Chapitre CXXXVI : Pour l'Empereur
Des cris de surprise les accueillirent sur le sable. Aeshma et Atalante concluaient huit jours de jeux.
Anémios se retourna immédiatement vers Astarté. La gladiatrice ne lui avait pas menti, il avait suffi qu'Aeshma entrât sur le sable pour qu'il comprît d'où lui venait son surnom.
***
Germanus s'était dépassé :
— Quoi que tu décides par la suite, Aeshma, on se souviendra de toi pendant longtemps, avait dit le gladiateur avant de commencer à la peindre.
— Pas besoin que tu me décores pour qu'on se souvienne de moi, avait ronchonné la jeune Parthe.
— On s'en souviendra encore mieux.
— Si tu ne te vantes pas, je me souviendrai aussi de toi.
— Tu vas adorer.
— On verra.
Elle avait adoré. Elle n'avait rien dit, mais son regard parlait pour elle.
***
Elle leva la pointe de son glaive court au ciel. L'amphithéâtre la salua chaleureusement. Atalante secoua la tête. Aeshma reprochait souvent à Marcia son goût du spectacle et sa vanité quand elle se trouvait sur le sable. Elle se moquait d'elle plus qu'elle ne lui faisait des reproches, mais Aeshma ne valait parfois pas mieux. Et aujourd'hui, le mentor dépassait la pupille. Elle s'avançait tête nue, le casque coincé sous le bras. Germanus ne s'était pas contenté de lui peindre le corps. Il avait aussi orné son visage.
Aeshma eut dû combattre nue. Atalante était persuadée que sa camarade aurait adoré. Qu'au fond, elle se serait moquée d'être vulnérable. Que le plaisir d'exposer son corps magnifique valait plus que tout. Une vraie gamine.
***
Elle était prête à rentrer sur le sable. Il ne restait à Aeshma qu'à enfiler son casque. Typhon attendait pour lui fixer les attaches. Aeshma regardait son casque et se mordillait la lèvre inférieure.
— Aesh, qu'est-ce qu'il y a ? s'était inquiété Atalante.
— ...
— C'est le combat ? Tu ne me fais pas confiance ?
— Bien sûr que si, avait maugréé Aeshma sans la regarder.
— Alors quoi ?
— J'avais mon casque à la pompa et Julia avait restreint l'accès à la cena hier soir.
— Euh, oui, et alors ?
— Ben...
Aeshma avait relevé la tête.
— Euh... Germanus, il a... enfin... avait balbutié la jeune Parthe.
Atalante ne comprenait pas. Aeshma avait une fois encore regardé son casque.
— Bon, laisse tomber, avait-elle grogné contrariée.
— Attends ! l'avait arrêtée Atalante avant que sa camarade n'enfilât son casque. Tu veux combattre sans casque ?
— Non, ça, j'ai compris que ce ne serait pas possible. Je voulais... euh...
— Tu veux qu'on t'admire ? Toi, Aeshma, la Gladiatrice bleue dans toute ta splendeur à visage découvert ?
— Ben...
— Bon, Aeshma, ça va être à nous, si tu as quelque chose à me demander, c'est maintenant.
— Tu, euh... tu accepterais de...
— Tu veux rentrer sans casque ? Et que j'attende ensuite que tu le mettes, c'est ça ?
— Ouais, avoua timidement la petite thrace.
— D'accord, mais c'est moi qui m'occupe de te nouer tes attaches.
— Ah, euh...
— Je ne veux pas risquer que ce soit mal fait. Typhon, tu es d'accord ?
— C'est contraire aux règles, mais allez-y. Je vous enverrai à la domina s'il y a des réclamations.
Aeshma s'était fendu d'un sourire si heureux qu'Atalante avait éclaté de rire et refusé ensuite, très prudemment, de le justifier autrement que par un :
— Je t'adore, Aesh.
Si Aeshma avait su pourquoi elle riait, elle aurait été capable de se mettre en colère. Affronter Aeshma quand elle était en colère ne lui avait jamais laissé de bons souvenirs. À Pompéi, leur combat avait été épique, mais Atalante avait eu peur qu'une des deux ne ressortît pas vivante de l'amphithéâtre.
***
Astarté souriait à mi-chemin entre condescendance et indulgence.
— Tu ne vaux pas mieux qu'elle, lui murmura une voix à l'oreille. Je sais qu'Aeshma est bouffie de vanité, mais ne me dis pas que tu le lui reproches et qu'à cet instant même, tu ne rêverais pas d'être à sa place.
Marcia.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Astarté.
— Je viens assister au spectacle.
— Évidemment...
— Pourquoi évidemment ?
— Aeshma et Atalante. Les autres n'ont pas eu les faveurs de ton attention.
— Les autres ont raison, tu es parfois vraiment méchante, lui reprocha aigrement Marcia d'autant plus fâchée qu'elle aimait Astarté et qu'elle détestait qu'on dît du mal d'elle.
— Quels autres ? demanda Astarté.
— Tous ceux qui ont eu la joie de te connaître lorsqu'ils étaient novices, répliqua narquoisement la jeune fille.
— Ça m'étonnerait.
— Galini t'adore, ça ne l'empêche pas d'être lucide.
— Je vais lui tordre le cou.
— Bien sûr... fit Marcia en levant les yeux au ciel.
— Je n'ai jamais été méchante avec toi, biaisa Astarté.
— Mon charme naturel, grimaça Marcia.
— Je ne suis pas méchante, protesta encore la grande Dace.
— Non, juste cynique et méprisante.
Astarté haussa les épaules.
— Du moins, c'est ce qu'affirme Atalante, attaqua Marcia.
— Pff, comme si Atalante était une référence en la matière, crâna Astarté que les critiques négatives de la grande Syrienne blessaient bien plus qu'elle ne l'avouerait jamais à personne.
— Sauf qu'elle a raison. Et si tu veux savoir, Julia ne m'a pas permis de venir avant. En fait, je ne voulais pas venir, mais...
— Tu voulais les voir combattre une dernière fois, lui dit gentiment Astarté.
— Oui, ça et...
— Julia prépare la suite, continua la Dace aux larges épaules. Tu ne viens pas voir tes camarades combattre, tu viens parce que Julia t'a demandé de venir et qu'elle veut que tout le monde comprenne bien que tu es à son service et que tu tiendras auprès d'elle la même place que je tiens auprès de Gaïa.
— Mmm, confirma Marcia. Je ne suis pas sûre qu'elle ait vraiment prévu cela, mais c'est l'idée.
— Et tu es très contente d'être là...
— Non.
— Parce que tu aurais aimé les accueillir dans les coulisses après leur combat ? Particulièrement si elles sont blessées ? Mais, ici, c'est la meilleure place. Je n'avais jamais assisté à des jeux depuis une place de spectateur. C'est... mais toi, c'est vrai, tu sais ce que c'est.
— Oui.
— C'est d'ici que, pour la première fois, tu les as vues combattre.
— L'amphithéâtre était temporaire.
— Mais c'était à Patara et tu te tenais dans la loge d'honneur.
— Oui.
— Dommage que je n'ai pas combattu ce jour-là. Seules Aeshma et Atalante avaient été engagées sur ce munus. Je ne t'ai jamais eue comme spectatrice.
— J'ai assisté à presque tous tes combats à Rome et j'étais présente dans les gradins le jour de l'amazonachie.
— Vraiment ?
— Évidemment, qu'est-ce que tu crois ? Pour l'amazonachie, j'ai même flanqué mon poing dans la gueule de deux idiotes.
— Dans les gradins ?
— Oui, elles se moquaient de Lucanus. C'était tellement...
Marcia s'assombrit :
— Tu sais pour Sabina ?
— Oui.
— C'est pire que de mourir, souffla Marcia les larmes aux yeux.
Astarté lui entoura les épaules d'un bras affectueux.
— Quand on meurt, il n'y a plus d'espoir, Marcia.
— Tu en avais quand tu as été vendue à Capoue ?
— Non, pas vraiment, mais j'avais tort.
Marcia appuya sa tête contre la large épaule d'Astarté.
Elle avait connu d'intenses bonheurs en devenant gladiatrice. D'abord la honte, la peur, puis la souffrance et l'épuisement physique et encore la honte. Mais il y avait eu Aeshma et Atalante. Astarté. Elle avait découvert une vie laborieuse et dure, mais emprunte de vives amitiés. Elle avait tissé des liens qu'elle pensait seulement réservés aux héros. Achille et Patrocle, Oreste et Pylade, Thésée et Hercule, les Argonautes.
Elle avait connu des joies intenses et des bonheurs lumineux. Elle avait vécu des drames, mais ses camarades lui avaient transmis des valeurs qui ne se différenciaient pas de celles qu'avait toute sa vie défendues son père. Julia lui était restée fidèle, et Marcia avait appris que la jeune femme qu'elle aimait tant était en tout point admirable et que son père ne l'avait pas méjugée.
Ses deux mentors clôturaient les jeux. Une porte allait définitivement se fermer. Encore quelques jours et Marcia ne se lèverait plus jamais aux aurores chaque matin de chaque jour de l'année. Elle ne serait plus jamais fouettée, suspendue nue à un palus pendant des heures parce qu'elle s'était montrée insolente ou imprudente. Elle ne se plierait plus aux ordres d'un doctor ou à celui d'un laniste qu'elle méprisait. Et elle garderait ses cheveux à la longueur qui lui plaisait.
Le public ovationna Atalante. Marcia ne connaîtrait plus la gloire de l'amphithéâtre, on ne scandait plus son nom à en faire trembler les murs, elle ne serait plus adulée.
— Astarté ?
— Mmm ?
— Ça te manque ?
— Quoi ?
— Tout ça ? demanda Marcia en désignant Atalante qui tournait sur elle-même en saluant le public.
— Parfois. En fait, c'est vous qui me manquez. C'est ce que j'ai appris à Capoue. Mes victoires, les applaudissements, l'argent, les cadeaux, la gloire... Je m'en foutais. Avant, je ne m'en foutais pas. Peut-être même était-ce important au début. Mais en fait, gagner, briller sur le sable, je me suis aperçue que ce n'était pas toute ma vie. C'est important, évidemment, mais... Que valait une victoire s'il n'y avait personne avec qui la partager ?
— Et personne devant qui te rengorger ? ajouta Marcia facétieuse.
— Mouais... acquiesça Astarté. Je ne pensais pas que c'était important. Je croyais que l'important, c'était les combats et la victoire. Je crois que ce n'était pas vrai. Les combats me manquent, mais j'aime bien entraîner les gens. J'aimerais juste affronter parfois quelqu'un de mon niveau. Gaïa n'est pas mauvaise, mais...
— Elle ne vaut pas Atalante ? suggéra malicieusement Marcia.
— Elle ne vaut pas un gladiateur, se garda de relever Astarté.
— Mais tu es heureuse ?
— Mmm, confirma la jeune Dace. Je suis libre, Marcia. J'aime bien Gaïa et cette fois, je ne vous laisserai pas derrière moi.
Elle rit soudain.
— Non, mais regarde-la !
— Aeshma adore être appairée à Atalante. Et Germanus avait raison. Elle a râlé comme un putois quand il la peinte les premières fois, mais elle adore ça.
L'arrivée d'Aeshma le casque sous le bras avait été très commentée dans les gradins. Il était inhabituel qu'un gladiateur ne portât pas son casque en entrant sur le sable. Les munéraires les faisaient parfois retirer quand un combat leur avait donné satisfaction et qu'ils désiraient honorer le champion d'une manière particulière. Gaïa se souvenait qu'elle avait attendu des heures avant de découvrir quel visage se cachait sous le casque de la petite thrace qui avait éveillé son intérêt. Julia souriait. Sextus Baebius se retourna vers elle.
— Une idée à vous, Julia ?
— Non, je ne me permettrai pas si tôt aller à l'encontre des règles.
— Cette gladiatrice n'a décidément pas froid aux yeux. Elle est d'une folle arrogance. Il y trois ans, elle m'a tenu tête par deux fois et son laniste l'avait sévèrement punie de son impudence.
— Elle est courageuse.
— Vous la punirez ? demanda Lucinia
— Non, peut-être la blâmerai-je si elle ne se montre pas à la hauteur de ses prétentions.
— Pourquoi ces peintures ?
— Les guerriers celtes en arborent, expliqua Julia.
— C'est une Celte ?
— Non, elle est Parthe.
— J'aurais bien aimé savoir pourquoi elle se peint, elle combattait sans peinture avant, dit Fausta.
— Cette pratique remonte aux jeux de Rome.
— Mais pourquoi ? insista Fausta.
— Marcia pourrait peut-être nous éclairer sur ce sujet, suggéra Lucinia qui avait remarqué la jeune fille depuis qu'elle était entrée dans la loge.
Lucinia mourrait de curiosité. Elle avait espéré rencontré la fille de Valens chez Julia, dans un dîner et elle avait attendu avec impatience de la voir aux cenas. Mais Marcia ne s'y était jamais montrée. Elle avait combattu le matin, il n'y avait pas eu de cena le soir précédant, et si elle s'était extasiée sur les qualités de bestiaire de la jeune fille, sur sa beauté et sa prestance, elle n'avait pu parler avec elle. Elle l'avait vue sur le sable à dix ou quinze pieds d'elle. Elle la voulait à deux pieds, elle voulait plonger ses yeux dans les siens, voir si la fille était encore telle qu'elle s'en souvenait : impétueuse, joyeuse et insolente. Elle frémissait littéralement depuis que Marcia était rentrée dans la loge. De l'avoir surprise si complice avec l'impressionnante gladiatrice attachée à la personne de Gaïa Metella. Ces Alexandrines, pensa-t-elle avec une pointe d'envie. Quelles scandaleuses !
— Marcia, c'est un honneur, s'exclama Sextus Constans. Viens ici que je te vois.
La jeune fille s'avança sous les regards curieux. Elle portait comme Astarté une tunique courte et blanche, mais la sienne était brodée de fils bleus qui mettaient en valeur l'improbable couleur de ses yeux. Sa mise était moins riche que celle de la Dace aux yeux dorés, et sa large ceinture n'était fermée que par deux boucles en métal sans fioritures. Elle ne portait pas de pugio, mais un très beau bracelet d'or au-dessus du biceps. Marcia était gladiatrice.
Lucinia se retint tout comme la plupart des femmes présentes à passer un doigt sur les cicatrices qui lui striaient les bras. Les hommes se félicitèrent de la découvrir aussi belle qu'elle leur avait paru sur le sable à la chasse.
Lucius Trebellius Flavius remercia Neptune de ne pas l'avoir retenu sur les mers. La jeune fille l'avait toujours amusé, entre autre parce qu'elle défiait toujours son père, le si sérieux tribun Kaeso Atilius Valens. Il regrettait n'avoir pas pu exprimer sa reconnaissance au centurion du prétoire qui avait mis fin aux jours de ce détestable Aulus Flavius.
— Marcia, sauriez-vous nous dire pourquoi la petite thrace arbore des peintures de guerre celte ? demanda le propréteur.
— C'était une plaisanterie. Une punition.
— De son laniste ?
— Non, de nous, ses camarades. Aeshma n'a pas toujours très bon caractère.
Astarté sourit : De nous, ses camarades. Marcia discutait avec des gens qui appartenaient à son monde, dont elle était l'égale. Elle aurait pu se détacher de sa condition de gladiatrice. Ces gens l'avaient connue avant qu'elle ne signât son contrat d'auctorata. Mais pour Marcia, il n'y avait pas de avant, de maintenant ou de après. Elle avait intégré la gladiature à sa vie. Réuni Marcia la bestiaire aux cheveux d'or et Marcia Atilia en une seule personne.
— Nous voulions la punir de son humeur grincheuse, expliqua la jeune fille. C'était le jour précédant l'amazonachie à Rome. Elle a gagné son surnom de la Gladiatrice Bleue à cette occasion et ensuite, notre laniste a voulu qu'elle continue de combattre avec le corps peint.
— J'ai entendu parler de cette l'amazonachie, intervint Lucius Trebellius. Y avez-vous participé, Marcia ?
— Non, je n'ai combattu que comme bestiaire à Rome. Mais j'y ai assisté.
— Était-ce aussi exceptionnel qu'on le raconte ?
— C'était très dur et il y a eu beaucoup de morts.
— Je n'arrive pas à croire que des hommes aient perdu contre des femmes, dit pensivement le légat Marcus Sentius.
— Les gladiatrices ont écrasé les gladiateurs parce qu'elles le méritaient, expliqua Marcia. Parce qu'elles leur étaient supérieures dans le maniement des armes. Parce qu'elles se sont montrées courageuses et qu'elles ont su combattre ensemble. Les hommes n'avaient aucune chance contre elles.
— Les gladiatrices appartenaient toutes au ludus de Sidé ?
— Non, il y avait aussi des Juliani de Rome, de Capoue et d'Alexandrie.
— Elles ont survécu ?
— Trois d'entre elles. L'une appartient maintenant à notre ludus, vous l'avez vue combattre hier sous l'armatura des mirmillons, Megara. L'une doit toujours combattre pour le ludus d'Alexandrie et la dernière, celle de Capoue, est ici présente, dit Marcia en se retournant vers Astarté.
La Dace aux larges épaules salua d'un bref hochement de tête.
L'attention des occupants de la loge fut rappelée sur le sable. La foule s'impatientait. Aeshma n'avait pas osé remettre son casque. Les arbitres ne l'y avaient pas incitée. Elle se tenait aux côtés d'Atalante. Attendant le bon vouloir du munéraire. Fausta Baebia se pencha à l'oreille de son mari. Elle jeta, ce faisant un regard brillant à Lucinia Roscia. La jeune femme en trépigna d'avance. Gaïa fronça les sourcils, l'excitation que manifestaient les deux femmes ne lui disait rien qui vaille. Le propréteur écouta attentivement la requête de sa femme. Il fit signe aux arbitres et aux gladiatrices d'approcher.
.
Atalante s'assombrit. Elle se méfiait de l'intérêt des munéraires et de leurs invités. De l'oreille attentive qu'ils pouvaient prêter au public, de leur goût immodéré du spectacle et l'originalité. En avançant vers la loge, au son d'une musique joyeuse et entraînante. Elle regrettait d'avoir cédé à la vanité d'Aeshma.
— Arrête de faire la gueule, Ata, la morigéna Aeshma entre les dents.
— Je n'aime pas les surprises.
— Tu adores les surprises.
— Non.
— Ben, il n'y aura pas de surprises. Ils veulent nous admirer, c'est tout.
— Ils veulent t'admirer, corrigea Atalante.
— Ouais, sourit Aeshma avec fatuité.
Atalante soupira. Contrariée.
Le propréteur et ses invités ne contredirent pas l'assertion d'Atalante et les deux gladiatrices les comblèrent dans leurs attentes.
— Dieux, Julia ! souffla Lucinia à ses côtés. Elles sont magnifiques.
— Je confirme, fit le navarque. Je n'avais pas remarqué, il y a trois ans, à quel point ces deux gladiatrices étaient... fascinantes.
Atalante avait soigné ses yeux. Elle y prêtait toujours beaucoup d'attention avant un combat, mais elle avait allongé et épaissit la ligne de khôl plus qu'à son habitude et Chloé avait artistiquement tressé et noué ses cheveux. Son corps luisait, doré. Atalante avait voulu faire honneur à Aeshma. À la Gladiatrice Bleue. Germanus avait pris soin du corps de sa camarade, Atalante ne voulait pas paraître frustre à ses côtés. Sa manica étincelait. On pouvait se mirer dans son galerus et tous ses cuirs, de sa ceinture à ses caligaes, en passant par les courroies d'attache de ses éléments de protection, brillaient comme s'ils avaient été neufs. Aeshma l'avait remarqué. Elle avait grimacé en la découvrant. Heureuse qu'Atalante lui fût appairée et cherchât elle aussi à briller.
Le corps d'Aeshma s'ornait de motifs décoratifs. Germanus n'avait pas oublié le sanglier. L'animal stylisé soulignait la courbe de ses reins et ses pattes semblaient prendre appuis sur la ceinture de la gladiatrice. Si des rinceaux montaient dans son cou, ils s'arrêtaient sous la mâchoire. Ensuite, le Germain avait barré de trois traits épais la partie gauche du visage d'Aeshma. L'un des traits passait sur la paupière et le sourcil et s'arrêtait à la commissure de ses lèvres, celui du milieu était plus court, il frôlait la pointe extérieure du sourcil et de l'œil pour s'achever au milieu de la joue. Le dernier reliait la tempe à l'angle de la mâchoire. De l'autre côté du visage, deux demi-cercles contournaient l'œil et la pommette.
Deux barbares, pensait Sextus Baebius. Deux magnifiques barbares. L'une incarnait les peuples du nord et de l'ouest, l'autre ceux du sud et de l'est. L'une se pavanait de fierté insolente, l'autre attendait, sombre et mystérieuse. La thrace n'était pas armé d'une sica, mais d'un glaive court, sans doute mieux adapté à un combat contre un rétiaire.
Le public s'était tu. Curieux de connaître les intentions du propréteur. On demandait rarement à parler à un gladiateur avant le combat. Fausta Baebia referma sa main sur le poignet de Sextus.
— Tu es pleine de surprises, thrace, dit-il à Aeshma.
— Pour mieux vous servir, seigneur, répondit la jeune Parthe sur un ton qui frisait l'insolence.
— On a peu souvent l'occasion de voir le visage d'un thrace sur le sable.
— Je me suis dit que c'était dommage que le public et vous-même n'en profitiez pas.
Les spectateurs s'enthousiasmèrent et confirmèrent bruyamment leur approbation. Ceux qui avaient entendu la réplique la firent passer et elle se transmit de rang en rang à travers tout l'amphithéâtre.
Julia pesta entre ses dents. Comment Aeshma pouvait-elle se montrer aussi arrogante ? Elle comprenait mieux ce qui avait valu la punition de la jeune gladiatrice trois ans auparavant. Elle provoquait. Elle se montrait impudente et imprudente.
Gaïa ne savait trop quoi penser. L'attitude d'Aeshma l'amusait, mais l'expression d'Atalante l'inquiétait. Elle tourna la tête vers Astarté et Marcia. La Dace arborait un sourire narquois tandis que Marcia se mordillait un coin de la lèvre inférieure.
Le propréteur leva la main, le public se tut.
— Un plaisir bien bref.
Aeshma posa les yeux sur son casque.
— Aesh... la prévint Atalante à mi-voix.
La jeune Parthe l'ignora.
— Je peux le prolonger, déclara la petite thrace.
— C'est contre les règles, répliqua Sextus Baebius qui avait saisi l'intention de la gladiatrice.
— C'est vous qui payez, rétorqua impudemment Aeshma.
Sextus se mit à rire.
— Pour l'Empereur ?
— Pour l'Empereur.
— C'est d'accord.
Aeshma salua. Julia crispa les mains sur ses accoudoirs. Gaïa se promit de faire regretter sa folie à la gladiatrice si elle survivait à son combat et d'accorder toute sa fortune à Atalante si celle-ci épargnait la vie et le visage de sa camarade.
— Quelle tarée, grinça Marcia entre ses dents.
— J'adore cette fille, répliqua Astarté. Merde, ce que j'aimerais être à la place d'Atalante. Je lui ficherais une de ses corrections !
***
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