Chapitre CXLVI : Avant le départ : confidences et vérités


Et puis, ce fut au tour d'Aeshma et d'Astarté de se retrouver sur un navire. À celui de Marcia, de Galini, de Sabina, d'Anté, d'Enyo et de Germanus de se tenir une nouvelle fois sur le quai.

Marcia, Atalante et Galini avaient fait leurs adieux à la villa. À L'abri des regards.

Marcia ne s'était pourtant pas sentie capable de voir l'Artémisia lever l'ancre et emporter Aeshma et Astarté loin d'elle. Elle s'était morigénée, elle reverrait aussi bien Astarté qu'Aeshma, et elle avait longuement été séparée de la grande Dace par le passé. Mais elle avait pris conscience qu'au moment de leur départ, une porte se fermerait définitivement. Qu'elle réintégrait pleinement sa vie de femme libre et qu'elle avait obscurément peur de les perdre.

Le soir précédant le départ de l'Artémisia pour Alexandrie, Julia la retrouva effondrée dans un recoin sombre du jardin. Elle tourna les talons sans se faire remarquer par la jeune fille. Elle demanda à ce qu'on préparât un bain, attendit qu'il fût prêt avant de repartir chercher Marcia. Celle-ci n'opposa aucune résistance aux volontés de Julia. Elle la suivit sans protester, se déshabilla comme elle le lui demanda et entra dans l'eau chaude et odorante. Ensuite, elle s'abandonna totalement aux mains douces et aimantes de la jeune femme. Julia la lava, la savonna, la massa doucement, puis quand l'eau commença à se rafraîchir, la fit sortir, l'enveloppa dans un grand drap et la conduisit dans sa chambre. Quintus lisait. Il leva la tête à leur entrée, désigna le lit sur lequel reposait Gaïus. Julia hocha la tête. Le jurisconsulte rangea le rouleau qu'il consultait, prit Gaïus dans ses bras, embrassa gentiment Marcia sur la tempe en passant à côté d'elle et s'éclipsa. Julia poussa Marcia vers le lit. Elle déroula le linge dans lequel elle l'avait drapée. Marcia se coucha. Julia la couvrit. Elle défit ensuite sa coiffure, se peigna et la rejoignit sous les couvertures. Marcia vint poser la tête sur son épaule, elle pleura en silence comme elle le faisait quand elle venait trouver du réconfort auprès d'Aeshma et s'endormit sans prononcer un mot.

Julia serra la jeune fille entre ses bras. Sa fille. Des larmes perlèrent aux commissures de ses yeux. Elle comprenait sa peine.

.

Galini, elle, ne comprenait pas ce qui pouvait autant la bouleverser. Elle ne perdait pas Astarté et elle était assurée de la revoir. Mais elle l'aimait tellement. Elle avait beau se traiter d'imbécile, rien n'y faisait. La jeune fille était submergée par la même angoisse qu'éprouvait Marcia. Une sensation de sauter dans le vide. Elle avait aussi envie de dire des milliers de choses à Astarté, mais elle ne trouvait pas les mots et elle réalisait avec terreur qu'après son départ, il serait trop tard.

Astarté l'avait reçue dans un petit cubiculum que Julia et Quintus avaient mis à sa disposition. Galini se tenait stupidement debout, les yeux baissés et n'arrêtait pas de passer gauchement d'un pied sur l'autre.

— Galini... Je ne comprends pas, lui dit gentiment Astarté un peu surprise par l'étrange humeur de la jeune fille.

— Tout est fini, murmura Galini

— Comment ça tout est fini ?

— Je ne suis plus gladiatrice.

— Et alors, tu regrettes ?

— Tu n'es plus ma meliora, murmura Galini.

— Ça fait longtemps que je ne le suis plus.

— Tu l'as toujours été, tu n'as jamais cessé de l'être. Mais maintenant, c'est fini.

— Meliora ou mentor ?

— Mentor.

— Ah... ! Ben, je ne vois pas pourquoi ça changerait, fit Astarté d'un ton convaincu. Si je suis ton mentor, je le resterai. C'est comme pour Marcia avec Aeshma et Atalante. Enfin, plutôt avec Atalante, parce qu'Aeshma... Je suis beaucoup moins revêche qu'elle, plaisanta Astarté pour détendre la jeune fille.

En face d'elle, Galini releva la tête et sourit en coin. Astarté sut avec certitude quel serait son prochain mouvement.

Galini et Marcia.

Les deux jeunes gladiatrices avaient partagé leur noviciat, elles s'étaient toujours bien entendues, toujours soutenues. Elles deux et Caïus. Gallus aussi. Mais elles deux surtout. Malgré des armaturas différentes. Malgré des origines à l'opposée l'une de l'autre. Et elles aimaient toutes deux Astarté. D'une manière différente, mais avec autant de force. Et, toutes deux n'avaient su comment exprimer leur affection et leurs sentiments. Trop troublées par l'instant. Par l'imposante présence de la grande Dace aux yeux dorés qu'elles aimaient tant. Et toutes deux avaient appris d'Astarté que, parfois, les actes servent mieux les pensées que les paroles. Galini s'approcha. Astarté, comme avec Marcia, n'avait ni protesté ni reculé. Galini passa ses doigts sur le visage de la grande Dace. Puis une main derrière son dos. Ses lèvres se posèrent légères comme une aile de papillon sur l'épaule de la meliora, elles remontèrent lentement le long de son cou. Galini respirait mal, inquiète.

Astarté vint à son aide.

Elle posa une main légère sur son épaule et l'autre vint lui caresser doucement le biceps. Rassurée, encouragée, Galini se colla au corps de la meliora, ses lèvres abandonnèrent son cou et cherchèrent celles de la Dace. Il y avait des mois que Galini ne l'avait pas embrassée. Elle gémit au premier contact. De surprise. Le baiser lui semblait si familier. Elle ne désirait pas Astarté. Elle n'aspirait pas à une dernière nuit en forme d'adieux. C'était réciproque. Mais elles communiquèrent. Galini se troubla, persuadée que seule Astarté pouvait comprendre et embrasser de cette façon. La jeune fille se serait perdue et elle aurait indéfiniment prolongé l'échange si Astarté n'avait eu un très léger mouvement de recul. La jeune fille rompit aussitôt le baiser.

— Tu as autre chose à me dire ? demanda doucement Astarté.

— Non.

— Prends soin toi, Galini. Et surtout, ne t'empâte pas. Quand on se revoit, je te prends dans toutes les disciplines.

— Aux armes aussi ?

— Au scutum aussi.

— ...

— Enyo nous en fabriquera, je lui ai déjà demandé.

— D'accord.

— On verra si tu méritais d'être une meliora.

— ...

— Tu es une meliora, Galini.

— Aeshma m'a dit la même chose.

— Si Aeshma te l'a dit...

— Je ne viendrai pas au port demain.

— C'est important ?

— Non.

On frappa à la porte.

— Je m'en vais, merci, Astarté.

Galini ouvrit la porte, gratifia Atalante d'un sourire resplendissant et s'en fut le cœur heureux. La jeune fille avait l'humeur moins sombre que Marcia. Elle était née esclave, elle ne savait rien de la liberté. Elle restait avec Marcia, et Astarté venait de lui assurer qu'elle resterait à jamais son mentor. La vie lui semblait merveilleuse.

— Elle a l'air bien heureuse, dit pensivement Atalante en refermant la porte.

— Elle me faisait ses adieux, expliqua Astarté.

— Des adieux plaisants à ce qu'il semble.

— Mouais, avoua Astarté d'un air rêveur. Marcia est aussi passée toute à l'heure.

— Les adieux ont été aussi plaisants ?

— Oui, ce sont de gentilles filles.

— Et elles embrassent bien...

Astarté resta coite.

Atalante s'approcha d'elle. Elle passa un pouce sur les lèvres d'Astarté. Des lèvres humides, légèrement plus rouges et plus pleines qu'elles ne l'étaient habituellement

— Elles ne savaient pas comment... commença Astarté avant de se taire.

— ... te faire leurs adieux, continua Atalante pour elle. Comment t'exprimer leur affection et te dire à quel point tu comptes dans leur vie.

— C'était juste un baiser et ce n'est pas moi qui... euh... Ce n'est pas moi qui l'ai initié.

— Mais elles connaissent si bien... leur mentor, conclut Atalante.

Astarté savait que le mot mentor ne se référait pas à sa qualité de meliora ni même à celle de gladiatrice. Elle se fendit d'une moue d'excuse.

— Je veux passer ma dernière soirée avec toi et Aeshma, déclara Atalante sans plus commenter les adieux d'Astarté et des deux jeunes gladiatrices.

— Tu veux faire quoi ?

— Juste dîner avec vous deux sur la terrasse.

— Tu as préparé à manger ?

— Non.

— Laisse-moi faire alors, je vais demander à Néria. Elle cuisine très bien et elle connaît les goûts d'Aeshma sur le bout des doigts.

— Tout le monde vous adore, sourit Atalante.

— Toi, aussi tout le monde t'adore, Ata, mais tu es bien trop réservée et trop modeste pour t'en rendre compte.

.

Abechoura, Germanus et Sabina se joignirent à elles. Puis Anté, sa femme et leur fils, Salvius. Atalante invita Néria à rester. Le repas fut tranquille. Astarté et Sabina bavardèrent et animèrent la soirée, mais sans déranger l'humeur tranquille des autres convives. Germanus joua avec le petit Salvius. Aeshma mangeait et, de temps à autre, grognait inconsciemment de plaisir. Sentir le genou d'Atalante contre le sien suffisait à ce qu'elle se sentît bien et Néria, comme l'avait assuré Astarté à la grande rétiaire, savait exactement comment flatter ses goûts quand il s'agissait de nourriture. Lydia, la femme d'Anté resta en retrait. Abechoura s'était une fois encore, assise aux côtés d'Atalante. Elle voulait assurer la jeune femme de son estime.

On réclama Marcia. Néria annonça qu'elle se trouvait avec Julia Metella. Personne n'insista. Gaïa Metella avait dîné avec sa sœur, avant de repartir au port. Elle passerait la nuit à bord de l'Artémisia.

Galini arriva plus tardivement. Germanus se poussa, elle s'assit, s'efforça d'éviter le regard d'Astarté et s'assombrit au fur et à mesure que le temps passa. La grande Dace finit par lui ordonner de venir la rejoindre, elle l'attrapa par le cou et lui frotta la tête avec son poing.

— Souris, Galini, tu es libre !

La jeune fille protesta en criant qu'Astarté lui arrachait la peau du crâne.

— Tu t'amollis, déjà... Ata, l'appela Astarté. Tu m'entretiendras cette fille quand tu la verras. Sinon, une raclée vous attend toutes les deux.

— Tu as intérêt à te remettre à la course, Astar, la menaça Atalante en retour.

— Je m'entraînerai avec Aeshma.

— Si tu cours en silence, rétorqua celle-ci.

— On va ouvrir une école pour les gens de Gaïa Metella, lança Astarté à la cantonade.

Germanus voulut tout savoir, Anté posa des questions, Sabina plaisanta. Aeshma se lança dans la conversation avant qu'Astarté ne commença à broder.

.

Marcia n'avait pas dit au revoir à Aeshma.

Julia la réveilla pour lui apprendre qu'elle partait bientôt pour le port. Marcia lui demanda si Aeshma et Astarté l'accompagnaient. Quand elle sut que les deux gladiatrice était déjà parties depuis plus d'une heure, la jeune fille avait sauté du lit. Elle s'était habillée n'importe comment, n'avait pensé à nouer ses chaussures que parce que Julia le lui avait rappelé, et elle avait filé en courant avant même d'avoir fini de boucler sa ceinture. Elle ne s'était même pas coiffée. Que Julia lui dît que Gaïa ne s'en irait jamais sans avoir revu sa sœur ne freina pas la jeune fille.

Elle courut à travers la ville, sautant d'un trottoir à l'autre, coupant à travers les places, au nez des chars et des plastrums, affolant parfois les bêtes. Il était tôt, mais la plupart des échoppes étaient déjà ouvertes et des passants occupaient les trottoirs. Elle en bouscula plus d'un, déclenchant rires et ires. On la reconnut, sans être tout à fait sûr que la jeune fille hirsute fût réellement Marcia Atilia, la fameuse bestiaire aux cheveux d'or, la fille de Valens Atilius si chérie par Julia Metella et Quintus Valerius, la fille que les deux amoureux avaient adoptée.

— C'est elle ! s'exclama une femme. Marcia Atilia !

— Cette va-nu-pied ?! Tu racontes n'importe quoi, dit le mari à sa femme.

— Va-nu-pied ?! Tu as souvent vu des va-nu-pied chaussés de caligaes cloutées ? Et peux-tu me dire qui, dans la Province, possède des cheveux comme les siens ?

— Ben...

— Personne. Blonde comme l'or, des pieds légers malgré ses chaussures de légionnaire, c'est Marcia Atilia. Gaïa Metella repart aujourd'hui pour Alexandrie. Et vers où se dirigent les pas de ta mendiante ? Vers le port.

L'homme ne pouvait que donner raison à sa femme. Marcia, sans le vouloir, alimentait encore un peu plus sa légende et celle de ses camarades.

.

Si les rues de Patara avaient donné l'impression d'un matin comme les autres, l'animation et la foule de badauds qui se pressait sur le port démentaient cette idée. On avait su par un marin de l'Artémisia que Gaïa Metella partait. La jeune femme était en soi une célébrité. Son garde du corps, cette grande femme aux larges épaules qui l'accompagnait presque partout, avait depuis longtemps été reconnue comme une ancienne gladiatrice du ludus de Sidé. La fameuse gladiatrice qui avait, quelques années auparavant, gagné une égalité contre la Gladiatrice Bleue. Cette fameuse Gladiatrice Bleue qui, sans qu'on sût qui avait lancé la rumeur, s'embarquerait elle aussi avec Gaïa Metella.

Les curieux et les amateurs de munus s'étaient donné le mot. Ils s'entassaient sur les quais. La présence d'Atalante, de Germanus et d'autres athlétiques hommes et femmes qui ne pouvaient être eux aussi que des gladiateurs augmentait l'hystérie collective. Des maçons les avaient vus sortir de la villa des Valerius et la nouvelle s'était rependue en ville à la vitesse d'un incendie. Julia Metella Valeria viendrait et peut-être aussi, Marcia Atilia. Tout le monde voulait pouvoir se vanter d'avoir assisté au départ de l'Artémisia. Les quais étaient noirs de monde.

Marcia fonça dans le tas, se mit à pester et à jouer des coudes. On la reconnut. Ce fut la liesse. La foule se fendit spontanément devant elle. Une haie d'honneur. Des cris et des vivats. La jeune fille arrêta sa course. Elle se redressa, bomba la poitrine, leva le menton, adopta un pas militaire et afficha un sourire de circonstance. Les cris s'intensifièrent, mais on se garda de la toucher.

À bord de l'Artémisia, on s'inquiéta de l'animation qui régnait soudain sur le quai. Les marins comme les passagers se penchèrent par-dessus le bastingage. L'équipage s'égaya.

— Je croyais qu'elle ne viendrait pas, dit Astarté heureuse de découvrir que la jeune fille avait changé d'avis.

— C'est n'importe quoi, ronchonna Aeshma à côté d'elle. Regarde-là, on dirait un dindon !

À ce même instant, des badauds la remarquèrent.

— La Gladiatrice Bleue ! s'ébaudirent-ils.

— Ouh, ouh ! la saluèrent-ils avec passion.

On commença à scander son nom. Aeshma se redressa inconsciemment. Astarté s'esclaffa.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Atalante qui remontait de la cabine.

— Marcia effectue une pompa sur les quais. Aeshma le lui reproche, la traite de dindon vaniteux, mais quand on commence à scander son nom, elle rejoint sa pupille dans la basse-cour !

— Tu es vraiment débile, dit Aeshma en saluant les badauds.

— Tiens, tu vois, fit Astarté à Atalante en désignant la petite Parthe de la main.

Atalante s'approcha et passa un bras par-dessus l'épaule d'Aeshma. Son apparition déchaîna de nouveaux cris. Aeshma la prit par la taille.

— Pff... souffla Astarté.

Atalante la tira par le bras et lui passa à elle aussi le bras par-dessus l'épaule. Elle l'embrassa sur la joue.

— Jalouse ?

— Non, votre succès est mérité.

— Ouais, grogna Aeshma. Et vous resterez toutes les deux mes deux meilleurs souvenirs sur le sable.

Astarté se rengorgea. Atalante les serra toutes les deux contre elle. Leurs échanges dénotaient une affection sincère entre Aeshma et Astarté, et leur complicité adoucissait sa peine. Une peine qui n'était pas étrangère à la soirée précédente. À la dernière veillée en compagnie de ses deux camarades. À la nuit qui avait suivi. Une nuit courte. Très courte. Elle ne se souvenait même plus d'avoir dormi. Par contre, elle se souvenait très bien du reste. Du corps d'Astarté. Du goût et de la douceur de sa peau, de ses lèvres. De ses mains calleuses et de son souffle brûlant. De ses gémissements et de ses cris étouffés. Des siens. Des moindres paroles qu'elles avaient échangées. De leur courte conversation à propos des sceaux qu'elles portaient :


***


— Ata, pourquoi as-tu choisi un jade vert pour ton sceau ?

— Ce n'est pas moi qui l'aie choisi.

— Marcia m'a dit que l'ambre rappelait la couleur de mes yeux, mais toi ? Pourquoi le vert ?

— Peut-être parce que le jade rappelle le vert des forêts, de l'herbe et de la mer.

— Tu n'aimes pas le désert ?

— Si, j'aime beaucoup le désert, mais je n'avais jamais vu la forêt ni la mer avant de devenir esclave. C'était tellement... Extraordinaire. Même maintenant... J'ai toujours l'impression que c'est trop beau pour être vrai. Les autres le savent, c'est peut-être pour cela qu'elles ont choisi un jade vert.

— J'aime la forêt.

— Je le sais. Parfois, je pense à toi quand je regarde mon sceau, avait répliqué Atalante.

Astarté était restée silencieuse un moment.

— Tu es une fille du désert, Ata. Une fille du soleil. Certains pensent que l'ambre vient d'un rayon de soleil pétrifié. Ce n'est pas vrai, mais c'est une jolie explication et c'est celle que je retiendrai.

— Mmm.

Astarté avait repoussé Atalante sur le dos, elle avait roulé au-dessus d'elle, la grande rétiaire avait refermé ses bras autour de son cou et plus rien d'autre n'avait existé.


***


Marcia arrivait enfin à la passerelle. Elle sauta lestement sur le pont et le capitaine ordonna de couper l'accès au navire. La passerelle fut retirée. Les gladiateurs quittèrent les bastingages.

— Au moins, tu sais soigner tes arrivées, lança Astarté narquoise à la jeune fille.

— Je voulais vous dire au revoir.

— Tu m'as déjà dit au revoir, lui rappela la Dace aux yeux doré.

— Je voulais dire au revoir à Aeshma.

Il y eu un mouvement rapide, un retrait commun et Aeshma se retrouva soudain seule face à Marcia.

— Ils sont débiles, remarqua Marcia en regardant Astarté, Atalante, Anté, Germanus et Sabina s'éloigner à l'autre bout du navire.

— À qui le dis-tu... souffla Aeshma.

— Tu vas me manquer, lui déclara Marcia d'une voix voilée par l'émotion.

— Marcia...

— Tu me trouves idiote ?

— Je ne t'ai jamais trouvée idiote.

— Évite de t'en prendre à Astarté quand tu es énervée.

— Astarté mérite parfois une correction.

— Évite de te mettre en colère.

Aeshma fronça les sourcils. Marcia avait toujours détesté les colères d'Aeshma. D'abord, parce qu'elles l'avaient terrorisée et ensuite, parce qu'elles brouillaient l'image que Marcia avait d'Aeshma. Qu'elles transformaient une femme qu'elle aimait, qu'elle savait tendre et généreuse, en brute violente et incontrôlable. Aeshma le savait.

— Je t'aime beaucoup, lui donna Marcia comme seule explication.

— Je sais.

— Ce n'est pas la bonne réplique, rit Marcia.

— On s'en fout, fit Aeshma en haussant les épaules.

Marcia sourit chaleureusement. Elle se tourna vers le large et traversa le pont avec Aeshma.

— Vous aurez beau temps.

— Mouais.

Elles s'appuyèrent au bastingage et restèrent épaule contre épaule. Marcia appuya sa tête contre celle d'Aeshma. La jeune Parthe la prit par les épaules. Marcia lui prit la taille. Ses doigts s'enfoncèrent dans les chairs de la hanche. Aeshma la serra un peu plus contre elle.

.

— C'est incroyable, lâcha Sabina.

— Quoi ? demanda Astarté.

— Marcia et Aeshma.

— Aeshma a beaucoup changé, dit Atalante.

— Tout le monde a beaucoup changé, remarqua Sabina.

— On n'a pas changé, on a juste cesser d'avoir peur, déclara Germanus.

Les gladiatrices tournèrent les yeux vers lui. Il plongea les siens dans ceux de Sabina. À peine un instant fugace. Personne ne commenta son affirmation. Il avait raison. Leurs regards se reportèrent sur Aeshma et Marcia. Sur leur posture détendue qui dénotait affection, complicité et sérénité. Sabina se sentit en harmonie avec elles, Germanus aussi. Le cœur d'Atalante débordait. D'amour pour la jeune Parthe. De tendresse pour Marcia. Une ombre subsistait, mais le temps finirait peut-être un jour par la chasser. Astarté ne pensait pas à grand-chose, elle était simplement heureuse. De l'affection que partageaient Aeshma et Marcia, de se tenir aux côtés de ses camarades, d'être assurée de leur fidélité, d'avoir gagné l'estime de Gaïa et de Julia Metella, de faire partie de cette famille, d'une famille qu'elle avait choisie. De savoir que quoi qu'elle fît, où qu'elle allât, Atalante serait toujours là. Qu'elle la retrouverait toujours.

.

Julia arriva à son tour. Malgré ce qu'elle avait déclaré à Astarté, Galini l'accompagnait. Quintus et Gaïus suivaient. Cette fois-ci, les adieux ne donnèrent pas lieu à d'émouvantes effusions.

Presque pas.

Gaïus, alors que son père s'apprêtait à le prendre dans ses bras pour redescendre à quai, s'échappa soudain. Il se précipita sur Astarté qui lui tapota gentiment la tête. Il leva des yeux brillants sur elle, rit, puis courut vers Aeshma et se serra contre ses cuisses. La jeune Parthe s'accroupit. Elle fouilla dans sa ceinture. Sortit une poignée de pièces. Elle les examina. Ses yeux s'attardèrent un instant sur le tétradrachme. Il avait traversé les naufrages et les combats. Elle ne l'avait jamais égaré. Puis, elle retourna une ou deux pièces. Trouva celle qu'elle cherchait. Un denier à l'effigie d'Auguste. Une pièce parmi les centaines qu'elle avait gagnées à Rome. Parmi les centaines que les spectateurs lui avaient jetées. Peut-être après l'amazonachie, peut-être plus tard, elle ne savait pas. Elle l'avait gardé en souvenir, pas à cause de sa valeur ou parce qu'Auguste figurait dessus, mais à cause de l'image qui figurait à son revers.

Elle rangea les autres pièces et tendit le denier au petit garçon.

— Tiens, je l'ai gardé en souvenir des jeux à Rome. Astarté m'a dit que tu avais l'étoffe d'un guerrier.

Gaïus s'empara du denier, il l'examina. D'abord, le côté face. Il la retourna ensuite et fronça les sourcils. Il passa son index sur la gravure.

— C'est comme la bague de Tarté, dit-il gravement.

— Mmm.

— Toi aussi, tu en as une.

— Oui.

Aeshma leva le poing. Gaïus passa le doigt sur l'onyx noir.

— Tu sais ce que ça représente ? lui demanda Aeshma.

— Tarté m'a dit que tous ceux qui faisaient partie du palus du sanglier la portaient. En souvenir de l'amano... l'ama...

— L'amazonachie, l'aida Aeshma. Qu'est-ce qu'elle t'a raconté d'autre ?

— Que les plus courageuses en faisaient partie.

— Mouais.

— Marcia n'est pas courageuse ?

— Elle porte un bracelet d'or à tête d'animal, c'est pareil.

— Ah... s'illumina l'enfant qui aimait beaucoup Marcia.

— Ce n'est pas une récompense, Gaïus. C'est juste pour te rappeler qu'il ne suffit pas seulement d'être fort et courageux. Le palus du sanglier, c'est plus que cela. On a gagné, parce qu'on est restées unies, loyales et fidèles. Si tu continues à t'entraîner avec Atalante, Enyo, Marcia, Galini ou ta mère, tu apprendras tout ça. Le bras ne suffit pas pour gagner, il faut avoir un cœur.

— Maman ?

— Ouais, ta mère, Gaïus. Une grande guerrière et un cœur droit.

— Et papa ?

— Il t'a déjà laissé tomber ?

— Non.

— Il est courageux et lui aussi a un cœur droit.

L'enfant affichait une mine dubitative : Quintus Pulvillus n'avait en rien l'apparence d'un guerrier.

— Il n'a pas hésité à se dresser seul face à des pirates, à mains nues pour te défendre, toi et ta mère. J'étais là. Si tu le lui demandes, il te montrera la cicatrice qu'il porte à l'abdomen. C'est moi qui l'ai recousu.

L'enfant la regardait les yeux écarquillés de surprise. Plus étonné par les exploits de son père que par ceux dont la gladiatrice disait sa mère capable. Il savait qu'elle montait très bien à cheval et qu'elle tirait bien à l'arc. Mais son père...

— Garde ce denier, Gaïus. Inspire-t'en. Et si jamais tu doutes, va voir une gladiatrice. Atalante est la plus sage. Marcia est ta sœur. Quant aux autres, Sabina, Enyo, Galini, elles font toutes partie du palus.Si tu as besoin d'elles, montre-leur la pièce. Tu peux faire confiance à Germanus et à Anté aussi. Ce sont des alliés.

— Vraiment ?

— Vraiment.

L'enfant referma gravement son poing sur le denier.

— Merci, Shéma.

— Je crois que tout le monde t'attend, lui répondit la gladiatrice en désignant Julia et Quintus du menton.

L'enfant la regarda, Aeshma, dans un geste qui lui était familier envers Marcia, lui ébouriffa les cheveux et il repartit vers son père qui patientait en souriant. Quintus Pulvillus salua Aeshma d'un signe de tête. Julia s'approcha de la gladiatrice alors qu'elle se relevait.

— Tu n'es pas très différente d'Astarté, lui dit-elle.

Aeshma se rembrunit.

— Vous êtes des amies précieuses et des femmes incroyables. Et puis, au moins, avec vous, je suis assurée que Gaïa se trouve entre de bonnes mains.

Un message à double sens. Aeshma tendit le bras. Julia l'accepta, mais juste après, elle se pencha sur la gladiatrice et l'embrassa doucement sur la joue, comme elle l'avait fait à Myra trois ans auparavant. Cette fois-ci, c'était Aeshma qui partait avec Gaïa pour Alexandrie et Julia qui restait, mais comme la première fois, celle-ci voulait lui exprimer son affection et ses remerciements.

— Ne commettez pas trop folies, ajouta-t-elle. J'ai toujours détesté sévir contre Gaïa. Sévir contre toi et Astarté ne m'a pas apporté plus de plaisir. Et sincèrement, je vous aurais bien étranglées de m'y avoir contrainte.

Aeshma se mordilla la lèvre inférieure. Julia haussa les sourcils. Rassérénée, la jeune Parthe lui renvoya un regard franc et heureux. Julia cligna d'un œil complice. Après tout, Gaïa aimait la jeune gladiatrice et depuis, Julia se devait de partager le cœur de sa sœur avec celle-ci.

— Ne vous battez pas trop, dit-elle sévèrement à Aeshma et Astarté.

Elle serra ensuite Gaïa entre ses bras.

— Et toi, lui dit-elle sérieusement. Prends soin d'elles.

Gaïa dévisagea les deux gladiatrices tour à tour. Elle retourna ensuite son attention sur son aînée et hocha la tête en signe d'acquiescement.

— Faîtes bon voyage, conclut Julia.

Les gladiateurs se saluèrent une dernière fois.

.

Abechoura se tenait en retrait.

— Abechoura ?

La jeune fille se retourna.

Marcia et Atalante.

— Tu ne voulais pas nous dire au revoir ?

— ...

Marcia la prit dans ses bras. Elle admirait la sœur d'Aeshma. Une admiration réciproque. Mais mieux que cela, elles ressentaient l'une envers l'autre, une vive sympathie qui ne devait rien à leur rencontre ou aux épreuves qu'elles avaient pu partager ni à l'amour qu'elles vouaient à Aeshma. Elles ne s'étaient jamais beaucoup fréquentées, mais le lien existait, et il leur suffirait de peu, d'un peu de temps et de tranquillité, pour le consolider. Abechoura savait aussi que Marcia avait tout tenté pour qu'elle et Aeshma renouent avec leur passé. Elle aimait son cœur généreux. Leur amitié était à construire. Une promesse qu'elles gardaient précieusement comme un trésor qu'il leur faudrait un jour déterrer.

Atalante ne savait pas trop quoi dire.

— Je veillerais sur elle, lui dit Abechoura. Je n'ai jamais vraiment eu d'influence sur elle, mais... bon, si elle a besoin de moi... je serai là.

— Elle ne t'a jamais oublié, lui déclara Atalante. On n'a pas eu le temps de parler, Abechoura, mais...

— Tu me raconteras quand on se reverra.

— Aeshma t'aime beaucoup.

— Elle t'aime toi aussi.

— ...

— Au revoir, Atalante, et merci pour tout.

— Camarade ?

— Non.

Atalante se figea.

— Je crois que nous sommes plus que ça, du moins pour Shamiram, lui dit Abechoura.

— Ah... euh...

— Tu ne crois pas ?

— Si, mais...

— J'ai détesté Shamiram, mais certainement pas pour s'être construit une nouvelle famille. Pas quand cette famille, c'est vous deux, conclut-elle à l'adresse de Marcia et de la grande rétiaire.

Marcia rougit de plaisir. Une grande douceur s'afficha sur le visage d'Atalante.

— Qu'est-ce que vous foutez ! intervint Aeshma. Si vous continuez à traîner comme ça, vous partez avec nous pour Alexandrie.

— Abechoura disait qu'on formait une super famille ! clama Marcia.

— Hein ? Quoi ? Quelle famille ?

— Nous quatre !

Aeshma fronça les sourcils. Abechoura souhaita être n'importe où sauf sur le pont de l'Artémisia. Marcia s'esclaffa bruyamment, attrapa Aeshma par le cou et la gratifia d'un baiser baveux avant de déclarer qu'elle l'adorait et qu'elle espérait bientôt la revoir. Elle s'éloigna en courant, les marins retiraient déjà la passerelle d'accès. Aeshma commençait à grommeler. Atalante lui repoussa le menton d'un poing amical.

— À bientôt, Aesh.

— Mouais, pff...

Atalante partit à grand pas. Le capitaine avait donné l'ordre de larguer les amarres.

— Ata ?! la rappela Aeshma.

La grande rétiaire se retourna

— Apprends à nager, à mieux monter à cheval et continue d'écrire !

Les déclarations d'Aeshma !

— Promis ! sourit Atalante.

Elle passa à côté d'Astarté, lui posa une main caressante sur l'épaule au passage, salua Gaïa, puis, elle prit son élan. L'Artémisia quittait le quai. Atalante sauta souplement par-dessus le bastingage. Disparut. Des cris d'admiration montèrent du port. Dix pieds séparaient déjà le navire du quai.

— Ce que les gens peuvent être débiles, grommela Aeshma.

— Mais vous ne faîtes pas grand-chose non plus pour passer inaperçues... remarqua Abechoura qui venait de la rejoindre.

— ...

— Le goût du spectacle, je t'ai vue sur le sable, Shamiram.

— Ah...

— C'était plutôt impressionnant.

— Ouais, approuva Aeshma ravie du compliment.

— Vous êtes folles, dit Abechoura en secouant la tête.

— ...

— Pas seulement toi et Atalante. Les autres aussi.

— Dit la fille qui a risqué sa vie pour piéger le procurateur de Lycie.

Cette fois-ci, ce fut Abechoura qui resta coite.

— J'étais furieuse, fit Aeshma. Mais...

— Mais ? demanda Abechoura pleine d'espoir.

— C'était courageux. Stupide, mais courageux, apprécia la jeune Parthe.

— Comme toi qui combat sans casque ?

— Ouais, pareil ! grimaça Aeshma.

— Atalante et Marcia vont te manquer.

— Je sais, mais je suis sûre de les revoir et je sais qu'elles sont heureuses et en sécurité.

— ...

— Tu m'as manqué, Choura. Je croyais que je ne te reverrai jamais et je savais que...

Aeshma baissa la tête.

— Tu savais ce qui m'attendait ?

— Oui. Je ne pourrai jamais m'acquitter de ma dette envers Atalante et Marcia.

— Tu ne leur dois rien.

— ...

— Elles t'aiment et savoir que tu les aimes leur suffit.

— Mouais...

Les deux sœurs s'accoudèrent au bastingage. Gaïa les observait. Astarté la rejoignit.

— C'est drôle, dit-elle.

— Quoi ?

— Aeshma et Abechoura.

— Pourquoi ?

— Tout à l'heure, c'était Aeshma et Marcia.

— Comme cela aurait pu être Aeshma et Atalante ?

— Oui, exactement, approuva Astarté.

— Ou Aeshma et toi ?

— Peut-être... reconnut la grande Dace. Ou Aeshma et vous.

Gaïa prit un air circonspect.

— Vous êtes pleine de charme, domina...

— ...

— Aeshma n'y est pas insensible. Ce n'est pas parce qu'elle vous évite que ce n'est pas évident.

— Mmm.

— Si Aeshma était plus malléable, je vous conseillerais de la coincer dans votre cabine, de ne pas prêter attention à ses protestations, de la jeter dans votre lit, de lui arracher ses vêtements et de la soumettre à vos désirs, de l'amener à vous avouer les siens... mais bon, c'est Aeshma, conclut Astarté avec philosophie.

— Astarté...

La Dace aux yeux dorés ne s'inquiéta pas de la mise en garde qui perçait dans la voix de Gaïa.

— Respectez ses distances, attendez d'être à Alexandrie. À quel moment vous êtes-vous sentie le plus proche d'elle ?

— Mais qu'est-ce que... commença Gaïa choquée qu'Astarté se mêlât aussi impudemment de sa vie intime.

— Sur le lembos, non ? Bon, évidemment, entre ses bras aussi, mais c'est différent. Moi, je me suis sentie vraiment proche d'elle quand nous sommes revenues de Myra après avoir sauvé votre sœur et Quintus Pulvillus. Nous étions toutes les deux, seules. Une nuit, nous étions allongées dans l'herbe, le ciel resplendissait au-dessus de nos têtes. Je lui ai parlé de mes rêves. Jamais je n'aurai cru ça possible. On a passé une semaine ensemble sur les routes. C'est depuis ce moment que je ne la vois plus vraiment de la même façon. Je suis sûre que vous avez vécu la même chose sur le lembos. D'ailleurs, si vous n'aviez pas vécu la même chose, vous ne seriez pas là aujourd'hui. Aeshma vous aurait tuée.

— Comment est-ce que...

— Emmenez-la quelque part, la coupa encore une fois Astarté. Dans un endroit où vous ne serez que toutes les deux. Aeshma est sauvage et pudique. Elle n'a aimé qu'un garçon avant vous. Elle ne s'en est jamais aperçue ou trop tard, ce qui revient au même. Vous, elle sait qu'elle vous aime. Profitez-en. Moi je lui dirais qu'elle n'a pas à se cacher parce que, tout le monde sait les sentiments que vous partagez.

— ...

— Même Abechoura doit le savoir.

— Mais...

— Vos regards ne trompent personne, domina. Aeshma est plus discrète, mais sans rire... ! D'ailleurs, Julia, Marcia et Atalante sont dans la confidence. Néria rougit comme une fleur de coquelicot quand on y fait allusion et Antiochus prend l'air si peu au courant que c'en est ridicule.

— Astarté, comment sais-tu tout ça ? réussit enfin à dire Gaïa.

— Je vous aime bien, j'aime bien Aeshma, ça suffit. Quant à votre problème, pensez-y. Un lieu hors du monde, juste elle et vous.

— Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi insolent que toi.

— Je suis votre garde du corps, domina. Mon devoir est de veiller sur votre santé mentale et physique. Ce que je fais. Et puis, si ça vous déplaisait tant que ça, il y longtemps que vous vous seriez débarrassée de moi, persifla Astarté d'un air provoquant.

— Pff, vraiment, Astarté...

— Domina ?

— Parfois, je me demande si tout compte fait, Titus ne m'a pas gratifiée d'un cadeau empoisonné quand il t'a offert à moi.

— Vous pensez exactement le contraire.

Gaïa ne put s'empêcher de rire.

— Et pour tout vous dire, lui confia Astarté. J'étais bien un cadeau empoisonné. Mais pour celui qui m'a offert à vous, pas pour vous, grimaça Astarté.

— Mendragora*...

— C'eût pu être mon nom, plaisanta la Dace aux yeux dorés.

— Quel est ton nom, Astarté ?

— Mon vrai nom ?

— Oui.

— Zelmis.

— Un nom Dace ?

— Oui, ça veut dire cuir.

— Un joli cuir fauve ? Doux et résistant ?

— Peut-être, sourit Astarté. Mais je ne suis pas sûre que nommer ainsi une fille soit un si beau compliment.

— Il te va pourtant bien.

— J'aime bien Astarté.

— Parce que c'est toi qui l'a choisi ?

— Je ne l'ai pas choisi, je me le suis approprié et il est ce que je suis.

— C'est un beau nom aussi.

— Merci, domina.

— Et Atalante ?

— Atalante ?

— Comment s'appelle-t-elle ?

— Zéhira.

— Mmm, Atalante pour la guerrière, quant à Zéhira...

— Vous connaissez ?

— Je suis née dans la même région qu'Atalante. C'est un nom araméen. Zéhira* est son secret.

— Deux faces de la même pièce, approuva Astarté.

— Comme toi.

— Moi ?

— Oui, Astarté est une déesse lunaire, dangereuse et sensuelle. Le cuir...

Gaïa plongea son regard dans celui de son garde du corps. Astarté se troubla.

— Atalante est plus sage que toi, Aeshma aussi dans une certaine mesure.

— Pourquoi ?

— Atalante et Zéhira sont une seule et même personne, Aeshma et Shamiram aussi, tout comme la bestiaire aux cheveux d'or et Marcia Atilia. Mais toi, tu caches Zelmis. À tout le monde. Je ne suis pas sûre qu'Atalante et Marcia ne sachent pas qui elle est. Mais ce dont je suis sûre, c'est que tu redoutes, toi, de te confronter à elle.

Astarté prit un air facétieux. Elle s'apprêtait à répondre quand Gaïa lui posa les doigts sur les lèvres. La conversation était sérieuse, elle n'avait pas envie qu'Astarté la tournât en dérision.

— J'aime et j'apprécie Astarté comme je suis sûre d'apprécier Zelmis, lui déclara Gaïa sans la quitter des yeux.

— ...

— Un secret de plus ?

Astarté acquiesça des yeux et un sourire s'étira sous les doigts de Gaïa. Elle tourna ensuite la tête vers les deux jeunes Parthes. Elles n'avaient pas bougé.

— N'oubliez pas mes conseils, domina.

— J'y penserai.

— Je l'espère bien, approuva Astarté.


***


NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

Illustration : Fresque de Pompéi, Isc.

Les prénoms :

Zéhira : attentionnée, éclatante. Gaïa s'attarde plus sur la première signification du prénom.

Atalante : équilibre, égal (peut-être en rapport avec le fait qu'Atalante était à l'égal des hommes).

Astar : Gaïa n'a pas dévoilé à Astarté, que le diminutif d'Astarté, Astar, est un prénom araméen et qu'il signifie : je cacherai. Ce que ne peut ignorer Atalante.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top