Chapitre CXV : Les chèvres folles.
Le petit troupeau avançait, plus ou moins groupé. Mener des chèvres demandait une attention de tout moment. Une chèvre ne suivait pas docilement le bouc à tout moment. Si une fleur ou un buisson avaient chatouillé l'odorat de l'animal ou si son aspect lui avait paru appétissant, peu importait le bouc, le troupeau, le berger ou l'espérance d'un nouveau pâturage. La chèvre filait. À cinq pieds, à cent pieds, devant, derrière, en haut d'un inaccessible rocher. Il fallait l'arrêter, dès que ses cornes commençaient à montrer des signes d'impatience, dès que l'animal levait le museau. L'idéal était d'être assez nombreux quand on déplaçait un troupeau. Un cri retentit :
— Tilitili, biquette !
Tibalt se retourna. Une chèvre s'était écartée du troupeau et broutait un buisson avec enthousiaste. Le cri retentit une fois encore. La chèvre leva le museau et à la troisième injonction, elle abandonna ses épines pour gambader dans la direction de la jeune fille qui l'avait appelée. La chèvre bêla et se frotta contre la hanche de sa gardienne. Un rire jaillit. Dolon regrettait ne pas avoir été accompagné par Atalante. La jeune femme connaissait les chèvres et elle savait s'en occuper avec compétence. Elle savait les soigner et, comme lui, elle les aimait. Dolon, lui aussi, appréciait la grande rétiaire. Il l'appréciait avant qu'elle ne se battît contre les loups, tout comme Tibalt l'avait apprécié et ce, dès le premier jour où cette grande fille aux cheveux longs était arrivée au campement. Son regard. Sa réserve et son extrême modestie. Sa dextérité quand, devant les yeux ébahis des bergers, elle avait trait sa première chèvre. Leurs expressions goguenardes et moqueuses avaient aussitôt disparues, ils avaient reconnu l'une des leurs. Mais les chiens connaissaient Atalante. Elle ne pouvait pas descendre à la villa. Même sous un déguisement de berger, elle serait reconnue. Il avait hérité de trois autres gladiateurs et au moins, l'un des trois, Sara, se montrait une bergère tout à fait crédible.
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Les meliores avaient hésité. Qui envoyer à la villa avec Tibalt et Dolon ? Les gardes étaient partis et excepté Berival, personne ne savait correctement manier une arme. Il lui fallait du soutien, infiltrer des guerriers accomplis qui auraient aussi pour mission d'ouvrir la villa à leurs camarades. Mais qui ? Les meliores hommes comme femmes étaient trop connues. Sabina s'était proposée, mais le souvenir de Briséis menaçait son anonymat. Le risque qu'elle fût démasquée était trop grand. Il leur faudrait faire appel à des seconds palus. Caïus, tout comme les gardes de Tidutanus, portait des cheveux très courts et arborait une tête de légionnaire. Chez les hommes, seul Gallus fut jugé susceptible de tromper l'ennemi. Sa barbe de quatre jours, ses cheveux indisciplinés qu'on recouvrirait de poussière et qu'on ébourifferait encore un peu plus donnerait le change. Restait les cicatrices, nombreuses. La femme de Dolon confectionna une espèce de bouillie de terre, mélangé à de la cendre et Germanus en barbouilla le gladiateur. Voilà du côté des hommes. Restait à sélectionner deux gladiatrices. Gallus était thrace, Aeshma suggéra d'envoyer Ishtar et Enyo. Ishtar était très jeune, elle passerait aisément pour la fille de l'un des deux bergers, Enyo avait de l'expérience, Aeshma lui faisait confiance et la jeune gladiatrice quand elle se montrait taciturne, arborait un air sauvage qu'accentuait son menton volontaire. Elle ferait elle-aussi l'affaire. Comme bergère et comme gladiatrice.
Aeshma se chargea de préparer les trois thraces à leur mission. Celle-ci tenait en trois mots : infiltrer, surveiller, protéger. Enyo avait eu le droit à une petite mise au point supplémentaire. La jeune Sarmate serait responsable du groupe. Aeshma lui donna mille recommandations. Enyo l'écouta attentivement. La meliora ne parlait jamais pour ne rien dire, elle ne sous-estimait jamais une personne et ne la surestimait jamais. Elle était toujours réfléchie et pensait à tout.
— Je te passe la main, Enyo, conclut Aeshma. Sois prudente et n'oublie pas : tu n'es pas sur le sable, le spectacle, tu t'en fous. Survie et garde tout le monde en vie.
Enyo hocha la tête. Aeshma lui donna une dernière recommandation :
— Vous partez sans armes. Il y en a à la villa. Sur les gardes tout d'abord, mais souvent, ces gars-là ne savent pas correctement les entretenir. Va voir Berival. Même si Aulus Flavius a confisqué toutes les armes, je suis persuadée qu'il en a en réserve. Dis-lui que tu viens de ma part.
— Qui est-ce ?
— Le forgeron.
— Ah, c'est lui ?
— Ouais, c'est un Gaulois. Tu peux lui faire confiance.
Enyo s'était ainsi retrouvée à la tête d'une équipe de thraces.
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Pagona avait passé une mauvaise nuit. Séparée de Tovias, séparée de sa jeune sœur, séparée du dominus, séparée de son petit protégé. Tovias n'était pas réapparu, le dominus, Routh et Gaïus non plus. Méléna avait eu pitié de la jeune femme et lui avait assuré qu'elle allait demander de leurs nouvelles à toute la familia. Pagona l'avait arrêtée. Il y avait un traître, un vendu. L'homme qui avait porté le message.
— Il n'était peut-être pas de notre familia.
— Je suis sûre que si, souffla Pagona en s'accrochant à la manche de la servante. Tu ne peux faire confiance à personne.
— Oh, si, lui assura Mélina.
Héllènis, sa fille Serena, Temon, Berival le forgeron, Hanneh la cuisinière. À eux, elle leur confierait sa vie les yeux fermés. Elle ne doutait pas des anciens, et elle ne pensait pas que le grand Spurus pourrait se vendre à des étrangers, mais si Pagona avait peur, si elle avait besoin de s'assurer de la loyauté de gens de la familia, de leur attention, Méléna répondait de ces cinq-là. Elle y aurait inclus Severus, les gardes et les bergers, s'ils avaient été présents à la villa. Les gens avaient peur des bergers, mais elle, les savait dévoués à la domina. Malheureusement, les chèvres mettaient bas début mars, elles arrêtaient la lactation fin octobre, les bergers n'avaient plus aucune raison de descendre à la villa et on ne les voyait plus pendant quatre mois.
Mais en cette fin de matinée, par-dessus les martellements assourdissants du marteau du forgeron, Pagona distingua des bêlements. Reconnut des chèvres. Elle s'était réfugiée chez Berival. La forge lui permettait aussi de rester inaperçue et de surveiller la cour. Si des chevaux ou un carpentum partaient, elle le saurait.
— Des chèvres ! s'écria-t-elle.
— C'est impossible, rétorqua Méléna qui s'était accordé une pause avant l'heure du déjeuner.
Les deux femmes se levèrent. Pagona ne s'était pas trompée. Un petit troupeau se pressait devant le portail ouvert. Méléna reconnut Tibalt, Dolon et deux des enfants de ce dernier. Un grand garçon et une jeune fille d'une douzaine d'années. Tibalt était venu seul ? Sans même l'un de ses enfants ? Elle ne les reconnut pas parmi les bergers. Et... elle fronça les sourcils, qui était cette jeune fille... ces deux jeunes filles ? Elle était sûre de les avoir jamais vues. Un grand garçon mince franchit à son tour le seuil de la cour. Lui non plus, elle ne l'avait jamais vu. Pagona surprit son air soucieux.
— Quelque chose ne va pas ?
— Les troupeaux ne viennent jamais à la villa, surtout à cette période, et...
Une altercation s'amorça et Méléna ne précisa pas sa pensée.
Tibalt et Dolon avaient poussé les chèvres à franchir le portail, les enfants avaient suivi le mouvement. Sara, qui s'était amusée sur les rives de la mer de Galilée à courser tous ce qui se tenaient sur deux ou quatre pattes et ne risquaient pas de la gifler en retour, saisit l'idée et cria après les chèvres, feignant de simuler le contraire de sa présente action qui consistait à précipiter les animaux dans la cour. Elle gambadait tant et si bien qu'elle s'était attiré les remontrances d'Enyo.
— Ish... Sara ! se reprit Enyo. Ménage ta cheville.
Stupide qu'elle avait été d'être à deux doigts de hurler le nom de gladiature de sa camarade. Elle, n'avait pas eu a en changé, Gallus avait été rebaptisé Gal. Au moins, on ne s'y tromperait pas.
Les chèvres bondissantes franchirent dans un concert de bêlements le grand portail qui fermait la grande cour des communs à l'extrémité ouest de la villa. Les gardes n'avaient pu les arrêter. Une fois dans la cour, les chèvres s'égayèrent, courant vers les inévitables herbes follles qui poussaient dans tous les recoins, curieuses de découvrir un endroit qu'elles n'avaient encore jamais exploré. Les gardes protestèrent. Chèvres et bergers les ignorèrent. Ishtar passa devant eux en les regardant sous le nez, un sourire insolent affiché au milieu de son visage crasseux.
— Par tous les dieux, jura un garde.
Il tendit une main pour saisir le bras de la jeune fille. Tibalt se dressa soudain devant lui :
— On vient voi' la domina, dit-il d'un ton revêche et impudent.
— Elle n'est pas là, rétorqua rudement le garde.
Ishtar se mit à chanter et le garde, impuissant, vit la jeune sauvageonne se mêler à la course folle des chèvres indisciplinées.
— J't'connais pas, toi, dit tout à coup Tibalt en reluquant le garde sous le nez.
— Moi non plus, je ne te connais... Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ! fulmina-t-il soudain.
Les chèvres sautaient partout et les enfants se coursaient en hurlant. Tibalt referma une main dure sur l'avant bras du garde.
— On veut qu'la domina bénisse nos chèv'es.
— Qu'elle quoi ?!
— Qu'elle bénisse nos chèv'es.
— Elle n'est pas là, répéta le garde.
— Seve'us alors, lui, il peut le fai'.
Tibalt accentuait son accent des montagnes.
— Le dominus a interdit aux étrangers de rentrer, et vous allez me faire sortir ces foutues chèvres.
— Sommes pas des ét'anges, toutes les chèv'es appa'tiennent à la domina, protesta Tibalt.
Le garde jura entre ses dents. Il ne comprenait presque rien à ce que disait ce pouilleux. De nouveaux gardes, alertés par les bêlements arrivaient de l'extérieur et de l'intérieur de la villa. Les bergers courraient en tout sens, des chèvres avaient trouvé le moyen de monter sur le toit de la forge, d'autres s'étaient introduites dans l'écurie et les chevaux, apeurés ou contents d'avoir de nouvelles compagnes, hennissaient sans discontinuer.
— Tu me fais sortir ces chèvres de là ! aboya-t-il à Tibalt.
— Chai pas si elle voud'ont. Les chèv'es, c'est cap'icieux. Sont contentes de venir voi' la domina, sourit Tibalt à pleines dents.
— Mais elle n'est pas là, s'énerva le garde.
— Pas g'ave, on va l'attend'e.
— Espèce de crétin, cracha le garde en attrapant le berger par les poils de son manteau.
Tibalt prit soudain un air mauvais. Une voix grave s'éleva derrière lui. Berival prévenu par Méléna avait suivi l'entrée du troupeau. La conversation. Celle-ci menaçait de tourner au vinaigre. Les bergers étaient toujours armés et pouvaient se montrer dangereux s'ils se sentaient menacés.
— Vous devriez vous méfier, dit-il au garde. Ces hommes sont à moitié sauvages et comme les animaux, ils deviennent incontrôlables s'ils se sentent agressés.
Le garde sortit son glaive. Il en posa la pointe sous la mâchoire du berger.
— Les filles sont aussi dangereuses que les hommes, prévint Berival. Ils sont neuf. J'espère que tu as pris tes dispositions pour ton enterrement.
Le garde leva la tête. Neuf, pensa-t-il avec dédain, dont une femme et deux gamines. Il croisa le regard d'Enyo, glissa sur celui de Gallus, des autres. Sans que le garde s'en fût aperçu, les bergers s'étaient regroupés et formaient à présent, un demi-cercle autour de lui. Ils arboraient des mines farouches et déterminées. Il se fendit d'un rictus. Plus d'une dizaine de gardes étaient présents dans la cour, armés de glaives.
— Oh, vous les battrez peut-être, dit Berival en grimaçant une moue. Mais pas sans pertes, les filles se battent aussi bien que les hommes dans les montagnes. Ceux-là ont affronté des meutes de loups et ils le sont toutes vaincues. Tu crois que tu leur fais peur ? Tu te crois prêt à les affronter ? le défia Berival.
Le forgeron n'avait aucune idée de ce que pouvaient bien faire Tibalt et Dolon avec leurs chèvres à la villa en plein milieu de l'hiver. Il s'en moquait, ou il ne s'en moquait peut-être pas tant que cela. En tout cas, il ne laisserait pas des étrangers les tuer. Eux, leur famille et ceux qui les accompagnaient. Le garde hésitait. Les bergers éveillaient toujours des peurs irraisonnées. Certains les pensaient affiliés aux faunes, protégés par Artémis et les nymphes avec qui ils partageaient le même territoire.
— Hirrus ! claqua soudain une voix.
Le garde se raidit en entendant la voix autoritaire de Marcus Silus. Le centurion était craint.
— Qui sont ces gens ?! Comment as-tu pu les laisser rentrer ?
— On vi'nt voi' la domina, dit Tibalt en se dégageant sèchement du poing de Hirrus.
— Je lui ai dit qu'elle n'était pas là, s'énerva le garde.
— Des chèv'es ont été malades, six sont mo'tes, alors on est descendu. Les chèv'es doit êt'e bénies.
Silus, contrairement à Hirrus, se méfiait des bergers. La présence du forgeron accentua encore sa prudence.
— Julia Metella a vendu la propriété, elle appartient maintenant à Aulus Flavius.
— Ah... dit simplement Tibalt.
Il fronça les sourcils, comme s'il cherchait dans son cerveau débile une signification aux paroles du centurion.
— Je suis le nouveau chef de la garde, se présenta aimablement Silus.
— Seve'us, pa'ti ?
— Depuis longtemps.
Tibalt resta silencieux. Les gardes et Silus se désolèrent de l'absence manifeste d'intelligence du berger, persuadés qu'elle ne dépassait que de peu celle de ses chèvres. Si on les chassait, il y aurait des troubles, le procurateur partait dans trois jours, en attendant, il serait facile de faire croire à ces sauvages que leur nouveau maître se plierait avec plaisir et bonté à leurs attentes.
— Je vais informer le dominus de votre demande, annonça-t-il à Tibalt. Vous pouvez rester ici, mais si je vois une chèvre dans les quartiers du dominus, elle passe directement à la broche. Et si je surprends l'un d'entre vous ailleurs que dehors ou dans cette cour, je lui passe mon glaive en travers le corps. C'est bien compris ?
— Au'a pas de p'oblème, lui assura Tibalt ravi.
Il sourit d'un air aussi idiot qu'il pouvait. Dolon l'imita à merveille. Les sept autres bergers comprirent qu'ils avaient eu gain de cause et ils se détournèrent. Les enfants de Dolon, les fils de Tibalt et Sara s'évertuèrent à chasser les chèvres des écuries et des endroits où elles n'avaient rien à y faire. À les regrouper. Gallus se dirigea vers le puits, jeta le sceau et tira de l'eau qu'il but ensuite dans sa main. Enyo vint s'asseoir à l'ombre de la forge, genoux relevés, jambes écartées, tête rejetée en arrière. Pagona la regarda un peu ébahie par son manque de manières, Méléna avec curiosité. La jeune femme les ignora. Elle sembla les ignorer. Enyo avait tous les sens en éveil. Son combat avait commencé au moment où elle avait franchi les portes de la propriété.
Silus quitta la cour, les hommes qui n'y étaient pas de garde aussi. Hirrus et son camarade reprirent leur faction au portail. Berival regagna sa forge. Dolon et Tibalt le saluèrent de la tête et partirent aider les enfants à rassembler les chèvres. L'étable était vide, ils y poussèrent les chèvres, puis allèrent puiser dans les réserves de fourrage. Pas vraiment la nourriture que préféraient les animaux habitués à courir les montagnes, mais les chèvres s'en contenteraient.
Serena apparut, elle avait l'air d'une bête traquée. Sa mère n'était pas présente quand elle s'était réveillée le matin. La jeune fille était restée confinée dans son cubiculum, mais le moindre bruit la faisait sursauter. Le moindre pas la jetait dans de folles terreurs. Ils venaient la chercher, ils l'emmenaient chez Aulus Flavius et celui-ci la maltraitait comme il avait maltraité ses pauvres camarades. Il lui faisait des choses horribles, des choses qu'elle ne savait même pas exister.
Héllènis avait jalousement veillé sur sa fille. Avant le rachat du Grand Domaine par Julia, l'ancien propriétaire ne venait jamais, l'intendant en charge du domaine non plus. La familia était réduite, elle et Méléna dirigeaient tout. Elles protégeaient les enfants et maintenaient une certaine discipline parmi ceux qui vivaient au Grand Domaine. Elles n'avaient pas eu à le regretter car la domina les avait gardées à son service. Elle leur avait accordé sa confiance, utilisé au mieux leurs compétences, et les avait formées à répondre à ses besoins, à ceux qu'elle estimait indispensables à satisfaire son bien-être personnel et au bon fonctionnement du domaine. Julia Metella avait aussi encouragé Serena à se perfectionner en médecine. La jeune fille avait appris à lire avec sa mère. Julia avait mis des ouvrages spécialisés à sa disposition. La domina avait acheté ou engagé de nouveaux personnels et Severus avait su instaurer sous son influence, une ambiance laborieuse et chaleureuse, même si l'intendant n'était pas vraiment un joyeux boute-en-train. Les enfants et les jeunes gens avaient continué à grandir sans peur d'être abusés. Serena était restée innocente.
De frissons en sursauts, d'angoisse en terreur, la jeune fille s'était résolue à affronter l'extérieur et à partir se dissimuler dans la pénombre de la forge pour bénéficier de la présence amicale et rassurante du forgeron.
Elle ne remarqua pas tout de suite Enyo. La jeune gladiatrice se désolait de la présence des trois femmes. Comment parler au forgeron dans ses conditions ? Julia Metella lui avait expliqué qu'elle pouvait entièrement se fier à certains de ses gens, Aeshma avait confirmé, tout comme Atalante. Mais aucun nom n'avait jusqu'ici été prononcé. Comment savoir si ces trois-là étaient dignes de confiance ou pas ? Elle sentit peu à peu le regard de la plus jeune des femmes, une jeune fille qui devait avoir l'âge de Marcia ou de Boudicca, peser sur elle avec insistance. Elle sentit le danger d'être démasquée et décida de prendre le large. Elle parlerait au forgeron plus tard. Les bergers trouveraient bien une manière pour qu'elle pût lui parler seul à seul. L'arrivée d'Ishtar la retarda.
— J'adore les chèvres ! s'extasia la jeune gladiatrice d'une voix enjouée. Ce sont vraiment les plus amusantes bêtes de la terre. Quand j'étais petite...
— Viens t'asseoir et arrête de jacasser, la coupa Enyo d'une voix agressive
Cette écervelée aurait été capable de parler de la Galilée. La jeune fille s'empourpra et vint sagement s'asseoir auprès de son aînée. Serena s'installa de l'autre côté. Enyo se reprocha sa bêtise. Elle fit mine de se lever. La jeune esclave lui posa une main sur le poignet.
— Ne pars pas.
Enyo jura. Serena se pencha sur elle sans la lâcher.
— Tu es bien maquillée, mais je suis soigneuse, on ne me trompe pas aussi facilement. Tu n'es pas bergère, n'est-ce pas ?
Enyo allait sèchement protester.
— Je m'appelle Serena, on t'a peut-être parlé de moi ?
— Serena ?
— Serena, oui, confirma la jeune fille. Et... j'ai peut-être soignée l'une de tes camarades.
Un coup de dés. La jeune femme, son attitude, sa prestance mal dissimulée sous une attitude grossière, sa musculature sèche et déliée, les cicatrices qu'elle avait devinées sous la poussière et la boue plus que sous la crasse. Tous ces petits détails lui rappelaient Atalante et Aeshma.
— Lysippé ? la testa Enyo.
— Je ne me souviens pas d'une Lysippé, mais d'une thrace, lui dit Serena en souriant.
Elle avait vu juste, se félicita-t-elle. La bergère était une gladiatrice. Enyo resta muette.
— Aeshma ? reprit Serena. Tu ne la connais pas ?
Enyo regarda les autres femmes présentes dans la forge.
— Je te présente Méléna et Pagona. Méléna travaille ici et Pagona...
— ... veille sur... commença Enyo.
— Chuuuuuuut, lui intima Serena à voix basse. Tu nous connais. C'est la domina qui t'envoie ?
— Mmm, confirma la gladiatrice.
— Tu es la bienvenue.
Serena se pencha par-dessus Enyo et s'adressa à Ishtar.
— Toi aussi ?
— Oui.
— Vous n'êtes que toutes les deux ?
— Un autre berger est avec nous aussi.
— La domina est là ?
— Oui.
Serena s'illumina.
— Elle va nous libérer ?
— Oui.
— Quand ?
— Cette nuit.
Serena prit la main d'Enyo dans la sienne et la serra avec chaleur.
— Vous êtes les envoyés des dieux. Aeshma et Atalante sont là aussi ?
— Oui.
— Marcia et tous les autres ?
Enyo ne savait pas trop qui elle entendait par tous les autres, peut-être ceux qui avaient effectué un séjour au domaine deux ans auparavant. Seul Caïus en faisait partie. Galini et Sabina blessées tout comme elle, n'avaient pas quitté Patara. Les autres ne faisaient pas partie du voyage. Xantha était morte, Penthésilée et Anté étaient restés à Rome.
— Oui, répondit-elle quand même.
— La domina n'a pas vendu le domaine ?
— Non.
— C'est un imposteur ?
— C'est un assassin. Un chien.
— Tu veux parler à Berival et tu as besoin de notre aide ?
— Je suis venue parler à Berival et j'ai reçu l'ordre de vous protéger.
— Qui ?
— Les dominas et Aeshma. Aeshma est notre meliora.
La main de Serena se resserra une fois de plus sur celle d'Enyo.
— Aeshma a été mon maître en médecine, lui confia-t-elle émue.
— Aeshma sait transmettre son savoir à ceux qui le méritent, rétorqua Enyo
Elle avait décelé de l'estime quand sa meliora lui avait parlé de Serena. Enyo méritait l'estime d'Aeshma, Serena, qu'elle fût gladiatrice ou pas, ne pouvait que la mériter elle aussi. Elle lui serra la main, intégrant ainsi la jeune fille dans son équipe. D'une certaine façon, Serena et Enyo partageait la même meliora.
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Méléna et Pagona avaient écouté la conversation avec beaucoup d'attention depuis que Serena les avait présentées à la jeune bergère. Berival, qui s'attendait à voir confirmé ses soupçons, s'était emparé d'une pierre à aiguiser, qu'il passait depuis sur le tranchant d'une serpe. Aucun des trois ne laissa vraiment paraître une émotion, mais Pagona respira un peu mieux, Méléna adressa des louanges muettes à la domina, et l'excitation et l'angoisse enfoncèrent leurs griffes à la base du sternum du forgeron. Une sensation qu'il n'avait plus ressentie depuis que sur un plateau, à quelques milles de la villa, il avait attendu que les loups attaquassent.
***
Le garde marchait d'un pas traînant. Les ordres de Marcus Silus ne se discutaient pas, mais qui oserait attaquer un campement de soldats ? Des paysans ? Des esclaves agricoles ? Ils n'avaient même pas d'armes. Qui d'autre alors ? Il ne trouva jamais la réponse. Une main le saisit par derrière, il ne put crier. Il s'écroula dans un flot de sang, soutenu par des bras solides qui l'amenèrent silencieusement jusqu'au sol.
Et de un.
L'attaque serait délicate. Les assaillants avaient dû se séparer. Silus avait établi un point de contrôle en contre-bas du chemin qui reliait la villa à Patara. Tous ses hommes n'y étaient pas cantonnés, seulement une dizaine. Les autres campaient à l'est de la villa, près de la petite rivière qui alimentait en eau une bonne partie du domaine. Les gardes devaient tous mourir. Pas un ne devait s'échapper. Pas un ne devait avoir l'ombre d'une chance de prévenir le procurateur.
Publius Buteo resta accroupi. Il plaça ses mains en forme de conque devant sa bouche et souffla dedans. Un hululement retentit dans la nuit. Une imitation parfaite du cri du hibou moyen-duc. L'homme qui veillait près du feu ne réagit pas. Il somnolait, aussi peu inquiet et sur ses gardes que son camarade qui gisait aux pieds du speculator. Assez en alerte pourtant, pour sauter sur ses pieds quand il entendit un pas lourd se diriger vers lui.
— Qui va là ? demanda-t-il en levant sa lance.
— Oh, soldat ! Du calme, du calme. Je suis l'un des tiens, s'annonça le visiteur d'un ton goguenard.
— C'est Silus qui t'envoie ?
— Connais pas de Silus, rétorqua l'homme. Ah ? Si ! Claudius Numicius Silus le chef de la garde du procurateur Aulus Flavius ?
— Mais qui es-tu ? fit le garde sans relâcher son attitude menaçante.
— Je suis un vétéran de l'Augusta. On m'a dit en ville que je pourrai trouver un engagement auprès du procurateur. Je ne pensais pas que le domaine était si loin. Je me suis fait surprendre par la nuit.
— Tu as participé à la campagne de Judée ?
— Ouaip, et même à la prise de Jérusalem, confirma le visiteur. Ce que j'ai pris plaisir à démonter ce maudit temple de fanatiques. Camper des mois devant cette ville n'a pas été une partie de plaisir.
— Claudius Silus y était, le procurateur aussi.
— Oui, je le sais, c'est pour cela que j'espère une place parmi ses gardes. Mais c'est un peu tard pour aller le voir maintenant.
Le garde acquiesça en riant et il invita l'homme à passer la nuit au campement.
Publius avait envoyé Sura. Le prétorien avait gardé ses caligaes, il s'était rasé de près et il arborait une coupe de cheveux réglementaire. Le guetteur ne serait peut-être pas un vétéran, mais il ne manquerait pas de noter tout ce qui dénoncerait le soldat chez le prétorien, jusqu'à sa façon de marcher, de se tenir ou de parler.
Le garde avait servi dans la légion. Il ne s'y trompa pas. Le nouvel arrivant ne mentait pas. Ils discutèrent un peu et si le garde avait eu des soupçons, ils s'éteignirent sans tarder et quand ils se rallumèrent, il était trop tard, l'homme lui écrasait la trachée artère avec les doigts et remontait à l'intérieur de sa cage thoracique la pointe de son poignard jusqu'à ce qu'elle lui perça le cœur. Il avait perçu un hululement juste avant. Ce n'était pas le premier qu'il entendait, réalisa-t-il alors que ses yeux cherchaient l'ami dans le tueur qui lui fouillait les entrailles de son poignard. Silus le maudirait pour sa duplicité. Il exhala un râle. L'homme était-il seulement un légionnaire ? Son apparence pourtant...
Sura lut peut-être son interrogation car en poussant sa lame, il lui murmura à l'oreille :
— Je ne suis pas de l'Augusta, je suis prétorien et fidèle à l'Empereur.
Il installa l'homme mort de manière à ce que, si un curieux se montrait, il le crut endormi, et s'assit. Il n'avait pas besoin de pousser un hululement pour signaler à ses camarades qu'il avait accompli sa mission. La lueur du feu soigneusement entretenu avait éclairé la scène. Publius Buteo se félicita de la discrétion dont Sura avait su faire preuve. Il attendit pour être certain que personne n'avait donné l'alerte. Rien ne bougea. Il mit une fois de plus ses mains devant sa bouche et hulula. Marcia se redressa dans l'ombre et encocha une flèche sur son arc, prête à tirer. Elle avait trouvé un merveilleux emplacement. Si un garde échappait au poignard, il sortirait de sa tente et se retrouverait dos ou face au feu. Une cible facile. Julia pensait toujours à tout, partout où elle passait, elle déposait des arcs dans les coffres de sa chambre. À Bois Vert comme ailleurs.
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À deux milles plus au nord-est, Aeshma pensait de même, mais elle n'en retirait pas la même joie que sa jeune pupille.
— Domina, ne vous montrez pas imprudente. Vous êtes à pied, pas à cheval.
— Tu sais que c'est plus difficile de tirer à dos de cheval qu'à pied, Aeshma ? répondit Gaïa avec une nonchalance affectée.
— Oui, je le sais, mais c'est plus facile de fuir à cheval.
— Tu t'inquiètes pour moi ?
— Pour vous, pour votre sœur. Vous n'êtes pas des equites.
— Les gens du Grand Domaine nous comparent à des Amazones.
— Les gardes du procurateur ne sont pas des loups.
— Aeshma, nous sommes juste en couverture, c'est moi qui devrais m'inquiéter.
— Je ne vois pas pourquoi.
— Parce que je m'inquiète toujours quand tu combats.
La petite Parthe se renfrogna. Gaïa regretta sa déclaration pourtant sincère.
— J'ai confiance en ton bras, Aeshma. Mais...
La restriction assombrit plus encore la gladiatrice. Dieux, ce qu'elle pouvait parfois se montrer susceptible ! pensa Gaïa désolée. Elle changea de stratégie :
— Tu ne t'inquiètes jamais quand Marcia prend les armes ? l'attaqua gentiment Gaïa. Quand Atalante combat ? Et puis, tu t'inquiètes bien pour moi et Julia, pourquoi me reprocherais-tu de m'inquiéter pour toi ?
— Ouais, pff... souffla la Parthe contrariée.
— Je protégerai la domina, assura le fils de Tibalt.
Il était chargé de la protection de Gaïa. Son frère assurait celle de Julia. En réalité, ils seraient plus que leurs protecteurs, ils leur serviraient aussi de guetteurs et leur indiqueraient les cibles à abattre, si elles ne les avaient pas vues. Les deux bergers concevaient une grande fierté à seconder les dominas. Ils se sentaient investis d'une mission quasi-divine. Aeshma le savait, mais pas plus que les deux sœurs Metella, les bergers n'étaient des guerriers. Si un problème surgissait, sauraient-ils y faire face ?
— Aeshma, tout se passera bien, Kyrillos a des yeux de chat et je te promets de me montrer prudente.
— Bon...
— Tu es allée tenir le même discours à Julia ? l'interrogea Gaïa.
— Non.
— Ah, non ? Et pourquoi ?
— Elle est plus sage que vous, se justifia Aeshma.
— Je ne suis pas sûre que Julia t'aurait laissée croquer par les loups ou qu'elle t'aurait laissée te noyer. Elle a déjà fait pire.
— Vous...
— Nous prenons simplement soin des gens que nous aimons, Aeshma, la coupa Gaïa. De ceux envers qui nous sommes redevables, ou dont nous sommes responsables, particulièrement Julia, et tu es comme elle, comme tous les gladiateurs que tu as décidé d'emmener avec toi.
— Je n'ai pas pris seule cette décision.
— Mais tu ne t'y es pas opposée. Tu as confiance en eux.
— C'est vrai, approuva Aeshma.
— Va maintenant.
— Veille bien sur elle, dit Aeshma au berger avant de s'éloigner.
— Comme sur mes chèvres.
Gaïa sourit, la comparaison étaient peu flatteuse en apparence, mais elle la prit comme une assurance. Aeshma bougonna, mais elle avait compris l'intention et ne protesta pas.
Une opération silencieuse. Des mains dures, sûres. Des doigts tachés de sang, quelques gargouillis étouffés, quelques pierres déplacées. Des sentinelles proprement égorgées. Les meliores s'en étaient occupés. Aucune alerte ne fut lancée. Les gladiateurs se retrouvèrent au centre du camp. Astarté arriva la première et s'assit, bientôt rejointe par Germanus, puis arrivèrent Ajax, Sabina, Atalante et enfin Aeshma. Dans l'ombre, Caïus, Boudicca, Tidutanus et ses quatre gardes attendaient. Les tentes avaient été distribuées à l'avance. Quand tous les assaillants se regroupèrent, ils n'échangèrent aucune parole, ils se séparèrent en trois groupes et gagnèrent leur objectif.
Marcia n'eut à tirer aucune flèche. Julia et Gaïa en décrochèrent cinq à elle deux. Corvinus avait trébuché dans le noir. Il était tombé sur un grabat. L'homme qui y dormait avait crié, juré, un poignard lui avait déchiré une cuisse et il avait donné l'alerte. Un homme réussit à fuir. Il avait aperçu une ombre, bousculé Sabina qui ne l'avait pas vu et s'était précipité dehors. Gaïa le cueillit à dix pas de sa tente. Une première flèche lui avait transpercé l'épaule, la deuxième s'était fichée dans son abdomen. Elle se tenait loin et elle n'avait pas eu le temps de s'entraîner avec des arcs qu'elle n'avait jamais maniés. Elle dut encocher une troisième flèche. Julia n'en tira que deux.
L'alerte avait réveillé plusieurs gardes. Des combats pratiquement aveugles s'engagèrent dans les tentes. Les gardes portaient des torches, mais lors de l'assaut, deux tombèrent et une autre s'éteignit. Les gladiateurs avaient l'avantage des armes et de la surprise.
Boudicca se prit un pot sur le haut du crâne. Le garde qui l'avait frappée n'avait heureusement pas poussé son avantage, il avait bondit de son lit pour tomber sur le glaive de Galini.
— Boudicca, ça va ? lui demanda cette dernière.
— Ouais, grogna la jeune gladiatrice.
— Galini ! cria Astarté.
Elle envoya sa pupille par-dessus un grabat. Galini passa en chute avant et roula sur son épaule. Elle se releva, le glaive dressé devant elle.
— Surveille toujours tes arrières, Galini, la tança durement Astarté. Je ne serai pas toujours là pour te sauver la mise.
Un homme gisait aux pieds de la meliora. La jeune fille avait manqué de se faire embrocher.
.
Dans une autre tente, Sabina, plongée dans le noir, rengaina son glaive. Trop dangereux.
— Aeshma ? appela-t-elle.
— Je suis là.
— Germanus ?
— Là aussi, répondit l'hoplomaque.
— Tidutanus ?
— Présent.
— On balaie ensemble ? proposa Sabina.
Ils se touchèrent la main, prirent leurs distances. Ursus qui les accompagnait, cria. Sabina lui intima de se taire et de ne plus bouger. À quatre, ils couvraient la largeur de la tente, celle-ci n'avait qu'une issue et elle se trouvait derrière les gladiateurs. Les soldats réagirent différemment. Deux tentèrent leur chance et foncèrent en avant. Ils furent interceptés. Le premier se heurta de plein fouet à Germanus. L'hoplomaque referma ses bras sur l'homme et le souleva de terre. Il le maintint ensuite d'un bras et lui brisa la nuque. Le second se faufila entre Aeshma et Sabina. Elles se déplacèrent ensemble. Aeshma devant, Sabina derrière. L'homme se retrouva coincé entre les deux. Sabina servit d'enclume, Aeshma joua au marteau. Un laminage en règle. Suivi d'un retour rapide à leur formation initiale. Les soldats restants s'étaient réfugiés au fond de la tente. Les râles d'agonie de leurs camarades, l'attaque silencieuse, les rares paroles échangées par leurs assaillants, le réveil en plein nuit, tout concourait à insuffler un climat de terreur.
— Des fantômes, ce sont des fantômes ! s'écria un soldat.
— Ouh ! Ouh ! ne put s'empêcher de crier Sabina d'une voix sépulcrale.
— Je vous l'avais dit ! pleurnicha un garde.
— Crétin, reviens ! aboya un homme dans l'ombre.
— Viens ! Viens ! continua Sabina en allongeant les syllabes.
Le fuyard fit tant de bruit qu'Aeshma repéra très exactement sa position. Une manchette le faucha. L'homme s'envola pieds en avant. Il atterrit sur les épaules. Aeshma avait senti la trachée céder sous sa main. Elle enjamba l'homme et par acquis de conscience, elle lui asséna un violent coup de poing en pleine face. Et la lumière fut. Ursus avait eu la présence d'esprit d'aller rallumer sa torche.
— Combat ! hurla sauvagement Germanus.
Ils dégainèrent leurs armes. Glaives et pugio. Un ballet mortel s'engagea. Germanus et Tidutanus se démarquèrent de Sabina et d'Aeshma conscients de ne pas partager leur complicité et leur excellence dans ce genre d'engagement. Ils les laissèrent attaquer et assurèrent leur sécurité, tout en fermant leur gauche et leur droite, et en pourfendant quiconque voulait les déborder. Un massacre. Un seul soldat s'échappa, par l'arrière. Il avait fendu la toile de tente avec son poignard. Julia l'avait vu. Il évita la première flèche. Julia avait manqué son tir. Trop de précipitation, pas assez de lumière. Elle ajusta le second, attendit. Décrocha. L'homme tomba. La jeune femme respira profondément.
.
Vide. La tente était vide. Ajax jura.
— Où sont-ils ? demanda-t-il à Atalante.
— À la villa, très certainement.
— Combien ?
— Il faut voir avec les autres, mais au moins une dizaine.
— Ça risque de changer la suite ? demanda Caïus
— Ça risque d'être seulement plus compliqué, lui répondit la meliora.
— Les thraces auront intérêt à se montrer digne de leur meliora, soupira Ajax.
— Je ne te conseille pas de faire ce genre de réflexion devant Aeshma, répliqua Atalante.
— C'est pourquoi je te la fais à toi, grimaça le secutor. Il y va de la vie d'un gamin. Du gamin d'une femme qui a sauvé des camarades. Je voudrais que tout se passe bien et qu'à la fin de la nuit, ce gamin se retrouve dans les bras de sa mère.
— Je ne te croyais pas aussi sensible.
— Parce que je suis une grosse brute ? J'ai un cœur, Atalante. Et même si je sais qu'il y peu de chance pour que cela arrive, j'aimerais bien me marier et avoir des enfants.
Atalante resta coite.
— Ouais, ridicule, je suis bien d'accord avec toi là-dessus, fit Ajax.
— Non, ce n'est pas du tout ridicule, protesta Atalante.
— Caïus, l'interpella le secutor. Tu me vois avec une femme et des enfants ?
— Oui.
— Oui ?! s'ébahit Ajax
— Ben, oui, dit le jeune auctoratus. Si j'avais eu un père comme toi, je ne me serais jamais retrouvé à vendre ma liberté à un laniste.
— Ton père ?! s'écria Ajax. Caïus, pourquoi n'es-tu pas devenu secutor ?
Le jeune auctoratus jeta un coup d'œil à Atalante.
— Ah... Atalante, évidemment ! Comment lutter contre une meliora de cette envergure ? Tu aimes tant courir ! se moqua Ajax.
Caïus prit un air idiot. Il souffrait le martyre quand Atalante l'entraînait dans des courses d'endurance. Il s'accrochait, mais quand la meliora lançait le signal d'une course libre, il se retrouvait à des centaines de pieds des meilleures. D'Atalante, de Sara, de Galini, de Marcia. Il ne finissait pas le dernier, mais loin derrière les meliores, derrière Dacia, Gallus.
Atalante lui passa un bras en travers des épaules.
— Personne n'a hésité à t'emmener, Caïus, lui dit-elle gentiment. Et tu as couru quatre-vingt milles, pas un de moins. Je ne vois pas de quoi tu pourrais avoir honte.
— Et tu es toujours en vie, mon gars, ajouta Ajax. Pour un gladiateur, c'est un signe qui ne trompe pas.
— En attendant, allons annoncer la mauvaise nouvelle aux autres, soupira Atalante.
***
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