Chapitre CXX : Victoire !


Sabina grimaça, Ajax la sentit partir en avant, l'entendit râler. Il lui crocheta le bras et l'emporta avec lui.

— Ils attaquent ! prévint un soldat. Ils...

Une flèche lui entra dans la bouche, ses yeux s'écarquillèrent d'horreur un bref instant. Un déchirement et il n'était plus. Enyo et Publius Buteo poussaient Sabina et Ajax devant eux. La jeune thrace avait vu la flèche atteindre la meliora et elle pria pour qu'il ne lui arrivât pas la même mésaventure. Devant elle, deux soldats tombèrent transpercés. L'un brandissait un pilum quand la flèche l'avait frappé. L'arme eût traversée l'un des deux meliores. Ils courraient encore. Les tirs des dominas n'étaient pas si inutiles. Un troisième tomba. Ils étaient même très utiles. Elle déboucha sous le péristyle qui entourait un vaste jardin. Tibalt la dépassa, Celer rejoignit son centurion. Elle s'immobilisa un bref instant.

— Je suis avec toi, lui souffla soudain Ishtar dans l'oreille.

— Enyo ! Les thraces au complet ! cria Gallus.

— Combat ! lança Enyo aussitôt.

Celtine et Dacia s'étaient ré-appairées aussi. Boudicca se retrouva seule. Elle fonça dans le tas. On ne voyait pas grand-chose, elle fit un brusque bond en arrière. La lance qu'elle avait pressentie plus qu'elle ne l'avait vue lui entailla l'abdomen. Elle avança, fit sauter son glaive dans sa main gauche, posa la main droite sur la hampe de la lance, effectua un demi-tour sur elle-même et partit en avant, le bras droit tendu. Le soldat tenait fermement la lance en main, le mouvement de la jeune gladiatrice l'emporta, il tomba tête en avant, roula sur lui-même et se releva. Il avait lâché sa lance dans sa chute. Pas Boudicca. Elle lui enfonça d'un coup dans le thorax, repassa son glaive dans sa main droite et repartit au combat.

— Attends-moi, Boudicca.

Ajax. 

Les deux secutors s'appairèrent.


***


Quand Bruna et Tempestas investirent le jardin. Le combat était fini. Presque. Enyo et Ishtar bataillaient contre trois hommes. Les deux sœurs bandèrent leurs arcs dans un ensemble parfait.

— Droite, annonça Julia.

Gaïa prit celui de gauche.

Enyo tua celui du milieu, Ishtar acheva l'homme qui lui faisait face. Les dominas rataient rarement leurs cibles, mais leur tirs n'étaient pas toujours mortels. Heureusement pour Sabina. L'hoplomaque, soutenue par Gallus, s'était assise sur un banc de pierre. Enyo avait vu la meliora flancher et elle avait envoyé Gallus lui porter secours. Aeshma avait dit que personne ne devait mourir. Enyo savait qu'elle parlait des gens de la villa, mais la jeune gladiatrice avait étendu sa protection à tout le monde. Elle n'avait pas envie de perdre un camarade. Britannia était sur le carreau, sans qu'elle sût si elle était morte ou blessée et ils n'avaient pas encore retrouvé les quatre gladiateurs infiltrés : Germanus, Marcia, Galini et Aeshma. Sa meliora. Elle ne laisserait pas Sabina sans soutien.

— Domina ? On va où maintenant ? demanda Astarté d'une voix pressante.

Julia se laissa glisser à terre. Gaïa l'imita.

— Suivez-moi, déclara Julia.

Atalante la retint par l'épaule.

— Domina, vous ne partez pas en avant.

Julia se retourna. Furieuse.

— D'accord, domina, concéda la grande rétiaire. Mais derrière moi. Vous me tenez l'épaule. Gaïa, faites pareil avec Astarté.

Elle s'attendait à des protestations, mais rien ne vint.

— Il y a plusieurs accès à partir de là, dit simplement Julia.

— On se sépare ? proposa Atalante à Astarté.

La Dace aux larges épaules inspecta le jardin. Publius et l'un de ses prétoriens tenaient des soldats blessés et des serviteurs appartenant à Aulus Flavius en respect. Sentant le vent tourner, ils s'étaient jetés à genoux, le front contre terre. Un homme montra son nez. Publius le menaça. L'homme leva les mains au-dessus de sa tête et s'avança. Héllènis suivait derrière.

— Nous servons Julia Metella, dit-elle.

— C'est vrai, je connais cette femme, c'est la mère de Serena, confirma Gallus.

Héllènis se tourna vers le jeune gladiateur pour le remercier.

— Ta camarade est blessée ? lui demanda-t-elle en désignant Sabina.

— Mmm.

— Je croyais en avoir fini et les dominas me tirent dessus, je suis maudite, se plaignit Sabina.

— Vous avez d'autres blessés ?

— Dans la cour, oui, mais Serena s'en occupe avec Pagona. Et là, je ne sais pas, répondit le jeune thrace.

— Boudicca est blessée, annonça Ajax.

— Non, c'est juste une éraflure, protesta la jeune Silure.

— Je ne crois pas qu'Aeshma appellerait ça une éraflure, rétorqua le melior.

L'évocation d'Aeshma suffit à Boudicca pour la raisonner.

— Tu as été courageuse, Boudicca, reste avec Sabina, lui dit Ajax.

— Je vais m'occuper de toi, lui dit Héllènis.

— Maudite, je suis maudite, marmonna Sabina.

— De toi aussi, lui répondit Héllènis.

— Enlève-moi cette flèche et je serai la plus heureuse des femmes.

— J'attendrai Serena pour ça.

— J'en étais sûre, soupira l'hoplomaque. Je suis maudite.

.

Astarté hocha la tête à l'intention d'Atalante. Elle était d'accord pour qu'elles se séparassent.

— Domina, je vous suis, déclara-t-elle à Gaïa. Les bestiaire, avec moi, Enyo, tu pars, avec Tidutanus pour retrouver le dominus. Gallus, Ishtar, amenez-vous.

— Domina, déclara Atalante à Julia. Je reste avec vous. Ajax, Caïus, Ursus, Corvinus, vous venez avec moi.

— Je pars seule avec Tidutanus ? demanda Enyo.

— Vous vous en sortirez.

— On va avec vous, déclara Tibalt en rameutant Dolon et ses deux fils. On ne vous vaut pas au combat, mais on se débrouille.

— D'accord, ça me va, sourit Enyo.

— Tidutanus ? l'interpella Atalante.

— Je suis Enyo, répondit-il avant que la grande rétiaire ne s'embarrassât à le lui demander. Elle m'a déjà sauvé la vie, je lui fais confiance.

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Deux escaliers menaient à l'étage. L'un partait du quartier des domestiques et l'autre se trouvait près de l'accès aux bains. Julia opta pour celui du quartier des domestiques. Gaïa guida Astarté et ses camarades à travers la maison. Elle traversa l'atrium en tête, mais quand elle mit le premier pied sur la première marche de l'escalier, Astarté la retint, comme Atalante de son côté retenait aussi Julia, avec gentillesse et fermeté.

La villa était grande, même les quartiers privés.

Un combat faisait rage quelque part au-dessus de leurs têtes.

— C'est là-bas, souffla Gaïa oppressée en atteignant l'étage.

Astarté résista à la tentation de se presser. Elle avança prudemment, il y avait beaucoup de portes closes ou ouvertes, des pièges potentiels. Elle échappa ainsi au sort qui avait échu à Marcia. Deux hommes surgirent brusquement par une porte ouverte. Ils se jetèrent sur la grande Dace sans même l'avoir vue. Elle embrocha le premier. Dacia se chargea du second. Il leur avait suffi d'un battement de cœur. Gaïa resta un moment pétrifiée par la surprise et la rapidité à laquelle les deux gladiatrices avaient réagi.

Des bruits de pas alertèrent Astarté. Une lampe brillait dans le couloir. Les nouveaux arrivants étaient nombreux. Aeshma. Des cliquetis d'armes et des ahanements furieux parvenaient de la pièce par où les deux hommes étaient sortis.

— On y va, annonça Astarté. Domina, ce n'est pas votre combat. Vous restez avec Ishtar. Et toi, dit-elle à la jeune fille sur ton dangereusement menaçant. S'il lui arrive la moindre chose, je te saigne comme j'ai saigné Téos. Il a mis des heures à mourir.

Ishtar sentit de désagréables frissons de peur lui chatouiller l'échine. Astarté claqua des doigts, Dacia, Celtine et Gallus se placèrent derrière elle et ils entrèrent dans les appartements de Gaïa comme s'ils s'engageaient sur le sable d'un amphithéâtre.

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Atalante repéra la première le corps étrangement recroquevillé contre le mur. Ursus bougea et la lumière de la petite lampe à huile qui brûlait en haut de l'escalier éclaira faiblement une chevelure. Des éclats d'or brillèrent. Atalante ouvrit la bouche. Son cœur cessa de battre et son estomac se contracta tant qu'elle faillit se plier en deux. Deux pas et elle tomba un genou en terre.

— Marcia,souffla-t-elle.

— Caïus, lumière, pressa Ajax.

Le jeune auctoratus se précipita et revint aussitôt une petite lampe à huile à la main. Il la passa à Ajax qui tendait une main impatiente. Julia s'agenouilla auprès d'Atalante. Elle en oublia un instant Gaïus.

— Marcia, Marcia, répétait-elle à voix basse.

Elle avait oublié que la jeune fille était gladiatrice, qu'elle risquait sa vie comme les autres et qu'elle l'aimait. Que Marcia faisait partie intégrante de sa vie. Dans quoi l'avait-elle entraînée ? Elle respirait avec difficulté.

— Atalante, coassa-t-elle.

— Elle est vivante, elle respire, je ne crois pas qu'elle ait reçu un coup d'épée, elle saigne de la tête et à priori, elle a la mâchoire décrochée. Aidez-moi à la coucher.

Atalante fut prise d'une brusque inspiration.

— Restez avec elle, domina. Surveillez-la. Corvinus, Ursus, vous montez la garde.

— Mais... tenta de protester Julia.

— Je vous ramène votre fils.

Julia inspira profondément.

— D'accord, sois prudente, Atalante, et...

— Domina ?

— Tue tout le monde. Tue-les tous.

Atalante n'aima ni le ton ni les paroles de la jeune femme. Julia n'était pas Aeshma. Julia n'était pas comme elle non plus. Atalante était calme et posée, mais parfois elle savait qu'elle perdait toute mesure, qu'elle se transformait en bête furieuse ou en tueuse sans scrupule.

La violence et la brutalité n'étaient pas inhérentes à sa personnalité, elles étaient inhérente à sa vie. Elles étaient nées sur les cendres de son innocence, sur les braises de ses souffrances et de la violence à laquelle elle n'aurait pas pu survivre sans l'embrasser. Atalante était gladiatrice, mais Julia ? Le regard de la jeune Syrienne s'assombrit, une colère froide tomba sur ses épaules.

Elle se releva en posant une main amicale et affectueuse sur cette femme qui avait traversé bien des épreuves et qui, pourtant, avait su rester humaine et attentionnée. Qui avait prononcé des paroles de haine qu'elle n'aurait jamais dû être conduite à prononcer.

Atalante allait très exactement suivre son injonction et elle appellerait tout le sang de ses victimes à rejaillir sur elle. Elle en avait marre que les gens qu'elle aimait servent de défouloir à un dépravé. Aeshma, Astarté, Marcia, Gaïa, Julia, le petit Gaïus, le dominus qui lui avait semblé être un homme bon, Zmyrina, Serena, tout le monde. Elle allait tous les débarrasser des taons qui leur pourrissaient la vie. Zmyrina n'avait jamais attiré l'attention d'Aulus Flavius, mais elle était la sœur d'Aeshma, la jeune femme avait souffert, elle souffrait encore, elle avait honte d'être ce qu'elle était, on lui avait volé son innocence et sa famille. Si Aulus l'avait connue, il ne l'aurait pas traitée autrement qu'elle l'avait été par les pillards ou l'horrible tenancière qui l'avait élevée. Merde ! Comment pouvait-on ainsi se targuer d'éduquer un enfant. Julia Metella pouvait élever un enfant, mais toutes ces espèces de... De elle ne savait quoi, de chiens. Ces espèces de chiens.

Astarté arriva d'un côté, Atalante de l'autre. Un rocher et un ouragan.


***


Germanus protégeait les arrières d'Aeshma, mais il ne tiendrait pas longtemps. Aeshma avait fait le vide, elle allait se retourner pour soutenir son camarade qu'elle sentait peser dans son dos, quand il déboucha sur la terrasse. L'homme qu'elle avait promis à Julia Metella. Un même rictus animal déforma les traits de la jeune Parthe et du centurion.

— Tuez-moi ces rebuts de l'humanité, cria Silus à ses hommes.

Il n'avait pas trouvé l'enfant, il avait cru qu'il était parti se réfugier sur la terrasse et à sa place, il trouvait la Gladiatrice bleue en train de massacrer ses hommes.

Germanus entendit Aeshma feuler. Pas crier ou rugir. Feuler. Et soudain, elle disparut. Il se retrouva seul. Irrémédiablement seul. Il jeta toutes ses forces en avant. Les dernières, les ultimes qui lui restaient. Il ne partirait pas seul. Un combat aveugle. Et puis la mort. Son glaive lui échappa, son poignard pendait inutile au bout de son bras gauche. Il s'affaissa.

Dans des bras solides.

Sa joue se posa sur une poitrine rebondie, il sentait les muscles des pectoraux derrière, mais elle était là.

— Sabina, murmura-t-il déjà inconscient.

Il ferma les yeux. Il avait été chanceux, il mourrait dans ses bras, contre son cœur.

— Germanus ! l'invectiva une voix dure.

Ah, non, les dieux s'étaient moqués, mais ils se montraient tout de même généreux. Astarté alliait douceur et énergie, force et loyauté, amitié et sensualité. Il l'aimait beaucoup. Il aimait tout le monde en fin de compte.

— Je suis content quand même, marmonna-t-il. Je t'aime bien, Astarté.

— Gallus, appela Astarté.

Elle donna l'hoplomaque au jeune Gaulois et se lança dans la bataille. Aeshma se battait au corps à corps contre un homme, le sale type. Enfin, l'un des deux. Ils s'envoyaient dans un sens et dans un autre. Qu'est-ce que la Parthe avait fait de ses armes ?

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Atalante balaya les soldats de Claudius Silus. Ils fuirent devant elle, contournèrent les deux lutteurs et se heurtèrent durement à Astarté.

Atalante et Astarté virent les pieds d'Aeshma décoller. Un coup à l'estomac. Mais la Parthe se tenait fermement à Silus. Elle décolla une nouvelle fois. Mais quand elle reposa les pieds par terre, elle descendit sur ses appuis et utilisa toute la puissance de ses cuisses pour pousser le centurion en arrière. Les deux lutteurs heurtèrent la balustrade. Atalante et Astarté poussèrent un cri et tendirent une main. Elles se refermèrent sur le vide. L'homme avait basculé, Aeshma avait démultiplié leur élan et ils ne s'étaient pas lâchés.

— Combat ! cria Astarté.

Vingt secondes plus tard, les gladiateurs s'étaient définitivement rendus maîtres du balcon. Caïus n'avait même pas eu à se servir de son glaive, Ajax non plus. Atalante avait massacré tout ce qui se trouvait sur son chemin. Les fuyards avaient péri sous les coups de Dacia, Celtine et Astarté.

Les trois meliores, Caïus et les deux bestiaires  se penchèrent alors par-dessus la balustrade.

Aeshma râlait allongée sur le dos. L'impact lui avait coupé le souffle. Elle cherchait de l'air comme un poisson hors de l'eau. Silus, à quatre pattes, récupérait, le visage en sang. Il se releva enfin. Une pierre à la main.

— Aeshma ! cria Atalante.

Astarté n'eut pas le temps de réagir, la grande rétiaire avait déjà sauté par-dessus la balustrade.

— Merde, Atalante ! Non !

La jeune Syrienne, toucha terre, roula aussitôt sur une épaule, Silus l'attendait. Il utilisa la pierre qu'il tenait en main pour lui fracasser la tête. Elle l'avait vu venir, mais Silus était un combattant expérimenté et Atalante s'était montrée imprudente. Elle tomba sur le côté. Le centurion la frappa au ventre, leva la main, cette fois, il allait lui briser le crâne comme une coquille de noix. Astarté lança son glaive. Pas pour tuer, par réflexe, pour sauver sa camarade. L'arme atteignit Silus à la tête. Le plat de la lame. Plus de mal et de contrariété que de dommage.

Il avait reconnu Atalante. Il allait la tuer, ensuite il s'occuperait de la Gladiatrice Bleue et il s'évanouirait dans la nuit. Si d'autres gladiateurs sautaient, il les tuerait les uns après les autres. Il était Claudius Numicius Silus, personne ne l'arrêterait.

Un boulet d'onagre le percuta. Et Silus apprit la leçon qu'Aeshma ne négligeait jamais de donner à Astarté quand la grande Dace n'était pas assez vive. Quand elle se faisait coincer alors qu'elles luttaient ensemble. Le centurion hurla. Aeshma venait de lui briser un coude. Elle le frappa à la tempe, il s'aplatit par terre, l'empoigna par les cheveux, la jeta sur le dos et lui grimpa dessus malgré la douleur. Douleur qu'il n'avait pas fini de ressentir. Les doigts de la gladiatrice se refermèrent sur son entre-jambe. La poigne et la torsion qu'elle y imprima, lui donnèrent la nausée. Il chercha à se dégager, elle lança la tête et lui brisa le nez. La gladiatrice inversa leur position et se retrouva, il ne savait comment à cheval sur lui. Elle lui décrocha la mâchoire d'un furieux coup de coude, appuya sur le bras brisé. Silus devint mou, incapable de bouger, de gérer la souffrance. Il avait dû s'abîmer un genou en tombant du balcon, il n'avait plus de force. La gladiatrice haletait au-dessus de lui. Si seulement... Elle arrivait elle aussi aux limites de sa résistance. Il pouvait peut être... Mais une main se referma sur sa trachée artère et brisa ses velléités de victoire. Il grogna, râla, son esprit s'embruma, il avait perdu. Il s'était fait battre par une esclave, une réprouvée, une pute. La rage impuissante l'étouffait autant que la main dure refermée sur sa gorge.

Aeshma attendit. Elle ne voulait courir aucun risque. Quand elle fut sûre que Silus ne se battrait plus, elle desserra ses doigts et resta sans bouger. Incapable d'aller voir si Atalante allait bien. Astarté l'appelait du balcon. Aeshma ne bougea pas.

— Les bestiaires, allez leur porter secours. Caïus, suis-les aussi. Grouillez-vous ! ordonna Astarté.

Une voix dure et inquiète l'interpella soudain :

— Astarté, où est Gaïus ?

Gaïa.

Astarté jura. Elle n'en savait rien.

.

Le silence tomba soudain sur l'étage. Julia passa une main sur le front de Marcia.

— Veillez sur elle, dit-elle aux deux gardes. Je prends la lampe.

Elle aimait Marcia, mais elle ne pouvait pas grand-chose pour la jeune fille et quelqu'un avait terriblement besoin d'elle.

L'appartement de Gaïa ressemblait à un champ de bataille. La porte d'entrée était brisée, celle qui donnait sur la chambre aussi. Des meubles avaient été renversés, des hommes gisaient dans des mares de sang. Elle entra dans la chambre et se précipita sur Galini étendue par terre. Elle respirait toujours, mais le bas de sa tunique était imbibée de sang. Elle ouvrait déjà la bouche pour appeler à l'aide quand ses yeux se posèrent sur elle. Sur celle dont dépendait une part de sa vie, une part de son cœur.

Routh.

La jeune fille était allongée sur le lit. Dormait-elle ? Était-elle morte ? Où était Gaïus ?

— Gaïus ? appela-t-elle.

Pas de réponse.

Atalante avait dit... Elle entendit Astarté donner des ordres sur le balcon, la voix de Gaïa. Sa question. Le silence qui avait suivi. Julia sortit à pas lent.

— Atalante ?

Les gladiateurs se retournèrent.

— Galini est blessée, elle est inconsciente et elle perd beaucoup de sang, dit Julia d'une voix blanche.

Ses yeux allaient d'un gladiateur à un autre. Elle ne trouva pas Atalante. Ils s'arrêtèrent sur Gaïa.

— Où es Atalante ?

— En bas, répondit Gaïa.

— Et Aeshma ?

— En bas aussi.

Julia sentit son estomac se contracter. Elle s'obligea à ne pas bouger. Elle ferma un bref instant les yeux. Aeshma n'était pas là et Gaïus n'avait pas été retrouvé.

— Julia ! Julia !

Quintus déboula en courant sur le balcon. Enyo suivait derrière, souriante. Elle n'avait pas eu à se battre pour délivrer le dominus. Elle n'avait rencontré personne. Elle avait ouvert la porte, s'était annoncé comme une gladiatrice au service de Julia et Gaïa Metella. Le dominus avait demandé où était sa femme, Enyo avait répondu qu'elle était montée libérer son fils. Il avait voulu la rejoindre. Tidutanus et la jeune Sarmate avaient ouvert le chemin. En arrivant, il avait vu que la bataille était finie. Tidutanus s'était arrêté pour Marcia, Corvinus l'avait plus ou moins rassuré et puis, il s'était arrêté pour Galini. Enyo avait continué seule sur le balcon.

Ils avaient remporté la bataille. Mais... Son sourire s'effaça.

Quintus se jeta sur sa femme et la serra dans ses bras, il était si heureux. Elle resta roide, il se recula aussitôt.

— Où est...

— Il n'est pas là, n'est-ce pas ? demanda Julia à Astarté comme si Quintus n'avait pas existé. Routh est à côté inconsciente et Gaïus n'est pas avec elle.

Que lui dire, pensa Astarté ? Qu'est-ce qu'il fallait qu'elle fasse ? Elle n'avait pas vu l'enfant, Atalante était arrivée sans lui, il n'était pas avec Aeshma et Germanus, pas dans les appartements qu'elles avaient traversés, pas sur le balcon, alors où ?

— Où es Aulus Flavius ? demanda Julia d'une voix blanche.

Le silence lui répondit.

Tout recommençait. Julia tourna les talons.

— Julia ! s'écria soudain Gaïa en secouant la gangue de terreur qui l'avait prise. Julia, attends !

Les gladiateurs la laissèrent passer, Astarté lui emboîta le pas.

— Occupe-toi de tout le monde, Ajax.

Enyo cherchait Aeshma des yeux.

— Elle est en bas, lui souffla Ajax.

— En bas ?

— Ouais.

— Elle est...

— Non.

— Je peux y aller ? demanda Enyo au melior.

— Non, reste ici, on va avoir besoin de toi. Dacia, Celtine et Caïus sont descendus.

Enyo se pencha.

— Pas possible, Ajax, protesta Enyo. La maison est sous notre contrôle, je t'envoie de l'aide, mais moi, je descends.

— D'accord, vas-y, accepta le melior.

Avant qu'elle disparût, il la rappela.

— Enyo ?

— Quoi ?

— Tu as été géniale. Toi et ton équipe, vous avez été géniales.

— Ouais, mais ça, je veux l'entendre de la voix d'Aeshma, rétorqua la jeune thrace.

.

— Julia, Julia !

Gaïa rattrapa son aînée dans la chambre. Elle la retourna brusquement.

— Julia, où vas-tu ?

— Chercher Aulus Flavius.

— Mais tu ne sais pas s'il a emmené Gaïus.

— Je m'en fous, Gaïa ! vociféra soudain Julia. Je vais le tuer de mes propres mains, je le trouverai même si je dois encore une fois incendier Rome pour le trouver !

— Julia...

— Tu parlais de vengeance, Gaïa. Depuis des années, tu ne parles que de vengeance, siffla Julia. Aulus Flavius était sur ta liste, c'est le moment d'assouvir ta vengeance. Viens avec moi maintenant, ou honore dès à présent ma mémoire.

— Mais...

— Reste ici, Gaïa, je ne t'en voudrais pas, mais... Laisse-moi ! hurla Julia.

— Domina, dit une petite voix. Domina...

Julia s'était lancée dans une longue diatribe haineuse.

— Domina, répéta la voix juste à côté d'elle.

— Tais-toi ! hurla Julia en reconnaissant Pagona. Je ne veux plus te voir ! Tu m'as trahie, c'est à cause de toi, de Routh, disparais avant que je ne vous égorge tous.

— Julia... tenta de la calmer Gaïa.

— Domina, tenta faiblement Pagona déstabilisée par la violence d'une femme qu'elle avait toujours connue posée et maîtresse de ses émotions.

Astarté fronça les sourcils. L'inconnue détenait une information importante, Julia Metella avait perdu tout sens des réalités et ne l'écoutait pas, Gaïa Metella semblait dépassée par la violence verbale de sa sœur et cherchait vainement une manière de la calmer. Elle revint à sa première observation. L'inconnue. La domina devait écouter l'inconnue.

Bon.

La gifle claqua. Violemment. Pagona et Gaïa restèrent saisies de surprise. Julia avait accusé le coup, elle se redressa et fit face à Astarté. Sa main partit. Astarté lui attrapa le poignet et le maintint là où elle l'avait arrêté.

— Je crois que vous devriez écouter ce qu'on essaie de vous dire, domina.

— Astarté, siffla Julia.

— Domina, Gaïus joue à cache-cache, dit précipitamment Pagona.

— Quoi ?!

— Routh, c'est Routh qui lui a dit de partir se cacher.

Julia regarda Astarté. La Dace aux yeux dorés lui lâcha le poignet. Julia se précipita sur Routh toujours allongée sur le lit.

— Routh, Routh, l'appela Julia.

— Domina, sourit faiblement la jeune fille. Vous avez trouvé Gaïus ?

— Non.

— Je lui ai dit de se cacher, domina. Il ne sortira que s'il connaît la personne qui l'appelle.

— Mais comment... ?

Comment Gaïus avait-il pu sortir, passer inaperçu ?

.

Gaïus avait profité d'une fenêtre très étroite. Pagona avait barré la porte et ils s'étaient cachés. Enfin, cachés, ils s'étaient simplement allongés sous le lit. Les soldats avaient défoncé la porte, trois femmes et un homme étaient rentrés ensuite. Ils avaient combattu les soldats. Pagona avait reconnu Marcia, mais elle avait tellement peur qu'elle ne lui avait pas signalé sa présence. Et puis, une jeune fille avait été blessée, Marcia aussi. Tout le monde avait disparu, sauf la jeune fille blessée qui s'était allongée sur un divan.

— Maintenant, avait soufflé Routh à l'oreille de Gaïus. Sans te faire voir par personne

L'enfant s'était serré contre elle.

— Bubo, c'est maintenant. Si tu veux revoir ta mère et ton père, c'est maintenant. Sinon les méchants vont t'emmener et tu ne les reverras jamais.

— Et toi ? s'était inquiété l'enfant.

— J'irai me cacher après, à deux, c'est trop facile de nous trouver. N'oublie pas, Bubo, personne ne te trouve sauf...

— Toi, maman, papa, Pagona et Tovias. Serena, Méléna, Héllènis et Hanneh.

— Oui. Allez, va.

L'enfant avait rampé. Routh avait cru qu'on lui arrachait le cœur. Tout dépendait de lui seul maintenant. Deux ans... Il ne marchait même pas toujours bien droit. La domina ne lui pardonnerait jamais. Mais que faire d'autre ? Ils les trouveraient s'ils restaient ici.

Silus l'avait trouvée. Il l'avait battue pour savoir où était l'enfant. Elle ne savait même pas pourquoi il ne l'avait pas tuée. Les cris qu'on entendait dehors. Peut-être avait-il pensé que les libérateurs avaient récupéré Gaïus.

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Julia hésitait à libérer sa joie. À espérer. Un enfant perdu au milieu du chaos.

— Galini ne l'a pas vu, dit tout à coup Astarté. Si elle l'avait vu, elle aurait prévenu les autres.

— Elle était blessée, dit Julia.

— Mais elle était consciente, domina. N'est-ce pas ?

— Oui, ce sont les soldats qui l'ont frappée et jetée à terre, répondit Routh.

— Mmm, elle n'a pas vu votre fils, domina. Et Galini n'est pas une imbécile.

Sauf quand elle se fait avoir, pensa amèrement Astarté, qui s'était mordu les lèvres en découvrant la jeune fille inconsciente dans une mare de sang.

— S'il a trompé Galini, continua Astarté. Il a passé les autres aussi.

— Pagona, souffla Julia.

La jeune femme se leva.

— Allons chercher Tovias, dit-elle.

— Quintus ! cria Julia.

Le jurisconsulte accourut, Julia lui expliqua. Ils quittèrent tous les trois la pièce.

— Ajax ! Gallus ! les appela Astarté. Vous suivez Julia Metella. Ne la quittez pas d'une semelle, même si elle vous insulte ou qu'elle vous tape dessus.

Les deux gladiateurs se lancèrent sur les traces de Julia. Astarté fit face à Gaïa.

— On peut leur faire confiance, domina.

— Je te fais confiance, Astarté.

Gaïa soupira pour se détendre et réfléchir. Il y avait encore tellement à faire. Trouver Gaïus. Elle ferma les yeux. S'occuper des blessés. Elle évita de les lister, il y avait un nom parmi eux qu'elle ne voulait pas entendre. Se débarrasser des éléments hostiles et étrangers. Tous les tuer. S'assurer qu'Aulus Flavius et Claudius Silus étaient parmi eux. Eux, il ne fallait pas les tuer tout de suite. Rassurer les habitants du Grand Domaine. Une pensée pour Aeshma. Préparer à manger.

.

Ce fut Hanneh qui retrouva le petit Gaïus. La cuisinière vivait au Grand Domaine, elle connaissait des caches insoupçonnées, elle n'avait pas souvent eu le temps de jouer avec l'enfant, mais il lui avait parlé de ses interminables parties de cache-cache avec Pagona, Routh et Tovias. Il n'était pas très doué, il se faisait toujours prendre. En général, parce que comme tous les enfants, il pensait que s'il ne voyait personne, personne ne le voyait. Alors Hanneh avait pris le temps de lui montrer des endroits où ses compagnons de jeu auraient beaucoup de mal à le trouver et où surtout, il ne le verrait que quand il l'aurait réellement trouvé, pas parce que ses fesses ou son dos dépassaient de sa cachette. Les caches étaient disséminées dans différentes parties de la villa car Gaïus jouait souvent dans un lieu délimité. S'il jouait dans le jardin, il n'avait pas le droit d'en sortir. Pareil pour l'atrium. Hanneh lui avait aussi suggéré des endroits où il n'aurait jamais à se cacher parce qu'ils se trouvaient en dehors de ses aires de jeux. Elle les lui avait montrés au hasard de leurs déambulations, elle voulait simplement lui apprendre ce qui constituait une bonne cachette et pourquoi. Hanneh avait eu des enfants, ils étaient grands maintenant et elle prenait plaisir à passer du temps avec le petit dominus ou les enfants qui traînaient auprès d'elle quand elle travaillait dehors ou qu'elle se rendait au potager.

Gaïus avait compris que cette fois, il ne jouait pas. Que c'était sérieux. Qu'il ne fallait pas qu'on le trouve. La villa était pleine d'étrangers, d'hommes et de femmes en armes qu'ils ne connaissaient pas. Il entendit des voix qu'il connaissait, mais Routh avait nommé neuf personnes et seulement neuf. Il aimait beaucoup la jeune fille et il ne lui désobéissait jamais. Elle ne le mettait jamais en garde inutilement et Gaïus avait senti sa peur dans la chambre. Il avait envie de pleurer, il fermait ses yeux pour empêcher ses larmes de couler. Quand on se cachait, il fallait rester silencieux.

— Bubo ?

L'enfant se recroquevilla sur lui-même. Hanneh avait vérifié plusieurs caches secrètes. Les plus accessibles à l'enfant. Celles qu'elle pensait les plus accessibles à l'enfant. Son cœur bondissait d'appréhension à chaque fois. Se tordait d'angoisse à chaque échec. Elle perdait peu à peu espoir. Elle s'était rendue dans le jardin. On y avait apporté des torches. Les blessés avaient été regroupés sous le péristyle. Les gens de la villa s'activaient, ils avaient confectionné des matelas avec des couvertures, apporté des braseros. Serena était penchée sur une jeune fille qui devait être presque aussi jeune que la petite bergère qui n'en était pas une. Héllènis et Méléna calmaient les esprits, donnaient des ordres, s'empressaient de répondre aux sollicitations de Serena, distribuaient à boire et à manger. Elles avaient regroupé ceux qu'aucune tache n'appelait et les avaient enjoints à rester calme et à attendre les ordres de la domina. Ils ne parlaient pas et regardaient ceux qui s'activaient sans bien comprendre ce qui avait pu se passer. Comment Gaïus aurait-il pu se faufiler jusqu'ici ? Il y avait eu des combats. Le jardin n'avait jamais été tranquille.

C'était sans espoir qu'elle s'était rendue au grand salon. Publius Buteo y avait poussé les gens d'Aulus Flavius, les rares soldats encore en vie, même les blessés. Il se moquait qu'ils pussent mourir, il ne les mêlerait pas aux siens. Prétoriens, gladiateurs, hommes de Tidutanus, c'étaient tous les siens, pas ces hommes. Il l'avait regardée entrer en fronçant les sourcils, puis avait détourné le regard.

Il avait entendu le surnom de l'enfant qu'ils étaient venus sauver des mains du procurateur félon. Et quand il s'était retourné, l'enfant était blotti dans les bras de la femme. D'où l'avait-elle sorti ? Comment ce gamin avait-il pu arriver ici sans que personne ne le remarquât ? C'était impossible à moins que l'enfant n'eût porté le casque de Pluton et qu'il ne fût le fils de Jupiter puisque seuls ses enfants semblaient pouvoir bénéficier de ce privilège*.

Hanneh porta l'enfant dans le jardin, prévint Héllènis et partit s'asseoir parmi les gens de la villa. Elle annonça qu'elle avait gagné, qu'elle avait trouvé l'enfant, on applaudit et il y eu des cris. Elle déposa Gaïus par terre et s'assit à ses côtés, empêcha d'un regard sévère toute manifestation hystérique et demanda à l'enfant s'il avait faim. Il s'inquiéta de Pagona et de Routh. De sa mère et de son père.

— Tout le monde va bien, le rassura Hanneh. Ils te cherchent... Mais c'est moi qui t'ai trouvé.

— J'étais bien caché ?

— Oh, oui. Très bien, je n'ai gagné que parce que je connaissais cette cachette.

— Routh avait dit que personne ne devait me voir.

— Personne ne t'a vu, Bubo.

Julia arriva la première dans le jardin. Elle tourna la tête en tout sens.

— Domina, la prévint Ajax qui venait de voir l'enfant se lever et s'élancer vers la jeune femme.

— Maman !

Julia ne bougea pas, elle s'accroupit simplement. Elle le regarda courir et reçu l'enfant dans ses bras quand il se jeta à son cou.

— Tu es partie trop longtemps, lui reprocha Gaïus le nez plongé dans son cou.

— Je suis désolée, Gaïus. Pardon.

L'enfant se redressa.

— J'ai eu peur. Ils étaient méchants, je croyais que tu ne reviendrais plus. Je croyais que tu ne nous aimais plus.

— Je suis ta mère, Gaïus. Personne ne peut changer cela et, parce que personne ne peut changer cela, jamais je ne t'abandonnerai.

L'enfant replongea dans le cou de sa mère. Julia se releva. Quintus à cinq pas était figé d'émotion. La femme qu'il aimait, Gaïus, les deux gladiateurs qui les encadraient légèrement en retrait, la nuit, la vive lueur des torches, les discussions, des gémissements, des armes abandonnées sur le sol. Mais ces quatre personnes devant lui.

Julia, Julia.

Gaïus.

Il repensa à tout ce qu'il avait vécu avec la jeune femme dont les yeux brillaient d'émotion. La première fois qu'il l'avait vue, vraiment vue, qu'il l'avait regardée. Il ne l'avait pas passionnément aimée tout de suite. Il avait d'abord apprécié sa conversation et la curiosité dont elle faisait preuve, son intelligence et son humeur souriante. Il avait ensuite découvert une femme fascinante, puis une femme réfléchie, douce, attentionnée, courageuse et tenace. Entreprenante. Il avait découvert qu'il l'aimait quand un jour, alors qu'ils se promenaient en devisant aimablement, elle lui avait brusquement fait face. Elle lui avait souri, lui avait pris le visage entre les mains et l'avait doucement embrassé. Elle n'avait rien dit, elle l'avait entraîné dans un cubiculum, l'avait de nouveau embrassé. Il n'arrivait à penser à rien. Elle s'était reculée et avait pris un air soucieux.

— Tu ne m'aimes pas ? avait-elle demandé.

Une révélation.

Il l'aimait à la folie. Il avait stupidement bafouillé, l'orateur ne trouvait plus ses mots. Elle avait souri en penchant légèrement la tête sur le côté, un mouvement qu'elle partageait avec sa terrible sœur qu'il ne connaissait pas encore. Il avait fermé la bouche, lui avait caressé la joue, croisé son regard et cette fois, c'était lui qui l'avait embrassée. Plus tard, Julia avait levé la tête de son épaule. Elle arborait un air sérieux. Elle lui avait déclaré qu'elle l'aimait et qu'elle voulait rester avec lui. Vivre avec lui. Il lui avait demandé si elle voulait l'épouser. Elle avait ri.

— Oui, mais je dois d'abord prévenir ma sœur.

Sous-entendu, Quintus le découvrit plus tard : obtenir l'aval de ma sœur.

Gaïa.

Il n'avait jamais regretté un seul instant d'avoir rencontré Julia, même quand il se retrouva face à sa jeune sœur. À son regard froid et suspicieux. Au terrible sentiment que la jeune femme n'hésiterait pas à l'égorger ou à l'empoisonner s'il lui déplaisait un jour.

Les deux sœurs Metella. Les inséparables Julia et Gaïa Metella.

Comment croire Aulus Flavius ? Julia était sa femme, Gaïus était leur enfant. Ils en auraient peut-être un autre. Une fille. Il leva un regard heureux sur Julia. Gaïus vit Quintus et se dégagea des bras de sa mère pour sauter dans ceux de son père. Il se vanta d'avoir trompé tout le monde de s'être bien caché. Quintus lui faisait des compliments, les yeux plongés dans ceux de sa femme. Avec désespoir, il y décela de la colère, de la peine et un autre sentiment qu'il avait rarement vu apparaître chez elle. De la peur. Julia avait eu peur.

Elle avait peur.

.

Il y eu soudain des jurons et des gémissements, des insultes.

— Avance, connard !

Julia se retourna. Aeshma et quatre gladiateurs. Ils poussaient brutalement devant eux Claudius Silus. L'homme boitait, trébuchait, tombait. Les quatre gladiateurs le brutalisaient pour qu'il avançât, Aeshma le tirait par les cheveux. Une scène sauvage et barbare qui embruma l'esprit du jurisconsulte. Quintus eut brusquement envie d'aplatir le visage du centurion à grands coups de pieds, à grands coups de poings, à grands coups de n'importe quoi pourvu que cela fît mal. Toutes ces saletés qu'il lui avait racontées, tous ces mensonges. Ces...

Ses yeux se posèrent sur Julia. L'expression de Julia ! La haine et le mépris pur. Dieux... Quintus n'avait jamais rien vu de pire.

Aeshma jeta Silus aux pieds de Julia. Elle le maintenait la tête levée vers la jeune femme, une main refermée sur ses cheveux.

— Comme promis, domina.

La jeune Parthe avait le visage en sang et Julia aurait aimé voir ce que dissimulait sa paenula, mais elle reporta son attention sur l'homme à genoux, offert à ses pieds.

Gaïa choisit ce moment pour apparaître. Une gladiatrice l'accompagnait. Quintus reconnut la grande gladiatrice aux larges épaules de Bois Vert. Il commença à s'interroger sur tout ce qui avait conduit Julia, Gaïa, des gladiatrices, des gladiateurs, des prétoriens, des bergers du domaine, des gens du Grand Domaine, des gens qu'il connaissait ou ne connaissait pas à se retrouver en armes et en sang au milieu du si joli jardin qu'avait redessiné Julia en acquérant la propriété. À s'être unis pour combattre Aulus Flavius, pour les sauver lui et son fils. Il eut aimé poser des questions, prendre le temps de retrouver Julia, mais Gaïa effaça d'une phrase ses souhaits et son aspiration au bonheur :

— Julia, Aulus Flavius n'est pas ici.


***


NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

Illustration : Gladiateur avec un bouclier, Paul Philippe (1870-1930).

Le casque de Pluton, la Kunée : Casque que remirent les Cyclopes à Hadès pour combattre les titans. Au départ le casque ne possède pas de vertus magiques, mais quand les enfers échouent à Hadès, le casque se charge de magie. Il permet alors à son porteur d'être invisible aussi bien aux yeux des êtres vivants qu'à ceux des immortels.

La première mention de cette particularité se trouve dans l'Iliade. Au cœur d'une bataille sous les murs de Troie, Athéna s'oppose à Arès, elle prend les rênes du char du héros Diomède :

« Athéna sur son front met le casque d'Hadès, de peur que le robuste Arès ne l'aperçoive. »

Dans la mythologie, Hermès le porta durant la gigantomachie.

Le casque fut aussi prêté à Persée par les nymphes qui en avaient la garde, pour que le héros, fils de Zeus et de Danaé (La jeune fille enfermée dans sa tour que Zeus amoureux, engrossera en prenant l'aspect de la pluie d'or, ou l'histoire mêlée de Raiponce et de La Vierge Marie !), approchât Méduse, la tuât et pût ensuite échapper aux deux gorgones immortelles avides de venger le meurtre de leur infortunée sœur.

Sources:

Cousin, Catherine, Les objets d'Hadès : casque d'invisibilité et sièges de l'oubli, GAIA. Revue interdisciplinaire sur la Grèce ancienne, 17 pp. 129-155, Année 2014.



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