Chapitre CI : Les sœurs de sang


Astarté se pinça les lèvres et s'arrêta de parler. Elle n'arrivait toujours pas à comprendre même après l'avoir raconté à ses camarades ce qui c'était vraiment passé. Un silence mortel suivi.

Atalante venait d'entendre se répéter sa propre histoire. Julia et Gaïa. Elle et Aeshma. Son estime pour les dominas monta encore d'un cran. Le récit d'Astarté apportait un nouvel éclairage sur les personnalités des deux jeunes femmes, sur les choix qu'elles avaient pu effectuer dans leur vie et qu'elles continuaient d'effectuer, sur leurs comportements et leurs attitudes vis à vis d'elles-mêmes et des autres. Sur la relation qu'avait nouée Gaïa avec Aeshma. Sans le savoir, la petite Parthe avait rencontré une personne admirable. Quelqu'un qui ne lui mentirait jamais. Qui ne la bercerait pas de fausses paroles et de fausses attitudes. Son affection pour Aeshma ne dissimulait aucune part d'ombre, aucune hypocrisie. Devant Julia, comme devant Aeshma, ne se dressait que Gaïa. Entière et honnête.

Aeshma ne trouvait aucun sens aux paroles d'Astarté. Ses pensées se bousculaient sans ordre et se télescopaient sans cesse, augmentant le chaos qui régnait dans son esprit. Patara, Myra, la gentillesse de Julia, l'amour que lui vouait Gaïa, la complicité qui filtrait à travers tous les propos de la domina dès qu'elle parlait de sa sœur, l'emprise que Julia avait sur Gaïa.

La révélation la laissa catatonique.

Marcia rougissait et pâlissait tour à tour. Julia. Sa Julia. La personne qui s'apparentait le plus à l'idée qu'elle se faisait de la mère qu'elle n'avait pas connue. Une esclave. Julia était une esclave.

Une esclave.

Et alors ?

Astarté se tenait appuyée contre une table. Aeshma était assise dans une attitude rigide, Atalante à ses côtés. Trois femmes, trois camarades. Plus que ça. Deux mentors. Trois. Qu'elle respectait et qu'elle aimait. Trois femmes, droites, honnêtes, fidèles, à qui elle aurait confié sa vie les yeux fermés, tout comme à Julia. Aeshma, Atalante et Astarté étaient des esclaves, mais étaient-elles différentes de la jeune femme libre que Marcia était ? Qu'est-ce qui les différenciait vraiment ? Elles étaient nées libres et des pillards en avaient fait des esclaves. Julia était peut-être née servile. Tout comme Sabina et Galini. Étaient-elles pour autant plus méprisables ? Ne suffisait-il pas à un esclave d'être affranchi par un citoyen pour que ses enfants pussent devenir eux aussi citoyens ? Esclave ou libre, Julia était toujours Julia. Esclave ou libre, elle était toujours la sœur de Gaïa, elle était toujours cette femme brillante et généreuse que Marcia aimait.

— Et après ? demanda Atalante.

— ...

— Astarté ! Que s'est-il passé ensuite ?

— Les prétoriens se sont avancés. Julia n'a pas bronché. Le type de sa famille l'a brutalement giflée en la traitant de traînée. Gaïa a crié, elle s'est dégagée des bras d'Antiochus et a décroché au frère de sa mère, un coup de poing dans la mâchoire qui l'a envoyé valser. Je ne sais pas si c'est toi qui lui appris à frapper de la sorte, Aeshma, mais il s'est retrouvé sur le cul, le visage en sang. Un joli coup. Elle a ensuite menacé tout le monde. Julia a crié, son nom d'abord, puis celui d'Antiochus. Il a ceinturée Gaïa. Elle s'est débattue, mais, cette fois, il n'a pas lâché prise. Je suis restée comme une imbécile. Je ne savais même pas quoi faire, qui défendre, qui attaquer... Antiochus a éloigné Gaïa. Elle criait que Julia n'avait rien fait, qu'elle était sa sœur et que personne ne remettrait jamais cette vérité en cause, qu'elle tuerait quiconque poserait la main sur elle. Elle a juré à Sextus qu'il regretterait d'être venu à Rome, que s'il arrivait quoi que soit à Julia, elle le lui ferait payer.

— Et Julia ? murmura Marcia d'une voix blanche.

— Elle a voulu parler à sa sœur, mais les gardes l'ont empoignée par les bras. Titus a ordonné à Gaïa de se taire. Antiochus a réussi à plus ou moins la calmer. Après, l'Empereur s'est levé, il a fait le tour de la table. Les prétoriens ont forcé Julia à se mettre à genoux. Il a marché jusqu'à elle, il l'a toisée et lui a froidement demandé si elle savait quel sort on réservait à des esclaves qui avaient usurpé l'identité d'un citoyen romain. Elle n'a rien répondu. Elle regardait ailleurs. Pas par lâcheté ou par peur, juste... comme si cette histoire ne la concernait pas, comme si elle n'était plus là. Titus s'est détourné et les prétoriens l'ont emmenée. Gaïa a crié son nom, mais elle ne s'est pas retournée. Et l'autre... Flavius, il avait l'air si content. J'ai eu envie de traverser la salle pour lui faire ravaler son sourire satisfait et toutes les dents qui allaient avec. Je ne connais pas bien les dominas, je ne connais pas ce type, mais je me suis mise à le haïr autant que j'ai pu haïr Téos.

— Et après ?

— Titus a demandé à son centurion de nous faire sortir. Gaïa s'était reprise, elle était aussi furieuse qu'avant, mais elle s'était recomposée une attitude, euh...

— Digne ?

— Oui. Antiochus l'avait lâchée. Elle a regardé Titus et lui a déclaré qu'il faisait une erreur monumentale, qu'il n'avait rien d'un Prince éclairé et qu'il était, euh... d'une incommensurable stupidité.

— Elle est tarée, laissa échapper Aeshma.

— Après, elle a regardé l'autre, le procurateur. Elle a sifflé qu'ils se reverraient. Il a ri en déclarant qu'elle était charmante et qu'il attendait impatiemment sa visite. Il a ajouté qu'il serait d'autant plus ravi si elle venait le voir accompagnée de ses gladiatrices favorites.

Atalante s'assombrit et Aeshma jura vulgairement.

— Vous avez très bon goût, Gaïa, avait déclaré Aulus Flavius. De belles femmes... Si dociles, si aptes à combler les désirs, si résistantes. Celle-ci n'est pas mal, avait-t-il dit en regardant Astarté. Mais j'ai un faible pour la petite blonde. Quoi que la Gladiatrice Bleue ne soit pas, elle non plus, dénuée d'intérêt !

— C'est marrant, je ne crois pas que Titus ait apprécié, continua Astarté. Le procurateur ne l'a pas remarqué, mais l'Empereur lui a lancé un regard mauvais. C'est peut-être à cause de toi, Marcia. Le procurateur t'a insultée.

— Et ensuite vous êtes rentrés ?

— Oui. Gaïa a été calme pendant le trajet, ce n'était pas très loin, mais une fois dans la villa... Elle s'est déchaînée. Néria a pris les choses en main, elle a donné des ordres pour tout emballer, quitter la maison et partir à Ostie. Ils se sont tous activés tandis que Gaïa détruisait tout ce qui lui tombait sous la main.

— Et elle est partie avec eux sans protester ?

— Antiochus l'a droguée. Je ne savais pas quoi faire alors je suis venue vous voir.

— Je vais aller le tuer, cracha soudain Aeshma.

— Je viens avec toi, déclara Marcia en sautant sur ses pieds.

— Je vous accompagne, fit Astarté. J'ai planqué des armes à la villa et j'ai gardé une clef.

— Tu as une clef de la villa ?

— Oui, je l'ai demandée à Néria. Elle a tiqué, mais je lui ai dit que je ferai un dernier tour histoire de m'assurer qu'on n'avait rien oublié. Et que peut-être ce serait bien de fermer la villa. Elle m'a conseillée d'aller voir Kittos, qu'il viendrait peut-être, avant de rendre la clef à n'importe quel prétorien.

— On y va ! décida Aeshma.

Les trois gladiatrices étaient déjà debout, prêtes à partir. La voix d'Atalante claqua, autoritaire :

— Vous n'allez nulle part !

— On va le crever, Ata, fit Aeshma d'un ton dur. Ce type a trop longtemps vécu.

— Marcia, tu cautionnes cette idée ridicule ? demanda la grande rétiaire à la jeune fille.

— Il a... Julia, mon père, Aeshma... écumait la jeune fille. Il mérite la mort.

— Ouais, approuva Aeshma.

— Astarté, tu ne vas participer à cette folie ?

— Tu n'as pas assisté à l'arrestation de la domina, Atalante. Tu n'as pas vu sa mine réjouie, son expression triomphante de pervers.

La grande rétiaire se déplaça et vint leur barrer l'accès à la porte.

— Je ne vous laisserai pas, dit-elle d'un ton décidé.

— Atalante, dégage, dit Aeshma d'un ton menaçant.

— Pousse-toi, fit Marcia en posant une main sur la grande rétiaire.

La jeune fille cria et se retrouva aux pieds d'Atalante, maintenue fermement immobile par une douloureuse clef exercée sur le poignet.

— Atalante, gronda Aeshma en s'approchant.

Un revers de main l'envoya se cogner dans un mur. Marcia bougea. Gémit aussitôt.

— Tu restes tranquille, Marcia. Astarté, si tu bouges, tu le regretteras. Aeshma, va t'asseoir où je lui brise le poignet.

— Tu ne ferais jamais ça.

— Pour vous éviter de faire une bêtise ? Oh, si ! Tu peux me croire, Aeshma, je n'hésiterai pas un instant.

Elle appuya sa clef, Marcia cria. Astarté et Aeshma se reculèrent prudemment. Il était mauvais de mettre Atalante en colère, plus encore d'ignorer ses menaces. Quand les deux gladiatrices furent assises sur le lit de Saucia, Atalante lâcha sa clef et d'une bourrade envoya Marcia rouler sur le sol.

— Assieds-toi !

— Ata... râla Aeshma.

— Maintenant, vous réfléchissez un peu. En quoi aiderez-vous les dominas si vous débarquez chez Aulus Flavius pour lui faire la peau ? Votre idée, c'est d'aller approvisionner les meridiani ? Et que croyez-vous qu'il arrivera à Gaïa si vous vous attaquez à Aulus Flavius ? Pourquoi n'allez-vous pas tuer l'Empereur pendant que vous y êtes ?

— Ouais, bonne idée, ricana Aeshma.

— Je croyais que tu aimais Gaïa, Aeshma ?

— Ben, justement.

— Oui, la bestiaire aux cheveux d'or qui a sa chambre réservée chez elle, la Gladiatrice Bleue dont tout le monde dit qu'elle s'est payée plusieurs fois la faveur de coucher avec et Astarté, son propre garde du corps. À votre avis, que pensera l'Empereur de vos exploits ?

— Il craindra pour ses miches, ricana Aeshma.

Atalante lui adressa un regard consterné.

— Qu'elle nous a envoyées tuer Flavius, murmura Marcia.

— Et après, que se passera-t-il ?

— Elle sera arrêtée.

— Exact. Remarquez, vous n'aurez pas tout perdu, elle aura peut-être l'honneur de partager sa cellule avec sa sœur. Elles pourront mourir main dans la main. Enfin, ça, ça m'étonnerait... Ils s'en foutent qu'elles soient sœurs. Julia mourra de façon ignominieuse et Gaïa devra certainement se suicider ou partir je ne sais où en exil.

Aeshma la regarda curieusement.

— Quoi ?

— Rien, c'est juste que...

— Que ?

— Tu... Rien, coupa brutalement Aeshma.

Atalante la darda d'un regard peu engageant. Aeshma planta ses yeux dans les siens. Elle n'y mit aucune menace, aucune colère, aucune contrariété. L'expression d'Atalante glissa vers la suspicion, le doute, puis Aeshma y décela une question. Elle maintint ses yeux dans ceux de la grande rétiaire. Celle-ci se troubla. Puis son regard se raffermit. Une lueur de compréhension grandit lentement, se transforma en certitude, puis en bien d'autre chose. Une lueur qui vint frapper la petite Parthe de plein fouet. Aeshma avait rarement lu autant de douceur, de reconnaissance et de joie dans le regard de quelqu'un, sinon dans celui de Gaïa ou de Marcia, mais c'était différent.

Aeshma avait laissé Atalante s'installer dans son monde et s'y creuser une place. Elle avait répondu à ses avances, elle lui avait accordé sa confiance et elle s'était laissée aller à lui faire des confidences. Elle lui avait avouée qu'elle ne voulait pas la perdre, qu'elle tenait à elle, jamais qu'elle pouvait éprouver envers elle autre chose que de l'estime ou de l'amitié.

Atalante ne niait pas le fait que Julia pût être une esclave, que cela fût une réalité, Mais cela n'empêchait pas qu'elle continuait à penser aux dominas comme à des sœurs. Elle se moquait des liens biologiques. Ils n'avaient aucune espèce d'importance à ses yeux. Gaïa et Julia étaient sœurs parce qu'elles s'étaient choisies, parce que leur amour était sincère et indestructible. Atalante ne remettrait jamais cette vérité en cause pour la bonne et simple raison qu'elle partageait la même expérience que les dominas. Atalante avait choisi Aeshma et qu'Aeshma le voulût ou pas, elle était sa sœur. Comme peut-être l'était aussi Marcia. À travers l'histoire tragique des dominas, Aeshma venait de comprendre les liens qui l'unissaient à Atalante. Elle avait vécu un mois et demi avec la domina. Elle connaissait les sentiments qu'elle éprouvait envers sa sœur. Gaïa Metella n'avait jamais feint son attachement à Julia. Aeshma avait assez vécu pour savoir qu'ils ne s'apparentaient pas à une simple amitié ou à de la simple reconnaissance. Aeshma avait eu un frère et une sœur. Elle savait ce qu'on pouvait éprouver envers des frères ou des sœurs qu'on aimait et auxquels on tenait. Gaïa et Julia étaient sœurs tout comme Atalante et Aeshma l'étaient aussi. Gaïa avait eu Lucia. Aeshma, Abechoura et Bivar. Elle ne les avait pas oubliés, elle les aimait toujours. Atalante n'avait pas pris leur place, elle était venue s'ajouter à eux.

Atalante resta un moment encore les yeux fixés sur Aeshma. Marcia, Astarté, Aeshma, elle ne laisserait jamais rien leur arriver. Tout le monde devait sortir vivants de cette histoire et ce n'était pas en décidant un assaut contre la villa d'Aulus Flavius dont aucune d'entre elles ne connaissait d'ailleurs la localisation, que cela arriverait. Elles devaient réfléchir et savoir si elles avaient le pouvoir de se rendre utiles. Accepter, le cas échéant, leur impuissance.

— Marcia, tu ne peux ne pas foncer la tête baissée chez Aulus Flavius. Tu n'aideras personne.

La jeune fille inspira profondément et détourna la tête.

— Je vais aller voir l'Empereur, murmura-t-elle.

— Quoi ?!

— Gaïa ne lui a pas tout raconté, fit-elle d'une voix plus ferme. Elle ne lui a rien dit sur moi et elle ne lui a pas raconté l'attaque de Bois Vert.

— Il s'en fout un peu que Flavius ait voulu assassiner une esclave, maugréa cyniquement Aeshma.

— Quintus n'est pas un esclave, lui répondit aigrement Marcia. C'est un magistrat respecté et un citoyen romain. Je... Mon père a servi sous les ordres de Vespasien. Julia m'a toujours protégée. Je lui demanderai sa grâce.

— C'est débile.

— Il vaut mieux ne rien faire alors ? Attendre qu'elle soit condamnée aux bêtes ou aux mines ?

— Non, je n'ai pas dit ça, Marcia, s'excusa Aeshma. Mais c'est l'Empereur...

— Je suis fille de tribun, j'ai fréquenté les officiers de la légion, deux propréteurs, j'ai assisté à des entretiens entre eux et mon père. Je connais bien les usages. Titus est un soldat, il est descendu dans l'arène, il connaît mon père, je suis sûre qu'il me recevra et qu'il m'écoutera.

— Je t'accompagne, décida Aeshma.

— Non, refusa Marcia.

— Tu ne vas pas y aller seule ?! s'insurgea la petite Parthe.

— Aeshma, il... euh, balbutia Marcia qui s'attendait à ce que son mentor n'apprécie pas la suite. Il faudrait que tu ailles voir Gaïa.

— Pourquoi ?

— Parce que je crois qu'en dehors de Julia, tu es la seule personne qui pourra l'aider, qu'elle écoutera. Julia s'est toujours montrée très protectrice envers Gaïa. Elles sont très proches et très complices, j'ai peur que... Elle a besoin de quelqu'un à ses côtés.

— Je ne suis pas vraiment...

— Vous avez passé un mois, seules sur un bateau perdu en mer. Elle t'écoutera et elle se sentira en sécurité avec toi, intervint Atalante qui trouvait l'idée de Marcia excellente.

— Tu la protégeras et tu l'empêcheras de faire n'importe quoi, renchérit Marcia.

— Elle était furieuse, Aesh, vint les aider Astarté. Si elle ne coule pas son navire en se réveillant, l'équipage pourra s'en féliciter. Si tu peux la calmer sans lui taper dessus ou la droguer, vas-y.

— Et comment je sors ?

— On va demander une permission à Herennius et Tidutanus... Pour nous trois, lui répondit Atalante.

— Tu veux aller où ? s'inquiéta Aeshma

— J'accompagne Marcia.

— Je viens aussi, ajouta Astarté.

— Mais... tenta de protester la jeune auctorata.

— On ne te laisse pas, Marcia.

— Ouais, approuva Astarté. Et puis, je suis au service de Gaïa Metella, tu es son amie et elle m'en voudra si je ne te protège pas.

— Mais toi, Atalante ? demanda Marcia.

— Je serais là pour éviter la casse. Mais, Marcia... ? Tu es sûre que... ?

— D'accord, céda soudain la jeune fille. Je vous prends comme gardes du corps.

— Ça me va, approuva Astarté.

— Moi aussi, renchérit Atalante.

— Aesh, lui dit Astarté. Il faut que tu trouves la Stella Maris, elle est amarrée dans le port d'Ostie.

— Je vais mettre des plombes à aller là-bas, maugréa la jeune gladiatrice.

— Pas si tu as un cheval, rétorqua Marcia.

— Et je le trouve où ?

— Au ludus Bestiari, s'ils ne veulent pas t'en prêter un, je leur achèterai.

— D'accord.


***

Marcia sût se rendre très convaincante et, auprès d'Herennius et Tidutanus et, auprès des palefreniers du ludus Bestiari.

Quand elle avait raconté à Herennius et Tidutanus que Julia avait été victime de l'homme qui avait cherché à l'assassiner avec son mari, ils n'avaient posé aucune question. Trois de leurs gladiatrices lui devaient la vie, elle avait accueilli la familia chez elle. Et ils avaient confiance en leurs melioras.

— Prenez le temps dont vous avez besoin pour régler vos affaires, déclara Herennius. Mais je veux avoir de vos nouvelles tous les jours. Vous m'avez bien compris ? Je me fous de savoir où vous êtes, ce que vous faites, mais je veux savoir quand vous ne rentrez pas dormir le soir.

Les gladiatrices avaient promis. En sortant, Marcia avait conseillé à Aeshma de confier cette tâche à Néria ou à Antiochus.

Au ludus Bestiari, Marcia et Aeshma avaient rencontré Carpophorus. Il les avait chaleureusement saluées, avait demandé à Marcia quand ils fêteraient dignement leur victoire et prit des nouvelles des bestiaires. Il s'était informé aussi du but de leur visite. Il les avait accompagnées aux écuries et un quart d'heure plus tard, Aeshma empruntait la via Ostiensis au grand galop. Marcia était ensuite rentrée au ludus Aemilius pour se changer.

Quand elle traversa la cour, Sabina avait entrepris Astarté et la noyait sous les questions auxquelles la grande Dace n'avait aucune envie de répondre. Voyant qu'elle n'obtiendrait aucune réponse, la jeune hoplomaque avait commencé à lui raconter mille et un petits détails de leur vie au ludus. Elle s'était aussi étonnée qu'Astarté ne portât pas la bague du palus du sanglier.

— Marcia ne te l'a pas donnée ?

— Je n'ai pas revue Marcia depuis des lustres.

— Tu as de la chance de pouvoir sortir, bouda Sabina. Herennius nous garde ici comme des prisonniers, j'en ai marre. J'ai besoin d'espace. Tu te souviens quand on parcourait les montagnes et les plaines, quand on se baignait dans les rivières ?

— Mmm.

— À Sidé, c'est bien aussi. Le ludus est loin de la ville, on va souvent courir ou s'entraîner dehors. Mais là... Pff... Tu as laissé un grand vide Astarté, lui dit tristement Sabina.

— Mmm.

— Où est partie Aeshma ?

— Je ne sais pas.

Sabina ouvrit soudain la bouche. Marcia se dirigeait vers elles.

— Houa... ! s'extasia l'hoplomaque. Je t'ai déjà vue habillée en civil, Marcia, mais jamais comme ça, s'ébaudit elle.

Astarté se retourna et elle ressentit soudain l'immense fossé qui séparait Marcia de ses camarades. La jeune fille s'était habillée avec beaucoup de soin. Sabina adorait les riches étoffes et les beaux vêtements, elle savait les apprécier et elle avait curieusement un goût très sûr. La jeune hoplomaque eût pu aimer l'ostentation vulgaire, mais elle n'avait jamais acquis de vêtements qui n'eussent pas convenu à sa condition. Elle possédait une collection impressionnante de tuniques plus belles les unes que les autres, des paenulas, des chaussures en tout genre, des ceintures et des fibules. Mais aucune robe, pas de stolla, aucun vêtement porté par des femmes de condition. Elle possédait juste deux pallas qui lui servaient autant de couverture que de couvre-lit.

— Tu es...

L'hoplomaque cherchait ses mots.

— Marcia, tu es tellement... digne.

Elle s'admonesta de n'avoir trouvé que ce pauvre adjectif pour décrire l'effet que produisait Marcia.

— Mmm, c'est l'effet recherché, répondit la jeune fille. Astarté, tu es prête ?

— Oui.

— On y va.

— On ne prend pas d'armes ? s'étonna la grande Dace.

— On ne nous laissera pas entrer avec des armes.

— Vous allez où ? demanda Sabina.

Les deux gladiatrices la regardèrent sans lui répondre.

— D'accord, soyez...

L'arrivée d'Atalante lui coupa la parole. Elle regarda les trois gladiatrices. Astarté et Atalante qui incarnaient jusque dans leur coiffure leur statut de gladiatrice. Marcia qui lui semblait soudain étrangère, tout droit sortie du palais de quelques patriciens. Elle était auctorata, Sabina en était consciente, mais elle avait toujours imaginé qu'elle était issue d'une famille éduquée, mais modeste. Elle révisa son opinion. Marcia était une fille d'aristocrate, de patricien, pas d'un simple chevalier devenu tribun pour ses seuls mérites.

— Soyez prudente, leur dit-elle chaleureusement. Je ne sais pas ce que vous allez faire, mais j'aimerais bien vous revoir.

— Ma conversation te manque, Sabina ? lui demanda Astarté goguenarde.

— Si tu savais... soupira la meliora. Que les dieux te soient favorables, Marcia, dit-elle à l'auctorata.

— Merci, Sabina.

.

Tandis qu'Aeshma avalait les milles, Marcia entraîna Atalante et Astarté à la caserne prétorienne. Elle n'était pas certaine d'y trouver Kittos, mais elle avait pensé que le speculator pourrait l'introduire auprès de l'Empereur. Qu'elle obtiendrait plus facilement une audience si elle bénéficiait de son appui. Sa requête se heurta à la suspicion des gardes et du centurion de service. Marcia ne connaissait pas le véritable nom du speculator.

Son apparence, sa prestance, la présence impressionnante des deux grandes gladiatrices qui l'escortaient et surtout, la connaissance qu'elle avait de certains détails très précis sur la vie du centurion lui gagnèrent cependant la confiance de l'officier de garde :

— Il n'est pas à la caserne, lui annonça-t-il.

— Mais je dois le voir, c'est très important. Serait-il possible de lui envoyer une tablette ?

— De la part de... ?

— Marcia Atilia.

— Atilia ? Comme Kaeso Atilius Valens ?

— C'est mon père.

— Vous êtes Marcia ! s'exclama-t-il stupidement.

— Oui, je viens de vous le dire.

— J'ai servi sous les ordres de votre père en Cappadoce. Je me souviens très bien de vous, comment ne vous ai-je pas reconnue ?! Je n'ai jamais croisé quelqu'un avec de tels cheveux. Vous ne vous souvenez pas de moi, mais je vous ai parfois accompagnée lors de vos chevauchés.

Marcia fronça les sourcils.

— C'était il y cinq ans, vous étiez jeune.

— Pilumnus... Tiberius Pilumnus ?

— Oui ! s'exclama le centurion ravi. Quand mon père est mort, je suis rentré à Rome et j'ai intégré la garde prétorienne. Je vais envoyer une tablette à Buteo. Mais je ne sais pas s'il sera disponible. Dîtes-moi où vous logez et je vous préviendrais.

— Non, refusa Marcia. J'attendrais ici.

— Mais il ne pourra peut-être pas venir aujourd'hui.

— J'attendrai sa réponse et on verra ensuite ce qu'il conviendra de faire.

— Je vais vous conduire dans un endroit plus confortable qu'ici.


***


NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

Illustration : Cupidon chevauchant deux dauphins, mosaïque romaine, II sc av.JC, maisons des dauphins, Délos.

C'est la mosaïque dont est inspirée l'entaille du sceau personnel de Julia Metella. Les dauphins mêlés.

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