Chapitre CXXX : Les lanistes


La pièce était fraîche. Ou peut-être juste son corps. Frais et chaud en même temps. Une sensation désagréable. Comme sa langue pâteuse qui semblait avoir triplé de volume dans sa bouche. Un linge humide, imbibé d'eau de rose, posé sur ses yeux, avait dégonflé ses paupières et soulagé ses yeux séchés au soleil. Elle leva un bras, grimaça, mais n'arrêta pas son geste et retira le linge qui lui obstruait la vue. Elle ne reconnut pas l'endroit. Elle tourna la tête. Vit des banquettes de massage. Des murs entièrement peints sur trois niveaux. Les deux premiers présentaient des panneaux couleur cinabre, lisérés de noir et de jaune, le tout sur fond noir. De grandes fougères au premier niveau, de grands arbres au second, stylisés, jaunes et élégants, séparaient chaque panneau. Le troisième niveau était plus sobre, des formes géométriques très simples habillaient un fond rose pâle qui illuminait la pièce. Il y faisait frais. Le sol était pavé de marbre noir et blanc. Quelques part derrière elle, chantait une fontaine.

Les thermes.

L'accès en était restreint et les gladiateurs ne s'y rendaient jamais. Que lui valait ce privilège ?

— Saucia ! appela Chloé. Elle est réveillée.

Ah ! Évidemment, Saucia.

Aeshma s'assit. Les linges dont elle était recouverte tombèrent sur ses cuisses. Voilà d'où venait la sensation de fraîcheur.

— J'ai soif, coassa-t-elle d'une voix cassée.

Chloé lui tendit immédiatement un gobelet. Aeshma en sentit le contenu. Elle goûta.

— On ne risque pas de t'empoisonner ! déclara Saucia.

La boisson était...

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Aeshma

— De l'eau avec beaucoup de sel.

— Ce n'est pas très bon, grimaça Aeshma.

— Si tu bois ça, je te donnerai à boire quelque chose de meilleur, lui promit Saucia. Tu te sens assez vaillante pour un bain ?

Aeshma lui lança un regard offensé. Saucia croisa les bras et secoua la tête.

— Invincible, hein ?

— Non.

— Oh ! Modeste ? sourit la masseuse.

— Arrête, Saucia, ronchonna Aeshma.

— Tu sais qu'on se presse pour prendre de tes nouvelles ? rétorqua Saucia d'un ton menaçant.

— Je ferai tout ce que tu voudras, dit précipitamment Aeshma.

Elle imaginait sans mal ses camarades inquiets. Atalante et Ajax passaient encore, mais Ishtar, Boudicca — Heureusement que celle-ci ne combattait pas sous l'armatura des thraces — et pire que tout, Marcia ? Sa jeune pupille était adorable, mais bien trop impétueuse et bavarde pour qu'Aeshma la supportât maintenant. Si elle s'écoutait, elle s'allongerait et ne bougerait plus jusqu'au lendemain matin. La faim, la soif ? Pour une fois, elle se passerait de les satisfaire. Enfin, elle s'en serait passé si Saucia n'avait pas été présente :

— Je sais que tu ne rêves que de dormir, Aeshma. Mais pas avant d'avoir pris un bain, d'avoir bu, manger un peu et d'être passée entre mes mains.

Aeshma fronça les sourcils.

— Dans cet ordre là ?

— Oui.

Aeshma se fendit d'un sourire en pensant que sa journée, ou sa nuit, ou sa matinée ou quel que fût le moment de la journée avant qu'elle dormît, s'achèverait entre les mains de Saucia. Elle gémit quand le sourire tira sur la pulpe de ses lèvres et que la peau craquelée céda. Elle s'humecta les lèvres avec la langue.

— J'ai mieux que ta salive, lui dit Saucia en s'asseyant à côté d'elle.

Elle lui attrapa le menton et lui tourna la tête vers elle. Chloé lui tendit un petit pot contenant un baume hydratant. Saucia y trempa le bout de son index et le passa doucement sur les lèvres abîmées de la jeune Parthe.

— Je te protège jusqu'à ce que tu te réveilles demain matin, mais ensuite... Tu débrouilleras toute seule.

— Je veux juste dormir.

— Je te promets une très bonne nuit.

Saucia se tourna vers Chloé.

— Tu peux disposer.

— Mais...

— Tu es bien trop bavarde, Chloé. Je veux qu'Aeshma se repose.

— Je te revois demain matin, Aeshma.

La jeune masseuse attendit que Saucia lui tournât le dos pour attirer l'attention d'Aeshma avec de grands gestes des bras.

— J'ai plein de trucs à te raconter, articula-t-elle en silence.

— Chloé, si tu ne sors pas tout de suite, tu vas le regretter, la menaça Saucia sans se retourner.

La jeune masseuse s'enfuit en riant.

— Elle est débile, remarqua Aeshma.

— Elle est contente.

— Pourquoi ?

— Pour tout un tas de raisons, répondit évasivement Saucia.

Si Aeshma savait pour quelles raisons, elle ne resterait pas tranquillement à prendre un bain. Elle attraperait une tunique, si elle y pensait, et se précipiterait dehors. Si elle n'y pensait pas, elle sortirait nue. Mais nue ou pas, elle refuserait tous les soins. L'autorité et l'influence dont bénéficiait Saucia auprès de la gladiatrice n'arrêterait pas la jeune Parthe. La masseuse ne craignait pas pour la vie d'Aeshma, mais elle estimait que celle-ci avait besoin de soins, d'une surveillance médicale et de repos. Tiberius Geganius Asper ne valait pas mieux que Téos. La punition avait été disproportionnée et ses conditions d'application avaient mis la vie la jeune gladiatrice en danger. Aeshma la risquait déjà sur le sable, n'était-ce pas déjà suffisant ? Saucia s'en voulait pour sa faiblesse. Elle aurait dû quitter le ludus. Depuis longtemps.

— Saucia, l'appela Aeshma.

La jeune femme leva les yeux sur la gladiatrice.

Dieux... Elle avait la peau brûlée, les lèvres craquelées, les yeux rouges et les paupières encore gonflées. Ses cheveux étaient poussiéreux et emmêlés, elle avait les traits tirés, des cloques sur le dessus des oreilles, des épaules et du nez et... elle arborait un air terriblement embarrassé. Elle était si... touchante.

Comme tous les autres.

Des durs, des hommes et des femmes à peine sortis de l'enfance. Certains n'avaient pas grandi. Leurs corps s'étaient endurci, développé, ils vivaient comme des adultes, mais ils avaient gardé des cœurs et des âmes inachevés. Ils passaient leur journée à se battre, à frapper et à recevoir des coups. Ils se montraient durs à la peine et à la douleur, mais une fois allongés sur la table...

Saucia trouvait une immense satisfaction à les soulager, à les sentir s'abandonner entre ses mains. S'abandonner tout court. Chloé était un cœur tendre. Elle retenait ses larmes devant les gladiateurs, elle pleurait plus tard. Elle éprouvait la même tendresse que Saucia envers ces guerriers meurtris. Tout comme Gyllipos et Samia. On ne pouvait pas être un bon masseur si on n'éprouvait pas une certaine forme de tendresse envers les corps dont on s'occupait. Du moins, c'était ce que pensait Saucia. Elle n'avait jamais gardé de masseur insensible dans son équipe. Saucia n'avait pas trouvé le courage de partir parce qu'à chaque fois qu'elle massait un gladiateur, elle découvrait en lui ou en elle, tout ce qu'il tenait à dissimuler, tous ses secrets soigneusement enfouis derrière sa musculature et ses cicatrices. Ses souffrances et sa soif d'attention, de tendresse. Des gens comme Germanus, Gallus ou Ishtar ne s'en cachaient pas vraiment. Les autres, à part les brutes épaisses, finissaient toujours par se trahir. Comme Aeshma.

— Aeshma ? lui demanda-t-elle doucement.

— Tu... euh, tu pourras m'aider ? Pour aller au bain. Je ne me sens pas très bien, je ne crois pas que...

Saucia lui posa une main sur le front.

— Tu as de la fièvre.

— Pff, j'ai crevé de chaud la journée et je me suis gelée la nuit, ça t'étonne ? grommela Aeshma.

— Atticus passera tout à l'heure.

— Tu peux laisser entrer Atalante si elle veut me voir.

— Je t'ai dit que je protégerai ta tranquillité jusqu'à demain matin.

— Oui, mais Atalante, ce n'est pas pareil.

— Elle attendra demain.

Aeshma trouva Saucia bien protectrice. Bien trop. Elle essaya de se concentrer pour comprendre. N'y arriva pas et y renonça.

Saucia choisit de lui servir son repas au bain. Aeshma n'avait pas pris de bain chaud, elle s'était simplement plongée dans l'eau fraîche et glacée de la piscine. Trois grands degrés donnaient accès à la large margelle qui entourait le bassin. On pouvait y poser un plateau et s'y installer confortablement pour discuter ou se restaurer en compagnie des baigneurs.

Saucia lui avait lavé les cheveux et Aeshma avait déjà manqué s'endormir une première fois.

— Je vais te masser ici, fit Saucia.

— Tu veux que je dorme ici ?

— L'endroit est confortable et tranquille, et personne ne viendra t'y embêter. Je vais chercher ce dont j'ai besoin. Ne te noie pas durant mon absence.

— Mmm, grogna Aeshma.

Saucia évita les discussions sur le chemin qui la mena à l'infirmerie. Elle lança à la volée que la jeune Parthe allait bien et qu'elle avait besoin de repos. Personne ne put la retenir ou la circonvenir. Elle prit juste le temps de passer voir Atticus. Le médecin décida ensuite de l'accompagner. L'état d'Aeshma l'avait inquiété, il avait besoin de se rassurer.

Il le fut. Le bain avait fait tomber la fièvre de la gladiatrice.

— Tu t'en es bien occupé, félicita-t-il Saucia.

— Je prends soin des gladiateurs, rétorqua la jeune femme.

— Et tu fais ça très bien.

Il connaissait les hésitations de Saucia. C'était une femme libre. Elle pouvait partir quand elle voudrait. Le ludus perdrait un trésor. Chloé, un maître qu'elle respectait et qu'elle aimait. Atticus perdrait une amie. Saucia retrouverait facilement du travail, n'importe où. Sa réputation avait franchi les portes du ludus. Médecins, soigneurs et masseurs étaient des biens précieux. Ceux qui travaillaient auprès des gladiateurs bénéficiaient d'une aura renforcée par le bouche à oreille. Chaque munus leur apportait un peu plus de notoriété et les lanistes louaient parfois les services de leurs soigneurs. Les sollicitations ne manquaient pas. Atticus ne soignait pas toujours que les gladiateurs, et les masseurs du ludus ne massaient pas non plus que les gladiateurs. Mais si Atticus se déplaçait dans des maisons privées, Saucia ne recevait qu'au ludus. Elle avait exigé, aussi bien auprès de Téos que de Tiberius Geganius Asper qu'il en fût de même pour tous les masseurs de son équipe et c'était elle qui choisissait le masseur. Jamais le client. Les lanistes avaient accepté ses conditions. Les masseurs leur reversaient un pourcentage de leurs recettes privées et contribuaient au rayonnement du ludus. Un accord avantageux pour les trois parties : laniste, masseurs et clients.

.

Aeshma, grâce à Saucia, bénéficia d'une parfaite félicité et d'une nuit paisible et réparatrice. Le matin, elle se réveilla, l'esprit clair. Elle se souvint de ses délires. Et secoua la tête en souriant. Du coup, elle ne savait pas qui l'avait détachée du palus et qui l'avait portée jusqu'aux thermes. Par curiosité, elle demanderait à Saucia. Juste pour savoir qui elle avait pu confondre avec Astarté. Elle sourit en pensant à la Dace aux yeux dorés. Une fille incroyable quand même. Elle manquait à Marcia... et à Atalante. Aeshma pensait souvent à elle. Elle grogna. Voilà pourquoi elle la voyait dans ses délires, elle pensait trop souvent à elle.

— Tu grognes dès le matin et sans raison, tu as vraiment l'âme d'un sanglier, lança une voix narquoise.

Aeshma délirait.

Elle se retourna brusquement.

Pas possible.

— Pas d'un sanglier tout compte fait, d'un merlan.

Aeshma s'assit. Elle posa son regard sur Atalante. La grande rétiaire n'avait pas encore prononcé un mot. Elle reposa ses yeux sur la Dace. Réfléchit à cent à l'heure :

— Tu as changé d'avis ? demanda-t-elle.

— Comment ça, changé d'avis ? fit Astarté sans comprendre.

— Tu n'as pas supporté. Tu t'es engagée comme auctorata.

Aeshma se leva. Elle marcha sur Astarté, furieuse. Elle lui attrapa le col de sa tunique et la força à se mettre debout.

— Pourquoi as-tu fais ça, Astarté ?! cracha-t-elle. Pourquoi ?! Tu avais ta chance ! Tu aurais pu faire n'importe quoi ! Et tu reviens ici ?! Geganius Asper est un sale con, il ne vaut pas mieux que Téos. Il est même encore plus con. Et toi, tu reviens ici ?!

La pointe d'un pugio s'enfonça sous sa mâchoire. Déchira la peau. Aeshma sentit le sang lui couler dans le cou.

— Astar ! protesta Atalante.

— Lâche-moi, Aeshma, l'enjoignit Astarté. Où je t'envoie à Atticus.

Aeshma obtempéra. Elle se recula de deux pas. Le regard noir et vindicatif. Astarté tenait le pugio menaçant devant elle.

— Tu es vraiment la fille la plus débile que je connaisse, souffla Astarté. Tu devrais lui filer des corrections plus souvent, Ata.

— Connasse ! grinça Aeshma.

— Aeshma ! s'écria soudain une voix enjouée.

Aeshma détourna un instant son attention. Astarté en profita, elle envoya un poing. La Parthe partit en arrière et se retrouva assise sur le lit qu'elle venait de quitter. Elle se releva plus furieuse encore qu'auparavant. Marcia s'interposa.

— Mais à quoi vous jouez encore ? Astarté !

Elle sentit Aeshma bouger dans son dos, elle se retourna vivement.

— Aeshma, si tu bouges...

Astarté ricanait par-dessus l'épaule de Marcia. Aeshma baissa la tête. Marcia lui posa une main ferme sur le haut de la poitrine et la poussa pour qu'elle s'assît. Atalante se décida à intervenir. La jeune Parthe n'avait pas du tout apprécié le geste impérieux de sa pupille.

— Aesh, Astarté n'a pas signé un contrat d'auctorata.

— Ouais, passe ta main sur ton cou, Aeshma, ricana Astarté.

— Je ne vois pas...

— Fais-le, cria soudain Marcia.

Le regard noir, Aeshma s'exécuta.

— Regarde ta main, lui dit Astarté.

— Génial ! ricana Aeshma sur un ton sardonique. Elle est pleine de sang, tu veux que je t'applaudisse, Astarté ?

— Pourquoi tu saignes ? demanda la Dace aux larges épaules.

— Parce que tu m'as plantée, abrutie !

— Avec quoi ?

— Avec ton pugio de merde !

— Ouais, bien vu et il est super bien aiguisé en plus, fit Astarté en passant un pouce appréciateur sur le fil de la lame.

— Je suis trop contente pour toi, siffla Aeshma.

Atalante et Marcia arboraient des mines consternées.

— Tu es vraiment décourageante, lâcha Marcia à son intention. J'étais tellement contente et tu gâches tout.

— Donc, ça te fait plaisir que je me fasse saigner par cette imbécile ?

— Aesh...? l'interpella Atalante.

— Quoi ?! répondit hargneusement la jeune Parthe.

— Pourquoi tu ne saignes pas Astarté pour lui rendre la monnaie de sa pièce ?

— Je n'ai pas d'arme.

— Et pourquoi tu n'en as pas ?

— Comme si tu ne le savais pas.

— C'est interdit, c'est pour ça ?

— Pff...

— Alors tu peux m'expliquer comment se fait-il qu'Astarté ait une arme ?

— Elle a une arme parce que... parce que...

Aeshma regarda Astarté. La Dace agitait son pugio au-dessus de la tête de Marcia qui se tenait toujours en écran entre les deux jeunes femmes. Atalante grimaça d'un air entendu. Aeshma se renfrogna encore un peu plus.

— Tu n'es pas venue avec elle ? demanda-t-elle à Astarté.

— Avec qui ?

— Avec Gaïa Metella.

— Si.

— Je lui avais dit que je ne voulais pas la revoir, cracha Aeshma.

— Elle n'est pas venue ici pour te voir, elle est venue pour affaire.

— Elle veut organiser un munus ? Pff... Ça ne marchera jamais, les femmes ne peuvent pas être munéraire.

— Tu sais, avec de l'argent et de l'influence, on peut tout faire, déclara Astarté.

— Ce n'est pas l'Impératrice.

— Peut-être, mais elle la connaît et elles sont très amies.

Aeshma lui jeta un regard suspicieux.

— Tu sais que Titus est mort ? demanda Astarté.

— Qu'est-ce que j'en ai à foutre ? dit Aeshma en haussant les épaules.

— Il est mort ? demanda Marcia. Comment ?

— La peste... enfin, officiellement, grimaça Astarté comme si elle venait de se fendre d'une bonne plaisanterie.

Chloé entra soudain en courant.

— Rassemblement ! cria-t-elle. Tout le monde doit se retrouver dans la cour. Immédiatement. Aeshma, je t'ai apporté une tunique propre. Dépêche-toi de t'habiller. Aide-la, Atalante. Je dois repartir. Oh, je suis tellement contente !

Elle repartit en riant.

— Mais qu'est-ce qu'elle a ? grommela Aeshma.

Marcia se fendit d'un sourire qu'elle tenta sans succès de retenir. Astarté regardait Aeshma d'un air goguenard et Atalante paraissait heureuse et pas seulement parce qu'Astarté se trouvait dans la même pièce qu'elle.

— Aller, Aesh, habille-toi, l'encouragea la grande rétiaire.

— On vous laisse, déclara soudain Marcia. Astarté, rengaine ton pugio et viens avec moi.

— À toute de suite, Aesh ! ricana Astarté.

Aeshma prit son élan. Atalante se dressa devant elle avant qu'elle n'eût sauté sur ses pieds.

— Tu sais que tu réagis exactement comme elle l'attend ?

— Qu'est-ce qu'elle fait ici, Ata ? Et pourquoi Gaïa est-elle là ?

Aeshma eut soudain une illumination.

— Julia ! Julia Metella est ici aussi ?

— Oui, avec Quintus Valerius.

Elle n'avait pas déliré. Ils étaient tous là.

— C'est elle qui m'a décrochée du palus ? Je veux dire, Astarté ?

— Je ne sais pas, je n'étais pas là, mais oui, sans doute.

— Tu peux me dire ce qui se passe ?

— On n'a pas le temps.

— Je m'en fous ! s'écria Aeshma en lui crochetant l'avant-bras d'une main dure. Je ne vais nulle part si tu ne me dis pas ce qui se passe.

Atalante céda :

— Tiberius Geganius Asper dégage, il s'en va. Le ludus n'appartient plus à Titus.

— Évidemment, il est mort, répondit Aeshma excédée.

— Le ludus ne dépend plus de l'Empereur.

— Tu ne veux pas dire que...

— Si.

— Qui ?

— Julia.

— Comment ?

— Aucune idée, Astarté ne m'a rien raconté. Si tu veux mon avis, elle et Gaïa sont parties à Rome. Astarté en sait beaucoup sur la mort de Titus et comme elle accompagne Gaïa partout où elle va...

— Mais que va-t-il se passer ?

— Elles voulaient fermer le ludus. Astarté leur avaient dit que c'était une mauvaise idée, mais je ne crois pas que Julia et Gaïa l'avaient écoutée. Alors...


***


Atalante avait retrouvé Marcia et les bestiaires à la rivière. Herennius n'avait envoyé que les filles prendre une leçon d'équitation. Les quatre chevaux paissaient tranquillement en liberté et leurs cavalières jouaient plus qu'elles ne se lavaient dans l'eau. Elles avaient accueilli à grands cris les coureurs et n'avaient pas manqué de les arroser dès qu'ils furent à leur portée. Les gladiateurs se jetèrent à l'eau et une lutte s'ensuivit que perdirent les bestiaires qui, pour leur défense, se trouvaient nettement en sous-effectifs.

L'eau délassa tout le monde. D'un commun accord, Atalante et Marcia toutes deux responsables de leur groupe, prolongèrent le moment. Les gladiateurs avaient besoin de se changer les idées. Elles pensaient qu'il serait plus sage de rentrer une fois la punition d'Aeshma achevée. Retrouver la jeune Parthe accrochée à son palus, réduirait à néant l'espoir d'Herennius d'éviter que les gladiateurs commissent des bêtises ou se laissassent aller à des récriminations ou des protestations que Tiberius Geganius Asper ne souffrirait pas d'entendre. Saucia leur reprocherait peut-être leur retard. Marcia et Atalante s'en arrangeraient avec elle et elles étaient prêtes à affronter la contrariété de leurs camarades si la masseuse refusait de s'occuper d'eux à une heure aussi tardive.

L'ombre des arbres commençait à s'allonger. Britannia grimaça en s'enfonçant les doigts sous les côtes.

— Britannia ? l'appela Dacia.

— Mmm ? grogna la jeune fille.

— Tu as des crampes ?

— Mmm.

Dacia se fendit d'un sourire.

— Tu te moques de moi, bouda Britannia.

— Pourquoi ? demanda Lysippé curieuse.

— Tu ne sais pas ? intervint Germanus.

— Euh...

Lysippé réfléchit un moment. Elle se tourna vers Penthésilée pour chercher une réponse à sa question.

— Elle a des crampes d'estomac, dit simplement Penthésilée.

— Monter me donne faim, se justifia Britannia.

Dacia s'esclaffa.

— Moi aussi, j'ai faim, déclara Gallus.

— Moi aussi, ajouta Enyo.

Ishtar approuva chaudement.

— Mmm, fit Germanus d'un air entendu.

— Quoi ? réagit tout de suite Enyo.

— Tu ne te souviens pas... ? Au Grand Domaine.

La jeune Sarmate s'illumina. Ishtar demanda des explications, reliée par Lysippé.

— Je ne mange pas autant qu'elle ! protesta Britannia sans les attendre.

— Presque, rétorqua Dacia.

Marcia lui attrapa les épaules par derrière et d'un rapide mouvement la fit basculer en arrière. Dacia tomba dans l'eau. Marcia lui posa un pied sur la poitrine et la jeune Dace but la tasse, mais elle lança ses jambes et les referma autour de Marcia. La jeune fille plongea tête la première dans l'eau. Germanus hurla de rire. Galini et Gallus échangèrent un regard de connivence et ils sautèrent de concert sur le melior.

Dacia était hoplomaque de formation, elle vint au secours de Germanus sitôt qu'elle se fut remise debout. Elle s'en prit d'abord à Galini. Britannia se souvint fort inopinément qu'elle avait commencé sa carrière de gladiatrice sous l'armatura des mirmillons et que Galini l'avait gentiment soutenue à ses débuts. Elle fonça sur Dacia, l'envoya dans les bras de Gallus qui trébucha, s'accrocha à la gladiatrice et l'entraîna une nouvelle fois sous les flots avec lui. Boudicca se mit à rire.

— Pourquoi tu ris ? lui demanda Ishtar.

— C'est Gallus, s'étouffa la jeune Silure. Il est aussi pataud qu'un ourson nouveau-né.

Ishtar fronça les sourcils. Elle connaissait bien Boudicca. Elle se moquait d'un thrace, ce qui lui donnerait une excuse, mais elle avait surtout envie de s'amuser. Elle lui passa une main autour de sa taille, se plaça devant elle, lui attrapa le bras et la fit passer par-dessus sa hanche. Boudicca s'étala dans un grand jaillissement d'eau.

— Ishtar, je t'adore, lui lança Enyo un sourire éclatant aux lèvres. Je...

Elle ne finit pas sa phrase, Lysippé lui était arrivée dessus tête baissée. Ishtar se lança pour venir en aide à sa camarade. Penthésilée la cueillit d'une manchette à la poitrine bien avant qu'elle n'atteignît Enyo. La Galiléenne s'envola tandis que Lysippé et Enyo s'étaient engagées dans une lutte dont l'enjeu était à qui noierait l'autre la première.

Atalante se recula prudemment sur la rive. Pas par peur de l'affrontement, mais pour s'assurer que personne ne serait blessé. Celtine se replia avec elle.

— Tu ne vas pas défendre tes camarades, Celtine ?

— Je ne sais pas trop qui se bat avec qui. Je ne voudrais pas commettre un impair et soutenir la mauvaise personne.

Atalante rit de sa sage prudence.

— Et si je t'envoie mettre un peu d'ordre en cas de débordement ?

— D'accord, je me bats pour toi, grimaça la Celte.

— Tu risques de déplaire...

— En obéissant à tes ordres ? Ça m'étonnerait.

— ...

— Ne me demande pas de casser la figure à Marcia, c'est tout ce que je te demande.

— Je m'en chargerai si c'est nécessaire.

— Je suis ta femme de main, alors, ricana Celtine. Tu peux compter sur moi.

Atalante n'eut pas à intervenir et elle n'eut pas à envoyer Celtine rappeler un gladiateur à la raison. La mêlée resta amicale. Elle cessa faute d'énergie. Les gardes qui escortaient le groupe d'Atalante s'étaient tenus en retrait. Leur rôle ne consistait pas à maintenir la discipline, seulement à surveiller que personne ne s'enfuît et à observer le comportement des gladiateurs. Tiberius Geganius Asper exigeait des rapports après chaque sortie. Les doctors plus rarement. Ils transféraient leur autorité à Atalante lors des sorties et lui accordaient une confiance absolue.

Les gladiateurs se rhabillèrent sommairement. Quelques-uns réajustèrent leur subligaculum, mais la plupart enroulèrent simplement leur tunique autour de la taille. Leur humeur joyeuse s'éteignit quand ils reprirent le chemin du ludus. Les mines redevinrent soucieuses et sombres. Atalante et Marcia restreignirent l'allure des gladiateurs. Elles avaient autant qu'eux l'envie de courir, de savoir, de s'inquiéter auprès de leurs camarades de l'état de la petite thrace, mais elles devaient leur garder la tête froide. Pourtant, plus ils se rapprochèrent et plus leur pas, sans que les deux melioras ne l'eussent demandé, se ralentit. Ils franchirent le portail du ludus en traînant les pieds.

.

Marcia jeta un coup d'œil au petit amphithéâtre. L'ambition de Téos, sa fierté, était devenue celle de Tiberius Geganius Asper. L'amphithéâtre pouvait être mis à disposition d'un magistrat ou d'un aristocrate assez riche pour débourser les sommes importantes que Tiberius Geganius Asper exigeait pour jouir des installations du ludus et se payer des combats de gladiateurs. Six cent spectateurs pouvaient se presser dans les gradins. Des fêtes privées s'y déroulaient parfois. Elles rapportait beaucoup d'argent. À Tiberius Geganius Asper comme aux gladiateurs qui y participaient. Et pas seulement parce qu'ils combattaient.

Téos, Geganius Asper ? Les lanistes se valaient. Asper profitait comme Téos des fantasmes qui naissaient sous les pas des gladiateurs et des gladiatrices. Le contrat de Marcia la tenait à l'abri des après-combats. Tiberius Geganius Asper n'avait pu le réécrire ou le contourner. Marcia était une exception, il s'y résigna, mais il entendait bien qu'elle restât la seule de la familia.

Dès qu'elle avait eu vent de ces fêtes, Saucia était allée voir Herennius. Elle l'avait menacée. Elle n'accepterait jamais que certaines gladiatrices y participent.

— Comment veux-tu que... avait commencé à se justifier le doctor.

— Tu cautionnes ou pas, Herennius ? avait refusé de l'écouter Saucia. N'as-tu aucun respect pour tes gladiatrices ? Tu te souviens d'Atalante et d'Aeshma ?

— Saucia...

— Je sais qu'on ne peut pas soustraire tous les gladiateurs à ce genre de contrat, mais certains ne peuvent pas les honorer. Ce n'est pas possible. Si je trouve une solution, tu la soutiendras ?

— Oui, avait assuré le doctor sans hésiter.

Saucia avait parlé avec les meliores. Ils avaient consulté les gladiateurs. On ne pourrait pas protéger tout le monde, mais on pouvait éviter que les plus fragiles fussent exposés. Atticus apporterait son aval de médecin, il était d'accord. Il inventerait des maladies vénériennes atroces ou des malformations. Par contre, les gladiateurs concernés devraient ensuite s'astreindre à une stricte chasteté. Aeshma inscrivit Ishtar sur la liste. Personne ne la toucherait sans son accord. Elle avait quinze ans, elle était trop jeune pour se vautrer dans des orgies. On verrait quand elle aurait seize ou dix-sept ans et seulement si elle était d'accord. Atalante fut inscrite d'office. À l'unanimité. Galini parla avec Boudicca. Elle était jeune et innocente. Il fut convenue qu'elle rejoindrait elle aussi la liste des non-disponibles.

Les autres n'élevèrent aucune protestation. Ils avaient tous participé à ce genre de soirée et ils n'en avaient pas toujours tiré que du déplaisir, particulièrement les garçons. Il était très rare qu'on demandât à un gladiateur de tenir le rôle du partenaire passif. Plus rare encore que les lanistes l'acceptassent. Parangon de la virilité, un gladiateur perdait tout son crédit si on pensait à lui comme à une femme. C'était un peu plus compliqué pour les gladiatrices, mais elles valaient chères et le laniste négociait toujours avec les clients ce que ceux-ci étaient en droit de leur demander et de leur faire subir. Les filles avaient souvent des années de pratique derrière elles et elles géraient plutôt bien ce genre de soirée. Britannia serait la seule qui manquerait d'expérience. Mais la jeune fille avait dix-sept ans et si on ne savait pas grand-chose à propos de sa vie intime, elle n'avait pas dissimulé les faveurs qu'elle avait accordées à un sympathique bestiaire, ami de Carpophorus. Dacia et Celtine assurèrent qu'elles se chargeraient de la préparer si elle devait participer à l'une de ces soirées.

Atalante, Ishtar et Boudicca bénéficieraient donc d'une dispense. Tout le monde approuva.

Excepté Boudicca.

Elle n'avait pas très bien compris de quoi il avait été question quand Galini lui avait parlé. Quand elle osa enfin demander des détails, elle rentra dans tous ses états.

— Britannia sera elle-aussi dispensée ?

— Non.

— Elle n'a pas demandé à l'être ?

— Non, je ne crois pas.

— Qui s'occupe de ça, Galini ?

— Les meliores, enfin, Atalante, Aeshma, Marcia, Ajax, Germanus et Sabina, pas les autres.

— Je veux leur parler.

Herennius arrangea la rencontre.

— Je donne ma place à Britannia, déclara-t-elle d'office aux meliores.

— Pourquoi ? demanda Ajax.

— Parce que Britannia ne peut pas participer à ça.

— Elle n'a formulé aucune objection, observa Sabina.

— Elle ne dira rien, dit Boudicca. Mais ce n'est pas possible.

— Pourquoi ? releva Marcia.

— Parce que.

— Génial ton argument, très convaincant, avait ironisé Aeshma.

Boudicca avait demandé à Galini de l'accompagner. La jeune fille n'était pas sa meliora, mais malgré son jeune âge, elle faisait partie des anciens, du palus du sanglier, elle avait participé à la libération du Grand Domaine. C'était la plus à même de lui servir de soutient. Elle se tourna vers elle :

— Galini, s'il te plaît. Britannia ne peut pas. C'est mal.

Galini lui fit un signe d'impuissance. La jeune fille se jeta à genoux devant les meliores.

— Donnez-lui ma place, les supplia-t-elle.

— Non, grogna Aeshma.

— C'est une question d'honneur, Aeshma ! la supplia Boudicca. Andrasta t'a habitée, tu sais que ce n'est pas possible. Au fond de toi, Aeshma ! Tu le sais. Je suis sûre qu'elle te l'a dit.

La jeune fille pleurait. Elle tendait les mains devant elle comme une suppliante.

— Andrasta se vengera si Britannia participe à ça, elle ne le mérite pas, balbutiait-elle entre ses larmes.

— C'est d'accord, laissa tomber Atalante.

L'attitude de Boudicca laissait présager une histoire tragique. Sabina et Marcia approuvèrent toute de suite. Germanus et Ajax aussi. Aeshma soupira.

— D'accord, bougonna-t-elle. Mais seulement si cette abrutie reste aussi sur la liste, dit-elle ses camarades. Elles sont toutes deux originaires des mêmes contrées, on pourra toujours inventer une maladie affreuse. Ce crétin de Tiberius Asper ne doit rien y connaître de toute façon. Bon, relève-toi, Boudicca, et arrête de chialer. T'es une gladiatrice, pas une aristocrate morveuse et pleurnicharde.

Marcia lui envoya un coup de coude dans les côtes.

— Tu es gladiatrice ! fit Aeshma offensée.

— Pff... souffla Marcia.

— Bon, Aeshma a raison, dit Sabina. Boudicca, relève-toi et file.

— Mais vous ne lui direz pas ? s'inquiéta la jeune Silure.

— Quoi ?

— Que je suis intervenue. Je ne veux pas qu'elle le sache.

— Question d'honneur ? plaisanta Germanus.

— Oui, répondit sérieusement la jeune secutor.

— On ne dira rien, la rassura Ajax

— Rien du tout, ajouta Germanus sérieusement.

Boudicca lança un regard suspicieux aux melioras.

— Pff, mais c'est pas vrai ! râla Aeshma. Je jure de garder le secret.

Atalante, Sabina et Marcia confirmèrent. Boudicca se fendit d'un sourire heureux.

— Qu'Andrasta vous protège et vous apporte la victoire.

Elle sortit d'un pas léger.

— Mais c'est quoi ce délire encore ? souffla Aeshma. Galini ?

— Je n'en sais rien, elle ne m'a rien dit.

— Marcia ?

— Je ne sais pas non plus. Britannia n'a pas protesté quand je lui ai parlé. Elle m'a juste demandé qui était déjà sur la liste.

— Il y avait qui ?

— Ishtar, Boudicca et Atalante. Elle a dit que c'était bien comme ça et c'est tout.

— Si c'est un secret entre elles deux, on ne saura rien tant que Britannia ne dira rien et Britannia n'a jamais beaucoup parlé, observa Sabina.

— Oui, c'est vrai confirma Galini qui avait participé à la formation de mirmillon de la jeune Trinovante.

— Elle est de compagnie agréable, c'est une bonne camarade, mais c'est vrai qu'elle ne parle pas beaucoup, ajouta Marcia qui avait appris à bien connaître la jeune fille depuis qu'elles étaient bestiaires.

Britannia n'avait pas commenté sa dispense. Elle avait simplement remercié Marcia. La jeune fille avait décelé de l'émotion dans sa voix, mais elle n'avait cherché à en savoir plus.

.

La Trinovante marchait tête baissée entre Boudicca et Dacia. Marcia, les yeux fixés sur les épaules de sa camarade, en oublia Aeshma. Elle perçut cependant des soupirs de soulagement et des sourires quand ils arrivèrent dans la cour d'entraînement. Les palus ne supportaient plus aucun corps. Puis, ceux qui marchaient en tête s'arrêtèrent brusquement et Marcia se heurta à Britannia.

— Ouch ! Désolée, s'excusa-t-elle.

Atalante qui fermait la marche, allait houspiller tout le monde quand elle la vit.

— Ben, vous en avez mis du temps à rentrer, dit la voix volontairement gouailleuse. Je vois que la vie est douce au ludus ! Je comprends que vous vous y plaisiez autant !

Elle sauta du muret où elle se tenait assise et s'avança d'un pas nonchalant, l'air hautement satisfait de la surprise qu'elle lisait sur le visage de ses camarades. Galini partit en avant. Hésita. Se figea et ne bougea plus. Son mouvement ouvrit le passage à Marcia qui, elle, n'eut pas un seul instant d'hésitation.

Astarté la reçut dans ses bras en riant.

— C'est ce que j'aime chez toi, Marcia. Ton enthousiasme et ton absence totale de retenue !

— Astarté ! fit la jeune fille en serrant la Dace entre ses bras.

Les gladiateurs l'entourèrent soudain et la saluèrent avec chaleur. Tous, sauf Atalante. D'abord son cœur avait bondit et puis... contrairement aux autres, elle avait cherché des réponses aux raisons de la présence d'Astarté au ludus. Celles qu'elle avait trouvées pour l'expliquer, lui avaient déplu.


***



NOTES DE FIN DE CHAPITRE : 

Illustration : reconstitution d'un ludus d'après ses fondations, Autriche, Klein 2011.

Les thermes privés : Les thermes du ludus de Sidé sont très différents de ceux du Grand Domaine.

Au Grand Domaine, la piscine a été creusée dans le sol et occupe la quasi-totalité de la pièce dans laquelle elle se trouve. Au Ludus, c'est une piscine hors-sol et elle n'occupe qu'une partie de la pièce.

Ceux du grand Domaine, s'inspirent des bains publics.

Ceux du ludus de Sidé, bien plus somptueux, peuvent se comparer aux thermes privés de la villa Borg située au nord-est de Schengen en Allemagne (villa reconstruite depuis 1994 et ouverte au public).



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