Prologue
« Je la maîtrise à la perfection. »
Son regard noir essaye en vain de sonder mon âme, soit dit en passant meurtrie. Je sais parfaitement que je ne dois pas faiblir devant une telle expression. Elle essaye simplement de m'intimider, de me faire dire des choses que je ne pense pas. Elle tente comme toujours de m'arracher les mots de la bouche, des idées qui ne m'appartiennent absolument pas. Mais au fond de moi, je sais que ces paroles-ci, je dois les prononcer. Sinon, je ne sortirai jamais d'ici. C'est ma chance, et il est grand temps de la saisir, quitte à mentir à ceux que j'aime pour y parvenir. Encore une fois.
— Comment te sens-tu depuis la dernière fois, Iliana ?
Je me laisse tomber sur le dossier du fauteuil, gardant le regard bien droit, défiant le sien.
Regarder trop longtemps est suspect. C'est considéré comme du défi, de l'insolence.
Ne pas regarder est inquiétant. C'est vu comme de la peur, de l'intimidation.
J'opte donc pour un coup d'œil furtif, je l'observe, sans vraiment soutenir ses yeux.
— Bien. Mieux, je dirais.
Classique. J'attends qu'elle me fasse développer en croisant mes jambes.
Croiser les jambes montre de l'audace. De l'assurance et de la confiance en soi.
— Peux-tu développer un peu ?
Bingo.
— Je vais mieux. Je sens que ça me fait du bien de poursuivre les séances. Parler m'apporte beaucoup, surtout que certaines choses sont compliquées à expliquer ou même à dire à mon père. En parler à quelqu'un d'autre me libère d'une certaine manière.
Et mentir aussi apparemment.
— Te sens-tu prête à diminuer nos rendez-vous ?
Pas de réponse brusque. Il ne faut surtout pas se réjouir trop vite.
— Je crois. Si vous jugez que je suis prête pour cela. En tout cas, je m'en sens apte. Je pense l'être à présent.
L'hésitation montre toujours qu'on garde une certaine fragilité. Être incertain permet de montrer qu'on admet nos problèmes et qu'on est prêt à les surpasser.
— Je pense également que tu es sur la bonne voie en tout cas.
Enfin.
— Tu prends toujours ton traitement ?
Elle ajuste ses lunettes sur le bout de son nez en me regardant par-dessus. Je me retiens de rire, affichant un visage désintéressé et impartial.
— Oui. J'ai vu le docteur Marshall il y a deux jours. Il trouve que j'ai fait des progrès. On a diminué la dose et allégé le traitement.
L'utilisation du pronom personnel « on » montre qu'on est investi dans la cause, qu'on s'y intéresse et qu'on y prend part.
Je suis devenue une experte dans l'art de la tromperie. Je la maîtrise à la perfection.
Je replace distraitement une de mes mèches dorées, qui me tombait sur le front.
— Et tu supportes bien les antidépresseurs ?
— Aussi bien que je le peux. Je n'ai aucun effet secondaire.
Encore heureux, il ne manquerait plus que ça. Si seulement Carolina n'était pas constamment sur mon dos, les plaquettes resteraient pleines et inutiles.
— Comment te sens-tu au sein de ta famille ? Tous ces changements ne sont pas trop perturbants ?
Je perçois mes muscles se tendre doucement. Mes mains deviennent moites immédiatement, alors que je les essuie sur le bord de mon jean.
— Très bien. J'y suis comme chez moi. C'est comme si je n'étais jamais vraiment partie. Ils sont adorables avec moi, et ont su m'accueillir malgré tout ce qu'il s'est passé. On dirait que j'ai toujours fait partie de cette famille.
— Je suis ravie de l'apprendre, Iliana.
Elle redresse inutilement le chevalet doré posé proprement sur son bureau. À chaque fois, elle le fait, comme pour me rappeler où je suis et en présence de qui. Mais je le sais parfaitement. « Docteur Annabelle Sullivan. Psychologue ».
— J'aimerais que tu me parles un peu plus de ta mère. Je sais que c'est un peu délicat pour toi, mais c'est très important. Tu comprends ?
— Tout à fait.
Mes yeux pâles glissent jusqu'à l'horloge. Plus que vingt minutes. Allez, Iliana. Si tu y arrives, tu seras récompensée. Tu ne seras plus obligée de venir aussi souvent. Je me redresse un peu, me tenant droite et en croisant mes doigts entre eux.
— Comment réagis-tu depuis son accident ?
— Comment voulez-vous que je réagisse ? répliqué-je sèchement.
Elle lève les yeux vers moi. Je me mords la joue et me ravise tout de suite :
— Je suis désolée.
— Non, je t'en prie. Tu n'as pas à t'excuser. C'est normal d'être un peu tendue.
« Tendue » est l'euphémisme de l'année.
— Est-ce que tu vas la voir souvent ? Comme ton grand frère ? continue-t-elle.
Ah. La voilà la brèche. Me rapatrier sur la situation de mon grand frère.
— Je ne vais pas voir Will très souvent. Je suis plus du genre à regarder les albums photos et à penser à lui plutôt que d'aller me poster devant un caillou avec un bouquet de fleur pour lui raconter ma journée. C'est pareil avec ma mère.
Mensonge, mensonge, mensonge.
— Je comprends tout à fait. Tu préfères penser à eux et les garder intact dans ta mémoire plutôt que d'admettre qu'ils sont partis.
Je ne comprends pas pourquoi elle insiste autant sur ce point. Après tout, ma mère... Je stoppe net mes pensées, sentant les larmes monter.
— Exactement. Je sais pourtant qu'ils sont plus trop présents pour moi. Ce n'est pas une forme de refus parce que je l'accepte. Bien même.
— Peut-on ne serait-ce qu'un jour bien accepter la disparition d'un proche ?
Je plisse les yeux. Je ne sais absolument pas quoi répondre là...
— Tu penses souvent à eux ?
— Bien sûr.
— Et tu en parles avec ton père ? Ça vous arrive d'en discuter entre vous ?
Je retiens le petit rire qui veut s'évader de mes lèvres. Mon père ? Sérieusement ?
— Parfois. Il fait de gros efforts sur ce point-là.
— C'est important que tu te sentes bien dans ce nouvel environnement et que tu sois consciente que tu es entourée par cette nouvelle famille.
— Je le suis.
Je regarde l'heure à nouveau. Deux minutes. Les lèvres de ma psy se retroussent en un petit sourire niais, mais avec une certaine forme de douceur.
— Dans ce cas, tout va bien alors. Une dernière question et après je te libère.
Enfin.
— J'aimerais savoir ce que tu ressens dès que tu vois la mer.
Je ne peux m'empêcher de cacher ma surprise. Mon air étonné est aussitôt analysé par le médecin qui prend de furtives notes sur son petit calepin.
— En quoi est-ce important ?
— Toutes tes réactions ont de l'importance pour moi. Bien plus que tu ne le crois.
— Si vous le dites.
Elle m'encourage avec un sourire bienveillant, celui qui met en confiance et qui dénoue les langues aisément.
— C'est une forme de liberté. Peu importe l'état de la mer, c'est une échappatoire pour moi. Mon repère. C'est ma stabilité, mon point d'ancrage.
C'est à peu près la seule chose honnête que j'ai prononcée de toute la séance.
— Malgré ce qu'il s'est passé ? Tu n'en as pas peur ?
Bien sûr que si. J'ai toujours eu peur de la mer, c'est ce qui la rend mystérieuse et excitante. C'est tout l'intérêt.
— Malgré tout ça. Jamais je n'aurai peur de ce qui est à l'origine de mon bonheur.
Elle me sourit avant de se lever, et me serrer la main.
— Je te remercie pour tout Iliana. Tu peux être contente des progrès que tu as effectués. On se revoit après la rentrée. Prends bien soin de toi.
— Merci. Vous de même.
Je sors toute légère, en pensant que je ne la reverrai pas avant deux semaines. Un petit miracle qui me comble de joie. J'ai réussi. Je savais que j'en étais capable. Après tout, je n'allais pas passer ma vie à raconter ce que je pense dans les moindres détails, si ? Un sourire radieux s'imprime sur mon visage, conquis. J'ai su lui montrer que j'allais bien, la tromper, en jouant sur les apparences.
Même si celles-ci sont parfois bien trompeuses.
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Hey ! Voici donc le tout premier chapitre (qui est en réalité le prologue mais bon 😅) de mon livre !
Je dois dire que ça fait tout bizarre de me dire que des inconnus vont pouvoir lire mon histoire ! Mais bon, ça fait parti du jeu, et je suis ravie de poster (enfin) pour la première fois.
Qu'est-ce que vous en pensez ?
Je sais que certains aiment les prologue avec des descriptions, des détails... Mais tout cela arrive dans le chapitre suivant !
Comment trouvez-vous Iliana, un peu particulière, non ?
Difficile pour l'instant de se faire un avis ou même d'avoir une idée de ce qui va suivre...
Sur ces belles paroles, je vous dis bonne soirée et bonne lecture !
Des bisous, Lina.
😘
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