Chapitre II : La thrace
Après l'obscurité des coulisses, le soleil l'éblouit désagréablement. Le casque la protégeait des rayons directs du soleil, mais la luminosité était trop forte. Elle avança. L'arbitre annonça la nouvelle paire. Elle leva les bras en entendant son nom. Le silence tomba soudain. La surprise. Elle grimaça à l'abri de son casque. Pas l'abri, elle n'aimait pas porter un casque. Il restreignait drastiquement sa vision périphérique et il gênait sa respiration. Alors qu'elle se pensait assez vétérane pour émettre un avis — elle combattait dans l'arène depuis deux ans et avait laissé loin derrière elle son statut de novice — elle avait demandé à Téos d'en être dispensée. Il avait hurlé aux loups.
***
— Ton armatura exige le port d'un casque ! Je ne présente pas des acteurs, fulminait-il. Mais des gladiateurs ! Tu sais ce que c'est ?!
— Je suis une femme, avait-elle répondu en haussant les épaules. Et puis, je ne vois rien et je n'arrive pas à bien respirer.
Il l'avait giflée.
— À genoux, lui avait-il ordonné dangereusement menaçant.
Elle s'était exécutée. Il avait fait appeler Herennius.
— Elle veut devenir rétiaire, déclara Téos à son doctor.
— Quoi ?! s'étonna Herennius qui ne pouvait croire à telle affirmation.
— Mais, dominus... avait tenté de protester la jeune femme à genoux.
Une gifle avait une fois encore claqué.
— Tais-toi !
Elle s'était définitivement tenue coite.
— Forme-la, Herennius.
— Elle ne brillera pas dans cette armatura, dominus, observa le doctor.
— Elle veut combattre à visage découvert.
Herennius s'était abstenu de tout nouveau commentaire. Shamiram, ou Aeshma comme elle se faisait appeler dans l'amphithéâtre, n'avait pas su une fois de plus tenir sa langue, courber l'échine. Le fouet, les verges, les corrections n'avait jamais étouffé le feu qui brûlait au fond de ses yeux. Esclave, elle ne se pliait aux règles que si elle les acceptait et que celles-ci n'allaient pas à l'encontre de ses convictions. Par bonheur, Aeshma n'avait juré fidélité à aucun dieu et ne se conformait à aucune règle morale exotique. Beaucoup d'aspects dus à son statut servile ou à sa condition de gladiatrice l'indifféraient.
Elle acceptait aussi bien les dures conditions d'entraînement que les règles de vie très strictes et les conditions spartiates imposées par le laniste à ses gladiateurs. Tuer lui semblait naturel, servir aux plaisirs des munéraires aussi. Elle acceptait de verser son sang, de risquer sa vie, de satisfaire des fantasmes tant qu'elle gardait son statut de gladiatrice et qu'on ne la prenait pas pour une prostituée, que Téos ne la louait pas ainsi.
Le laniste était prudent, elle lui rapportait de l'argent. Il évitait de la contrarier. Mais il arrivait parfois qu'il eût mal évalué une situation ou que, comme aujourd'hui, elle oubliât quelle était sa place.
Elle subit six mois d'humiliation. Le trident trop long, trop lourd, le filet encombrant. Elle était trop petite. Sa morphologie ne s'était pas adaptée à l'armatura du rétiaire. Les entraînements s'étaient vite transformés en calvaire. Atalante ne lui pardonna pas de lui avoir volé son armatura et lui fit chèrement payer son arrogance sur le sable, aussi bien à l'entraînement que dans l'arène. Injustement punie sans qu'elle en sût la raison, elle s'était mieux adaptée à l'armatura de Shamiram, que celle-ci à la sienne. Aeshma but la coupe de son insolence jusqu'à la lie.
Sur le sable. Dans une arène.
À la faveur d'un petit munus de province, Téos l'engagea comme rétiaire et l'appaira à Atalante qui combattait à cette occasion sous l'armatura des thraces.
Aeshma se ridiculisa. Elle s'empêtra dans les rets de son filet, n'arriva pas à manier lestement son trident. Bouillonnant de rage et de honte, elle avait oublié de réfléchir, de se fier à son instinct. Elle eût pu se débrouiller avec son seul poignard. Mais elle n'avait pas voulu déroger aux règles, elle avait voulu se faire pardonner par son maître, rendre fier d'elle Herennius, offrir un combat décent à Atalante contre qui elle était opposée. Elle avait trébuché sur son filet, pris un coup de sica, essuyé les remarques perfides et méprisantes d'Atalante, perdu son trident et beaucoup d'énergie. Après, ce fut trop tard. Atalante l'avait violemment frappée d'un revers de sa parma et l'umbo de métal qui saillait en son centre lui avait déchiré la pommette droite. Elle avait roulé sur le sol.
À terre, son poignard n'avait plus rencontré que les jambières de fer de son adversaire. Elle avait tenté de se relever, mais Atalante l'avait poursuivie à grands coups de pied. Si les déboires de la pitoyable rétiaire avaient d'abord soulevé les hués, celles-ci s'étaient vite changées en rire et en moquerie. Atalante soignait le spectacle et sa sica avait fini par taillader ce qu'il restait du dérisoire subligaculum* que portait Aeshma. Elle avait envoyé le poignard de la rétiaire voler sur le sable et avait pris même le temps de le ramasser. Aeshma rouge de honte, avait fini fermement maintenue à genoux. Un genou dans le dos lui tordait la colonne vertébrale, tandis qu'une main refermée douloureusement dans sa chevelure lui tirait la tête en arrière. Atalante l'exposait au centre de l'arène aux yeux du public, nue et en sang. La bouche ouverte et haletante. Offerte. Le nom d'Atalante avait parcouru les rangées des spectateurs, il avait roulé d'un bout à l'autre des gradins. Atalante l'avait alors brutalement projetée en avant, et le pied posé entre ses omoplates elle l'avait maintenue face contre le sol. Elle avait ensuite levé les bras au ciel en signe de triomphe. Puis elle avait effectué un tour complet de l'arène en courant. Aeshma était restée un moment face contre terre avant de tenter de se remettre debout.
— Elle se relève ! avait crié en riant un spectateur.
Atalante était revenue et d'une taloche, avait renvoyé la pitoyable rétiaire rouler sur le sable. Puis sous les rires du public avait attrapé son pied et l'avait traîné jusqu'aux coulisses. Une fois hors de vue du public, elle avait lâché Aeshma, l'avait enjointe à se relever et l'avait empoignée par les cheveux.
— Tu n'es qu'une merde ! lui avait-elle craché avec mépris et colère. Tu as ridiculisé mon armatura et tu nous as ravalées à l'égal des histrions qui viennent à l'heure des méridiani faire rire la foule avec des vulgarités. Fais-toi pardonner, Aeshma, et récupère tes armes, parce que la prochaine fois que je te vois revêtir les armes du rétiaire, que Téos le veuille ou pas, je te tue. Ou mieux, je te mutile. Tu auras ainsi le temps de méditer sur ta bêtise.
Elle lui avait lancé un coup de poing et aurait sans doute continué si Herennius n'était pas intervenu. Malgré l'affection que lui portait Atalante, Aeshma avait mis du temps à regagner son estime.
La familia n'accueillait que quinze femmes. En elles résidait la richesse de Téos. Peu de lanistes ou de ludus pouvaient s'enorgueillir de posséder des gladiatrices. Les bonnes combattantes étaient rares et elles ne remportaient pas toujours le suffrage des spectateurs amateurs de gladiature, mais elles apportaient aux spectacles une touche d'exotisme et de sensualité qui plaisaient. Principalement, si on spécifiait bien, pour ne pas provoquer de scandale, que les gladiatrices étaient originaires de provinces lointaines, de contrées barbares qui ne bénéficiaient pas encore de la Pax Romana. Étrangères aux vertus romaines. Si le scandale servait au spectacle, on insinuait qu'elles étaient romaines et qu'une patricienne se cachait parmi elles.
Après avoir assisté à un duel opposant deux femmes sous l'armatura des thraces à Pompéi, Téos avait parié sur les gladiatrices. Il avait écumé les frontières de l'Empire, les marchés aux esclaves, pour les recruter. On connaissait ses goûts et parfois, il n'avait pas eu à se rendre sur les marchés. On lui avait apporté la marchandise à domicile.
Il portait un soin particulier à leur entraînement et exigeait du travail et des résultats. Celles qui voulaient rester ne manageaient pas leurs efforts car Téos n'hésitait jamais à revendre celles qui ne répondaient pas ses exigences. Si les gladiateurs qu'ils possédaient ne brillaient pas au firmament de la gloire, il se targuait de présenter les meilleures combattantes de l'empire. Et il avait toujours refusé d'en vendre ne serait-ce qu'une seule,quelques eussent été les sommes proposées.
Ses femmes frisaient l'excellence. Elles n'avaient rien à envier aux gladiateurs de sexe masculin et il devait à leur présence et à leurs talents martiaux de nombreux engagements.
Depuis cette cuisante correction, Aeshma avait évité de remettre en cause aussi bien son équipement que les règles ou les usages qui géraient sa vie de gladiatrice. Téos avait un don pour trouver les punitions les plus humiliantes ou les plus sadiques.
***
La surprise n'étreignit pas seulement les gradins. Les invités du propréteur Sextus Baebius Constans, se turent eux-aussi. Les amateurs de combats ouvrirent la bouche. Ceux qui n'assistaient au munus que parce qu'il fallait s'y montrer abandonnèrent leur discussion ou relevèrent la tête, le regard empli de curiosité.
— Sextus ? Des femmes ? s'étonna Julia. Elles n'étaient pourtant présentes ni à la pompa tout à l'heure ni à la cena d'hier soir.
— Une petite surprise, sourit le propréteur.
— Faire combattre des femmes... commença une matrone.
— ... c'est d'un exotisme ! la coupa Julia.
— J'ai combattu des femmes en Bretagne, déclara le tribun Kaeso Atilius Valens. Elles se montraient redoutables et maniaient l'épée avec une grande dextérité.
— J'avoue avoir voulu vous rendre hommage Valens, dit Sextus Constans.
— L'attention est osée, propréteur, répliqua le tribun.
— Vous êtes réputé pour respecter vos adversaires s'ils se montrent valeureux.
— Les Bretons étaient courageux, mais indisciplinés, comme tous les Celtes d'ailleurs. Ils ne savent pas faire front unis contre leurs adversaires, que ce soit dans une bataille ou dans une guerre. Aucun n'a résisté aux légions de Rome.
— César a essuyé des défaites, intervint Gaïa. Et les Bretons, puisque vous en parlez, lui ont tenu tête. Une légion, la Neuvième si je ne me m'abuse, n'y a-t-elle pas été massacrée ?
— Un faux pas vite corrigé.
— Les légions n'ont pourtant pas fini de soumettre le monde. Et le nord de la Bretagne reste insoumis.
— Ce n'est qu'une question de temps, madame.
— D'autres empires ont plié après s'être cru invincibles.
— Aucun n'égalait Rome et ses légions, affirma Kaeso Valens.
— Mmm...
— En douteriez-vous ?
— De quoi, général ?
— Que Rome domine le monde ?
— Oh, non général, se défendit Gaïa. Je ne suis pas aveugle. Vous n'énoncez qu'une vérité.
— Gaïa, tu as déjà assisté à des combats de gladiatrices ? demanda sa sœur.
— J'avoue que non, c'est une nouveauté pour moi, même si je sais qu'un ludus forme des gladiatrice à Alexandrie, je n'ai jamais eu le plaisir de les voir combattre.
— La nouveauté te semble-t-elle excitante ?
— Intéressante.
Julia se pencha à l'oreille de sa sœur.
— Tu n'es pas la seule à savoir te servir d'une arme, Gaïa, lui murmura-t-elle.
— Des armes ?! Tu y vas un peu fort !
— Tu es une grande archère.
— Tu n'es pas mauvaise non plus.
— Je ne tire pas aussi souvent que je le voudrais.
— Depuis que tu t'adonnes au mariage, tu sers, il vrai, plutôt de cible...
Julia claqua du plat de la main l'avant-bras de sa sœur.
— Gaïa ! fit -elle faussement scandalisée. Et puis, l'un n'empêche pas l'autre. Oh... elles vont commencer.
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Au centre de l'arène l'arbitre regarda le propréteur. Sextus leva la main, l'arbitre cria : « Combat ! » et l'affrontement commença.
Gaïa observa les deux adversaires. Le choix avait été fait d'opposer une thrace à une rétiaire. Paire fort courante chez les hommes. Prometteuse d'un combat spectaculaire, vif et rapide. Gaïa n'appréciait pas trop les armaturas lourdes. Parmulara dans l'âme, sa préférence allait aux détenteurs du petit bouclier, appelé la parma, alors que les scutari fondaient pour les gladiateurs maniant le lourd bouclier rectangulaire, le scutum. Elle appréciait les corps déliés, les déplacements vifs. Mirmillons et secutors lui paraissaient lourds et pesants. Les gladiateurs de ces armaturas peu attrayants. Trop grands, trop musclés, trop râblés. Elle préférait le félin au bovin. Gaïa aimait les corps associés aux armaturas légères.
Dans le cas présent, les deux jeunes femmes s'accordaient magnifiquement à celles-ci. La rétiaire était grande, peut-être autant qu'elle, sinon plus. Ses épaules noueuses et ses bras musclés supportaient sans faiblir le double poids imposé par le filet et le trident. Elle se déplaçait souplement en glissant, se détendait, le filet tournoyant au-dessus de sa tête ou se ramassait pour accélérer son déplacement. La thrace qui lui était opposée était beaucoup plus petite. Elle était fine, mais ses mouvements faisaient rouler ses muscles sous sa peau et dénonçait la tromperie d'un corps qu'on aurait pu croire seulement gracieux. Gaïa s'attarda sur les attaches de ses articulations. Du moins ce qu'elle en voyait. Celles de l'épaule gauche. Elle sourit, elle se racontait vraiment n'importe quoi !
La thrace se déplaçait félinement, avec beaucoup d'agilité et de vivacité. Gaïa eut aimé voir sa figure cachée sous le casque entièrement fermé. Elle détestait les casques dont on affublait les gladiateurs. Elle aimait lire les visages, voir les émotions se succéder dessus, les étudier. Cette manie qu'avait la gladiature de dissimuler les traits des combattants l'horripilait.
Quitte à ce que des hommes s'entre-tuent, qu'ils le fissent donc tête nue. Elle savait bien qu'ils n'étaient rien, qu'ils ne possédaient ni nom, ni statut social, mais pourquoi les plonger dans l'anonymat ? Elle aimait les rétiaires pour cette raison. Ils combattaient à visage découvert, aux yeux de tous.
Parce qu'elle n'avait jamais assisté à des combats opposant deux femmes dans une arène, elle se demanda si les gladiatrices feraient honneur à leur métier. Si elles ne déshonoreraient pas le nom des gladiateurs. Elle obtint très vite sa réponse. L'affrontement entre les deux femmes s'apparentait à un ballet mortel. Elles se déplaçaient légèrement, mais le choc de leurs armes l'une contre l'autre ou contre les différents éléments de protection qu'elles portaient, résonnaient durement dans l'arène. Le mépris qu'avaient affiché certains à l'annonce de l'entrée de deux femmes s'était très vite effacé et les plaisanteries douteuses ou insultantes avaient laissé place à des cris enthousiastes. Il y avait très peu de chance pour que l'affrontement se terminât par la mort d'une des deux gladiatrices, l'espèce était trop rare, mais celui-ci n'avait rien d'une joute amicale et valait sans contestation possible un combat entre hommes.
On avait cru à une représentation, à une bouffonnerie. Il n'en était rien. Les armes n'étaient pas mouchetées. Quand la thrace avait tenté de rentrer dans la garde de son adversaire, que la rétiaire avait lestement reculé, piqué son trident en avant, que la thrace avait paré à l'aide de sa petite parma, mais que la rétiaire, avec beaucoup d'adresse, avait donné un mouvement tournant à la pointe de son trident, il avait entaillé le haut de la cuisse dénudée de son adversaire et le sang avait coulé.
C'était un véritable combat. Dès lors, il fut regardé et apprécié en tant que tel.
On donnait la rétiaire gagnante. La blessure qu'elle avait infligée à la petite thrace qui lui faisait face, se révéla profonde et le sang coulait jusqu'à sur le sable. La thrace n'abandonna pas pour autant, elle continua à se battre avec opiniâtreté et élégance. Elle veillait seulement à ménager sa jambe.
L'arbitre ordonna une pause. Les deux gladiatrices s'éloignèrent l'une de l'autre et des valets leur apportèrent à boire. Gaïa guetta avec impatience le moment où la thrace enlèverait son casque pour se désaltérer et s'éponger la figure. Un homme se précipita vers elle, suivi d'un esclave. Certainement un médecin. La petite thrace se débarrassa de son casque. Elle se tenait loin de la tribune d'honneur et Gaïa ne put distinguer ses traits. La femme semblait jeune, une vingtaine d'années tout au plus, mais il était difficile à cette distance d'en être certain. Elle portait des cheveux longs et noirs, mais cela Gaïa le savait car ils dépassaient à l'arrière de son casque. Gaïa souffla contrariée. Elle ne distinguait rien du tout.
Il y eut quelques discussions pour savoir si le combat continuerait. L'arbitre parla au médecin et à la thrace. Puis, il vint se tenir devant la tribune et fit un signe au propréteur, tout en lui faisant comprendre que le médecin comme la thrace avaient donné leur accord pour continuer. Mais Sextus Baebius Constans était le munéraire. C'était à lui de décider. La blessure pouvait rendre la thrace lourde, malhabile et pusillanime. Elle pouvait gâcher le spectacle. Il hésita. Une rumeur s'éleva, la thrace venait de remettre son casque et traversait l'arène à grands pas. Sans l'ombre d'une hésitation, sans boiter. Arrivée devant la tribune d'honneur, elle mit un genou à terre et plaqua sa sica contre sa poitrine nue.
— Seigneur, ne permet pas que soit gâché le plaisir des spectateurs. Si je te déçois, tu pourras toujours me réserver une punition de ton choix à la fin de la journée. Une punition digne de ma maladresse.
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Assis dans les gradins parmi les spectateurs, Téos se mordit le poing. Comment osait-elle ainsi prendre la parole devant le propréteur ? Son audace dépassait les bornes. Elle allait sur le champ se faire égorger comme un goret. Elle n'aurait obtenu que ce qu'elle méritait. Elle lui appartenait depuis huit ans, il l'avait achetée, entraînée, formée, éduquée au métier et elle n'avait toujours pas compris quelle était sa place. C'était surtout une exceptionnelle combattante, et il n'avait pas envie de perdre tout ce qu'il avait investi comme argent et comme patience au cours de ces huit ans.
Atalante l'avait certes, une fois de plus surprise, mais Aeshma ne s'était pas avouée pour autant vaincue car elle savait, comme le savait Téos, que le combat n'était pas encore joué. Elle avait moins de temps à sa disposition maintenant qu'elle était blessée, mais elle pouvait toujours le gagner si elle se montrait assez habile.
Voilà pourquoi elle venait de s'agenouiller devant le munéraire, pourquoi elle osait défier les usages. Aeshma n'acceptait pas de se voir mise hors combat. Elle pouvait accepter une défaite, parce qu'elle avait bien été obligée de perdre sur le sable et qu'elle n'avait pas pu remporter tous ses combats depuis qu'à quatorze ans, on lui avait mis une épée dans la main. Qu'elle en avait perdu beaucoup durant les deux ans qu'avait duré sa formation. Beaucoup moins, il était vrai depuis qu'elle avait dépassée le grade de novice. Très peu même.
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Sextus se tourna brièvement vers ses invités d'honneur. Kaeso Valens souriait, la thrace lui rappelait les Catuvellauniennes. Peut-être venait-elle de ces brumeuses contrées verdoyantes ? Le prêteur et les deux légats hochèrent la tête, tout comme le procurateur de Lycie, Aulus Flavius. Julia et son mari firent de même. Gaïa avait le regard fixé sur la gladiatrice. Il se tourna alors vers la foule et écarta les mains. La fête se déroulait en son honneur, il n'était que l'éditeur du spectacle, à elle de décider.
— Combat ! Combat ! se mit-elle à scander.
Sextus Baebius demanda le silence.
— Tu as gagné le droit de continuer, thrace. Mais veille à accorder au public le combat qu'il mérite. Je te ferai payer très chère sa déception.
— Il ne sera pas déçu, seigneur, lui assura la thrace fermement, la voix rendue métallique par la grille du casque.
— Que Niké t'entende !
Niké la déesse des victoires. Le message était clair. La missio ne serait pas accordé à la thrace en cas de défaite. Atalante aurait le plaisir de l'égorger de la pointe de son poignard. Aeshma se releva après avoir salué et partit sous les cris d'encouragement du public se placer face à la rétiaire.
Gaia pencha la tête et se mordit la lèvre inférieure.
— Je ne te remerciai jamais assez de m'avoir conviée à la villa du propréteur, déclara-t-elle à sa sœur.
— Le spectacle te plaît ?
— J'avoue qu'il réserve son lot de surprises. Des paires de femmes, un gladiateur assez audacieux pour défier l'autorité du propréteur...
— Une gladiatrice, corrigea Julia.
— Ce n'en est que plus excitant.
— Oh ! La petite thrace t'intéresse-t-elle ?
— Mmm, il faudrait déjà qu'elle gagne ce combat.
— Elle n'a pas trop le choix.
— Oui, et puis, si sa personnalité me plaît, je n'achète jamais à l'aveugle.
— Non ?
— Le ferais-tu ?
— Je suis fidèle à Quintus.
— Julia...
— Serais-tu sensible aux charmes d'une belle gladiatrice ?
— Bof, je la trouve juste amusante.
— Tu aimes les rebelles et les originaux.
— Les rebelles oui, les originaux nettement moins. Ils sont en général aussi ennuyeux que les autres.
— Tu auras peut-être une chance de revoir ta rebelle : elle se défend bien.
Sur le sable, Atalante venait de perdre son filet. Plombé, il avait lourdement fouetté le casque d'Aeshma qui s'était pliée sous le coup en grognant. Atalante avait rapidement ramené le filet et d'un grand geste, l'avait soudain déployé et lancé. La foule poussa un cri. La thrace était prise ! Non. Le sifflement du filet l'avait alertée, elle plongea. Au hasard, sur sa droite. Elle effectua un bond de plus de trois mètres, tête en avant, et assez haut pour que sa tête prise dans son casque ne touchât pas terre. Dans sa chute, elle tendit son bras droit en avant, la lame de sa sica tournée vers elle. Elle roula dessus. Entièrement recouvert de la manica, un long gantelet de cuir renforcé de plaques de métal qui lui remontait jusqu'à l'épaule, la réception n'eut rien d'agréable. Un cri d'admiration jaillit des gradins quand elle se redressa souplement sur ses pieds, fit volte face et fonça. Atalante abandonna son filet et retourna son trident face à son adversaire. L'arrêtant net. Elles se mirent à tourner l'une autour de l'autre. Atalante donnait de petits coups de trident en direction de la tête de son adversaire et Aeshma reculait sans cesse. Attendant le bon moment. Passer sous le trident aurait été une folie. Atalante aurait retourné la hampe et l'aurait frappée de haut en bas, au menton, signant sa défaite. Elle devait l'inciter à viser sa poitrine ou son abdomen. La thrace recula pas à pas. Elle tenta de fausses manœuvres uniquement pour maintenir l'attention du public, pour le spectacle. Atalante jouait le jeu, mais elle ne renonça pas à la victoire. Elle attendait seulement le bon moment, le coup sûr. Elle se méfiait d'Aeshma. Elle ne doutait pas de l'issue du combat. Cette fois-ci, elle aurait le dessus sur la thrace.
Aeshma ne savait pas si Atalante avait compris que la thrace jouait sa vie. Mais si elle le savait, risquerait elle la sienne ? Lui accorderait-elle la victoire pour l'épargner d'une mort promise par le propréteur ?
Atalante repoussa la thrace jusqu'au mur de l'arène. Son trident frappa durement le casque de son adversaire, puis elle réarma et Aeshma commit enfin la faute qu'attendait la rétiaire. Elle leva sa parma pour se protéger du nouveau coup qui venait. Atalante dévia la course de son arme. Les pointes du trident partirent en direction de la poitrine de la petite Thrace. Pas de l'abdomen, elle ne voulait pas la tuer, seulement la blesser. Assez gravement pour faire couler son sang, la mettre hors de combat et obtenir la victoire. Le trident se planta dans le bois. Aeshma avait esquivé et coincé la hampe sous son bras. Elle se lança en avant. Atalante s'accrocha à la hampe de son trident et elles traversèrent la moitié de l'arène pour se retrouver juste en son centre. La thrace pivota brusquement, entraînant la rétiaire dans son mouvement, et les pieds d'Atalante décollèrent du sol. La thrace face au propréteur leva crânement sa sica, lâcha la hampe du trident et percuta son adversaire, manica en avant. Atalante s'envola sous le choc. Elle s'était reçue le gantelet dans la figure, et le choc de la manica sur sa poitrine lui coupa le souffle. Elle s'écrasa sur le dos. Aeshma lui arriva dessus à la seconde suivante et lui décrocha un violent coup de coude dans la mâchoire. Elle lui écrasa sous le pied la main droite qui n'avait pas lâché le poignard, et elle s'accroupit au-dessus d'elle. Elle lui appliqua la pointe de sa sica sous le menton. Atalante n'eût d'autre solution que de basculer la tête en arrière. Elle leva sa main libre. Aeshma ne la vit pas, aveuglée par son casque qui lui obstruait la vue sur les côtés. Casque que la rétiaire empoigna. Elle tira un grand coup et la petite thrace roula sur la gauche. Atalante sauta souplement sur ses pieds.
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— Elles se montrent pleines de ressources, remarqua le légat Marcus Sentius.
— J'avais entendu dire grand bien des qualités offertes par les gladiatrices de Téos, dit le propréteur. Lui même m'avait assuré de leur valeur. Je crois d'ailleurs que ses gladiatrices valent plus que ses gladiateurs. Ils les louent en tout cas très cher, mais à les voir combattre, je ne regrette pas la dépense.
— On ne voit pas souvent de femmes dans l'arène. Je n'en ai vu combattre qu'à Rome et à Pompéi.
— Néron a été fort inspiré la première fois qu'il a fait descendre des femmes dans l'arène, ricana obscènement le procurateur Aulus Flavius.
— Il s'est surtout amusé avec les patriciennes, remarqua Sextus Baebius prudemment.
Le procurateur ne lui inspirait aucune confiance. Nommé directement par l'Empereur pour gérer ses domaines et ses mines, pour prélever des impôts particuliers dont celui imposé aux juifs, il échappait à l'autorité de Sextus Baebius. Il possédait ses propres troupes, son propre personnel administratif et ne rendait aucun compte au propréteur. Deux procurateurs exerçaient leurs privilèges dans la province. Marcus Lepidus exerçait sa charge en Pamphylie et se montrait rarement à Patara. Aulus Flavius y résidait et quand les chaleurs étaient trop vives, il s'exilait dans une immense propriété qu'il s'était octroyée sur la côte, à l'ouest du port de Patara. Il déplaisait à Sextus. C'était un homme ambitieux, retors, dénué de scrupules, et en très bons termes avec les proches de l'Empereur. Il avait brigué la charge de procurateur en Lycie. Elle servait ses intérêts politiques et financiers.
— Les patriciennes ? intervint Julia.
— Oui, il les a encouragées à combattre dans l'arène, expliqua le propréteur.
— Oh, j'eusse aimé voir cela !
— Certaines femmes de bonnes familles s'entraînent encore dans les ludus, expliqua Marcus Sentius.
— Vraiment ? demanda Gaïa surprise d'une telle assertion.
— Une mode scandaleuse ! s'écria la matrone vertueuse qui avait déjà manifesté sa réprobation de voir des femmes combattre. Les romaines sont de vraies dépravées !
Gaïa la dévisagea avec un profond mépris, mais le combat tua les conversations et tous les regards, même ceux de la vertueuse matrone, convergèrent vers le centre de l'arène.
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Atalante avait passé son poignard dans sa main gauche et se servait de sa manica comme d'une arme et d'un bouclier. La sica de la thrace n'était pas beaucoup plus longue que le poignard de la rétiaire. Désavantagée par sa blessure, sa parma et son casque rétablissaient l'équilibre entre les deux gladiatrices. Les attaques fusèrent, les esquives, malgré la fatigue qui commençait à gagner, restèrent vives et bondissantes. Les spectateurs participaient bruyamment à la lutte. Des paris spontanés furent lancés entre voisins. Téos priait pour que ses deux combattantes lui fussent rendues à l'issue des jeux. Elles lui assureraient de nouveaux engagements. Les notables suivaient la lutte avec autant d'intérêt que la plèbe. Ils parleraient et vanteraient leurs mérites, leurs prestations spectaculaires. Peut-être quitterait-il enfin l'Orient, irait-il en Grèce, en Campanie, en Égypte ? Peut-être connaîtrait-ils le confort des grands ludus municipaux ? Pompéi, Capoue, Alexandrie, Rome... ? Encore fallait-il qu'aucune des deux gladiatrices qui s'affrontaient ne mourût ou ne fut définitivement estropiée. Aeshma méritait une punition, mais elle la recevrait de sa main, pas de celle d'Atalante par décision du propréteur. Il la tuerait si elle se faisait égorger à l'issue du combat. Il lui refuserait un enterrement décent, il la lancerait dans un cloaque ou précipiterait son corps dans la mer, vouant son âme au tourment éternel. Elle s'en moquait certainement parce qu'elle ne semblait croire en rien, mais pas lui, pas Herennius, ni les autres gladiateurs de la familia. Elle servirait d'exemple, qu'elle vécût ou pas, il la punirait se dit-il rageur.
Un grognement heureux lui échappa quand il réalisa que l'occasion lui serait donnée d'exercer son pouvoir de maître sur l'esclave rebelle qu'il jugeait insolente. Atalante venait d'attaquer, protégée par sa manica. Aeshma leva sica et parma à la hauteur du visage de la rétiaire et elle effectua un demi-tour sur elle-même. Atalante la suivit, évitant l'une et l'autre arme avec beaucoup de vivacité, le public applaudit. Mais Aeshma continua sa rotation. Sa parma passa sous les poignets de la rétiaire. Personne ne comprit comment celle-ci pouvait s'être retrouvée les bras tendues devant elle. Soudain, la sica brilla et le sang apparut sur le flan d'Atalante. Le bras armé du petit bouclier carré partit en arrière et frappa violemment la tête dénudée de la rétiaire. Elle chuta, roula en arrière sur son épaule et se redressa poignard en avant. Il ripa sur la parma. Atalante vit la sica lui arriver sur le côté du visage. Elle allait finir égorgée. Elle recula le buste, la pointe de l'arme lui entailla le menton. Aeshma dans un grand mouvement souple coupa cette fois-ci de gauche à droite. Atalante avait perdu. Le poing de la petite thrace s'écrasa sur sa tempe et elle s'écroula à terre en lâchant son arme. Le public sauta sur ses pieds et se mit à trépigner d'allégresse.
Aeshma secoua la tête. Elle ne voyait presque rien, un vacarme étourdissant lui cassait les oreilles, les cris du public, la musique de l'orchestre, le sang qui lui tambourinait les tempes. Elle était en sueur et tout son cuir chevelu la démangeait. Elle chercha Atalante à travers la visière de son casque. Elle espérait ne pas l'avoir tuée. Non, elle bougeait. Aeshma s'approcha, balaya par prudence le poignard d'un pied et lui posa l'autre sur la poitrine, la pointe de sa caligae cloutée rudement appuyée sur la trachée artère.
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Il n'était pas d'usage de tuer les gladiatrices, de leur refuser la missio. La rétiaire bénéficiait, outre ses qualités martiales indéniables, d'un corps aux formes pleines et avantageuses. Son armatura avait permis aux spectateurs de l'admirer tout au long du spectacle. La longue manica qui lui protégeait le bras gauche et le subligaculum retenu par une large ceinture de cuir n'avaient en rien frustré le spectateur avide de femmes nues à contempler. Elle possédait de longues jambes galbées et sa poitrine, si elle n'était pas très généreuse, offrait à la vue des amateurs, des globes dorés, ronds et fermes. Personne n'eut le cœur de crier « Jugula ! », beaucoup espérait la revoir, aussi dénudée. Ou plus encore.
La missio lui fut accordée.
Aeshma retira son pied et Atalante se remit debout. La thrace quitta l'arène en levant rythmiquement les bras au ciel en signe de victoire. La rétiaire suivait derrière, les lèvres pincées. Elle n'en voulait pas à Aeshma, celle-ci s'était bien battue. Elle s'en voulait à elle-même pour l'avoir tenue à sa merci et avoir ensuite, été assez stupide pour perdre le combat. Elle devait aussi une fleur à la thrace. À la maîtrise que celle-ci avait de ses émotions et de sa force. Avec toute autre qu'elle, sauf peut-être avec quelques meliores, Atalante serait morte sur le sable de cette arène. Aeshma était blessée, elle ne voyait pas grand-chose, elles avaient été prises dans un échange brutal et la sica avait fendu l'air. Pourtant, c'était un poing qui avait envoyé Atalante à terre. Aeshma avait eu la présence d'esprit de modifier au dernier moment son attaque. Atalante lui devait la vie.
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Les combats continuèrent jusqu'à ce que le soleil commençât à descendre sur l'horizon. Mais après les deux premières gladiatrices, une seule paire de gladiateurs parvint à déclencher un engouement égal à celui qu'avait provoqué la grande rétiaire et la petite thrace.
Chez certains l'ennui s'installa. Gaia partagea ce sentiment. Elle ne goûtait pas spécialement les tueries, mais elle aimait les beaux combats et appréciait les beaux combattants. Elle feignit de s'intéresser au reste du spectacle par courtoisie et guettait, sans en avoir l'air, le procurateur de Lycie. Julia l'intéressait visiblement. Il n'arrêtait pas de lui jeter des coups d'œil. Gaïa lui trouva le regard torve et concupiscent, et elle se demanda bientôt, s'il n'allait pas finir par baver comme un dogue. Julia entretenait-elle une liaison avec lui ? Gaïa espérait que non : l'homme lui déplaisait.
Il se passa la langue sur les lèvres qu'il avait charnues et elle ne put retenir une moue de dégoût.
— Vous sembliez moins sensible au sang versé par les femmes qu'à celui versé par les hommes, lui déclara une jeune fille assise derrière elle, se méprenant sur la raison de l'expression de Gaïa. Votre préférence va-t-elle au thrace ou au mirmillon ?
Gaïa se retourna. La jeune fille très blonde, les cheveux joliment bouclés, la regardait. Son regard, rehaussé par de magnifiques yeux bleu turquoise, pétillait de malice. La jeune femme l'avait aperçue au déjeuner chez le propréteur, mais ne savait pas qui elle était.
— Au thrace, répondit Gaïa.
— Oh, vous faîtes partie des parmulari.
— J'avoue.
— Nous sommes ennemis alors, déclara la jeune fille en souriant.
— Je ne suis pas si extrémiste.
— Moi non plus, rassurez-vous, rit la jeune fille. D'ailleurs, pour le prochain combat, j'ai parié sur Dyomède.
— Dyomède ?
— Ah, c'est vrai que vous venez d'arriver et que vous ne connaissez pas le programme. Le prochain combat mettra aux prises la plus belle paire de gladiateurs, Dyomède et Berrylus, un hoplomaque et un mirmillon. J'ai craqué à la pompa. Dyomède dégage une telle force, déclara la jeune fille avec ravissement.
— Il est beau ? demanda Gaïa avec une pointe d'ironie dans la voix.
— Oui, aussi, rit la jeune fille. Il a dix-sept victoires à son actif, Berrylus vingt. Mais je donne l'hoplomaque vainqueur. De toute façon, le combat promet d'être magnifique.
— Ils devront déployer bien des talents pour...
— Pour ? demanda la jeune fille.
— Pour égaler la thrace et la rétiaire de tout à l'heure, intervint Julia sur un ton malicieux. Je crois que ma chère sœur a été plus que séduite par leur performance.
— C'est vrai que ce fut un beau combat, approuva la jeune passionnée. Une véritable et heureuse surprise. J'avais déjà vu des femmes combattre, mais celles-ci nous ont offert un très beau spectacle.Mais je suis sûre que Dyomède et Berrylus les surpasseront.
Gaïa se fendit d'une moue dubitative.
L'affrontement entre les deux gladiateurs qu'attendait sa jeune voisine confirma ses doutes. Les deux hommes se montrèrent vaillants et habiles, mais ils ne surent lui procurer les émotions que les deux gladiatrices avaient éveillées chez elle. Le public ne bouda pourtant pas son plaisir et, plein d'admiration, il accorda sans hésiter la missio au mirmillon vaincu. La jeune admiratrice de Dyomède venait de gagner son pari.
***
NOTES DE FIN DE CHAPITRE :
Subligaculum : Sous vêtement servant de culotte aussi bien porté par les hommes que par les femmes.
Les gladiateurs portaient le même genre de vêtement dans l'arène, mais retenu par leur ceinture de cuir.
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