneur. Aeshma, je comprends que tu rechignes à l'idée qu'un gars du second palus porte les mains sur toi, mais un melior ? Germanus s'est illustré pendant ces jeux et il a justement accédé au premier palus, ce sera un honneur pour lui de te parer pour ton prochain combat.
— Il est hors de question... commença Aeshma.
— Gallus utilise des teintures particulières, elles ne s'effacent qu'après quatre ou cinq jours, tu seras magnifique après-demain.
— Lâchez-moi, bande de crétins !
— Tu n'arranges vraiment pas ton cas, lui annonça Sabina. Tu méprises les croyances de tes camarades, mais tu vas porter celles-ci à la vue des cinquante-mille spectateurs de l'amphithéâtre.
— Herennius et Téos vont vous tuer, les menaça Aeshma.
Un moment de flottement.
— Tu auras l'air encore plus sauvage que d'habitude, je suis sûre qu'ils vont apprécier.
— Il ne nous punira jamais avant un engagement de cette importance et après... Je veux bien prendre la faute sur moi, dit Sabina. Maintenant, à toi de savoir si tu vas bien porter tes peintures de guerre ou mal les porter.
Aeshma lui jeta un regard furieux.
— Soit tu bouges et tu débats, ce qui, de tout façon, ne te libérera pas, et les dessins seront ratés et hideux. Soit tu restes sagement immobile et Germanus te transforme en chef-d'œuvre.
— Il dessine aussi bien que toi, Aesh, ajouta Atalante pour convaincre la jeune Parthe d'être sage.
— Je vous déteste. Toi aussi, Marcia, lâcha Aeshma en relevant la tête.
Elle se laissa faire.
Elle consentit même à retirer sa tunique et son strophium. Germanus grimaça d'un air entendu. Aeshma souffla et se déshabilla entièrement. Les autres la surveillaient étroitement, prêts à la maîtriser si elle tentait de s'enfuir. Mais Aeshma avait renoncé à s'échapper. Ils n'eurent ni besoin de la maintenir, ni besoin de l'attacher.
— Tu seras très belle, lui affirma Germanus.
— Pff... se contenta de souffler Aeshma.
Les doigts du blond hoplomaque parcoururent le corps entier de la petite thrace et elle obtempéra sans protester à chaque fois que le gladiateur lui demanda de se tourner ou de changer de position. Ces doigts n'épargnèrent ni les fesses, ni les seins, ni le visage. Il demanda conseil à Gallus pour un motif particulier. Le Gaulois se tenait en retrait, il s'avança, croisa le regard d'Aeshma et sut qu'il pouvait intervenir sur elle. Les rires s'étaient calmés dès que Germanus avait commencé à dessiner. Sabina avait vite arrêté de parler. Aeshma avait perdu son regard courroucé et peu après que Germanus eut commencé à tracer des lignes et des motifs stylisés sur son corps, elle s'était détendue et avait fermé les yeux.
Les meliores regardaient fascinés, la peau de la jeune Parthe s'habiller de peinture. S'orner de peinture. Les gladiateurs qui se paraient de peintures de guerre, ne se peignaient jamais que les parties cachées sous leurs armures. Le visage, le plus souvent, le bras protégé par la manica. Les doctors interdisaient les peintures apparentes. Jamais Germanus, Gallus ou les gladiateurs qui affectionnaient les peintures corporelles, n'avaient ainsi déployé leurs talents comme Germanus et Gallus le firent sur le corps la jeune gladiatrice.
Malgré tout, malgré la liberté dont ils jouissaient d'utiliser le corps d'Aeshma comme bon leur semblait, ils ne surchargèrent pas leur sujet. Les peintures servaient à protéger, à embellir, à impressionner. Trop de dessins gâcheraient l'effet.
Aeshma avait un goût et un instinct sûr, et les deux gladiateurs n'auraient pas renié son travail quand elle avait exercé ses talents de dessinatrice à Tyr, mais les figures qu'ils choisirent de peindre sur son corps, contrairement aux siennes, étaient chargées d'histoire et de sens. Celles d'Aeshma avaient juste été belles.
Les melioras leur parlèrent du sanglier. Germanus le déploya sur le dos de la jeune Parthe. Un sanglier stylisé sur le corps duquel s'enroulaient des cercles et des courbes. Il prenait appui sur les reins de la gladiatrice, sa tête, de profil, ornait le haut de son dos et ses pattes avant passaient sous son omoplate droit. Quand elle bougeait le bras, le sanglier s'animait sur son dos.
— Tu n'as rien d'un marcassin, dit pensivement Xantha.
Germanus finit par le cou et le visage. Il enroula des rinceaux stylisés qui prenaient racine sur les deltoïdes pour remonter le long des clavicules puis s'épanouir dans le cou et se terminer derrière les oreilles. Sur le visage, il se contenta de souligner chaque pommette de deux traits en oblique. Il se redressa.
— Lève-toi, Aesh, demanda Atalante.
La jeune Parthe ouvrit les yeux et se remit sur ses pieds. Personne ne souffla mot. Atalante la fit lentement tourner sur elle-même.
— Bouge les bras.
Aeshma fit comme elle dit. Silence.
— Tu t'es dépassé, Germanus, murmura soudain Ajax. Jamais je n'ai vu ça.
Aeshma pencha la tête pour regarder son corps. Leva les bras.
— Tu es... commença Atalante.
— Superbe ! conclut Sabina pour elle.
***
NOTES DE FIN DE CHAPITRE :
Illustration : Sanglier celtique, Avocadoart.
Le bois des Césars (ou la Naumachie d'Auguste) : Construit en l'an 2 par Auguste dans le quartier du Travestin, l'immense édifice (533m — 355m) était spécifiquement dédié aux naumachies.
Les amazonachies : Ce type de représentation n'a jamais été attesté dans les écrits antiques. C'est une pure invention de ma part... mais sait-on jamais. Le public romain était avide de nouveauté, alors...
Les Amazonachies sont par contre des thèmes iconographiques très appréciés par les artistes. On en retrouve sur des frises de temples (par ex. sur le Parthénon, conservées au British museum à Londres.), sur des mosaïques, sur des peintures et surtout sur des céramiques décorées.
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