Chapitre CXXVII : Retrouver Shamiram au risque de perdre Aeshma
Il avait fallu huit mois à Julia pour tenir la promesse qu'elle s'était faite au Grand Domaine le soir de la libération de Quintus et de Gaïus. Le résultat n'était pas celui qu'elle avait escompté et elle encourait peut être de cruelles désillusions. Gaïa encourrait peut-être de cruelles désillusions. L'optimisme enjoué d'Astarté n'avait convaincu personne et si Néria avait accepté de les accompagner à Sidé, d'autres avaient refusé.
En commençant par Zmyrina :
— Je ne sais pas ce que décidera Shamiram. Je ne veux pas l'influencer, ce serait malhonnête de ma part. Je ne supporterai pas qu'elle se sacrifie pour moi et je ne supporterai pas qu'elle m'abandonne encore une fois. Je ne peux pas.
Abechoura avait ainsi exprimé ses peurs les plus viscérales. Le départ d'Aeshma pour Sidé avait été un déchirement. Elle n'avait même pas été présente. Elle l'avait perdue une fois, elle avait cru la perdre une deuxième fois et elle était partie une nouvelle fois.
Abechoura l'avait haïe. Ses camarades importaient plus que sa jeune sœur qu'elle avait d'ailleurs remplacé par Atalante et Marcia. La grande gladiatrice veillait autant sur Aeshma que si celle-ci avait été sa petite sœur et Aeshma aimait autant Marcia que si elle avait été sa grande sœur. Elle n'était pas jalouse parce que cette constatation datait de la traversée sur la Stella Maris.
Elle avait aimé retrouver sa sœur ainsi. Attentive, protectrice, confiante, responsable, aimante et aimée. L'attention dont elle bénéficiait auprès d'Atalante, de Marcia et de Gaïa Metella qui s'inquiétait visiblement beaucoup de l'état de santé d'Aeshma, l'avait rassurée. Elle n'avait pas vraiment compris ce qui liait Gaïa et Aeshma, pas réussi à savoir si Aeshma partageait l'affection que lui vouait la domina. Pour Atalante et Marcia, c'était facile, mais pour Gaïa ? Abechoura avait parfois décelé une grande complicité et parfois une retenue à la limite de l'indifférence. Gaïa y était sensible, elle aimait Aeshma.
Abechoura s'était sincèrement réjouie qu'Aeshma se fut bâti une nouvelle famille.
Mais quand Aeshma lui avait annoncé qu'elle partait ? La jalousie, l'amertume, la conscience aiguë qu'elle avait vécu dix ans loin d'elle, qu'elle était une fille perdue, qu'elle s'était roulée dans la fange et dans la boue durant ses dix dernières années, qu'elle ne valait rien, qu'elle n'avait rien à donner à sa sœur, rien à lui offrir, rien dont Aeshma eût pu être fière, l'avaient plongée dans un profond désespoir qui s'exprima dans la haine et la colère.
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À Patara, après qu'elle eût repris conscience, Aeshma avait très peu parlé, elle s'était inquiétée des blessures de sa jeune sœur, de qui les soignait. Elle avait voulu vérifier leur cicatrisation. Ce qu'elle vit sembla lui plaire et plus tard, Zmyrina sut qu'Aeshma avait remercié Chloé pour s'être occupée d'elle. Aeshma avait accepté sa présence auprès d'elle, comme elle acceptait celle de Gaïa, mais elle souffrait de son immobilisation forcée et les deux jeunes femmes restaient le plus souvent silencieuses à ses côtés.
Astarté se montrait bien plus envahissante et aussi bavarde qu'à son habitude. Le rétablissement de ses deux camarades l'avait libérée de son angoisse et de la peur de les perdre. Elle passait d'une chambre à l'autre et donnait des nouvelles du temps qu'il faisait et de ce qu'elle pouvait savoir à propos du Grand Domaine. Atalante était toujours heureuse de la voir et elles passaient beaucoup de temps ensemble, mais Astarté n'en oublia pas Aeshma pour autant. Elle se montrait aussi volubile et envahissante qu'avec la grande rétiaire, mais elle s'éclipsait dès qu'Aeshma commençait à s'assombrir.
Atalante vint voir Aeshma dès qu'elle put se lever et quand la jeune Parthe alla mieux, les trois gladiatrices prirent l'habitude de dîner ensemble et elles jouèrent parfois aux dés. Zmyrina se joignit à leurs parties et les gladiatrices la convièrent alors à partager leurs repas. Une grâce qu'Abechoura devait à Marcia.
La jeune fille était arrivée à la villa dans un tourbillon de joie et de bonne humeur. Aeshma avait râlé parce que Marcia l'avait prise dans ses bras devant Néria, Zmyrina, Atalante, Astarté et Chloé, et que la grande Dace s'était permis une réflexion :
— Comme c'est mignon ! Je veux bien me prendre des coups si après cela Marcia vient me gratifier de si gentils câlins.
— Comme si tu avais besoin d'être blessée pour qu'on te fasse des câlins quand tu en as envie, répliqua acidement Aeshma.
Néria avait rougi, Astarté avait souri. Sourire qu'elle avait ravalé en voyant Atalante s'assombrir brusquement, les yeux fixés sur Néria.
— Astarté est comme les autres, Aeshma, l'avait défendue Marcia. Parfois les blessures ne sont pas apparentes. Tu ne vas pas le lui reprocher ?
Aeshma avait grogné, Atalante s'était rassérénée.
Elle connaissait Astarté. La Dace aux yeux dorés avait dormi avec elle. La grande rétiaire l'avait trouvée tendue. Un soir, Astarté s'était couchée à côté elle et elle s'était endormie. En toute innocence. Elle avait recommencé un autre soir, et puis un autre et encore un autre. Le quatrième soir, Atalante avait promené ses doigts sur le visage de sa camarade, puis sur son épaule, son cou. Ses lèvres avaient suivi. Astarté s'était réveillée.
— Les règles n'ont pas changé, Atalante, l'avait prévenue la Dace.
— Je sais, mais ce soir, j'ai envie d'être avec toi. Tu me jetteras la prochaine fois.
— J'ai cru que vous alliez mourir, dit Astarté comme pour justifier sa présence sur le lit d'Atalante.
— Laisse-moi te montrer comme je suis vivante, grimaça Atalante.
— Et pour Aeshma, comment je saurai ? avait plaisanté Astarté.
— Quand elle râlera après toi, tu sauras qu'elle est bien vivante.
Atalante s'était laissé aller comme à son habitude dans les bras d'Astarté, mais sans remords. Son désir se déploya sans contrainte, son plaisir s'en trouva décuplée. Astarté connut la grande rétiaire comme elle ne l'avait jamais connue. Libérée. Quand elles se retrouvèrent gentiment enlacées, Atalante fit remarquer à Astarté qu'elle n'était plus gladiatrice et que ses règles étaient obsolètes.
— Elles ne le sont pas. Et je t'aime bien trop pour prendre le risque que tu tombes amoureuse de moi.
— Le risque que je tombe amoureuse de toi ou le risque que tu tombes amoureuse de moi ? la provoqua Atalante.
— Tu vas partir, Ata. Quand on aime quelqu'un, c'est un déchirement d'en être séparé. Je ne veux pas que tu vives ça. Et... je ne veux pas revivre ça. Et puis, je ne sais pas si je pourrai et je ne veux pas te mentir
— C'est fini alors ?
— Une fois encore. Si tu veux, je te réserve notre dernière nuit.
— D'accord, accepta la grande rétiaire.
Qu'aurait-elle pu dire d'autre ? Astarté s'était montrée honnête avec elle. Il n'y avait rien de cynique ni dans son comportement ni dans ses paroles. Atalante aurait bien passé toutes ses nuits avec elle, mais Astarté avait raison. Mieux valait s'en tenir à la relation qu'elles avaient toujours entretenue. Mieux valait se mentir. Astarté trouverait toujours à satisfaire ses besoins d'affection, de tendresses et de sexe avec d'autres. Elle soupçonnait la grande Dace et Néria d'avoir combattu ensemble leurs angoisses. Atalante ne pouvait le reprocher ni à l'une ni à l'autre.
Elle leva un sourcil facétieux à l'intention de Néria et la jeune fille eut soudain l'envie de disparaître sous terre. D'un rire, Marcia balaya les tensions.
— Elles se font passer pour des dures, dit-elle à l'intention de Néria et de Zmyrina. Mais elles ont toutes les trois le cœur aussi tendre que celui d'un artichaut. Plein de piquant à l'extérieur, de la paille étouffante au cas où on aurait survécu aux piquants et, caché dessous, un cœur doux et délicieux.
— Quoi ?! s'écria Astarté scandalisée.
— Marcia, sale gosse, reviens ici, lança Aeshma à la jeune fille qui s'était prudemment reculée.
Atalante riait. Chloé osa un :
— Le pire, c'est que c'est vrai !
Astarté attrapa la jeune masseuse, la serra contre elle et lui frotta durement le crâne avec le poing. Chloé cria de douleur.
— Tu as de la chance d'être protégée par Saucia, lui dit Astarté. Sinon, je me chargerai de toi.
— Pff, souffla Aeshma. Comme si on te croyait !
— Et toi, tu as de la chance d'être dans ton lit, la menaça Astarté.
— Et si on jouait aux dés ? proposa Marcia.
— Tu repars quand ? demanda Atalante à la jeune fille.
— Dans trois jours, je suis venue prendre de vos nouvelles et faire des achats pour Saucia et Serena. Pour les autres aussi... Euh... Vous voulez que je reste ? Je pourrai confier mes achats à Andratus.
— Non. Ça ne sert à rien, lui assura Aeshma. Atalante est presque vaillante, Chloé est avec nous et cette abrutie d'Astarté se croit indispensable.
— Tu es dans ma maison, Aeshma, répliqua Astarté en arborant un air suffisant et satisfait. Tu es mon hôte, je te traite en tant que tel.
— Très drôle.
— Bon, alors on joue ? avait relancé Marcia.
La jeune fille avait secoué le voile de tristesse qui recouvrait la villa. Trois jours en sa présence suffirent à alléger les cœurs inquiets.
Marcia se ménagea des moments privilégiés avec Astarté et Gaïa. Des moments tendres et amicaux. Astarté retrouva son allant et Gaïa son énergie. La jeune fille lui avait transmis des tablettes de la part de Julia. Des affaires à traiter.
Après le départ de Marcia, Zmyrina s'incrusta sans plus hésiter dans les parties de dés que disputaient les trois gladiatrices. Gaïa n'osa pas. Aeshma se montra pourtant amicale envers la domina, mais Gaïa ne la sentait pas prête à s'abandonner à une relation plus intime. Zmyrina profita tant qu'elle put de la présence de sa sœur, mais elle ne tenta jamais de l'emmener sur les rivages de leur enfance et elle ne lui confia rien de ce qu'avait été sa vie durant leur longue séparation. Elle ne lui dévoila pas ses sentiments ou ses pensées, elle se contenta simplement de partager du temps avec elle. De savourer son bonheur d'être auprès d'elle.
Mais une fois au Grand Domaine, Aeshma reprit ses distances. Elle passa beaucoup de temps à la forge. Tout d'abord à écouter et à regarder, puis quand elle s'en sentit la force, elle commença à y travailler. Berival fut heureux de retrouver son élève.
Gaïa avait demandé à Zmyrina de l'accompagner au Grand Domaine. Pour lui déclarer ensuite, qu'elle lui laissait quartier-libre. Mais avant cela, la domina lui avait attribué un appartement qui avait laissé la jeune femme sans voix.
— Tu le mérites, lui avait simplement déclaré Gaïa. Tu as pris d'énormes risques alors que tu ne me connais pas et que tu ne me dois rien. Tu peux aussi y recevoir qui tu veux.
— ...
— C'était la chambre que j'avais attribuée à Aeshma quand elle est venue ici la première fois.
Gaïa était sortie après cette déclaration, laissant Zmyrina méditer sur le sens de ces paroles. La jeune femme n'avait pas usé de ce privilège. Saucia l'avait prise sous son aile dès son arrivée. La masseuse s'était prise d'affection pour la jeune femme. Chloé se montrait amicale. Tout le monde. Les gladiateurs, les gens du Grand Domaine, les dominas, le dominus. Marcia et Atalante. La grande rétiaire était plus réservée, mais Marcia lui montrait clairement son attachement.
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La jeune auctorata avait remarqué l'attitude d'Aeshma. Son retrait. Elle s'était alors fixé un objectif : rapprocher Zmyrina et Aeshma. Reconstruire une intimité disparue depuis longtemps.
Rien ne pouvait briser l'optimisme de Marcia. Si elle et Astarté avaient réussi à bâtir une relation solide et tendre sur les cendres de leur passion, Aeshma et Zmyrina pouvaient redevenir les sœurs qu'elles avaient été avant. Marcia n'avait aucune idée des relations qu'avaient entretenues Zmyrina et son mentor quand elles étaient enfants, mais elles les devinaient complices, persuadée qu'Aeshma ne pouvait se comporter envers sa sœur différemment qu'avec elle. Elle imaginait deux petites filles unies. Aeshma peut-être un peu moins taciturne qu'elle ne l'était à présent, mais dotée d'un caractère aussi affirmé et colérique. Zmyrina plus enjouée. Aeshma protégeait sa sœur et Zmyrina l'admirait. Pourquoi ? Marcia n'en savait rien. En réalité, elle ne voyait pas comment une petite fille ne pouvait pas être fascinée par une sœur aînée comme avait dû l'être Aeshma. Une sœur qu'on adorait, mais qui parfois, faisait peur. À dix-sept ans, Marcia adorait toujours Aeshma, même si elle n'en avait plus peur quand la colère la prenait.
Plus trop.
Marcia redoutait toujours les colères d'Aeshma, mais elle les gérait mieux. À quinze ans, celles-ci l'avaient fortement impressionnée. Si elle en avait eu cinq ou neuf, elle aurait couru se cacher derrière un meuble et n'en serait sortie que si son père lui avait assuré qu'il n'y avait plus rien à craindre. Peut-être Zmyrina voyait elle toujours Aeshma avec ses mêmes yeux d'enfant ?
La jeune auctorata demanda conseil à Julia. Atalante et Astarté pensaient qu'il leur fallait du temps. Les deux melioras connaissaient trop bien leur camarade. Gaïa l'aimait et elle souffrait de la réserve d'Aeshma. Julia était sage, elle appréciait Aeshma, mais elle n'entretenait pas de relation passionnelle avec elle.
Seulement, Julia ne savait pas qu'un lien familial unissait Zmyrina et Aeshma. Marcia hésita.
Gaïa, elle, le savait. Une réflexion dépitée l'avait appris à la jeune fille alors qu'elles traversaient ensemble la cour des communs. Aeshma frappait une pièce de métal sur une enclume que Berival avait installée devant la forge. Zmyrina était assise de l'autre côté de la cour. Elle observait sa sœur à la dérobée. Aeshma l'ignorait. Elle feignait de l'ignorer. Elle lui jetait parfois des coups d'œil discrets.
— Pff, avait soufflé Gaïa. Tu sais quoi, Marcia ? Je crois qu'il faut être gladiatrice pour qu'Aeshma se conduise normalement avec quelqu'un.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Regarde-la, dit Gaïa avec humeur. Même avec sa sœur, elle se conduit comme une imbécile.
— Tu sais pour Zmyrina ?
— Astarté me l'a dit.
— Et Julia ?
— Elle ne le sait pas. Astarté m'a dit qu'elle avait besoin de temps. Je n'en ai parlé à personne même pas à cette tête de bois qu'est Aeshma.
Le ton de Gaïa avait alerté Marcia.
— Elle est... ?
— Avec moi ? Elle est...
Gaïa avait fait un grand geste qui exprimait son dépit et son impuissance. Aeshma avait peut-être autant besoin d'aide pour Zmyrina que pour Gaïa.
Elle en avait donc parlé à Atalante.
— Tu m'as demandé pour Zmyrina et maintenant tu me demandes pour Gaïa ? s'était étonné la grande rétiaire. Tu t'inquiètes beaucoup.
— J'aime beaucoup Aeshma, s'était renfrognée Marcia.
— Aeshma sait qu'elle va partir, dit sombrement Atalante.
— Et alors ?
— Elle a été séparée une fois de Zmyrina et elle en a rêvé pendant dix ans. Depuis trois ans, elle croise Gaïa et à chaque fois, quoiqu'il se passe, leur rencontre finit par une séparation.
— Ah, tu crois que... ?
— Aeshma n'est pas un roc, Marcia. Tu le sais très bien. Elle se protège. Je sais que c'est un peu bête comme comportement, mais on ne peut pas le lui reprocher.
Atalante aurait pu lui parler d'Astarté à ce propos. Les deux melioras montraient encore une fois à quel point, elles pouvaient parfois se ressembler.
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Marcia était donc allée voir Julia. Elle trahirait Aeshma.
Comme tous les après-midi, elle la trouva dans sa chambre. La jeune femme, assise sur un divan, veillait sur Gaïus. L'enfant dormait. Marcia remarqua une fois de plus de l'absence de Quintus. Il ne partageait pas sa chambre avec Julia ni ses nuits. Elle soupira. Elle se pencherait sur le cas de Julia plus tard. D'abord Aeshma.
— Julia, j'ai besoin de tes conseils, commença-t-elle en entrant.
Julia invita Marcia à s'asseoir à côté d'elle.
— Je t'écoute, Marcia.
— Julia, Zmyrina... euh... Je n'ai pas acheté Zmyrina parce qu'elle m'avait sauvé la vie. Enfin si, mais il y avait une raison plus importante. Je l'ai achetée parce que... euh, hésita encore Marcia, mal à l'aise
— C'est la sœur d'Aeshma ?
— Tu sais ?
— Elle l'a dit à Astarté sur le Cupidon, Astarté a crié : Sa sœur ! Ce n'était pas très difficile de savoir de qui elle parlait. Elles ont la même nature de cheveux et elles se ressemblent.
— Gaïa n'était pas là ?
— Si, mais je crois que l'état d'Aeshma occupait trop ses pensées pour qu'elle prête attention à quoi que soit d'autre.
Julia s'avéra, comme Marcia l'avait escompté, d'excellent conseil et elle assura à Marcia qu'elle serait heureuse de lui prêter son concours.
— Je m'occupe d'obtenir l'accord de Gaïa pour Zmyrina. Si ça marche, je vous invite toi et Aeshma.
— Invite aussi Gaïa.
— Pourquoi ?
— Pour la même raison que Zmyrina. Gaïa aime monter et Aeshma est beaucoup plus détendue quand elle est à dos de cheval.
— Tu sais que tu as de bonnes idées ? sourit Julia.
— J'espérerais en avoir de meilleurs encore, avait-elle répliqué en plongeant son regard dans celui de Julia.
— Comme ?
— Comme pour toi et Quintus.
Julia se rembrunit et elle détourna prestement les yeux. Marcia se rapprocha vivement. Elle enlaça Julia et l'embrassa sur la joue.
— Je n'aime pas te voir triste.
— Je ne suis pas triste.
— C'est pareil, murmura Marcia en posant sa tête sur la poitrine de Julia.
Elle se serra doucement contre elle. Julia referma ses bras sur la jeune fille et lui déposa un baiser sur le haut du crâne.
— Quand mon contrat se finira, dit doucement Marcia. Tu accepterais que je demande à Quintus de devenir mon tuteur ?
— Évidemment.
— Et si...
— Si tu veux plus, je serais toujours là, Marcia. Il y aura toujours une chambre, un lit et une famille prête à t'accueillir.
— Tu m'adopterais ?
— Tu es la sœur aînée dont aurait rêvé Gaïus s'il n'en avait déjà une.
— Tu as déjà eu un enfant ?! s'écria Marcia en se redressant.
Julia éclata de rire.
— C'est de toi dont je parle, Marcia.
— Ah, oh... rougit la jeune fille.
— Si tes admirateurs savaient comme la bestiaire aux cheveux d'or peut se montrer ingénue !
Elle posa une main sur sa joue.
— Et rougissante, rit-elle de plus belle.
— Julia ! protesta Marcia.
La jeune femme lui attrapa la tête et la colla contre son sein.
— Tu es la fillette la plus adorable que je connaisse, dit-elle sans cesser de rire.
— Julia, protesta de nouveau Marcia.
La jeune femme la lâcha.
— Ne change jamais, Marcia, lui dit-elle plus sérieusement.
— Je ne vois pas pourquoi je changerais, se renfrogna Marcia.
— Tu as grandi.
— En mal ? s'inquiéta aussitôt la jeune fille.
— Oh, non, Marcia, certainement pas, la rassura très sincèrement Julia. Je suis très fière de toi.
— Moi aussi ! Et je t'adore. Tu te charges de tout alors ?
— Oui.
— Super !
Et Marcia disparut aussi vite qu'elle était apparue en disant qu'Atalante avait prévu un entraînement et que la grande rétiaire ne lui pardonnerait pas d'être en retard. Quelle qu'en fût l'excuse parce que Marcia lui avait promis d'être présente.
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Deux jours plus tard, les cinq jeunes femmes galopaient à travers la montagne. Julia avait parlé à sa sœur et toutes les deux avaient parlé à Zmyrina. Devant son silence, Gaïa lui avait affirmé qu'Aeshma avait retrouvé ses réflexes de cavalière dès qu'elle avait repris les rênes.
— Ça ne s'oublie pas. Et tu ne vas quand même pas te montrer plus pusillanime que ta sœur ? la provoqua Gaïa.
Julia aurait bien morigéné sa sœur, mais contre son attente, la déclaration de Gaïa raviva l'orgueil de Zmyrina. Elle accepta, mais sous condition de vérifier d'abord ce dont elle se souvenait. Gaïa s'enthousiasma, elle lui donna rendez-vous l'après-midi même à quelque distance de la villa.
— J'y conduirais une monture. Julia, tu choisiras ?
Zmyrina retrouva ses habitudes aussi bien que Gaïa le lui avait affirmé. Julia n'eut pas besoin de convaincre Gaïa à se joindre à elles. Sa jeune sœur adorait monter. Marcia avait suggéré des courses au dîner, Aeshma y assistait. L'esprit joueur de Gaïa fit le reste.
Aeshma marqua un temps d'arrêt quand elle vit Zmyrina dans l'écurie. Elle l'observa préparer le cheval. Une jument docile. Elle lui tendit les mains pour l'aider à monter. Elle positionna son pommelé derrière elle à leur départ. Elles s'éloignèrent d'abord au pas. Puis Julia accéléra l'allure. Peu après, Gaïa surprit un sourire flotter sur le visage de la jeune Parthe. Elles arrivèrent sur un plateau dépourvu d'arbres et Gaïa lança une course.
Elles rirent beaucoup, s'arrêtèrent près d'une rivière. Gaïa et Julia sortirent de leur fonte de quoi manger et des gourdes de posca. Elles se baignèrent. Marcia lança de l'eau sur tout le monde. Julia s'allia à elle contre les trois autres. Zmyrina se recula. Mal lui en prit, Marcia la prit à partie. Zmyrina bascula dans l'eau. Il y eut des éclaboussures, des cris. Une main secourable. Elle se retrouva nez à nez avec Aeshma. Un sourire timide et la jeune gladiatrice fut fauchée par une Marcia décidée à noyer son mentor. Plus facile à prévoir qu'à réussir. Marcia ne dût son salut qu'à l'attaque combinée des deux sœurs Metella.
Elles se retrouvèrent toutes sur la berge, essoufflées et affamées. Si la journée ensoleillée bénéficiait d'une température plutôt agréable pour la saison, l'eau était très froide et les jeunes femmes s'y étaient ébattues plus longtemps que de raison. Zmyrina claquaient des dents. Aeshma vint lui poser une paenula sur les épaules et lui frotta vigoureusement le dos.
— Tu vas prendre froid si tu ne te couvres pas, Choura.
— Merci. Tu ne t'habilles pas ?
Aeshma, toujours nue et dégoulinante d'eau, lui avait grimacé un sourire.
— J'ai l'habitude.
— On se baigne dans des rivières ou à l'eau du puits aussi bien en hiver qu'en été, se vanta Marcia.
— Mouais, maintenant ça va, mais quand tu as débarqué au ludus, tu ne faisais pas tant ta fière, déclara Aeshma.
— Parce que tu étais différente peut-être ?
— Oui.
— Sale vantarde ! l'accusa Marcia.
— Répète... la menaça Aeshma.
Marcia savait qu'elle plaisantait :
— Tu n'es qu'une sale vantarde.
— Elle n'a jamais été frileuse, intervint soudain Zmyrina. Elle marchait dans la neige pieds nus.
Tout le monde se retourna.
— Je m'en souviens, parce que j'ai voulu faire pareil un jour et que je me suis brûlé les pieds.
Aeshma ne releva pas l'aveu implicite de Zmyrina. Elle se félicita seulement de ce que la jeune femme venait de confirmer à son propos : qu'elle ne craignait pas le froid, qu'elle était dure et résistante. Et elle arbora une mine triomphante.
— Tu vois pourquoi, sale gamine arrogante, dit-elle à Marcia. Je n'ai jamais crié comme une orfraie parce que je me baignais dans de l'eau froide, même en hiver.
— Bon, d'accord, concéda Marcia. Mais je suis sûre que tu n'es pas si parfaite que cela.
— Évidemment et tu le sais très bien, se renfrogna Aeshma.
— ...
— J'ai peur de l'eau.
L'incroyable aveu de faiblesse laissa tout le monde pantois. Il rongeait Aeshma de l'intérieur et elle ne savait même pas trop pourquoi elle l'avait fait maintenant. Peut-être était-il devenu trop lourd à supporter. Gaïa se reprit la première.
— Ce n'est pas vrai, protesta-t-elle. Tu nages bien maintenant.
— J'ai peur quand même, s'assombrit Aeshma.
— Tu as nagé dans les vagues, Aeshma. En Cyrénaïque, tu n'as pas paniqué et c'était dangereux.
—J'ai eu peur sur la Stella Maris.
— Lors de la tempête ? demanda Julia.
— Oui.
— Aeshma, tout le monde avait peur, même le capitaine, tenta de la raisonner Julia.
— Mais je croyais que... que je l'avais définitivement vaincue et là... je n'ai pas su la surmonter.
— Tu racontes n'importe quoi ! rétorqua Marcia. Tu as sauvé Astarté. Sans ton intervention, elle serait passée par-dessus bord.
Aeshma la regarda.
— Tu sais que j'ai raison, reprit la jeune fille. Tu as peut-être eu peur, mais tu lui as sauvé la vie. Atalante m'a toujours dit qu'on ne devait pas avoir honte de sa peur et que le courage ce n'était pas de foncer tête baissée avec la confiance d'un imbécile. Que le vrai courage, c'était de vivre avec ses peurs, de les surmonter et de les combattre. Qu'on ne gagnait pas toujours contre elles, que c'étaient de redoutables adversaires. Et que parfois, il fallait accepter de perdre. Qu'on pouvait toujours demander de l'aide et apprendre à apprivoiser ses peurs, mais que ce n'était pas toujours facile.
— Atalante t'a dit ça ? se renfrogna Aeshma.
— Oui.
— Ça ne m'étonne pas d'elle.
— Tu lui donnes tort ?
— ...
— Tu parles à Aeshma, Marcia, intervint Gaïa.
Aeshma fit volte-face.
— Tu n'aimes pas te découvrir des faiblesses, dit Gaïa en se fendant d'une moue désolée.
— Tu n'aimes pas perdre, renchérit Marcia.
— Atalante non plus, se défendit la jeune Parthe.
— Oui, c'est vrai, reconnut Marcia. Mais elle se juge moins sévèrement que toi.
— Julia et moi savons nager depuis notre enfance, dit Gaïa. Quand la Stella Maris a plongé, je t'assure que j'ai eu la peur de ma vie. Et puis, si tu veux savoir, j'étais morte de peur quand je t'ai récupérée après avoir sauté de l'Artémisia. Tu as d'abord failli me noyer, ensuite, l'Artémisia a disparu et j'ai cru qu'on ne réussirait jamais à monter à bord du lembos. Et quand on a réussi, j'ai cru que tu allais mourir, que j'allais me retrouver seule sur ce fichu lembos et que même si tu survivais, tu me détesterais.
Aeshma resta figée. Zmyrina venait quant à elle d'apprendre beaucoup de choses dont elle aurait bien aimé connaître les tenants et les aboutissants.
— Mais... Vous avez vraiment eu si peur ? demanda Aeshma incrédule.
— Oui.
— Longtemps ?
— Quand j'ai vu que tu aimais mon poisson, je me suis dit que j'avais peut-être une chance de t'apprivoiser, plaisanta Gaïa.
— Vous êtes débile.
Exactement la réaction qu'attendait Gaïa. Elle se mit à rire.
— N'empêche que tu as aimé.
— C'était très bon, concéda Aeshma.
— Je suis bien d'accord avec toi. Et pour ta peur de l'eau, tu n'as rien à te reprocher, parce que tu t'es montrée courageuse et que tu as sauvé Astarté. Imagine, Aeshma. Sans toi, elle serait passée par-dessus bord et je n'aurais plus de garde du corps, conclut-elle sur un ton grandiloquent.
— Et moi, plus d'amie, rajouta Marcia facétieuse.
Aeshma lui lança un regard noir.
— Tu n'es pas mon amie, précisa Marcia.
— Encore heureux, maugréa Aeshma.
— Dîtes, quand vous aurez fini de noyer Aeshma sous les compliments et la reconnaissance, ça ne vous dirait pas de manger ? proposa Julia avec un sourire doux.
Tout le monde acquiesça énergiquement. Zmyrina se préparait à apporter les vivres, Julia et Gaïa dirent qu'elles s'en chargeaient.
— Tu claques encore des dents, lança Julia. Puisque ta sœur est si insensible au froid et si dévouée à la terre entière, elle pourrait peut-être un peu mieux s'occuper de toi, n'est-ce pas, Aeshma ?
— Ah, euh, oui, domina.
Julia poussait peut-être le bouchon un peu loin, mais elle aimait beaucoup Aeshma. Si quoi que ce fût pouvait concourir à la rendre heureuse, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que la jeune gladiatrice en profitât.
Marcia avait raison, Aeshma était plus abordable, moins sauvage et plus détendue quand elle chevauchait. Plus heureuse. Tout le monde en profita. Particulièrement Zmyrina et Gaïa. La première renoua avec son enfance, la seconde avec tous les moments heureux et sereins qu'elle avait pu partager avec la jeune Parthe.
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Julia renouvela l'invitation aussi souvent qu'elle put. Si ses fesses n'avaient pas protesté, elle aurait chevauché en compagnie de ces mêmes quatre cavalières tous les jours.
Marcia l'eût imitée si leurs obligations de gladiatrice n'avaient pas retenues certains jours elle et Aeshma à la villa. Si Julia, surtout, avait été tous les jours disponible, parce qu'Aeshma, Gaïa et Zmyrina avaient besoin de la présence de Julia et de Marcia. Julia leur apportait sa gentillesse et sa force, Marcia son humeur joyeuse et son impétuosité auxquelles personne ne résistait.
Au cours de leurs folles chevauchés, Zmyrina se gonfla l'âme et les poumons d'un incroyable sentiment de liberté. Elle s'en grisa jusqu'à plus soif. Elle renoua avec des sensations qu'elle n'avait pas éprouvées depuis dix ans. Aeshma s'y abandonna avec plus de fougue que trois ans auparavant, parce que depuis, Marcia avait sauté à pieds joints dans sa vie, parce qu'elle aimait les dominas et qu'elle n'avait rien à dissimuler à Abechoura. Sa jeune sœur n'avait pas retrouvé l'habilité de son enfance à cheval et bientôt Aeshma ne put s'empêcher de lui donner une multitude de conseils. Elle sollicita l'avis de Marcia qui sollicita elle-même l'avis de Julia. Marcia, Gaïa et Aeshma étaient d'excellentes cavalières, mais aucune ne maîtrisait aussi bien un cheval que Julia. Marcia apprit fièrement à Zmyrina que leurs chevaux avaient tous été dressés par la jeune femme.
— Je suis une très bonne cavalière, fit-elle. Mais Julia... D'ailleurs, j'ai essayé une fois de monter Bruna. Je n'ai pas essayé deux fois. Seule Julia peut la maîtriser. Le pire, c'est qu'elle ne la force en rien. Bruna est aussi rétive qu'une jument sauvage et dès que Julia approche, elle devient aussi docile qu'un vieil hongre.
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Trois semaines bénies, un peu moins. Zmyrina avait voulu oublier qu'Aeshma partirait. Elle s'était bercée d'un espoir vain. Un soir, Aeshma l'avait rudement rappelée à la réalité. Zmyrina ne l'avait jamais invitée, mais Aeshma avait fini par monter dans sa chambre. Elle venait le soir et apportait des fruits. En général, des pommes ou des tiges de rhubarbes sauvages. La première fois, Zmyrina resta sans voix, sans savoir quoi dire ni que faire.
— Je me souviens que tu aimais les fruits, dit Aeshma.
— ...
— Tu n'en veux pas ? se renfrogna aussitôt Aeshma.
— Si, si, j'aime beaucoup les fruits. Qu'est-ce que tu as apporté ?
— Des pommes et de la rhubarbe.
Zmyrina sourit.
— Tu aimes la rhubarbe, déclara Aeshma. Et celle-ci est très acide. Viens, on va la manger sur la terrasse.
Elles s'étaient assises épaule contre épaule et avaient grignoté leurs tiges de rhubarbes.
— En fait, ce n'est pas très bon, observa Abechoura.
— Ouais, mais je suis allée la ramasser dans la montagne. Ishtar en mangeait l'autre jour. Je lui ai demandé où elle en avait trouvé et nous sommes allées la ramasser ensemble.
— Tu y es allée pour moi ?
— Ouais, j'adore te voir grimacer quand tu manges ça.
Zmyrina avait ri. Heureuse.
Aeshma était revenue. Et puis, un soir, emportée par la douceur et la complicité du moment, envahie par une soudaine nostalgie, Abechoura avait laissé tomber sa tête sur l'épaule de sa grande sœur. Aeshma avait passé son bras par-dessus la sienne. La rhubarbe qu'avait apportée Aeshma était particulièrement acide. Abechoura grinça des dents. Aeshma sourit.
— Tu l'as fait exprès, grogna Abechoura.
— J'avoue.
— Shamiram...
Abechoura ignora la légère crispation de sa sœur, Aeshma n'aimait pas qu'elle l'appelât ainsi.
— Je veux passer tout le restant de ma vie avec toi, murmura-t-elle. Je ne veux plus que rien ne nous sépare jamais.
Abechoura comprit instantanément son erreur. Elle aurait voulu rattraper ses paroles, mais c'était trop tard. Aeshma s'écarta et elle se leva. Abechoura sauta sur ses pieds ; elle ne la laisserait pas partir sans un mot.
— Shami !
Aeshma se retourna brusquement.
— Mais tu es une vraie débile ! Dans une semaine, je serai partie, tu ne me reverras sans doute jamais, ce n'est pas la peine de te voiler la face, Abechoura. Marcia et Atalante t'ont sauvée pour moi, parce qu'elles ont considéré que tel était leur devoir et elles ont bien fait parce que c'était ce qu'il fallait faire, parce que ta vie, ce n'était pas une vie. La domina est quelqu'un de bien, tu pourras être heureuse, elle t'offrira une nouvelle vie comme elle en a offert une à Astarté. Je suis heureuse, Choura. Heureuse de t'avoir retrouvée, heureuse que ta vie de merde soit finie. Mais tu dois bien comprendre que ce qui est valable pour toi ne l'est pas pour moi. La domina ne peut pas m'acheter, Julia ne peut pas m'acheter, encore moins Marcia qui en signant un contrat d'auctorata est une esclave du ludus. Si j'étais une gladiatrice minable, on pourrait m'acheter, mais je serai déjà morte. Je ne suis pas minable, je vaux une fortune. Je rapporte des fortunes à mon laniste. Je suis sa propriété et il ne me vendra jamais, quel qu'il soit. Je ne sortirais du ludus qu'une fois estropiée ou morte. Et toi, tu n'y entreras jamais. Si tu te fais des délires sur une vie future avec moi, il faudrait que tu redescendes vite sur terre. Je m'en vais, Abechoura. Et je ne reviendrai jamais.
Aeshma avait tourné les talons et Abechoura l'avait haïe.
Le lendemain, elle avait demandé l'autorisation à Gaïa de repartir à Patara. Gaïa s'était étonnée d'une telle décision qu'elle ne comprenait pas.
— Elle va partir, expliqua Abechoura. Je veux partir avant elle. Cette fois-ci, c'est moi qui l'abandonne.
Désolée et impuissante à la consoler, Gaïa n'avait pas insisté. Abechoura n'avait dit au revoir ni à Marcia ni à Atalante, elle les détestait. Mais elle n'avait pas voulu partir sans revoir Saucia.
Quant à Gaïa, elle médita les paroles de Zmyrina pendant une semaine. Elle devait agir, mais elle hésitait par peur de briser la magie de leurs chevauchées.
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Atalante avait obtenu d'Astarté qu'elles passassent leur dernière nuit ensemble. Un consentement facilement accordé, sans condition, parce qu'Astarté aimait la grande rétiaire. Elle aurait pu passer sa dernière nuit avec Saucia, Ajax, Gallus, Galini qui l'admirait tant. Avec Britannia qui lui plaisait bien ou avec Boudicca, pourquoi pas avec Dacia, Enyo ou même la jeune Ishtar ? Elle aurait trouvé des raisons en chacun d'eux de supporter un peu mieux la séparation qui s'annonçait, la page qu'elle allait définitivement tourner, l'adieu à son statut de gladiatrice, de meliora, la perte de ses camarades. Mais elle éprouvait des sentiments plus profonds pour Atalante. La grande rétiaire l'émouvait et elle avait envie d'une nuit tendre au cours de laquelle elle pourrait en confiance s'abandonner à la mélancolie, à la tristesse et peut-être aussi à un peu plus que cela. Elle voulait aussi garder le souvenir d'un dernier matin. D'un dernier réveil, enlacée au corps d'Atalante. Sentir ses mains et son souffle caresser lentement sa peau. Surprendre une dernière fois son expression quand elle se réveillerait et qu'elle croiserait le regard malicieux d'Astarté.
Gaïa prit sa décision au cours de la dernière veillée. Elle ne demanderait pas son avis à Aeshma. Elle coincerait la jeune gladiatrice et elle tenterait sa chance. Elle ne voulait pas la laisser partir sans avoir partagé une dernière nuit avec elle. Cela faisait trois mois. Trois mois qu'elle vivait à ses côtés et qu'Aeshma l'ignorait. Elle ne l'ignorait pas vraiment, mais ce n'était pas mieux. Gaïa aspirait à retrouver ce qu'elles avaient partagé sur l'Artémisia. Une nuit à Rome n'avait pas étanché sa soif d'intimité et de sensualité.
Une autre personne avait aussi choisi cette même nuit pour retrouver celui qu'elle aimait et qu'elle fuyait depuis deux mois. Elle avait menti et elle avait tenu son rôle de femme sûre d'elle-même et sereine de peur qu'on découvrît ses failles et ses abîmes. Punir Silus n'avait rien effacé. Elle avait toujours aussi peur. Beaucoup moins depuis trois semaines, mais peur quand même. Elle devait affronter cette peur. La dépasser. Oublier Silus.
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