Chapitre CII : Du sang, des larmes et du courage... jusqu'à la lie


Zmyrina était accoudée au bastingage de la Stella Maris. Elle observait distraitement l'activité qui régnait sur les quais.

Elle avait rarement vu une femme ou même un homme s'adonner à autant de violence inutile que la domina. Personne n'avait daigné lui expliquer ce qui avait causé cette crise de démence. Elle avait suivi les ordres pressant de Néria, marché comme une mule pendant des heures pour se retrouver inutile et abandonnée à son sort sur un navire marchand. Le garde personnel de la domina avait porté celle-ci inconsciente à l'intérieur du bateau. Tout le monde arborait une désolante mine lugubre. La sœur de la domina n'était pas rentrée avec elle. Zmyrina appartenait à Gaïa Metella.

Elle se demanda si la bestiaire aux cheveux d'or ne s'était pas fourvoyée. Elle lui avait prédit une vie heureuse et tranquille. La domina était folle de rage, ils avaient fui Rome en catastrophe et autour d'elle, elle ne décelait que colère, abattement, ruine et désolation.

Des cris de rage, des jurons, le hennissement d'un cheval et des insultes lancées par des voix colériques, attirèrent son regard. Un mouvement de foule, un cavalier pris à parti. De longs cheveux. Une cavalière. Zmyrina n'avait jamais vu de Romaines monter à cheval. Marcia montait, mais dans l'arène. Les Romaines étaient stupides. Zmyrina montait quand elle était enfant. Sa mère aussi, tout comme Shamiram et la plupart des femmes qui les accompagnaient quand ils voyageaient. Elle se souvenait avoir aimé les chevaux, avoir éprouvé de la peur, mais aussi du plaisir et de la joie quand elle montait. Elle fronça les sourcils. La cavalière avait mené sa monture au bord du quai et elle leva la tête vers elle.

Shamiram.

- Eh, toi, là-haut, l'interpella la cavalière. Trouve-moi quelqu'un pour s'occuper de mon cheval.

Zmyrina se redressa et jeta un regard sur le pont. Elle ne connaissait personne. Elle se pencha de nouveau au dessus du bastingage.

- Amène-toi ! exigea l'impatiente petite Parthe.

Zmyrina descendit sur le quai. Un homme s'approcha de la cavalière pour lui reprocher sa façon de mener son cheval comme une sauvage. Zmyrina n'entendit pas ce que lui répondit la jeune femme, mais l'homme blêmit et s'éloigna sans plus lui chercher de noise.

Aeshma se laissa glisser à terre. Elle dévisagea la jeune femme qui s'approchait, elle ne l'avait jamais vue, elle devait appartenir à la familia de Julia. Elle lui tendit les rênes.

- Garde-le, je t'envoie quelqu'un. Ne te le fais pas voler surtout, il appartient au ludus Bestiari.

C'était bien elle. Plus qu'un visage ou une expression, c'était son attitude qui encore une fois ravivait les souvenirs de Zmyrina. Sa brusquerie, son air revêche. Elle serait peut-être revenue sur son jugement s'il n'y avait eu Marcia et la grande gladiatrice, parce que Zmyrina ne comprenait pas vraiment comment elle avait pu reconnaître sa sœur au forum. Peut-être ses yeux. Zmyrina l'avait tellement aimée. Tellement haïe. Elle l'avait tellement pleurée.

Qu'est-ce qu'elle faisait ici ?

Si elle en avait eu l'intention, Zmyrina n'aurait jamais eu le temps de poser sa question à Aeshma. La gladiatrice était déjà sur le pont du navire avant qu'elle n'eût le temps d'ouvrir la bouche.

Aeshma interpella la première personne qu'elle vit. On l'envoya à la poupe. La cabine, comme sur l'Artémisia se trouvait sous le pont, tout à fait à l'arrière. Elle trouva Antiochus et Néria devant la porte qui y donnait accès au salon. Néria l'accueillit avec soulagement.

- Aeshma, je suis si...

- Pourquoi vous êtes là ? la coupa brutalement la gladiatrice.

- Elle... euh... répondit le géant.

- Elle ne veut voir personne, laissa sombrement tomber Néria.

- Elle s'est enfermée ?

- Non.

Aeshma posa la main sur la porte et l'ouvrit. Julia savait aménager ses navires aussi bien que Gaïa, pensa Aeshma en entrant dans le salon. Pour le peu qu'elle en voyait dans la pénombre, la cabine était confortable et richement meublée. Un cri de colère retentit et Aeshma évita de justesse un pot en terre.

- Domina... l'appela-t-elle doucement.

- Laissez-moi ! Je vous ai dit de me laisser !

Il faisait sombre. Gaïa avait profité de la lumière de la lampe qui brillait dans le couloir pour la viser. Aeshma referma la porte. Elle entendait la respiration haletante et furieuse de la domina.

- Domina...

Un glissement, un bruit de pas. Aeshma jura, un objet se fracassa sur sa tête. Deux coups de pieds et un violent revers de main suivirent. Elle se retrouva à terre, roula en arrière sur une épaule et se releva sur un genou en secouant la tête.

- Domina, c'est moi...

- Je n'aime pas qu'on contrevienne à mes ordres, siffla Gaïa entre ses dents.

Aeshma ne lui ferait pas entendre raison, elle opta pour la manière forte. Elle se sentait sonnée, mais elle était meilleure que la domina à ce genre de jeu. Elle se déplaça à genoux, chercha son adversaire. Sa main trouva une cheville. Gaïa poussa un cri de surprise et s'envola. Elle atterrit durement sur le dos. Sa tête heurta le sol, elle râla. Aeshma s'était déjà assise sur elle avant qu'elle ne sut ce qui s'était passé. Une main se referma sur la gorge de la jeune Alexandrine. Gaïa se débattit, elle rua, envoya gifles et coups de poing, chercha à crocheter la tête d'Aeshma avec ses pieds. Les doigts de la gladiatrice se resserrèrent. La respiration de Gaïa devint laborieuse.

- Domina, dit une nouvelle fois Aeshma.

Gaïa rua furieusement, elle mit toutes ses forces dans le mouvement de son bassin. Aeshma partit en avant, mais maintint sa position.

Épuisée, sans souffle, Gaïa capitula. Tout son corps devint mou. Aeshma attendit un moment, puis elle desserra lentement ses doigts. Gaïa ne bougea pas. La main d'Aeshma s'effaça, puis tout son corps. Gaïa se retrouva seule. Elle entendit la porte s'ouvrir. Elle bascula sur le ventre et se mit lentement à genoux. La porte se referma. Elle laissa son front tomber sur le sol et s'abandonna à son chagrin.

Aeshma avait simplement été récupérer une lampe. Antiochus et Néria avaient écarquillé les yeux en la découvrant le visage en sang, mais elle leur avait intimé du regard à se taire. Elle s'approcha. Gaïa pleurait en silence, recroquevillée sur le sol. Elle s'accroupit devant elle et lui posa une main sur le dos. Elle ne s'était jamais trouvée très douée pour consoler des gens, mais elle gardait à l'esprit qu'Abechoura se contentait de sa présence et de ses bras affectueux, que Marcia n'avait jamais demandé plus non plus. Ceux qui l'aimaient n'avaient jamais eu que le besoin de se sentir aimé en retour.

- Domina...

Sous sa main, Gaïa fut agitée de sanglots et se raidit un peu plus encore.

- Gaïa... fit Aeshma en lui caressant gentiment le dos.

La jeune femme se releva, elle passa ses bras autour du cou de la jeune Parthe et se mit à pleurer dans le creux de son épaule. Aeshma l'enlaça doucement, prudemment.

- C'est ma sœur, Aeshma. Je ne peux pas vivre sans elle. Elle m'a sauvée, elle m'a protégée, elle a toujours pris soin de moi. Il ne me restait qu'elle...

Et Gaïa se confia à la petite Parthe. Elle ne se confia pas à la jeune femme qu'elle aimait, elle se confia à la gladiatrice, à la naufragée qui avait partagé ses souffrances sur le lembos, à celle qui l'avait vu nue, sans artifices, sans faux-semblant. À cette gladiatrice qui l'avait soutenue, à qui elle avait appris à nager, avec qui elle avait partagé du poisson cru, qu'elle avait affrontée, à qui elle avait confié sa vie et qui lui avait confié la sienne en retour.

Son affection pour Julia. Sa tendresse, sa jalousie et son admiration pour Lucia. L'attaque, puis le pillage de la ville, de sa villa. Le meurtre de sa mère, de ses gens, les légionnaires qui l'avaient trouvée, leurs rires gras et gourmands. Le couteau qui tranchait la gorge de l'un, qui lardait le corps de l'autre, Julia qui lui était apparue aussi terrible qu'une Érinye. Sa main chaude, son corps rassurant quand elles s'étaient cachées et qu'elles avaient attendu que le calme revînt, que les pillards s'éloignassent.

Elle lui décrivit le carnage dans toute son horreur. Lucia. Sa mère. Son père agonisant, les mots qu'il avait balbutié à l'intention de Julia. Leur fuite à travers la Décapole et la Judée. Leur embarquement, la terrible traversée. Le phare d'Alexandrie. La promesse et le serment implicite.

- Il ne me restait qu'elle, Aeshma. Elle avait toujours été là, je ne me souviens pas de ma vie sans Julia. Lucia, Julia, je ne faisais aucune différence entre elles. C'est ma sœur, Aeshma. J'ai eu deux sœurs, j'en ai perdu une, mais l'autre est restée à mes côtés. Julia ne m'a jamais manipulée, elle ne m'a jamais rien demandé, elle a juste accepté ce qui était déjà une réalité. Je n'aurais jamais survécu sans elle. Ma sœur... C'est ma sœur...

Gaïa menaçait de sombrer dans une nouvelle crise de démence.

- Vous n'avez pas à me convaincre, domina.

- ...

- Je... euh, je sais ce que vous voulez dire.

Gaïa releva la tête. Elle remarqua le sang qui coulait sur la joue de la gladiatrice, elle l'oblitéra, la déclaration d'Aeshma lui importait plus.

- Ce que vous ressentez, domina. Je le sais. Que Julia est votre sœur, tout le reste...

Gaïa fronça les sourcils.

- Atalante, prononça Aeshma dans un souffle.

Gaïa replongea son nez dans le cou d'Aeshma et laissa de nouveau ses larmes couler.


***


Rien n'étonnait jamais Publius Julius Buteo, il accusa cependant un temps d'arrêt en découvrant Marcia flanquée de ses deux gardes du corps. Le contraste impressionnant entre elle et les deux jeunes femmes qui l'encadraient. Les deux plus grandes gladiatrices des jeux. Dans toute leur splendeur. Leurs tuniques courtes et sans manches laissaient voir leur musculature déliée et les cicatrices blanchâtres qui striaient leur peau hâlée. Les brides de leurs lourdes caligaes s'enroulaient autour de leurs mollets qu'on devinait durs et puissants. Leurs cheveux maintenus par des tresses les identifiaient sans erreur possible à des barbares. Entre ses deux guerrières se dressait Marcia. Une domina. Plus petite, particulièrement bien habillée, coiffée avec beaucoup de soin, elle avait entièrement effacé la gladiatrice qu'elle était. Elle ne s'était jamais présentée ainsi devant lui. Il connaissait la gladiatrice, la jeune fille aimable qui venait se reposer auprès de Gaïa Metella, la furie qui se colletait pour le plaisir avec des hommes dans les bas-fonds de Subure, il n'avait jamais rencontré la fille du tribun Kaeso Atilius Valens, la fille de la mystérieuse et si belle Sine. La fille du chevalier romain et de la princesse barbare. Il ne put s'empêcher de la saluer avec déférence.

- Marcia, que me vaut l'honneur de ta visite impromptue ?

- Comme si tu n'étais pas au courant, répondit-elle durement.

- Une affaire regrettable, reconnut-il.

- Tu étais au courant ?

- Non.

- Tu as assisté à l'arrestation de Julia Metella ?

- Oui.

- Qu'en a vraiment pensé l'Empereur ?

- Il... Titus déteste le mensonge. Le crime dont s'est rendue coupable Julia est très grave, mais...

- Mais ?

- Quelque chose lui a déplu malgré tout.

- Quoi ?

- L'attitude d'Aulus Flavius.

- Je veux voir l'Empereur.

- Pourquoi ?

- Je veux obtenir la grâce de Julia.

Kittos soupira.

- Je ne crois pas que tu l'obtiendras.

- Je veux tenter ma chance, Titus me l'accordera peut-être comme une faveur. Une façon de se faire pardonner.

- Pardonner ?

- Pour les crimes de son serviteur.

- Les crimes ?

- Le meurtre de mon père et de ses légionnaires, celui d'un courrier de l'Empereur, celui d'un cornicularius au service du questeur de la Fulminata, du pillage d'un domaine appartenant à un magistrat de Patara, de vols, d'extorsions, de détournement de fonds, de tentative de viol sur une fille de chevalier.

- Le procurateur a voulu poser la main sur toi ?!

- Il a voulu m'obliger à l'épouser. Pourquoi crois-tu que je suis devenue gladiatrice ?

Astarté tiqua. Elle avait dernièrement appris beaucoup de choses sur Marcia et les sœurs Metella, chaque révélation l'avait sonnée. Et maintenant, cette histoire de mariage ? Elle s'était promis de tuer Téos, pour ce qu'il lui avait fait subir, elle se promit de tuer Aulus Machin pour s'en être pris à Marcia.

- Gaïa Metella n'a pas tout raconté à l'Empereur. Elle lui a simplement dit que le procurateur n'était pas honnête, elle a insinué qu'il avait attenté à la vie de mon père. C'est tout. Moi, je l'accuse de meurtre et de complots contre les intérêts de l'Empire. Julia Metella a servi fidèlement l'Empire et c'est elle qui se retrouve emprisonnée ?

- Tu es sûre de toi ?

- Oui.

- Tu es prête à défendre ta cause devant l'Empereur ? À subir peut-être sa colère ou son mépris ?

- Je suis gladiatrice, Kittos. Tu crois que je n'ai pas déjà bu jusqu'à la lie le mépris des gens ?

Le centurion prit sa décision. Depuis la fin des jeux officiels, Titus s'accordait plus de temps libre, particulièrement après le dîner. Il se retirait dans ses appartements et se réservait la soirée pour lire et écrire. Kittos n'aurait aucun mal à lui arracher un entretien privé.

- Tu pourrais le rencontrer ce soir-même ?

- Oui.

- Allons-y alors.

Marcia hocha la tête. Le centurion s'absenta pour revêtir un habit civil et s'enroula dans une grande paenula grise. Mieux valait Kittos que Publius Julius Buteo pour s'introduire au palais et gagner les appartements privés de l'Empereur.


***


Il n'avait pas résisté au plaisir de jouir de sa victoire.

Il avait d'abord conseillé à Sextus Fannius de quitter au plus vite la capitale et de rejoindre Lugdunum. La nouvelle de sa promotion lui arriverait bientôt. Une nomination comme procurateur en Espagne. Un poste qui lui promettait de faire rapidement fortune. Sextus Fannius n'avait pas attendu une heure avant de plier bagage. La colère et les menaces de sa nièce l'avaient désagréablement impressionné. Tout comme ses gardes du corps. Où Gaïa avait-elle trouvé un homme et une femme aussi terrifiants ?

Après s'être débarrassé de Fannius, Aulus Flavius avait consulté les ordonnances signées de la main de l'Empereur. Titus n'avait consenti à les parapher et à y apposer son sceau que lorsque Julia avait été convaincue de tromperie et de manipulation. Une récompense. Aulus Flavius l'eût aimée plus conséquente, mais l'empereur s'était arrogé une part du butin. La fortune et les biens personnels de Julia avaient été partagés entre les deux hommes.

Aulus avait obtenu le Grand Domaine, le domaine de Pamphylie, l'exploitation de murex et les entrepôts qu'elle possédait à Myra. Titus, sa flotte, les entrepôts de Patara et ceux qui lui appartenaient à Ostie. L'ensemble des marchandises et le personnel servile qui étaient attachés à ces biens revenaient intégralement à celui qui en prenait possession. Aulus n'aurait pas de mal à saborder les affaires de l'Empereur à Patara. Ses affranchis ne posséderaient jamais le sens des affaires qui faisaient de Julia une terrible concurrente. Le Grand Domaine intelligemment exploité par la jeune femme généraient d'énormes recettes et si le personnel se montrait rétif, il ne serait pas difficile à Aulus de le remplacer, il en allait de même pour l'exploitation de murex dont les ateliers étaient réputés pour la qualité de la pourpre qu'ils produisaient.

Après cela, il avait été rendre une petite visite à Julia.

La fière Julia. Enfermée dans une cellule sombre et crasseuse, infestée de vermine. Assise dans de la paille pourrie qui puait l'urine et la merde. Adossée à un pilier auquel étaient reliées ses chaînes. On lui avait retiré sa palla, sa robe et ses chaussures. Elle était pieds nus. Sa tunique était sale et portait déjà des accrocs. Elle avait les cheveux dénoués et emmêlés. Ses compagnons de captivité n'avaient peut-être pas apprécié son côté trop propre sur elle. Après tout, la cellule n'accueillait que des esclaves coupables de délit de fuite, de vols, de meurtres ou de viols sur des citoyens. La lie de l'humanité.

Un rictus mauvais déforma les traits d'Aulus Flavius.

- Ils sont enchaînés ? demanda-t-il au geôlier qui les avait accompagnés jusqu'à la cellule où était gardée Julia.

- Oui, autrement ils passent leur temps à se battre. De toute façon, ils ne restent pas longtemps ici. Dès que la sentence est prononcée, ils sont déférés ailleurs. Il y a un départ prévu demain matin.

- La nouvelle en fait partie ?

- Celle avec les beaux vêtements ?

- Celle-là même, ricana Aulus.

- Oui, elle fait partie du convoi. Elle a été condamnée pour usurpation d'identité, une décision signée par l'Empereur en personne.

- Tu sais où ils iront ?

- En Sicile. On a besoin d'esclaves pour l'exploitation d'une mine de sel dans le sud.

- Excellente décision, se réjouit Aulus Flavius. Je peux aller lui parler ?

- Comme il vous plaira, seigneur, mais gardez-vous des mains crochues.

- Je peux rentrer avec mon garde ?

- Bien sûr.

Le geôlier se tourna vers Marcus Silus et lui tendit des verges.

- Vous pouvez vous en servir, mais n'estropiez personne.

Il ouvrit la porte.

.

Les prisonniers se recroquevillèrent misérablement au passage du procurateur. Pas assez vite pour certains qui gouttèrent les verges. Julia n'ouvrit pas les yeux. Rien de ce qui pouvait se passer dans ces geôles ne l'intéressait. Elle tâchait seulement d'oublier. Marcus Silus lui caressa le visage du bout des verges. Elle ouvrit les yeux.

- Bonjour, Julia, fit Flavius d'une voix doucereuse.

- Vous êtes venu vous repaître de votre minable petite victoire ? lui demanda-t-elle.

Aulus fit un signe de la main, les verges cinglèrent le visage de la jeune femme. Une grande traînée sanglante apparut sur sa joue gauche. Elle serra les dents.

- Mmm, apprécia Aulus Flavius. Je vois que tu as vite retrouvé tes réflexes d'esclave.

Elle lui cracha sur les pieds. Un revers de main lui éclata une lèvre.

- Je suis juste venu te dire adieu, continua Aulus Flavius. J'ai appris que tu partais demain à l'aube pour les mines de sel, n'attends pas de secours de Gaïa Metella. Elle est étroitement surveillée. Si tu veux savoir, elle est arrivée dans un sale état sur ton navire. Enfin, sur ton ex-navire. Titus s'est approprié ta flotte commerciale. D'ailleurs, on a vu la Gladiatrice Bleue partir à fond de train. Il est à parier que Gaïa sera occupée cette nuit.

- Tu n'es qu'un sale chien puant le lucre, cracha Julia.

- Si tu savais comme la Gladiatrice Bleue a apprécié ma queue, grasseilla-t-il d'un air salace.

Julia avait envie de vomir, l'homme était un ramassis ignoble d'abjection et de dépravation.

- Je connais bien Téos, j'espère bien pouvoir encore profiter de ses gladiatrices, lui susurra-t-il encore. Je n'ai pas réussi à savoir à qui allait les préférences de Gaïa. Toi, bien évidemment ce n'est pas très difficile de le deviner. Quintus. Le si beau Quintus Valerius Pulvillus, se moqua-t-il. Je pars pour Patara. Tes domaines et ton exploitation de murex à Myra demandent mon attention. Je crois qu'il va falloir que je m'assure de la fidélité de mon personnel.

Imperceptiblement, malgré sa volonté de ne pas réagir, Julia se troubla.

- L'Empereur m'a été très reconnaissant de démasquer la supercherie dont tu t'es rendue coupable, il m'en a offert les titres de propriété en guise de remerciement. Je saluerai Quintus de ta part.

Aulus se fendit d'une moue contrariée.

- Il sera déçu d'apprendre qu'il lui faut une nouvelle femme s'il veut un héritier. Ton bâtard n'a aucun droit sur le patrimoine de Quintus Valerius. Né d'une esclave, il est esclave lui-même. Tu sais quoi ? Je vais me l'approprier. Quintus ne sera peut-être pas d'accord, mais personne ne recherchera le fruit honteux d'une supercherie. Je suis sûr que ton fils fera un adorable petit giton quand il sera un peu plus grand. Deux ans, c'est un peu jeune. Mais il peut déjà se rendre utile. Les enfants ont la main douce et la langue agile.

La respiration de Julia s'accéléra. Quintus ne le laisserait jamais faire, et si oui, Routh, Tovias et Pagona ne céderaient jamais Gaïus aux mains d'un étranger, pas sans sa permission. Ils le protégeraient. Mais comment s'opposeraient-ils au procurateur de Lycie, à son infâme centurion et à ses hommes ? Gaïus était innocent. Il n'avait pas demandé à naître d'une mère esclave. Elle jugula sa colère à grand-peine. Elle ne voulait pas lui offrir la satisfaction de jouir de sa chute et de sa détresse.

- Ta fortune illégalement acquise, ton bâtard ? Il ne te reste rien, Julia. Même pas ta vertu. L'endroit me dégoûte trop, mais je ne crois pas Silus aussi délicat.

Il jeta un coup d'œil interrogateur à son centurion.

- Elle est encore propre, c'est tout ce qui m'importe, répondit le centurion.

- Tu n'aurais jamais dû te dresser contre moi, Julia, claqua la voix glaciale d'Aulus Flavius. Tu paieras très cher le prix de ton arrogance et de ton infamie, et ton fils aussi.

- Je te tuerai, Aulus, et si ce n'est moi, Gaïa s'en chargera, répliqua Julia d'une voix glaciale.

- Pff... souffla Flavius avec mépris. Silus, s'il te plaît, fais-la taire.

Le centurion attrapa Julia par le col de sa tunique et la souleva de terre.

- Ne me touche pas !

Il ricana, l'empoigna de sa main libre par les cheveux et lui plaqua les lèvres sur la bouche. Il poussa un cri de douleur et recula précipitamment la tête.

- Cette chienne m'a mordu !

Julia souriait méchamment, la bouche en sang. Silus lui asséna un violent coup de poing au visage. Elle fléchit sur ses jambes.

- Déshabille-la, ordonna Flavius.

Le centurion lui arracha ses vêtements. Quand elle fut nue, Aulus conseilla à Silus de la jeter au sol sur le ventre. Julia chercha à se défendre. Deux nouveaux coups la laissèrent face contre terre, presque inconsciente. Pas assez cependant pour ne pas sentir les mains dures du centurion lui soulever le bassin, pas assez pour ne pas gémir de douleur quand il la força brutalement, qu'il lui tira violemment les cheveux en arrière. Pas assez pour ne pas entendre ses grognements et les ahans obscènes qu'il éructait en lui bavant dessus.

Elle pensa à Lucia. Julia n'avait pu la sauver. Elle avait sauvé Gaïa. Gaïa les vengerait. Toutes les trois. Marcus Silus, Aulus Flavius, Titus ? Gaïa les tuerait tous.

Gaïa...

Sa petite sœur tant aimée. Son sourire tendre et légèrement sarcastique s'imposa devant de ses yeux, puis elle sombra dans l'inconscience.


***

NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

Illustration : statuette en bronze représentant le Galate mourant (détail), d'après un marbre conservé au musée du Capitol à Rome, lui même copie d'un bronze du III sc av. JC commandé par le roi Attale Ier de Pergame pour célébrer sa victoire contre les Galates.

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