Chapitre 77 📸

« Son prénom me fait l'effet d'une bombe. Tout simplement. »

📸 Aiden 📸

Les escapades nocturnes ne sont pas franchement mon genre. Et cette nuit ne fait hélas pas partie des exceptions. Bouger en plein milieu d'une nuit de sommeil relève de l'exploit, encore plus ces derniers temps et avec des nuitées aussi agitées. Non, me rendre à l'hôpital à 4h du matin ne fait décidément pas partie de mes projets.

— Ça va aller ? Je peux vous laisser là, le temps de garer la voiture ?

— Oui, affirme Austin en quittant le siège passager.

— Iliana ? On est arrivés mon ange, murmuré-je en caressant sa joue brûlante.

Ses yeux brillants trouvent les miens en moins d'une seconde, avant de hocher faiblement la tête. Elle détache sa ceinture avant de se décaler pour sortir du véhicule.

— Viens, je vais te porter, imposé-je en lui tendant la main depuis l'extérieur.

— Je peux marcher Aiden, c'est bon, marmonne-t-elle doucement.

— Je n'en doute pas une minute petit oiseau, mais je t'assure que ça sera plus simple. Allez, viens, je te porte.

Elle finit par obtempérer, après quelques minutes de plaintes et de contre-arguments. Son frère repousse soigneusement la portière, alors que la surfeuse demeure calme dans mes bras, fermement accrochée à mon cou.

— Tu veux que je la porte ? propose Austin en tendant les mains vers elle.

— Non, c'est bon. Elle fait cinquante kilos toute mouillée, ça devrait aller.

La sœur bat des jambes un instant, avant de se caler plus confortablement contre moi. Son petit air penaud ne me plaît pas du tout.

— Tu sais, j'ai plus de muscles que toi, ajoute-t-il pour plaisanter. Et Iliana le sait !

— Va chercher mon père au lieu de dire des bêtises, tu serviras enfin à autre chose qu'à agrémenter le décor.

Iliana pouffe, en même temps que son frère part en râlant. Ils font bien la paire tous les deux...

— Ça va ? questionné-je celle que je porte actuellement comme une princesse.

— Non, pas trop. J'ai froid, bredouille-t-elle faiblement.

Je hoche la tête, et entre dans le hall des urgences. Sa voix est tellement différente, rien ne semble plus pareil. Elle ne l'utilise que rarement, mais au moins, elle parle un peu. Le minimum vital, comme si c'était trop douloureux pour elle de faire fonctionner davantage ses cordes vocales.

— Ne t'en fais pas, je suis sûr que ça va vite passer.

— Je sais, répond-elle en toute honnêteté, avant de serrer ses bras autour de moi. Ne me laisse pas tomber, hein ? ajoute-t-elle d'une petite voix.

— Jamais.

Au sens littéral ou non du terme, j'ose espérer que ça n'arrivera jamais. Je suis en mesure de l'affirmer, de faire de mon mieux pour tenir cette promesse.

Elle n'était pas bien, on le voyait tous. Ça faisait trois-quatre jours qu'elle fonctionnait au ralenti. Et malgré son étrange sourire, datant d'il y a quarante-huit heures et son appel me demandant de venir la chercher à la gare, elle n'allait pas mieux. C'est vrai, elle est revenue mystérieusement après des heures d'absence, munie de photos, de petits sourires timides et d'un faible timbre de voix, mais elle n'était pas bien pour autant.

— Installez-vous en salle d'attente, on viendra vous chercher.

Ça valait bien la peine de se presser et d'attendre tous comme des idiots. Encore un bon plan que nous avons élaboré là...

— Ça va aller ? nous demande tout de même cette cruche d'infirmière.

Ça va aller ? Ma copine est simplement en train de mourir sur place, mais sinon, oui, ça va aller, merci.

— Super, on ne pouvait franchement pas rêver mieux, grogné-je agacé.

— Aiden, arrête. Elle ne fait que son travail, murmure Iliana en posant un pied par terre.

Mais dis-le si te porter n'est pas confortable ma chérie !

— Tu sais très bien que dès qu'il a l'occasion de râler sur la moindre chose, il le fait honey, réplique son frère sur un air solennel.

— Tu ne vas pas t'y mettre toi, si ? rétorqué-je face à sa pique.

— Bon, je vais m'assoir, vous me direz quand vous aurez terminé vos conneries.

Notre blonde favorite part bouder dans son coin, comprenez littéralement qu'elle se calle dans un coin, les genoux entre les bras et la tête posée dessus. Je l'imite rapidement, en me plaçant à ses côtés.

— Viens là, tu seras mieux Iliana, murmuré-je en tapotant mes genoux.

Elle dépose doucement son visage, bloquant celui-ci à l'aide d'un sweat, genoux contre la poitrine. Son frère lui offre sa veste, faisant office de couverture pour une nuit. Je déteste la voir comme ça, et cette situation dure depuis beaucoup trop longtemps. La Iliana désintéressée, tout sauf souriante, qui s'éloigne et évite le sable... n'est pas la jeune fille dont je suis tombé amoureux.

Je joue avec ses mèches étalées autour d'elle, en essayant de l'endormir ou de la soulagée d'un quelconque mal. Je finis par sombrer moi aussi, la tête appuyée contre le mur et les mains fermement verrouillées sur celles de mon petit oiseau.

C'est mon père ou bien Austin qui nous réveille au bout d'une bonne heure, les visages et identités se confondant dans cette brume d'inquiétude et de manque de sommeil. Par chance, ou par insistance, c'est mon père qui s'occupe d'Iliana, déjà assise devant lui sur une table d'examen. Je somnole sur un fauteuil, luttant en utilisant diverses techniques pour rester éveillé, du frottement des yeux jusqu'au battement de paupières, pas grand-chose ne fonctionne.

La garanti d'un quelconque éveil ou soutient semble de plus en plus compromis par cet étroit voile de fatigue qui me captive et m'enveloppe tout entier. Ma copine, un peu pâlotte sur le bout du nez, triture ses doigts sans masquer son épuisement grandissant. Mon père la bombarde de questions pertinentes mais agaçantes, alors que la seule chose qui pourrait la remplumer, n'est autre que le sommeil. Pas besoin d'être médecin pour ça, être muni de bon sens suffit amplement.

— Alors, qu'est-ce que tu t'es cassé cette fois Iliana, plaisante mon père en prenant son pouls avec une attention particulière.

— Rien, enfin, je crois, bredouille-t-elle en replaçant une mèche de cheveux.

— Alors qu'est-ce que vous faites ici les enfants ?

Etrangement c'est vers moi qu'il se tourne cette fois... Alors quoi ? Ma Iliana endormie ne lui convient plus ? Je me redresse sur un coude, et articule :

— Elle est malade. Ça ne se voit pas ? Tu l'as eu par piston ton diplôme ou quoi ?

Le tout ressemblant plus à un grognement dépourvu d'élégance, et d'une légère touche d'agressivité. Tourner autour du pot à des horaires pareil est une perte de temps, et surtout, de sommeil.

— Toujours aussi adorable ce garçon. Je savais pertinemment qu'on aurait mieux fait de garder notre fille à sa place... Mais ma femme n'en a fait qu'à sa tête, taquine-t-il de plus bel.

— Bien sûr, Cléa a toujours été plus adorable, plus mignonne, plus tout... C'est bien connu, répliqué-je sur la défensive.

— Au moins, tu as la décence de comprendre, sourit-il d'un air complice.

— Papa comment peux-tu...

— J'ai attrapé froid, murmure Iliana d'une toute petite voix, reportant toute l'attention sur elle, et ça ne passe pas. Je me suis évanouie tout à l'heure, termine-t-elle en levant les yeux vers moi.

Je confirme d'une signe de tête maladroit. Immédiatement, la profession de mon père prend le dessus, elle gagne son esprit et ses gestes, ne laissant plus de place à un quelconque signe de tendresse. De son rôle de père, il ne reste que son regard bienveillant et son ton rassurant que j'aime tant.

Iliana semble ailleurs, perdue dans ce flot continuel de questions et d'interrogations, de demandes ou encore de conseils. Il ne faut pas plus de dix minutes au médecin pour poser son diagnostique, et identifier chacun des maux de la jeune fille. Une grippe, paraît-il. Les maux de tête, tremblements ou même la couleur de ses joues permettent de confirmer, rassurant la plupart du personnel médical. Ma petite amie, mise à nu devant tout le monde, obligée de divulguer où elle était, quand elle est sortie, et pour quelle raison. Son escapade sous la pluie ne passe pas inaperçue, jugée comme un manque de maturité lorsqu'on connaît ses antécédents médicaux. Elle garde le regard rivé sur moi quand on l'interroge, ses doigts entremêlés aux miens lorsqu'on lui administre de quoi faire tomber la fièvre, et avec un fin sourire lorsqu'elle aperçoit ma mine dépitée face à une simple perfusion.

Une prise de tête, inévitable, avec Austin éclate, pour savoir qui restera avec Iliana cette nuit, et qui aura la chance de dormir sur le « confortable » fauteuil d'hôpital. Son compagnon de chambre se joue finalement sur un ultime pierre feuille ciseaux, que fort heureusement je remporte. Je prends ça pour un « signe du destin » et en profite pour rappeler à Austin que je suis le plus présent pour sa sœur, et que c'est moi qu'elle préfère entre nous deux. Notre chamaillerie raisonnant dans tout le couloir, mon adversaire du moment se retrouve exclu du service, sous les regards anxieux des infirmières.

Les premières lueurs de l'aube émergent lorsque son esprit divague, perdu je l'espère dans des songes qui l'éloigneront de la réalité. Je veux croire que le sommeil est encore un endroit qui n'inspire que tranquillité et bonheur, que tous les mauvais rêves restent à une distance convenable de leur victime favorite.

— Est-ce qu'elle dort ? m'interroge mon père, pénétrant tout juste dans la chambre.

— Oui, je crois, chuchoté-je en balayant une mèche du front de ma chérie.

— C'est une bonne chose alors, réplique mon père en bidouillant la perfusion posée il y a peu.

Où cette conversation va-t-elle nous mener ?

Je l'observe s'affairer autour d'Iliana, l'ausculter, tout en veillant à chacune de ses respirations, écoutant probablement les bruits de son cœur alors qu'elle somnole, je le fixe en train d'examiner ses poignets, comme je le fais souvent, puis glisser ses mains autour de sa silhouette, pour venir décrocher son sous-vêtement, masqué par la blouse... J'écarquille les yeux, face à cette assurance qu'il affiche en repoussant la couverture sur sa patiente.

— Ne me regarde pas comme ça idiot, sourit-il avec amusement, ce que vous pouvez être pudiques, vous les jeunes.

Il joint le geste à la parole, en m'envoyant la lingerie en dentelle en pleine tête.

Je réprime ma remarque, avant de laisser mon dos regagner le fauteuil. En une inspiration, j'oublie que c'est mon père qui vient de retirer le soutien-gorge de ma copine, pour songer qu'il s'agit d'un médecin, qui enlève le sous-vêtement d'une patiente. Bordel, je suis vraiment en train de chipoter pour des détails pareils ?

— Elle va devoir rester ici combien de temps ? l'interrogé-je finalement.

— Elle peut repartir dans l'après-midi.

— Déjà ?

— Oui, ce n'est rien du tout Aiden. Austin et toi paniquez vite dès qu'il s'agit de votre surfeuse, mais en réalité, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Elle a eu un traitement, maintenant il faut simplement qu'elle se repose un peu.

— Alors quoi ? On n'aurait pas dû venir ? m'indigné-je.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, rit-il. C'était un bon réflexe de votre part, vu ses antécédents médicaux. Mais la prochaine fois, évitez de m'appeler vingt fois chacun, histoire que je ne pense pas que la maison ait brûlé, ou quelque chose dans ces eaux-là.

Je confirme d'un signe de tête, parfaitement conscient que si ça devait se reproduire, je ferais exactement la même chose.

— Et Iliana, évoque-t-il doucement, comment va-t-elle ?

Je ne comprends toujours pas comment notre entourage peut encore oser poser cette question. Comment elle va ? Elle a perdu sa mère, personne n'a une petite idée de comment elle va ? C'est vrai, des semaines sont passées depuis, mais l'horreur reste la même, la réalité est toujours aussi difficile, et la vérité fait toujours aussi mal. Même si elle a la tête haute, qu'elle a repris la parole, elle ne va pas mieux. À partir de quand doit-on aller mieux ?

— Je n'en sais rien papa. Vraiment rien. Elle a l'air d'aller un peu mieux, depuis qu'elle est allée voir sa grand-mère... Elle recommence à parler, à « sourire », continué-je en mimant des guillemets à l'aide de mes doigts.

— Et avec sa psychologue ? Ça avance ?

— Je crois, on évite d'en parler généralement. Elle est toujours en miettes après ce genre de séances, je ne tiens pas à en rajouter ou à l'étouffer... expliqué-je en enfouissant les mains dans mes poches.

— Elle va reprendre une vie normale, très bientôt. Je te le promets, chuchote-t-il en posant sa paume sur mon genou.

Je bouge celui-ci, afin de refuser ce contact. Malgré tout ce que mon père avait fait pour Iliana, il n'était pas en mesure de l'aider, ni d'affirmer ce genre de bêtises. Les personnes qui m'entourent ne cessent de me répéter encore et encore la même phrase.
« Tout redeviendra comme avant ».

— Pas du tout, tu n'en sais rien, répliqué-je à présent sur la défensive. Maintenant plus rien n'ira bien, et elle ne reprendra jamais une vie normale, sa vie d'avant. Sauf que ça vous êtes incapables de le comprendre ! Il faut toujours que tout aille bien, que tout redevienne comme avant ! Sauf que là, rien ne le sera plus papa, parce que sa mère est morte ! Alors arrête de dire de telles conneries parce que tu sais pertinemment qu'elle ne se sentira pas « comme avant » tant qu'elle n'aura pas retrouvé sa mère auprès d'elle. Elle apprendra simplement à vivre avec ça, à vivre sans elle, et à respirer avec ce poids.

Je me lève à la fin de ma phrase, étouffé par tant de naïveté. Parfois, je ne parviens plus à le comprendre. Lui qui est confronté si souvent à la mort et à des séparations brutales à cause de son emploi, comment peut-il affirmer que « tout redeviendra comme avant » ? Mon père a toujours eu ce désir de bien faire, et de rassurer tout le monde. Mais les fausses promesses ou les espoirs inutiles ne sont plus les bienvenus dans nos vies, et encore moins dans celle d'Iliana, marquée et fragilisée par ces mensonges et songes qui l'ont brisée.

J'étouffe dans ce putain d'hôpital, suffoque dans cette atmosphère pesante que je n'ai jamais souhaitée, et me noie dans cette situation précoce. Personne ne devrait avoir à vivre ces horreurs, personne ne devrait subir la perte d'un proche. Encore moins une gamine qui n'a pas eu le temps de faire ses adieux correctement.

Assis à même le sol, dos au mur, et la tête profondément enfouie dans mes mains je tâche de retrouver une respiration paisible. Je n'ose même pas imaginer la bombe prête à exploser, logée dans la poitrine de ma copine, causée par cette accumulation d'émotions et de pleurs incessants. Je n'arrive même pas à gérer les dégâts extérieurs délaissés depuis la mort de sa mère, alors comment peut-elle se relever et vaincre cet abandon ? Son deuil m'affecte et me touche en plein cœur, alors que j'ignorais même l'identité de la défunte. « Mère de » voilà son seul et unique statut, pourtant si puissant qu'elle capture mon souffle depuis des mois, tout comme la vie de la principale abandonnée. La mort reste sans pitié pour nos proches, toujours à épier le moindre pas de travers, la moindre erreur qui pourrait être fatale. Oui, ce genre de perte nous affecte tous, qu'on soit père, frère, ou simplement ami d'ami.

📸📸📸

— Tu es au courant que si tu restes ici, avec moi, tu risques de rapidement attraper la grippe, m'informe-t-elle en ouvrant la porte de sa chambre.

— Et toi, tu es au courant qu'on dort ensemble la majorité de la semaine, et que la grippe, je l'ai sûrement déjà attrapée ?

Elle me détaille de la tête aux pieds. Ses lèvres esquissent un léger rictus, qui ne me permet pas encore de lire ses émotions. Iliana se contente finalement de soupirer, en se positionnant devant moi. Le dos de sa main vient se nicher sur le haut de mon front, tandis qu'elle semble réfléchir à un diagnostique invisible.

— Tu n'as pas de fièvre, constate-t-elle. Fuis tant qu'il est encore temps.

J'éclate de rire face à son ton détaché, et à la formulation de sa phrase. Toujours les bons mots, au bon moment ma Iliana.

— Je rêve ou tu veux me chasser d'ici, ironisé-je de plus belle pour l'embêter.

— Pas du tout Aiden, murmure-t-elle d'une voix monotone.

Bon, je veux bien admettre qu'embêter quelqu'un qui revient de l'hôpital, assaillie de maux de tête et de fièvre n'est peut-être pas la meilleure idée de la journée.

— Et si on se mettait dans le lit, devant Netflix, avec une montagne d'oreillers et de couvertures ? Ça te conviendrait plus ?

Elle hausse les épaules, avant d'opiner ma proposition. Je souris en l'embrassant sur le haut du front, et en l'incitant du regard à se mettre dans son lit. Pendant ce temps, je m'éloigne préparer du chocolat chaud, le meilleur remède lorsqu'Iliana Midden n'a pas le moral. Autant vous dire une chose, j'en ai vu passer des briques de lait ces dernières semaines...

Pourtant en bas, c'est mon père que je croise dans la cuisine, à la place d'un membre de la famille propriétaire des lieux. Je fronce les sourcils en ne pensant qu'à une chose : mais qu'est-ce qu'il fait encore là ?

— Pourquoi n'es-tu pas à la maison papa ? grogné-je en sortant le lait du frigo.

— Il faut qu'on parle, impose-t-il avec un ton plus solennel que prévu.

Immédiatement, je cesse tout mouvement, assailli par un horrible pressentiment. Il me fixe droit dans les yeux, me sondant probablement afin de lire en moi comme dans un livre ouvert. Je décroche, au bout d'une petite minute, détestant profondément son attitude dans des moments comme ceux-là.

— C'est Cléa, c'est ça ?

Ma conscience me hurle que c'est de ma sœur qu'il s'agit. Il ne peut pas y avoir d'autres alternatives. C'est choses-là, se ressentent. Ma jumelle sera au centre de cette discussion, je peux aisément le deviner. Et ce n'est pas le regard penaud de mon père qui contredira mon affirmation.

— Elle a téléphoné tout à l'heure, elle semblait... perturbée.

Ma sœur n'est jamais perturbée, sauf dans une seule situation. Une situation impossible, improbable, et scellée depuis des mois.

— C'est impossible, finis-je par objecter. Tout simplement impossible.

— Je ne comprends pas non plus Aiden. Mais Cléa en est sûre. Elle a reconnu sa voix et tu sais comme moi qu'elle ne mentirait pas sur un sujet aussi important que celui-ci. Elle l'a reconnu, et m'a affirmé que Sam avait tenté de la joindre.

Son prénom me fait l'effet d'une bombe. Tout simplement. Une énorme détonation qui me plonge dans un état de semi-conscience, embrouillant mes pensées, m'inondant rapidement d'un bip strident et d'un monde cotonneux où les bruits sont étouffés. Comme plongé la tête la première dans une étendue d'eau glacée, je ne peux plus bouger, sentant simplement ma respiration diminuer et disparaître dans mes poumons.

— Aiden ! récrie mon père en me saisissant le bras.

Je secoue rapidement le visage, effaçant toutes les marques de fragilité bien trop présente à cet instant. J'évite son regard, prenant appui de tout mon poids sur le plan de travail, afin de stabiliser le sol et d'éviter l'évanouissement menaçant.

— Ça va, affirmé-je en passant une main sur mon front.

— Assieds-toi, ou tu vas me faire un malaise, réplique-t-il avec sévérité.

— Ça va je te dis, râlé-je immédiatement.

— Tu t'assois ! réprimande-t-il plus fort.

Ok, ok. Je vais faire ça. J'accepte l'assise qu'il m'avance, et souffle un bon coup une fois stabilisé. Bon sang, pendant dix secondes, j'avais oublié à quel point le sol était agréable lorsqu'il ne dansait pas devant mes yeux.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé papa... murmuré-je en torturant mes pauvres doigts.

— Je n'en sais rien. Ta mère est tout de suite partie vérifier par elle-même du côté du centre pé...

— Il n'y a pas de réduction de peine dans ce genre d'affaire, et tu le sais ! m'énervé-je, totalement dépité. Il ne peut pas être dehors.

Cette affaire a toujours eu le don de me mettre hors de moi, et les circonstances s'y prêtent à merveille. Toutes ces années de mensonges, à batailler sans relâche contre la justice pour le résultat qu'on connaît... Tout remontant d'un seul coup à la surface.

Quatre ans. C'est le nombre d'années que mon frère, Sam, doit passer en détention. Quatre ans. C'est ce que la justice lui a imposé pour avoir voulu abuser de ma jumelle, sa propre sœur. Quatre ans, c'est ce que vaut son innocence.

Ce malade a toujours eu beaucoup d'attention pour la jeune fille pure que représentait ma sœur, beaucoup de regards appuyés lorsqu'elle partait se changer, la porte de notre chambre entrouverte. Beaucoup de haine, de jalousie envers moi, envieux de notre proximité inexplicable. Cette complicité qu'il n'obtiendra jamais, cette obsession qu'il a nourri pendant des années sans rien laisser paraître. Trop de signes accumulés, de gestes déplacés.

Nos parents n'ont pas immédiatement compris, ne voulant pas croire ce genre d'aventures, qui n'arrivent qu'aux autres. Pourtant, mon frère se faisait plus avenant, plus insistant envers Cléa, qui abandonnait petit à petit l'enfant qu'elle était, en quête d'une identité plus affirmée, plus dessinée. Le danger que représentait notre fraternité a longtemps été tu d'un silence masqué de sourires radieux, de « je t'aime » entre frères et sœur, et d'amusements complices. Pourtant, les courbes de ma sœur se dessinaient un peu plus chaque jour, éveillant de la fierté chez son double, et une admiration mal placée chez son aîné. Alors qu'elle se transformait en une radieuse jeune femme, emplie de beauté et de douceur, lui, se changeait en un prédateur monstrueux, envieux et submergé par la colère, près à bondir sur tant de pureté, sans se soucier du statut de sa victime innocente.

Peu de temps après, Sam commençait à se comporter comme une bête, tournant autour de sa proie et s'approchant trop près d'elle. Beaucoup trop près. Il n'est jamais allé jusqu'au bout, jamais il n'a pu franchir la limite, il n'a jamais « été trop loin » selon les juges. Mais messieurs les jurés, qu'est-ce « qu'aller trop loin » pour vous ? Faut-il aller jusqu'au viol pour « franchir les limites » ? Un jeune homme majeur, faisant des avances à sa sœur mineure, n'est-il pas déjà « aller trop loin » ? Apparemment, non.

Ils ont trouvé judicieux de laisser mon frère libre comme l'air, car il n'y avait aucune preuve de son penchant avide pour sa cadette. Les témoignages étaient insuffisants, et donc, ma sœur traitée ouvertement de menteuse. Qui aurait idée d'inventer de telles histoires ? Juste pour le plaisir ?

Ce que nous ignorions, c'est que cette envie ne se restreignait pas au cercle familial. Non. Mon grand frère était en réalité un putain de violeur, pervers en plus de ça. C'est finalement trois ans plus tard, lorsque les choses sont devenues incontrôlables que la justice a décidé de revenir sur ses minces décisions.

Sam, majeur depuis longtemps avait été chassé du domicile familial par ses propres parents, et disparu des radars pendant un long moment. Mais cette fois-là, il est revenu. Alors que ma sœur et moi étions tous les deux seuls dans le séjour. Depuis, cette scène reste gravée dans mon esprit, inspirant mes pires cauchemars. Lui, au dessus d'elle, fermement déterminer à n'en faire qu'une bouchée. Il a suffi d'une poignée de minutes d'absence, pour qu'il passe à l'action. Malgré la force de Cléa, celle-ci s'était retrouvée plaquée contre le bord du canapé, dévorée de baisers méprisés.

Je l'ai frappé. Encore, et encore. Je ne me souviens plus précisément de la manière dont je les ai séparés, ni quelle arme j'ai brandie. Mes songes s'amusent à dessiner couteaux et révolvers entre mes mains alors que je suis persuadé qu'il ne s'agissait que d'un simple vase. Cette violence, pourtant légitime dont j'ai fait preuve, nous a coûté extrêmement cher. La police et ses constats n'ont rien avancé, tout comme l'état d'ébranlement que laissait paraître ma sœur. Les rumeurs se sont répandues, le procès s'est instauré. Alors que l'agresseur se retrouvait sur les bancs des accusés, il a hérité d'une peine trop légère. Quatre petites années pour faire évoluer sa mentalité, transformer la bête en un gentleman exemplaire.

Impossible.

J'ignore même s'il est en prison, ou en camp de redressement. A vrai dire, je ne veux pas entendre parler de lui, qu'on prononce son nom m'est déjà insupportable. Il est mort le jour où ses yeux se sont attardés sur ses courbes, il est enterré depuis qu'il est passé à l'acte. Devenant un cousin, un ami d'enfance ou un étranger pour chacun, nous avons appris à l'oublier. Ma violence m'a expédié dans une autre contrée, forcé à m'éloigner de mes proches et amis.

La France a sonné comme une évidence. Au vu de nos origines, il n'y avait pas d'autres alternatives. Et c'est bien dans ces moments-là, les pires qu'on ait à vivre, qu'on comprend combien on est entourés. Ma sœur, infiniment reconnaissante, a décidé de tout quitter pour me suivre, et purger cette sentence à mes côtés, m'allégeant d'un immense poids.

Et voilà que des mois plus tard, je retournais à la maison, fermement décidé à retrouver ma stabilité, alors qu'elle, avait trouvé refuge dans ce nouveau pays pour se reconstruire. Pour vivre librement, loin de la peur et des regards curieux.

Mes plus proches amis ont pris la décision de fermer les yeux, de me faire confiance et de clamer la légitime défense. Seuls les vautours, désireux de potins et de ragots, ont jugé bon de lancer toutes sortes de rumeurs. Tout y passait, salissant mon nom, ainsi que celui de ma sœur, alors que tout le mal provenait de notre putain d'aîné. Mon retour, très controversé, n'a pas été vu de la même manière par tout le monde, à commencer par mes proches.

Mais rester à l'étranger après avoir répondu à une punition ridicule, serait synonyme de fuite. Hors, ça ne fait pas partie ni de mes valeurs, ni de mon vocabulaire. Pas de chance...

— Aiden ? m'interpelle de nouveau mon père, d'une voix plus calme à présent.

— Oui, murmuré-je en me frottant activement le visage, ayant pour objectif de chasser ce voile de fatigue une bonne fois pour toute.

— On va tirer cette histoire au clair.

Pourquoi manque-t-il d'assurance à cet instant ? Lui qui ne croit même pas à ses propres mots, mais qui tente tout de même de me convaincre ?

— Je sais.

La peine de Sam vient tout juste de commencer. Cette éventuelle sortie, est tout bonnement impossible. Ça ne peut traduire qu'une blague de plus, un jeu auquel les idiots se plaisent à participer pour effrayer ma sœur.

— Je crois que je vais appeler Cléa, affirmé-je en me levant de ma chaise. Tu peux amener un chocolat chaud à Iliana ? Et lui dire que j'arrive ?

Face à son hochement de tête, je quitte la maison pour aller m'assoir sur un rebord de fenêtre extérieur. Je reste figé devant le combiné, incapable de trouver les mots pour rassurer ma sœur. On a toujours été là l'un pour l'autre, mais ce sujet, nous éloigne autant qu'il nous rapproche.

Les mots ne sont jamais simples à aligner lorsqu'on parle de ce genre d'injustices, qu'il s'agisse de deuil ou d'agression, rien ne pourra soulager le mal que ressent l'intéressé. Tout comme cette incapacité, résonnant comme une impuissance, qu'on portera toujours, inapte à comprendre ce qui se passe dans la tête de la victime.

📸

______________________

Hey ! Bonjour à tous !

J'espère que vous allez bien en ce lundi matin ! Désolée pour mon absence et mon retard, Wattpad est capricieux ces derniers temps...

Bref, revenons sur ce chapitre !

Vous a-t-il plu ?

Je me suis personnellement régalée à le rédiger ! Aiden m'avait manqué !

Comment avez-vous trouvé la première partie ? Un Aiden grognon et totalement endormi, comme on l'aime n'est-ce pas ?

Sa complicité avec son père est toujours un régale à rédiger, surtout lorsque notre petite Iliana est le sujet principal !

Parlons un peu de la fin à présent...

On assiste aux révélations concernant notre Aiden, et surtout son passé... Vous attendiez-vous à cela ? 

Tout n'est pas rose pour cette famille, et les choses prennent petit à petit du sens...

Comment trouvez-vous la réaction d'Aiden ? 

Avez-vous quelque chose de particulier à dire à ce propos ? 

De plus en plus de points trouvent leurs solutions, vous savez comme moi ce que ça veut dire...

Avez-vous d'autres choses à dire ? Je vous écoute !

On se retrouve samedi prochain pour la suite ! (si je l'ai écrite d'ici là...)

Merci à tous pour votre présence infaillible jusqu'ici, sans vous je ne serai pas là.

Des bisous, Lina 😘

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top