Chapitre CXIX : Alea jacta est


Aeshma tapota l'épaule de Marcia. Ils n'avaient rencontré personne. Aeshma ouvrait la marche. Elle partait en éclaireur et appelait ses camarades quand le chemin était libre. Elle venait d'atteindre le couloir qui desservait les appartements réservés à Gaïa Metella. Deux soldats en gardaient l'entrée. Aeshma montra les deux hommes à sa jeune pupille et se retira à l'abri. Elle montra deux doigts, Marcia avait vu. Des niches étaient aménagées régulièrement dans toutes les parties communes et quand la nuit tombait, des serviteurs venaient remplir et allumer des petites lampes à huile. Elles ne brillaient pas avec grand éclat, mais elles suffisaient à ce qu'on pût se déplacer aisément dans la villa sans avoir à s'inquiéter d'allumer une lampe en plein milieu de la nuit, et donnaient assez de lumière à Marcia pour tirer à coup sûr. Elle visa soigneusement. La première flèche transperça la gorge d'un soldat. Le deuxième cria surpris :

— Flavius ? Mais qu'est-ce que ? Alert...

Une flèche lui transperça l'épaule. Il se rua sur la porte.

— Ils sont là, ils sont là ! cria-t-il désespéré.

— Zut, se lamenta Marcia.

— Pas grave, c'était bien tiré quand même, la rassura Aeshma. Maintenant on fonce, parce que si...

Elle n'acheva pas sa phrase, ses compagnons avaient compris. Le temps leur était compté.


***


Un peu avant la première veille. Kyma avait porté à Routh de la posca et une corbeille de fruits. Hanneh n'avait pas eu comme le jour précédent l'autorisation de lui servir son dîner. Celui qui se faisait maintenant appelé l'intendant, un certain Manius Curatius Crispus, l'avait retenue à la cuisine et assommée de prétentions en tout genre.

Méléna et Héllènis s'occupaient du bain du procurateur et n'auraient cédé leur place à personne. Elles avaient excusé les jeunes filles qui s'étaient déjà attiré les faveurs concupiscentes du dominus et s'il avait cruellement souri et affirmé qu'il avait été ravi de trouver de jolies chiennes en chaleur dans un lieu aussi retiré que le Grand Domaine, il n'avait pas formulé l'exigence de les revoir. Héllènis excellait au service du bain et Méléna la secondait efficacement.

Serena avait trop peur de monter à l'étage et c'était elle qui avait suggéré de faire appel à Kyma pour prévenir Routh qu'une attaque aurait lieu cette nuit. Kyma était connue et respectée. N'était-elle pas la favorite du procurateur ? S'attirer ses faveurs maintenant, l'inciterait peut-être à se montrer docile quand le procurateur s'en désintéresserait. Mieux valait une fille conciliante et docile qu'une fille tétanisée de peur. Si les soldats ou les affranchis voulaient exercer leur pouvoir de mâle violent, ils auraient toujours des esclaves idiotes à leur disposition. Kyma servait les plaisirs du dominus depuis longtemps, elle devait se montrer inventive pour retenir ainsi son attention et beaucoup rêvaient de pouvoir profiter un jour de cette inventivité. Les soldats la laissèrent aimablement entrer chez Routh.

Kyma n'avait pas apporté qu'à boire et à manger.

— Ta domina arrive, avait-elle chuchoté à la jeune femme. Elle a amené avec elle des gladiateurs, des femmes. Ils vont attaquer la villa.

Routh l'avait regardée incrédule. Elle ne connaissait même pas cette fille.

— C'est la femme de ton frère qui m'envoie.

— ...

— Pagona. Je ne connais pas tes dominas, ni les gladiateurs ou ta familia, mais j'espère qu'ils ont bien préparé leur coup. Je ne peux pas faire grand-chose pour te venir en aide, mais je peux au moins te donner cela.

Kyma sortit un pugio du dessous de sa robe. Robe que la jeune Routh trouvait particulièrement étrange. La jeune fille était bien habillée. Ses vêtements étaient de bonne qualité, elle était bien coiffée, maquillée, elle portait de jolis bijoux en argent, des bracelets, un collier de turquoise, des bagues et des boucles d'oreilles, et elle embaumait le parfum. Pas un parfum vulgaire ou bas de gamme, non, un parfum coûteux. Elle ressemblait à une jeune fille de bonne famille.

S'il n'y avait eu les hématomes. Ils juraient avec sa mise et son allure. Elle remarqua les traces de doigts sur le cou. Elle dévisagea Kyma. La maîtresse du sale type ! Son visage exprima une franche hostilité.

— Je ne suis pas ton ennemie, dit Kyma qui avait vu l'expression de Routh passer de la suspicion à la colère. Je ne t'aurais pas apporté une arme sinon. Et... je sais ce que tu penses, ajouta-t-elle en regardant sa robe. Je ne suis pas sa maîtresse ou sa favorite, je suis juste une esclave. Comme toi.

— Je ne suis pas une esclave, répondit machinalement Routh.

— Oui, et par chance et ton dominus n'est pas Aulus Flavius.

— ...

— Prends ça, dit Kyma en lui tendant le pugio. Cache-le, tiens-toi prête et protège l'enfant si tu tiens à lui.

Kyma ne s'était pas plus attardée.


***


Routh avait entendu les cris et le choc des armes. Elle s'était approché de la porte qui donnait accès au balcon, elle avait entendu les soldats jurer. Les ordres qui les enjoignaient à ne pas quitter leur poste. Elles avait sorti le pugio et l'avait passé à sa ceinture derrière son dos. Gaïus l'avait regardée en fronçant les sourcils. Routh s'était assise sur le lit et avait tapoté sur le matelas pour que l'enfant vînt la rejoindre. Gaïus était encore petit, mais c'était un enfant vif et il lui faisait confiance.

— Bubo*, l'appela-t-elle par son petit nom. Viens ici, il faut que je te parle.

L'enfant obéit.

— Ta mère arrive.

— Maman ? s'illumina l'enfant.

— Oui, mais... Bubo, les gens ici...

— Ils sont méchants, se renfrogna l'enfant. Ils ont pris papa. Il va bien ? Tu sais où il est ?

— Ils ne lui ont pas fait de mal, et non, je ne sais pas où il est, mais ta mère le trouvera.

— Elle vient tuer les méchants ?

— Euh... je ne sais pas trop. Elle vient te récupérer en tout cas.

— Pourquoi ils sont méchants ?

— Je ne sais pas. Ils sont jaloux, je crois.

— Ce n'est pas bien ?

— Non.

— Ah...

— Bubo, si des gens que tu ne connais pas viennent te chercher, enfuis-toi.

— Maman n'est pas venue avec des amis ?

— Si, mais je ne les connais pas. Tu ne peux faire confiance à personne, sauf à Serena, Héllènis, Méléna, moi, et tes parents.

— Pas à Pagona et Tovias ?

— Si, bien sûr, à eux aussi, mais à personne d'autre.

— Et Andratus ?

— Je ne crois pas qu'il soit là.

— Et Hanneh ?

— À Hanneh aussi.

— J'aime bien son gruau et son fromage de chèvre, sourit l'enfant.

— Oui, moi aussi. Mais Bubo... tu m'as bien entendue, personne d'autre. Et si tu peux, tu fuis.

— Mais où ? s'inquiéta l'enfant.

— Tu ne te souviens pas quand on joue à cache-cache ?

— Si.

— Tu joues à cache-cache et tu attends que quelqu'un que tu connais vienne te chercher. Personne d'autre que ceux que je t'ai nommés. Tu ne fais confiance à personne.

L'enfant se pinça les lèvres et hocha la tête.

— Tu es un garçon courageux.

Elle ouvrit les bras et le petit garçon vint se blottir contre elle.

.

Il y eut des cris. Les soldats se précipitèrent sur la porte. Elle ne s'ouvrit pas.

— Elle est barrée !

— Mais qu'est-ce qu'on fait ? On tue le gamin ?

— Non, mais ils viennent pour lui, ils ne nous toucheront pas si nous l'avons. Aidez-moi à défoncer cette porte de merde et bloquez l'autre !

Le soldat blessé tira un coffre, mais déjà la porte cédait. Il dégaina son glaive.

— Ensemble ! entendit-il crier.

La porte s'ouvrit brusquement, le battant frappa le soldat à la tête et il roula par terre. Deux autres s'étaient emparés d'un coffre pour enfoncer la porte qui menait à la chambre de Gaïa. Les trois restants attaquèrent les gladiateurs. Le coffre arracha la porte de ses gongs. Aeshma cria. Elle croisa ses bras devant elle et les écarta brusquement. En face d'elle le garde hurla, la gorge doublement tranchée. Elle lui passa littéralement dessus. Galini et Marcia combattaient ensemble contre deux soldats, Germanus roula à terre, sa technique avait marché sur le toit, elle se révéla payante une nouvelle fois. L'homme bascula par-dessus son dos.

— Galini ! cria-t-il soudain.

La jeune fille se retourna, le soldat se relevait sur un genou, Galini lui trancha le visage de haut en bas, emportant un œil et son nez. Il donna des coups de glaive au hasard en hurlant. Galini lui écrasa le visage d'un coup de talon. L'homme s'écroula, mais elle s'était détournée trop longtemps. Marcia avait paré, bataillé, poussé des cris, mais les deux gardes n'étaient pas des novices. L'un d'eux la déborda. Il se fendit en avant. Marcia lui trancha les doigts, mais le coup avait porté, la tunique de Galini se teinta de rouge. Elle avait glissé sur le côté pour esquiver le coup. Pas assez vite. L'homme avait lâché son arme, Marcia lui planta son pugio dans la gorge et fit face au dernier soldat. Furieuse et terriblement efficace. L'homme recula, se cogna contre une table. Marcia lui sauta dessus. Il bascula sur le plateau, elle tenait toujours son pugio, elle le brandit et lui enfonça dans la jugulaire.

— Gal, dit-elle en se relevant.

— Ça va... grimaça la jeune fille.

— Tu saignes.

— Toi aussi.

Le glaive du soldat avait ripé sur ses côtés quand elle lui avait sauté dessus.

— Mais ce n'est rien, toi, tu saignes vraiment.

Galini avait été touchée à l'arrière de la cuisse.

— Ça ira, Marcia, mais, euh, je ne crois pas que je pourrais marcher. Va aider Aeshma et Germanus, dépêche toi.

Marcia jeta un bref coup d'œil dans la pièce, elle attrapa un linge qui traînait sur une table le plia et le tendit à Galini.

— Maintiens ça sur ta blessure.

— D'accord.

Des jurons et des insultes retentirent dans la pièce adjacente. Marcia posa une main sur l'épaule de Galini et courut rejoindre les deux meliores.


***


Les hommes de Silus avaient quitté la cour et s'étaient retranchés dans le jardin, mais ils gardaient le corridor et les gladiateurs n'arrivaient pas à forcer le passage.

La cour était dégagée seulement occupée par les gladiateurs et les dominas. Serena sortit de la forge. Des corps gisaient dans des mares de sang. Elle se pinça les lèvres. Les dominas étaient toujours à cheval. Elle se précipita.

— Domina ! dit-elle en arrivant vers Julia.

— Serena !

— Domina, des hommes sont enfermés dans la remise.

— On va les libérer, assura aussitôt Julia. Dacia, tu peux y aller avec Serena et tes camarades ?

— Non, désolée, domina. Astarté vous a confiée à nous, on ne vous quitte pas d'une semelle.

Julia soupira, rien ne servait de discuter avec les gladiatrices.

— Corvinus, tu peux y aller avec Ursus ? demanda-t-elle au garde.

Le garde hésita.

— J'ai quatre gladiatrices et mon forgeron avec moi, tu crois qu'il peut m'arriver quelques chose ?

— Euh... non. On y va, Ursus, dit-il en appelant son camarade. Conduis-nous, jeune fille.

— Ils sont retenus là-bas dit Serena en désignant une porte. Berival, s'il te plaît, accompagne-les. J'ai autre chose à faire.

Le forgeron obtempéra.

— Domina, demanda Serena. Aeshma est là ?

— Oui, mais elle est entrée par un autre côté.

— Elle n'a rien apporté avec elle ?

— Non.

— Elle ne vous a rien confié ?

— Non.

Serena se décomposa. Comment Aeshma avait-elle pu ne rien apporter pour soigner les blessés ?

— À nous, à nous, elle nous a donné des trucs, intervint Ishtar.

— Du matériel médical ?

— Oui. On en a transporté chacun dans nos sacs.

— Qu'est-ce que vous en avez fait ?

— On a tout rangé dans la forge.

— Elle n'est pas là, j'en ai besoin. Tu m'accompagnes ?

Ishtar regarda Dacia.

— Tu sais soigner ? demanda Dacia à Serena.

— Oui.

— Vas-y, Ishtar, accompagne-la.

Les deux jeunes filles partirent. Gaïa tourna la tête vers le groupe de gladiateurs massés devant la porte. Astarté s'approcha.

— Domina, il n'y a pas d'autre accès ?

— Par la terrasse, là-haut, répondit Julia en montrant la terrasse sur laquelle s'était tenu Silus avant de sauter dans la cour.

— Ouais, mais c'est haut et il faut des cordes et des grappins.

— Pourquoi vous ne nous laissez pas faire ? demanda Gaïa.

— Faire quoi, domina ?

— Tirer.

Astarté se pinça les lèvres. L'idée lui plaisait, mais...

— On peut se tenir hors de portée des pilums, si c'est ce que tu crains. Et s'ils ressortent dans la cour, vous serez là, non ?

— Ouais.

— Alors ?

— Vous aurez assez de flèches ?

Les deux jeunes femmes inspectèrent leurs carquois.

— Assez pour faire des dégâts, déclara Gaïa.

— D'accord, accepta Astarté. Mais vous, domina, à partir de maintenant, vous nous suivez, moi et Atalante, et vous... dit-elle en se tournant vers Julia. Vous restez avec les bestiaires. Dacia ?

— Sur ma vie, Astarté.

Gaïa et Julia dirigèrent leurs montures vers la porte. Elles confièrent aux bergers la tâche de les tenir immobiles. Tempestas et Bruna étaient dociles aux cavalières, mais ils bougeraient moins si on les maintenait aveugles et qu'ils se sentaient en sécurité. Les deux bergers posèrent des paenulas sur la tête des chevaux. Astarté lança des ordres. Elle estima la distance de sécurité, désigna leurs emplacements à ses deux protégées, puis elle appela Atalante. Elle lui expliqua l'idée de Gaïa. Atalante lança à la jeune femme un regard d'admiration et courut prévenir tout le monde. Les gladiateurs refluèrent dans la cour et se plaquèrent de chaque côté du mur. Gaïa et Julia encochèrent leurs premières flèches.

— On tire en alternance, Gaïa.

— On compte ?

— D'accord. Je commence : un.

La flèche partit. Julia en attrapa une seconde et l'encocha

— Deux, dit-elle avant de tendre son arc.

— Trois, lança Gaïa en décrochant sa flèche.

Elle prononça le chiffre quatre quand elle encocha une nouvelle flèche.

— Un, recommença Julia.

Astarté échangea un regard avec Atalante. Ces deux dominas, méritaient leur place parmi eux. Dans le couloir, les hommes s'étaient réjoui du replis des gladiateurs, les premières flèches douchèrent leur joie.

Astarté sourit, mais le plus difficile restait à venir : forcer le passage.

— Domina ? interpella-t-elle Gaïa.

— Mmm ?

— Vous voyez au-delà du corridor ?

— Oui.

— Vous pourrez tirer par-dessus la tête des gladiateurs s'ils s'y engagent ?

— ...

— Sans tous les tuer ? précisa Astarté.

— Je...

— Il faut attaquer, domina. Là, on défend, mais on n'avance pas.

— Je ne suis pas sûre de...

— C'est la guerre.

Gaïa soupira profondément.

— Je ne veux pas que nous tuions tes camarades.

— Je veux remporter cette bataille, domina.

— On fera ce que tu nous diras de faire, Astarté, intervint Julia.

— Super.

— Mais ensuite, tu m'emmènes avec toi, ajouta Julia. Il est hors de question que je reste dans la cour.

— D'accord, accepta la Dace sans protester. Ajax, Sabina ! appela-t-elle.

Les deux meliores se détachèrent du mur. Ils écoutèrent Astarté, hochèrent la tête et repartirent. Ils transmirent les ordres. Les assaillants se déplacèrent. Sabina, Ajax, Enyo et Publius se placèrent au plus près de la porte. Venaient ensuite un prétorien, Tibalt, ses deux fils, Berival, Dolon, son fils et Gallus. Il appela Ishtar et la jeune fille abandonna Serena et Pagona. Astarté, avec l'assentiment d'Atalante, libéra Dacia et Celtine. Quand Astarté jugerait le moment venu, elle lancerait un cri et les gladiateurs se lanceraient à l'assaut.


***


Silus traversa le jardin et l'atrium une main plaquée sur sa cuisse. Il rameuta tous les hommes qu'il rencontra. Il en envoya certains renforcer le troupes qui affrontaient les gladiateurs et garda les autres avec lui. Les meilleurs, les plus valeureux. Il retrouva Aulus Flavius dans le salon. Le procurateur faisait les cent pas.

— Alors ? demanda-t-il dès qu'il aperçut son centurion.

— Il faut que vous partiez.

— Tu plaisantes ? Combien as-tu d'hommes ? Soixante ? Soixante-dix ? Combien d'hommes nous attaquent ?

— Une vingtaine.

Le procurateur se mit à rire.

— Tu veux que je fuis alors qu'une vingtaine d'homme et de femmes attaquent soixante de tes hommes. Silus, mon cher Silus.

— Nous n'avons pas soixante hommes, procurateur. Seulement ceux qui sont ici. Vingt-neuf soldats et vos gens. C'est tout.

— Et les autres ?

— Ils sont morts.

— ...

— Ils n'ont pas encore répondu à l'appel. Ils sont morts. Les gladiateurs ont dû attaquer les camps avant de venir ici. On les battra peut-être, procurateur, mais je ne veux prendre aucun risque, il faut que vous partiez.

— Pour me faire cueillir à la porte de la villa ?

— Les gladiateurs ont attaqué par la grande cour, ils ne sont pas une armée. Vous n'êtes pas leur objectif.

— Gaïus et Quintus Valerius ?

— Oui, d'ailleurs, je pense qu'un groupe est passé par ailleurs. Je n'ai repéré ni la Gladiatrice Bleue ni Marcia Atilia parmi les assaillants. C'est pour cela aussi que je veux que vous partiez.

— Où ?

— Rejoignez le Cupidon et appareillez aux premières lueurs du jour.

— Et si on m'attend là-bas ?

— En pleine nuit ? Pff... Le propréteur et le centurion de la Fulminata ne sont pas là, les édiles vous sont pour la plupart acquis, j'ai repéré dans la cour le centurion qui se trouvait présent lors de l'arrestation de Julia. Vous n'aurez aucun problème pour partir.

— Et toi ?

— Je tue tous ceux que je peux et je vous retrouve à Sidé.

— Viens, maintenant.

— Vous voulez laisser Gaïus à Julia ?

Une expression cruelle se dessina sur le visage d'Aulus Flavius.

— Non.

— C'est une mesure de sécurité, Aulus. Ils ne passeront pas le jardin.

— Et si on leur ouvre ailleurs ?

— Les gens de Julia sont planqués sous leur lit.

— Mais elle doit savoir pour les chevaux.

— Je ne vais pas vous laisser partir seul. Crassus, je te confie le procurateur. Il y a quatre chevaux à l'écurie, prends deux hommes avec toi.

L'homme commença à aboyer des ordres. Silus en avait profité pour se confectionner un bandage. Sa blessure à la cuisse était profonde et douloureuse. Il claqua des doigts. Deux soldats se dressèrent. Il leva la tête, on se battait quelque part à l'étage.

— Tu transmettras mes salutations à Marcia Atilia et à Aeshma, ricana Aulus avant de quitter le centurion.

.

La fuite du procurateur dépendait du facteur chance. Silus n'avait aucune idée du nombre de combattants dont disposait Julia. Combien de prétoriens suivaient le centurion, combien de bergers elle avait pu rameuter. Il avait assuré à Aulus Flavius que les légionnaires et les hommes du propréteur n'auraient pas mis des troupes à la disposition d'un envoyé de l'Empereur. Il espérait sincèrement que c'était le cas. Le Cupidon offrait la meilleure option. Aulus y retrouverait des hommes fidèles. Partir avec trois soldats par voie de terre en pleine nuit était complètement stupide. Dangereux. La montagne était le territoire des bergers. Des bergers fidèles à Julia Metella. Le procurateur n'échapperait pas à leurs yeux et Julia saurait très exactement où se trouvait l'homme qu'elle haïssait. Si Aulus s'embarquait, il deviendrait invisible.

De plus, Patara dormirait quand Aulus Flavius atteindrait le port. Son arrivée avait de grandes chances de passer inaperçue. Silus envisageait aussi d'offrir un petit cadeau au procurateur. Il ne doutait pas de sa victoire. Les gladiateurs étaient de bons combattants, mais même contre la moitié de ses hommes, ils ne vaincraient pas. Il tuerait Quintus Valerius Pulvillus, mais il le ferait en présence de Julia. Il le viderait de ses entrailles devant elle, lentement. Quand les gladiateurs seraient vaincus, il les ferait attacher, bien serrés, et les livrerait à ses hommes. Ils en feraient ce qu'ils voudraient. Il se réservait seulement, si elles avaient survécu, Gaïa Metella et Marcia Atilia. Pour le plaisir de les humilier devant Julia. Mais pour l'instant, sa priorité était Gaïus.


***


Galini se leva d'un bond, cria de douleur, vit des lumières lui bombarder les yeux malgré l'obscurité ambiante et s'écroula sans force sur le sol. Un soldat s'approcha.

— Ne perds pas ton temps avec elle, lui intima Silus.

L'homme grogna contrarié, lança un coup de pied dans le corps qui gisait inconscient devant lui et bondit à la suite de Silus et de son camarade dans la pièce suivante. Elle était vide. Aeshma n'avait pas vu l'enfant et la fille qui était censée s'occuper de lui quand elle était rentrée, mais les gardes en faction sur le balcon. Elle n'avait pas eu le temps de se poser plus de questions. Germanus était arrivée au bon moment et quand Marcia les avait rejoints, le combat s'était déjà déplacé sur le balcon. Marcia avait demandé à Aeshma où se trouvait Gaïus. Aeshma avait répondu qu'elle ne savait pas et la jeune fille en avait conclu qu'il avait été déplacé dans l'autre appartement.

— Je vais les prendre à revers !

— Marcia, avait tenté de la retenir Aeshma.

— Je connais la maison, Aeshma, s'il l'emmène par l'autre côté, c'est fichu.

Germanus était engagé, Aeshma ne pouvait pas l'abandonner, elle approuva l'idée de la jeune fille, même s'il lui déplaisait qu'elle se retrouvât seule.

— Où est Galini ?

— Hors combat.

— Vas-y, mais...

— Je serai prudente.

.

Elle tomba nez à nez avec Silus en sortant de l'appartement

— Marcia Atilia, la reconnut-il tout de suite.

Stupidement surprise, la jeune fille n'eut pas le temps de se mettre en garde. Silus lui envoya le pommeau de son glaive en pleine figure, il enchaîna par un crochet. Elle heurta le mur, sa tête cogna durement et elle glissa à terre.

— Débarrasse-la de ses armes.

— On ne la tue pas ?

— Elle n'est pas prête de se réveiller. On la récupère après. Donne-lui un petit coup sur la tête pour être sûr.

.

Marcia avait pensé prendre les hommes du procurateur à revers et c'était Germanus et Aeshma qui se retrouvaient coincés.

— Dos à dos, Germanus ! cria-t-elle à l'hoplomaque.

Elle jura entre ses dents. Elle n'avait pas retrouvé le fils de la domina et elle avait perdu Galini. Et Marcia. Marcia s'était fait coincer. Cette imbécile s'était fait surprendre. Aeshma avait échoué. Raté la mission que lui avaient confiée les dominas, trahi leur confiance et perdu sa pupille. Perdu Marcia. Le désespoir lui serra le cœur puis, elle réalisa qui venait d'arriver sur le balcon. La rage lui déforma les traits du visage.

Silus ne connaissait rien de la jeune Parthe sinon qu'elle était une grande gladiatrice, qu'elle avait autant de talent intime que la meilleure des prostituées, que c'était une tueuse et que Gaïa Metella avait un faible pour son corps. Mais il ne savait pas l'importance qu'avait pris Marcia dans sa vie. Il ne savait pas que Gaïa Metella et la jeune gladiatrice avaient depuis longtemps dépassé une simple relation d'ordre sexuel. Il ne savait pas quels liens l'unissaient à Julia Metella, qu'elle lui avait fait un serment. Il ne savait pas qu'elle le haïssait, qu'elle le tenait responsable de la tristesse de Julia et qu'elle pensait qu'il avait tué sa protégée. Il ne savait pas qu'Aeshma avait protégé Marcia comme elle avait protégé Abechoura quand elle était jeune, qu'elle avait reporté cette protection sur la jeune fille du tribun Valens et qu'elle s'était inconsciemment promise de ne jamais faillir. De ne pas trahir une seconde fois.

Aeshma venait de retrouver Abechoura, mais cela n'avait pas racheté ce qu'elle ressentait toujours comme une trahison envers sa sœur et maintenant, elle venait de trahir Marcia. Marcia était morte. Par sa faute. Elle n'aurait jamais dû accepter que la jeune fille partît seule prendre les soldats à revers.

— À mort ! hurla-t-elle en rage.

Germanus le prit comme un cri d'encouragement, celui de la dernière chance. Il puisa son courage dans la force de caractère de sa camarade, oublia tout le reste. Il mourrait à ses côtés. Si on le lui avait demandé, il n'aurait pas choisi de mourir aux côtés d'Aeshma, il aimait bien la jeune Parthe, mais il aurait aimé mourir avec... Avec qui ?

Un seul nom s'imposa à lui. Un nom auquel il n'aurait jamais pensé. Une révélation. Au moins, il devrait à Aeshma d'avoir compris qu'il avait aimé, qu'une personne comptait pour lui un peu plus que les autres, qu'il aurait aimé la revoir une dernière fois et qu'il n'aurait pas la chance qu'avait eu Lucanus de mourir les yeux plongés dans les siens. Au moins, il savait. Et puis, Aeshma était une bonne camarade, une fille qu'il admirait et qui l'amusait malgré son mauvais caractère. Une femme qu'il avait appris elle aussi à aimer à Rome. Il était heureux de partager ses derniers moments avec elle. Ils appartenaient tous deux à deux grands peuples de guerriers, des peuples libres et fiers. Si différents pourtant. Ses compatriotes n'avaient jamais croisé un Parthe. Lui, en avait croisé une. Une belle rencontre.

Un glaive lui déchira la poitrine et ses pensées s'orientèrent vers un seul but auquel le melior avait pourtant renoncé. Survivre et vaincre. Son conditionnement de gladiateur était plus fort que sa raison.


***


NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

Illustration : Dés romains

Le surnom que donne Routh à Gaïus : Bubo : la chouette ou un hibou grand ou moyen-duc.



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