Chapitre III : La punition
La journée avait comblé Sextus Baebius Constans. Une ovation avait salué son départ de l'amphithéâtre. Le public manifestait ainsi son plaisir et sa reconnaissance. Le lendemain clôturerait dix jours de réjouissances. Il n'aurait plus qu'à engranger des bénéfices jusqu'à ce qu'il ait ramassé assez d'argent pour offrir un nouveau munus en son nom. D'ici-là, d'autres notables se chargeraient de distraire le public. Il pouvait aussi organiser un munus « provinciale », au frais de la province, il verrait cela avec son questeur et Anémios son secrétaire personnel.
— Dominus, le prévint justement Anémios. Les invités t'attendent.
— Fausta est-elle prête ?
— La domina a rejoint les invités.
— Et les enfants ?
— Primus et Marcus sont avec elle.
La soirée ne l'avait pas attendu quand il descendit. Il salua tous les convives, remarqua la présence de Quintus Valerius, l'absence de sa femme et de sa sœur.
— Quintus, vous nous privez de la présence de Julia ?
— Gaïa était fatiguée et Julia n'a pas voulu l'abandonner.
— Que viens faire Gaïa chez nous, Quintus ?
— Des affaires.
— Elle est mariée ?
— Je ne crois pas.
— Elle l'a été ?
— Non.
— Elle vit seule ?
— Elle est riche, répliqua Quintus.
— ...
— Julia et elle ont hérité d'une immense fortune, expliqua le magistrat. Par deux fois et elles ont su la faire fructifier.
— Vous avez trouvé une perle, Quintus.
— Les dieux m'ont privilégié, je l'avoue, et je leur en rends grâce à chaque nouveau matin qui se lève.
— Comme c'est émouvant, grinça le procurateur Aulus Flavius.
— Vous êtes jaloux, Aulus, déclara en riant le navarque qui avait entendu sa remarque.
— Et de quoi, grands dieux ?! s'exclama Aulus.
— Du joyau que les dieux ont accordé à Quintus ! clama la jeune fille avec qui Gaïa avait parlé à l'amphithéâtre.
Le procurateur fronça les sourcils, contrarié par sa remarque. Quintus Valerius semblait confus.
— Julia Metella Valeria, précisa la jeune fille en insistant sur le dernier nom qui proclamait Julia comme la femme de Quintus.
— Marcia, veux-tu bien te taire ! la morigéna le tribun Valens Atilius. Crois-tu qu'il soit décent d'ainsi parler d'une femme qui n'est pas présente ?
— J'énonce simplement des vérités, fit la jeune fille en haussant les épaules.
— Je finirai par ne plus t'emmener nulle part, maugréa le tribun.
— J'aime bien la caserne, je t'accompagne juste pour te faire plaisir.
Elle sourit avec insolence et si elle avait tiré la langue, personne ne se serait étonné de la voir darder entre ses lèvres rouges.
— Je vous prie à tous d'excuser ma fille, fit Kaeso Valens.
— Fille de caserne, général ? dit perfidement le procurateur.
— Nous y possédons de beaux appartements.
— On rencontre peu de femmes dans les casernes...
Le tribun serra les mâchoires, Aulus Flavius n'était qu'une vipère. Il insinuait que seules les filles de joie fréquentaient les casernes. C'était bien sûr un mensonge, mais c'était ce que voulait sous-entendre le procurateur. Valens retint son poing. Il n'entamerait pas une bagarre sous les yeux du propréteur. Aulus Flavius sourit mielleusement.
— Marcia est charmante...
... pour une fille à soldats, comprirent Valens et tous ceux qui assistaient à leur altercation.
Le propréteur s'empressa d'appeler musiciens, chanteurs et danseuses. Valens était un soldat expérimenté qui avait gravit les échelons au cours des campagnes de Bretagne et de Judée. Détaché dans la province, Sextus augurait que Valens finirait légat à la tête d'une légion. Si Vespasien l'avait peut-être oublié, Titus auprès de qui le tribun avait combattu, le récompenserait un jour pour son courage et son intelligence. Le procurateur s'était montré insultant. Cet homme détestable se savait intouchable.
Aulus Flavius. Il appartenait au cercle des intimes de l'Empereur Vespasien. Il connaissait aussi la réputation du tribun : Valens était un homme droit et il ne chercherait pas à assouvir une basse vengeance à son encontre. Un convive l'interpella de l'autre bout de la salle, il salua avec morgue et s'éloigna. Quintus respira plus librement. Le navarque Lucius Trebellius et Valens se regardèrent. Ils partageaient le même mépris pour le procurateur de Lycie.
.
— Quintus, fit le propréteur. Demain est dernier jours de liesse. Je serai fort marri de ne point voir Julia se joindre à nous pour le souper.
— Si je suis le mari de Julia, je ne suis point son maître, Sextus.
— La soirée sera des plus belles, intervint Fausta Baebia la femme du propréteur. Julia, nous ferait-elle l'affront de nous bouder ?
— Oh, non, Fausta, non, se défendit Quintus avec passion. Julia ne se le permettrait pas. Votre amitié lui tient tant à cœur. Mais...
— ... mais elle reçoit sa charmante sœur, conclut Sextus Baebius.
— Oui.
— Faisons venir Gaïa, et Julia viendra, proposa Fausta.
— Mmm, fit pensivement le propréteur. Quintus, Gaïa est étrangère à notre société, elle a fait un long et dangereux périple. Il est compréhensible qu'elle veuille s'isoler et rester tranquille. N'auriez-vous pas une idée pour l'encourager à se joindre à nous demain soir ?
— Je la connais très peu.
— Demandez à Julia, lui conseilla Sextus. Je serais prêt à tout pour l'encourager à venir.
— Moi, je sais comment la faire venir ! s'écria une voix juvénile
— Marcia ! Tu ne vas recommencer ! bougonna Valens.
— Faites venir la thrace et la rétiaire qui ont combattu cet après-midi, expliqua Marcia ignorant la remarque de son père. Elle a beaucoup aimé leur prestation. Vous êtes le munéraire, les gladiateurs vous appartiennent jusqu'à demain, non ?
— Oui, en quelque sorte. Jusqu'à après-demain même.
— Convoquez Dyomède aussi, et d'autres. Organisez un petit spectacle ou faites-leur servir les plats, tenir les lampes à huile. Je suis sûre que cela plaira à vos invités de toute façon.
— Marcia... la tança Valens contrarié par la façon cavalière qu'avait sa fille de parler au propréteur. Sextus, je suis...
— Non, non, Valens, laissez, l'excusa Sextus. C'est une bonne idée.
— Tu vas faire venir des gladiateurs chez nous ?! s'exclama Fausta.
— Pourquoi pas ?
— Et moi qui te croyais sérieux.
— ...
— J'ai hâte d'être à demain, s'enthousiasma Fausta toute excitée par l'idée de Marcia. Mais Sextus, je veux avec toi sélectionner ceux qui viendront. Marcia, que les dieux te bénissent, fit-elle en se tournant vers la jeune fille et son père. Vous aussi, Valens.
Valens flatté dans sa vanité de père salua la femme du propréteur avec reconnaissance. Marcia se haussa sur la pointe des pieds et embrassa son père sur la joue.
— Merci qui ? chuchota-t-elle à son oreille.
***
Le fouet mordit les chairs. Un long trait sanglant se dessina en travers des épaules de la jeune femme liée les bras levés sur un palus qui servait aux entraînements. Il forma une nouvelle figure géométrique en se combinant avec ceux qui l'avaient précédé. Le douzième coup claqua. Un grognement l'accompagna, mais la jeune femme se garda bien d'ouvrir la bouche. Elle serra encore un peu plus les dents sur le tore de cuir qu'on lui avait présenté pour qu'elle mordît dedans avant le début de sa punition. Sa jambe la faisait souffrir et elle s'efforçait de ne pas flancher, de rester debout. Elle pouvait ainsi reposer son poids sur sa jambe gauche et soulager la droite qui était blessée.
Atticus, le médecin de la familia avait pris le temps de la soigner. Elle avait même pu se baigner, se restaurer et profiter d'un massage. Le médecin inquiet pour sa patiente lui avait confié que Téos était furieux, mais grisée par sa victoire, elle n'avait pas voulu croire au châtiment que lui prédisait Atticus. Il lui avait reproché sa naïveté, elle s'était vantée de sa dextérité, de sa valeur. Téos lui devait des félicitations.
— Ta fierté t'aveugle, petite Parthe.
Elle avait dédaigneusement haussé les épaules. Le massage l'avait détendue et elle avait envie de dormir. Téos ne lui en donna pas l'occasion. Herennius vint la chercher. Il arborait un visage dur et contrarié. Il ne lui adressa pas la parole, ne l'engagea pas dans une relecture de son combat, et il évita de la regarder de peur de se laisser aller à la colère et de devancer les ordres de Téos. Il claqua des doigts. Le temps d'un battement de cœur, elle avait pensé résister. Elle renonça. Elle se leva. Il lui tendit une tunique de toile grossière qu'elle passa par-dessus sa tête et le suivit. Il était venu seul. Elle se félicita de ne pas l'avoir défié. Il l'escorta jusqu'à la cour du ludus municipal dans lequel tous les gladiateurs engagés par le propréteur logeaient, sans lui adresser la parole. Il se chargea lui-même de l'attacher. Il fendit ensuite sa tunique d'un coup de poignard, et la lui arracha.
Elle s'aperçut qu'elle et Herennius n'occupaient pas seuls la cour du ludus. Pour la deuxième fois de la journée, elle gratifiait un public, qui se pressait en nombre, d'un spectacle qu'il espérait sanglant et héroïque : gladiateurs, doctors, esclaves, masseurs, cuisiniers, concubines, quelques enfants, des armuriers, des médecins, tout ce que le ludus ou une familia pouvait compter comme personnel. Les gladiateurs présents n'étaient pas venus de leur propre initiative même si certains se réjouissaient d'assister à la punition d'un gladiateur désobéissant. Leurs doctors respectifs et leurs lanistes les avaient enjoints à se rendre dans la cour d'entraînement suivre leur dernière leçon de la journée.
Trois, il en restait trois.
Au treizième coup, la longue lanière lui brûla les reins, son corps se tordit et tira violemment sur les liens qui mordirent la chair de ses poignets. Elle revint brutalement contre le palus et se meurtrit l'arcade sourcilière. Avant qu'elle eût pu récupérer, le quatorzième coup la lacera de l'épaule droite à la hanche gauche. Ses jambes se dérobèrent sous elle. Elle mordit le tore, ferma les yeux, colla son front contre le bois fendu du palus. Son esprit lui échappait. Téos ne manifestait aucune ombre de pitié et son bras donnait au fouet toute l'énergie dont il avait besoin pour déchirer, meurtrir et punir. Elle rouvrit les yeux et son regard tomba sur Atalante. La Syrienne fronça les sourcils et hocha discrètement la tête. Un encouragement, un signe de connivence, de soutien. Adversaires sur le sable, partenaires lors des entraînement, s'ignorant la plupart du temps dans d'autres circonstances.
Atalante respectait Aeshma. Elle savait qu'elle méritait son châtiment, mais elle avait adoré leur combat sur le sable et surtout, elle avait appris par Atticus ce qui s'était vraiment passé quand Aeshma avait été s'agenouiller devant la tribune, le risque qu'elle avait pris, la menace qui avait planer au-dessus de sa tête. Si Atalante avait su qu'Aeshma ne serait pas épargnée en cas de défaite, elle n'aurait rien changé à son attitude, mais elle se serait arrangé pour perdre. Volontairement. La petite Parthe, comme l'appelait affectueusement Atticus, avait fait preuve de folie, mais grâce à elle, leur combat avait soulevé l'enthousiasme, et même si Atalante avait perdu, elle n'avait rien à se reprocher. Elle pouvait même être fière de sa performance. Elles avaient offert au public de Patara un beau spectacle. Il l'avait été avant l'intervention d'Aeshma. Sans celle-ci Atalante aurait été déclarée gagnante et ovationnée. Mais cette damnée thrace, en obtenant la permission de continuer le combat, leur avait permis de briller encore plus intensément.
Atalante ne l'aurait pas vraiment admis, mais elle s'était amusée. Elle aimait combattre contre Aeshma. Celle ci ne trichait jamais et leurs affrontements lui plaisaient. Téos les appairait rarement ensemble, il préférait opposer la rétiaire à une mirmillon. Les deux femmes appartenaient à l'élite de ses gladiateurs et il désirait, pour des raisons financières, les garder en bonne santé. Appairées ensemble, elles rivalisaient de fougue et de violence. Il avait beau leur enjoindre de veiller à ne pas s'estropier et à ne pas se porter de coups fatals, elles finissaient toujours par oublier ses recommandations. Chacun de leur face à face sur le sable lui avait donné des sueurs froides. Le spectacle soulevait l'enthousiasme certes, mais l'idée d'en perdre une l'enrageait. Chacun de leur combat avait été suivi d'une punition. Celle-ci tombait sur Atalante ou sur Aeshma en fonction de ce qu'elles avaient commis comme imprudence envers leur propre intégrité physique ou celle de leur adversaire. Parfois, il les sanctionnait toutes les deux. C'était détestable et nécessaire. Atalante, si elle se soumettait sans trop rechigner à la discipline imposée par le doctor ou Téos, avait tendance à se laisser dominer par l'esprit rebelle d'Aeshma. À se laisser entraîner à sa suite dans un monde où il n'existait plus qu'elles deux, face à face sur le sable. Aeshma avait des capacités de concentration incroyable, elle pouvait tout oublier quand elle combattait. Faire abstraction de tout ce qui ne concernait pas le combat : le bruit, la musique, les cris. Elle gérait la fatigue, la douleur, une blessure, la chaleur, le froid,le vent ou la poussière. Atalante la rejoignait dans son monde et elles oubliaient tout.
Le quinzième coup claqua. Le sang, un grognement de douleur, le poids du corps uniquement supporté par les poignets entravés, un bandage qui se teintait de sang, la contrariété d'Atticus qui devrait y remédier. Un claquement de main. Un ordre sec :
— Dispersez-vous !
Les gladiateurs et tous ceux qui leur gravitaient autour s'éloignèrent en silence.
— Atalante ! l'interpella Téos.
La jeune femme se retourna et revint sur ses pas.
— Occupe-toi d'elle ! Tu es consignée. Jusqu'à nouvel ordre.
Atalante se renfrogna. Elle n'aurait pas le droit aux honneurs auxquels elle avait droit. Elle ne pourrait pas partager ses repas avec ses camarades, profiter du confort et des commodités qu'offrait le ludus municipal. Elle allait passer les deux derniers jours qu'il leur restait à partager la cellule d'Aeshma et quand ils repartiraient sur les routes, elle serait coincée sous une tente.
Elle se débattit avec les liens qui retenaient la Parthe au poteau. Celle-ci avait tiré dessus et Atalante n'arrivait pas à les dénouer. Herennius surgit soudain et trancha la corde à l'aide d'un petit poignard. Aeshma glissa sur ses genoux.
— Vous êtes infernales toutes les deux, râla Herennius. Si seulement Athéna pouvait vous accorder un peu de sa sagesse.
— Aucune de nous deux ne croit à ses conneries, maugréa Aeshma entre ses dents.
Atalante se fendit d'un sourire. Ce qu'Aeshma pouvait quand même parfois lui plaire ! Herennius soupira.
— Prends soin d'elle, ordonna-t-il à la jeune Syrienne avant de les laisser.
La cour était vide. Un souffle imperceptible ne suffisait pas à rafraîchir la nuit. Il caressait juste la peau, doucement. Atalante trouvait la sensation agréable. Familière. Elle avait grandi parmi les nomades dans le désert syrien. Elle détestait le froid, la bise qui lui glaçait les os. Même si les nuits dans le désert pouvaient être froides, elles n'avaient rien de commun avec le froid qui l'avait saisie même pas si loin de chez elle. Elle se souvenait avec effrois d'un hiver qu'elle avait passé à Baalbeck, de son incompréhension le matin quand elle avait vu toute chose recouverte d'une épaisse couche de matière blanche. Du froid, des engelures. Elle secoua la tête et s'accroupit derrière Aeshma. Elle se mordit les lèvres, ne sachant pas trop comment l'aider et ne voulant pas accentuer ses souffrances. Aeshma était résistante à la douleur. Mais son dos saignait et les plaies présentaient déjà de vilaines boursouflures. Où se trouvait Atticus ? Elle tapota le bras de la thrace.
— Aeshma ? Tu peux te lever ?
La jeune femme secoua la tête :
— Faut que tu m'aides.
— Comment ?
— Donne-moi ton bras et ne me touche pas le dos.
— Je peux te laisser ici si tu préfères.
— Tu ne le feras pas. T'as trop peur de te retrouver à ma place demain matin.
Atalante lui posa un index sur l'une des plaies qui lui recouvrait le dos et appuya. Aeshma râla de douleur et se mit à l'injurier.
— Ne m'accuse pas de lâcheté ! siffla Atalante. Si je te laisse pas crever ici, c'est d'abord parce que...
— Parce que quoi ?
— Tu sais très bien pourquoi.
— Mouais.
Solidarité et respect. Si Aeshma avait été plus sociable, s'y serait ajouté l'amitié. En tant que femme, la mort les guettait rarement dans l'arène et elles ne risquaient pas un jour de devoir égorger une personne envers qui elles avaient développé des sentiments. Atalante avait parfois espéré l'amitié d'Aeshma, bien plus que de l'amitié, mais la Parthe n'avait jamais consentit à répondre à la moindre de ses attentes.
La Syrienne se plaça sur sa droite, la Parthe pourrait ainsi se reposer sur elle et éviter de poser sa jambe droite par terre. Aeshma serra les dents et se releva lentement. Atalante dut la retenir alors qu'elle allait tomber et ne put que lui passer un bras en travers du dos. La thrace gémit et se mordit la lèvre inférieure jusqu'au sang, mais elle tint bon et se retrouva enfin debout, sur un pied,une main posée sur le poteau, l'autre sur le bras ferme de sa camarade. Elle respirait laborieusement et la sueur lui dégoulinait sur le visage.
— Tu as chèrement payé notre prestation, remarqua Atalante.
— Ne me dis pas que tu le regrettes, râla Aeshma entre ses dents.
— Non, c'était un beau combat et euh...
Elle ne continua pas.
— Et ? l'encouragea Aeshma qui profitait de leur conversation pour rassembler ses forces et son courage.
— Je remercie les dieux de l'avoir perdu.
Cette déclaration laissa un moment Aeshma sans voix.
— Tu te fous de moi ?
— Non.
— Tu détestes perdre, observa Aeshma.
— J'aime encore plus me battre avec toi.
— Ouais ?
— Ouais.
— C'est une déclaration ?
— Non.
— Tant mieux. On peut y aller maintenant ?
— Quand je pense que je suis consignée...
— Le salaire de ton plaisir, grimaça Aeshma.
— Très drôle, Aesh. Et tu devrais te la fermer, tu te retrouves à ma merci, je pourrai trouver mon plaisir de bien des façons sans que tu ne puisses t'y soustraire.
— Mes bras et mes mains fonctionnent très bien.
— Si je te balance sur le dos, tu penseras à autre toute chose qu'à m'étrangler. Je t'attacherai.
— T'es qu'une perverse.
Aeshma s'accrocha à Atalante et elles partirent lentement en direction des quartiers des gladiateurs.
— Tu as la peau douce, Aeshma, et un corps agréable.
— Atalante ! Merde ! jura la jeune Parthe qui venait soudain de comprendre la nature des plaisanteries de la jeune femme qui la soutenait. Tu veux vraiment... ?
La jeune Syrienne se mit à rire.
— Sur le sable, tu es géniale, Aesh, mais en dehors, tu es une vraie abrutie !
Elle s'esclaffa et la thrace grommela des insultes.
— Quoique ce serait peut-être sympa ! plaisanta Atalante. T'entendre gémir, supplier. Je m'arrangerais pour te torturer.
— Je te ferai payer tes conneries.
— J'ai le temps de me préparer.
— Prépare-toi bien.
Elles atteignirent enfin la cellule d'Aeshma, et Atalante la guida doucement vers son grabat. L'allonger s'annonçait compliqué. Atalante s'approcha du pied du lit, retourna la jeune Parthe et la poussa vivement. Aeshma poussa un cri de surprise, se prit les pieds dans le grabat et bascula dessus. Elle amortit sa chute avec les mains et se laissa ensuite lourdement tomber sur le ventre en jurant.
— Je vais chercher Atticus, annonça Atalante..
— Je suis là, répondit celui-ci en entrant accompagné de deux aides qui portaient tout ce dont il avait besoin pour s'occuper, encore, de la gladiatrice blessée.
Il avait reçu l'ordre d'attendre qu'elles eussent rejoint leurs quartiers avant d'intervenir auprès de la jeune Parthe. Un prolongement de punition.
***
Quintus Valerius Pulvillus consultait des tablettes à l'abri du grand péristyle de sa villa. L'endroit était frais et calme. Un bruit de pas lui fit relever la tête. Julia. Elle s'approcha et se laissa tomber sur un siège à ses côtés.
— Ta matinée s'est bien passé ? lui demanda-t-elle.
— Des affaires courantes. Tu n'es pas sortie ?
— Non.
— N'avais-tu pas à faire ?
— Cela attendra. J'ai envoyé Andratus régler ce qui ne pouvait attendre.
— Mmm, Gaïa...
— Quintus, lui reprocha Julia la mine boudeuse. Comment peux-tu te montrer jaloux de ma sœur ?
— Je suis désolé.
Il ferma ses tablettes, rangea ses stylets et se tourna vers la jeune femme.
— Julia, nous sommes invités à la villa de Sextus Constans ce soir.
— Mmm, répondit distraitement Julia.
Elle appela une esclave et lui demanda de leur apporter des rafraîchissements. Quintus attendit que l'esclave revînt. Les deux époux se désaltérèrent. Le vin léger, subtilement aromatisé,caressait agréablement le palais.
— Il ne serait pas avisé pour moi et pour tes affaires que tu ne sois pas présente au banquet, déclara doucement Quintus sans regarder sa femme.
Julia lui jeta un regard vif.
— Ton absence a été relevée hier soir, continua Quintus. Et Aulus Flavius s'est encore permis de...
— Je déteste cet homme, le coupa Julia. Il me dégoûte.
— Il faut que tu viennes.
— Nous avons beaucoup d'affaires à régler avec Gaïa cet après-midi.
— Vous n'allez pas assister aux jeux ?
— Gaïa n'avait pas l'air de s'y montrer très enthousiaste quand je lui en ai parlé.
— Julia, Gaïa ne vit pas ici. Peu lui importe de se montrer grossière avec le propréteur, mais toi, tu ne peux pas. Tu aurais déjà dû te rendre aux chasses ce matin.
— Nous avons travaillé. Sa proposition est très intéressante, Gaïa possède un don pour le commerce et les affaires. C'est un vrai génie, tu le sais très bien. Si nous parvenons à mener à bien son projet, il nous rapportera beaucoup d'argent.
Quintus savait cela. Autant sa femme était douée autant Gaïa égalait les meilleurs commerçants qui sévissaient dans tout l'ouest du bassin méditerranéen. Personne n'était conscient de l'étendu de sa fortune et de l'importance de ses transactions, mais lui, grâce à ce qu'en disait Julia, en avait une petite idée. Gaïa manipulait d'énorme sommes d'argents, des quantités invraisemblables de marchandises. Mais c'était une femme de l'ombre, secrète. On ne savait d'elle que ce que Julia et elle-même, voulaient bien en raconter.
— Julia, vos affaires peuvent attendre. Gaïa ne partira pas demain. Et rien n'entrave sa liberté de rester ici autant qu'elle le désire.
— Excepté ton attitude.
— Julia , Gaïa est parfois...
Julia sourit affectueusement.
— J'irai assister aux combats de gladiateurs, le rassura-t-elle.
— Au banquet du propréteur aussi ?
— Seulement si Gaïa se joint à nous.
— Elle est invitée.
— Mmm, marmonna Julia pas vraiment convaincue que cet argument emporterait l'agrément de sa jeune sœur.
— Déjeunera-t-elle avec nous ce midi ?
— Oui, sauf si tu préfères être tranquille.
— Julia, lui dit doucement Quintus. Je ne déteste pas Gaïa.
— Elle te met mal à l'aise.
— Elle n'arrête pas me lancer des piques, j'ai toujours l'impression qu'elle me méprise ou qu'elle se moque de moi.
— Elle se comporte ainsi avec tout le monde.
— C'est désagréable.
Julia mit ses bras autour du cou de Quintus et l'embrassa sur la joue.
— Mon pauvre Quintus, le plaignit-elle. Je lui demanderai de t'épargner et d'être sage.
— Je suis pas sûre qu'elle en soit capable.
— Moi non plus, rit Julia. Où veux-tu déjeuner ?
— Ici ?
— Mmm.
Elle embrassa du regard le péristyle, la piscine qui s'étendait devant, les arbres en pots, les fresques colorées et le sol pavé de marbre. Quintus avait du goût. Le lieu pouvait sans honte remplir des fonctions d'apparat, mais la décoration restait assez discrète pour dégager une atmosphère intime.
— D'accord.
— Julia ?
— Mmm ?
— Marcia a suggéré à Sextus de convoquer des gladiateurs pendant la soirée.
— Marcia ?
— Sextus cherchait un stratagème qui encourage Gaïa à venir.
— Oh ! Tu n'es donc pas le seul à souhaiter sa venue ?
— C'est ta présence qui importe à tout le monde.
— Tu me flattes, mon chéri, mais je ne vois pas le rapport entre la présence des gladiateurs, celle de Gaïa et la mienne.
— Marcia a affirmé que Gaïa serait peut-être intéressée de revoir les deux gladiatrices qui ont combattus hier.
— Ah...
— Tu crois qu'elle serait intéressée ?
— Peut-être.
Sûrement, pensa Julia.
Elle avait elle aussi remarqué l'intérêt de sa sœur pour ce duel et l'ennui ostensible qu'elle avait par la suite manifesté envers les autres combats. Le soir, alors qu'elles s'étaient retrouvaient toutes les deux seules, Gaïa avait évoqué son regret de n'avoir pas vu le visage de la petite thrace. Julia lui avait glissé qu'elle pouvait se rendre au ludus et demander à la rencontrer. Gaïa avait refusé, contrariée. Julia avait cessé d'insister quand Gaïa lui avait demandé si les gladiatrices étaient des femmes libres. Une lueur désagréable brillait fond de ses yeux. Julia avait alors orienté la conversation sur le commerce de pourpre et les élevages de murex.
.
À la fin du repas, le sujet fut abordé sur un ton innocent par le magistrat. Gaïa leva les yeux sur lui.
— Convoqués? Pour combattre ?
— Je ne sais pas trop ce que prévoit Sextus, ni combien de gladiateurs seront présents, répondit Quintus. J'ai cru comprendre que Dyomède, Crassus, Sapiens et Berrylus seront là. Il souhaite aussi faire venir la thrace qui l'a apostrophé dans l'arène. Elle et la rétiaire contre qui elle combattait. Après, je ne sais pas. Les gladiateurs possèdent bien des attraits. Un combat privé plaît toujours. Sextus veut s'attacher la fidélité des notables de la province. C'est un bon moyen pour les séduire.
— Le propréteur est-il un homme... vertueux ? demanda Gaïa.
— Si tu veux dire par là qu'il ne se vautre pas dans la débauche, je le crois, oui. Il est plus proche de Vespasien que de Titus.
— Je ne crois pas que l'un soit pire que l'autre, dit Gaïa.
— Tu m'étonnes, Gaïa. Titus est un débauché digne de Caligula.
— Seulement ? ironisa Gaïa. Ne le surpasserait-il pas ?
— Si seulement Vespasien ne l'avait pas associé au pouvoir, laissa échapper Quintus.
— Domitien l'est aussi.
— Je ne sais pas lequel des deux frères vaut mieux que l'autre, soupira Quintus.
— Aucun des deux, trancha acidement Gaïa.
— Tu parles de l'empereur et de ses héritiers, la mit amicalement en garde Quintus. Il serait bon d'être prudente dans tes paroles.
Gaïa haussa brièvement les sourcils d'un air moqueur comme si tout cela n'avait aucune importance.
— Parfois, je me demande si vous n'êtes pas juives, toutes les deux. Vous n'avez aucun respect pour la nature divine de l'Empereur, maugréa Quintus. Juives ou chrétiennes, ils font concours de fanatisme*.
— Nous... commença Gaïa.
— Gaïa, s'il te plaît, l'enjoignit Julia. Quintus, m'as-tu jamais vu refuser d'honorer les lares ou les dieux ? D'honorer l'Empereur ?
— Non, mais tu ne le fais pas avec sincérité.
— J'ai perdu depuis bien longtemps mes illusions en ce qui concernait les dieux, répondit amèrement Julia.
Elle jeta un regard chargé d'amour et de douleur à sa sœur. Celle-ci lui prit la main et lui sourit tendrement. Tendresse que démentait l'éclat froid de ses yeux. Quintus avait toujours soupçonné des malheurs inavoués dans leur vie, des secrets qu'elles seules partageaient. Personne ne savait réellement les circonstances dans lesquelles leurs parents avaient trouvé la mort. Il ne subsistait rien de ce qu'avait été leur vie avant leur installation à Alexandrie dans la dernière année du règne de Néron*. Julia avait élevé sa petite sœur et avait attendu qu'elle fût assez âgée pour voler de ses propres ailes, avant de partir de son côté à l'aventure, chacune bénéficiant de la moitié de l'héritage qui leur était dû.
— Gaïa, nous accompagneras-tu ce soir chez le propréteur ?
— Oui.
Quintus Valerius se promit d'offrir un présent à la jeune Marcia.
***
Peu après la douzième heure, Herennius surgit sans s'annoncer dans la cellule d'Aeshma. Elle et Atalante jouaient aux dés. La jeune Parthe tentait ainsi, sans trop de réussite, d'oublier ses souffrances.
— Vous êtes de représentation ce soir. Je veux que vous soyez parfaites. Vous allez d'abord vous rendre aux bains. Quand vous aurez fini de vous baigner, Saucia et Chloé prendront soin de vous. Quand vous serez prête vous viendrez me voir.
— Doctor, en quoi consiste la représentation ? demanda Atalante.
— Exhibition privée à la villa du propréteur.
— Un combat ?! s'exclama Atalante. Aeshma peut à peine bouger.
— Atticus lui donnera de quoi tenir ce soir. Il t'attend aux bains, Aeshma.
Atalante regarda Aeshma d'un air préoccupé. Celle-ci lui lança un regard noir et se leva. Un affreux rictus lui déforma les traits, mais aucun son ne franchit ses lèvres.
— Dépêchez-vous. Vous devrez être à la villa avant la tombée de la nuit.
— Que nous ? osa demander Atalante.
— Non, quatre autres paires seront de la partie, mais vous serez la seule paire de gladiatrices. Je vous attends.
Il sortit.
— Je déteste ce genre de soirée, murmura Atalante d'un air sombre. Tu n'es pas en état de te battre en plus, encore moins de...
— Je me débrouillerai, lui assura Aeshma.
— Je hais les aristocrates, siffla Atlante entre ses dents.
— Ils payent bien.
— Tout t'indiffère, lui reprocha la jeune Syrienne. Je n'aime pas les orgies et ce genre de soirée tourne souvent ainsi.
— Tu es bien délicate, Atalante.
— Je suis devenue gladiatrice pour échapper au lupanar.
— On va passer la soirée dans la villa du propréteur, pas dans un bordel crasseux.
— Parfois, ce n'est pas si différent.
— La bouffe est meilleure, on y boit du vin et les gens puent moins.
— Tu as autant que cela fréquenté les bordels, Aesh ?
— Non, mais je sais ce que c'est, affirma-t-elle. Il n'y a qu'à écouter les gars en parler.
— Ce sont des porcs, cracha Atalante avec mépris.
— Tu es bizarre.
— Moi ?! se récria Atalante. Tu aimes vraiment servir de pute ?
— Ça n'arrive que rarement.
— Une fois de trop m'a suffi. C'est de ta faute tout ça ! s'emporta soudain la jeune Syrienne.
— Ouais. La prochaine fois, je me laisserai égorger.
— Et tu manquerais un banquet de notable ?
— Bon, d'accord. La prochaine fois, je t'égorge. Ce sera tout bénéfice, ta vertu sera sauve, je pourrais bien bouffer et prendre mon pied avec qui je veux.
Atalante leva les yeux au ciel.
— Aesh, tu n'as jamais souffert de ce genre de soirée ?
— Non.
— Jamais, vraiment ?
— Non.
— Parfois, je t'envie ton armatura. Tu fais tout le temps la gueule et ça refroidit tes possibles admirateurs aussi sûrement qu'un bain glacé. Et quand enfin, tu t'amuses et que tu dois avoir l'air plus avenant, tu te retrouves planquée sous ton casque. C'est pour cela que tu es rarement choisie. Peu de gens t'imaginent autrement que maussade.
— Astarté porte aussi un casque, ça ne l'empêche pas d'avoir des files d'admirateurs.
— Astarté est une séductrice et elle aime ce genre de soirée. Les rares fois où je m'y suis rendue avec elle, elle a joui de plaisir toute la nuit, au sens figuré comme au sens propre.
Aeshma se fendit d'un sourire.
— Personne ne croirait à t'entendre que tu es une vétérane. On dirait une douce pucelle de l'aristocratie romaine.
— Ta gueule ! cracha Atalante. Tu ne vaux pas mieux que les autres.
— Ils font moins de manières.
— J'espère pour toi que tu penseras la même chose demain matin.
— C'était où la fois de trop ?
— À Pergame, tu le sais très bien.
— Tu me racontes ?
— Non, fit durement Atalante d'un ton sans réplique.
.
Elles se rendirent aux bains. Doucement. Aeshma ne se souvenait pas qu'ils se situaient si loin de sa cellule. Elles y retrouvèrent les huit autres gladiateurs qui les accompagneraient chez le propréteur.Elles seules représentaient leur familia. Elles reconnurent Dyomède, Crassus, Sapiens et Berrylus parce qu'ils étaient célèbres, et elles saluèrent les quatre autres qu'elles avaient croisés à l'entraînement ou dans les parties communes du ludus. Les hommes se réjouissaient de la soirée à venir et les quatre têtes d'affiches se pavanaient en affirmant aux autres qu'ils leur devaient cette faveur.
— Vous nous servez de faire valoir.
Les deux femmes ne furent pas accueillies différemment des hommes, avec moins d'égards peut-être, car leurs carrières même si elles s'avéraient des combattantes médiocres, avaient de plus forte chance de durer que la leur. Mais leur prestation avait plu à ceux qui y avaient assisté, et les autres avaient bénéficié des compte-rendus de leurs camarades qui décrivaient la petite thrace comme une tête brûlée.
Ils avaient tous assisté à son châtiment et son attitude leur avait paru digne d'un gladiateur, qu'elle fût une femme ne changeait rien à l'épreuve. Elle s'était, de l'avis de tous, bien comportée sous la morsure du fouet.
Une joyeuse ambiance régna durant le bain. Les plaisanteries et les vantardises en tous genres fusaient. Atalante s'assombrit au fur et à mesure que le temps passait. Aeshma souffrait et se contenta de quelques sourires distraits. On connaissait son humeur taciturne et personne n'y trouva rien à redire. Atalante dut essuyer quelques remarques sur son humeur morose, mais les hommes pensèrent qu'elle était furieuse de se retrouver appairée à une combattante dramatiquement diminuée.
Aucun des gladiateurs ne commit l'erreur de s'étonner que la thrace eût été sélectionnée. Ils soupçonnèrent que sa punition perdurait ou que sa présence avait été exigée par quelques pervers en mal de sensation. Au fond, ces hommes pourtant peu enclin à la pitié, la plaignirent. La soirée risquait de lui paraître très longue.
***
NOTES DE FIN DE CHAPITRE :
Le fanatisme des juifs et des chrétiens évoqué par Quintus Valerius :
Les romains, comme beaucoup de peuples antiques étaient très ouverts et très tolérants en terme de religion. À Rome, on adorait tous les dieux quels qu'ils soient. Il existait même un temple au dieu inconnu, histoire d'être sûrs de n'en offenser aucun. Les romains ne comprenaient pas l'attachement exclusif des juifs, puis des chrétiens à leur seule croyance, à leur seul dieu. À leurs yeux cette fidélité, entre autre aux dix commandements de Moïse dont :
« Tu n'auras pas d'autres dieux que moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces images, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu'à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m'aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu'à la millième génération. »
était perçue par les anciens comme du fanatisme et de l'intolérance bornée.
Dernière année du règne de Néron (date à laquelle Julia et Gaïa s'installent à Alexandrie) : 68 après Jésus-Christ. L'empereur est mort le 9 juin de cette année-là.
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