Chapitre 76 🌊
« Je ne peux plus vivre comme ça »
🌊 Iliana 🌊
Le sable n'est plus blanc. Plus rien n'est comme avant. Elle n'est plus là à mes côtés, sans aucun retour espéré. Elle est simplement partie, comme ils disent... Disparue sans m'avoir prise avec elle, alors qu'elle m'emportait toujours partout. Là où elle allait, j'étais. Mais plus rien n'est comme avant. Le sable est tout sauf blanc.
J'essuie d'un revers de manche ma larme matinale, à moins que ce ne soit celle du midi ? J'ai perdu la notion du temps depuis trop longtemps pour affirmer la date ou l'heure. Combien d'heures suis-je vraiment restée sur ce lit ? Restituant souvenirs et photos proprement étalés sur les draps blancs. Combien de fois ai-je tenté de regarder son portrait avant d'éclater de nouveau en sanglots ? Essayé de retrouver la lueur bienveillante dans son regard, ou encore passé la porte de sa chambre en l'appelant en silence ? Trop de fois bordel. Et toujours sans résultats.
— Iliana ?
Je relève le menton à l'entente de mon nom, les yeux entourés d'un voile salé qui ne me quitte plus. Mon amie pince les lèvres à ma vue. Je sais combien elle s'inquiète. Je range les clichés de ma joie passée, seule trace de ma famille déchirée. La surfeuse se précipite à mes pieds afin d'accéder à mon regard. Ses mains sont infiniment douces contre mes joues souillées. Elle essuie mes pleurs un à un, avant d'esquisser un beau sourire pour me combler.
— Oh... ma petite surfeuse... Ne pleure pas, ça va aller...
Elle m'enveloppe de ses bras bronzés, me câlinant tendrement comme elle seule sait le faire. Elle a toujours eu ce côté maternel envers moi, malgré notre faible différence d'âge. J'aimerai la repousser, lui hurler que rien n'ira plus. Pourtant je la serre à mon tour, pleurant de nouveau dans ce silence étouffant.
— Tu ne peux pas rester comme ça, me chuchote-t-elle après avoir écarté mes mèches collées à mes pommettes, la faute à ses larmes qui me barbouillent le minois.
Que fait-elle ici ? Pourquoi maintenant ? N'est-elle pas repartie en Floride après l'enterrement comme promis ? Il semblerait qu'elle soit finalement restée...
— Sweetheart, ça va faire trois semaines... Ça ne peut pas continuer comme ça. Tu ne peux pas vivre comme ça.
Je ne peux pas vivre comme ça. Et me laisser du temps, c'est trop demandé ? Trois semaines. Pourquoi ça ne suffit toujours pas ?
Essuyer un deuil s'avère plus compliqué lorsqu'il nous touche d'aussi près. On ne parle pas du décès de Charlie, oncle au sixième degré en partant de la gauche généalogiquement parlant. Non. On parle de maman...
— Dis-moi quelque chose Iliana. N'importe quoi ma surfeuse, je suis là pour toi.
Sa voix tendre me fait l'effet d'un coup de massue supplémentaire. Je m'enfonce davantage contre le matelas. Celui-ci s'affaisse sous mon poids plume, beaucoup trop alourdi par mes humeurs altérées et mes peines noyées.
J'ai tellement de choses à te dire Sally. Tellement que je ne sais plus par où commencer... Tellement de mots qu'ils se mélangent tous, se bousculant et alarmant mes sens, sensibilisant mon cœur davantage. Ce méli-mélo constant est épuisant. Tel un gouffre se nourrissant de mon énergie, les phrases s'emmêlent et se confondent. Si bien qu'à la fin, aucun son de franchit mes lèvres.
— Pourquoi tu ne veux pas parler, hein ? demande-t-elle en me relevant le menton.
Je la fixe avec insistance, souhaitant du plus profond de mon âme qu'elle puisse lire dans mon regard, les mots qui me manquent. Pourtant seule Mahé à ce pouvoir. Et je ne trouve qu'une infinie pitié dans ses yeux assombris.
— Iliana, ça va faire trois semaines que tu ne sors plus de cette chambre... Sauf pour aller au lycée, mais c'est à peine si on te remarque d'après leurs dires. Ça ne te ressemble pas du tout ça... Depuis combien de jours n'as-tu pas vu la mer ?
Elle ne mérite pas ma présence. Cette ancienne échappatoire n'est plus le reflet de mes passions. Elle n'est que le cimetière de mon bonheur. Je refuse d'approcher la cruauté qu'elle renferme. Même si pour ça, je dois disparaître avec.
— Allez, on va faire un tour toutes les deux. Et on va faire ce qu'on fait de mieux.
Je relève les yeux, complètement paniquée à cette idée. Non mais elle n'est pas bien ? Hors de question que je touche à une planche !
— Sally, c'est beaucoup trop tôt, intervient mon frère, qui nous observait depuis la porte, soigneusement appuyé contre le bois.
Cette fois il s'avance vers moi, s'asseyant à mes côtés, mes mains dans les siennes.
— Je sais parfaitement ce que je fais, continue mon amie. Vous ne m'avez pas faite venir depuis la Floride pour faire la plante verte que je sache.
— Tu vois bien qu'elle n'en a pas envie enfin !
Mon frère n'a jamais eu de patience. Encore moins lorsque ça me concerne.
— Si. Elle en meurt d'envie. Je le sais et je le vois bien. Elle a peur, c'est totalement différent. Ma surfeuse... Souviens-toi ce que tu as ressenti à la compétition la dernière fois. Le déclic que tu as éprouvé, et à quel point tu t'es amusée... Tu étais dans la même situation à ce moment-là, et tu as réussi à sauter le pas... Je sais que tu peux le faire de nouveau Iliana. Rien d'autre ne pourra te guérir, je t'assure.
Chacun de ses mots enfoncent un clou supplémentaire dans mon cœur. Ils me rappellent tous que les temps ont changé. D'autant plus qu'elle a tort. La situation était différente, car ma mère vivait. Je surfais en son nom, je surfais pour elle. Son absence me fait tout simplement prendre conscience que ça ne sert à rien, que je ne vis pas pour cette passion. La preuve, je m'en passe très bien. Si elle n'est plus là, à quoi ça sert de s'aventurer aussi loin entre les vagues ? Qui vais-je rendre fière en slalomant entre les courants ? C'est prendre un risque inutile, qui ne saura pas me rendre heureuse à nouveau. Comment pourrai-je guérir alors que je ne suis pas malade ?
Je n'ai simplement plus de maman.
— Allez ma surfeuse. Enfile un maillot de bain ! S'il faut te mettre du Coldplay pour te motiver, je le ferais !
Son air enjoué est tout simplement adorable. Alors qu'elle et mon frère sortent de mon unique refuge depuis ces dernières semaines, me laissant enfin seule, respirer un peu, je me laisse glisser contre le matelas. Je joue avec mes lèvres, soigneusement mordues entre des dents, puis me décide à bouger.
De toute façon, ils ne me lâcheront pas.
Je me change tout en observant la mer depuis ma fenêtre. Je compte mentalement les conditions, résumant les possibles empêchements météorologiques, pour finir mon étude en mesurant les risques. Mis à part mourir d'un rhume, je n'en vois hélas aucun. J'aperçois néanmoins ma partenaire de session, debout sur le bord de sa portière, en train de libérer sa planche de surf posée sur le toit de son petit van. Je soupire en la voyant, si épanouie et jolie. Le vent agitant ses petites boucles, et la lumière se posant sur sa peau déjà dorée, malgré la naissance du mois de février et ses températures négatives. Rien ne semble l'arrêter, elle et sa tenue de surfeuse non frileuse. Pas même son short délavé, ou sa petite marinière ne semblent effrayés du froid.
Je descends d'un pas lourd, reflétant mon état actuel. Aiden se lève à mon arrivée, passant sa main derrière ma tête pour m'embrasser délicatement.
Plus doucement encore, ou je risque de me briser au contact de tes lèvres, pensé-je.
— Tu es toute jolie petit oiseau, chuchote-t-il à mon oreille.
Le coin de ma bouche asséchée se retrousse furtivement, avant de retrouver sa juste place. Il tapote le bout de mon nez, sans aucune réflexion au sujet de cette fixette. Pendant plus de deux minutes, je le dévisage en silence, sans savoir quoi faire. Nos câlins et nos mardis se sont perpétués. Maintenant, ils font partis de notre quotidien. L'éphémère devient commun, perdant durant son changement toute la saveur d'une surprise. Tout est triste, maladroit et fragile. Je déteste ça.
Après m'avoir également détaillée et couvée de son regard rempli d'inquiétude, celui qui se durcit lorsqu'il glisse sur mes courbes trop fines, ou qui s'efface lorsqu'il croise mes yeux rougis... Oui, celui-ci. Qui n'ose plus se poser contre mes lèvres, qui évite mes atouts féminins de peur de me blesser. Il ose enfin m'embrasser pour de vrai. Un vrai baiser d'amoureux, et non d'enfants de dix ans. Les mains en coupe et les lèvres fermement entrouvertes contre les miennes, me coupant le souffle, m'assoiffant de nouveau.
Pourtant, ce n'est qu'une apparence. Ces symptômes amoureux se déclenchent par habitude à présent. Le reste ne suit plus. Mon cœur ne vrille plus à son contact, tout comme je ne cille plus lorsque son regard frôle le mien. Froide, presque indifférente, je joue le jeu et imite l'adolescente foudroyée par l'amour intense et l'innocence qui va avec. Un mensonge, un masque supplémentaire venant substituer mes brèves émotions, perdues dans le trou béant que son absence a causé, emportées avec elle jusque dans la tombe.
Je lui échappe la seconde qui suit, rabattant mon sweat contre moi, la capuche sur mon crâne. Mon amie me tend directement une combi, alors que l'air frais me coupe littéralement le souffle. J'aimerais prendre comme excuse la fragilité de mon système immunitaire, rappeler à tous que je n'ai pas le droit de tomber malade, et tout le reste. Pourtant, je ne dis mots, et enfile la protection. Même si je le voulais vraiment, aucun son ne parviendrait à s'aventurer hors de ma gorge.
Enfilée à moitié, et proprement pliée pour ne pas me déranger, je conserve mon haut, toujours les mains dans les poches. Sally me fixe gentiment, m'enveloppant également de regards inquiets. J'évite ses prunelles, suffoquant devant tant de peur.
Mes doigts parcourent ma planche, comme un besoin vital de me souvenir qu'elle m'appartient encore. Agenouillée devant, je gratte nerveusement mon nom, fermement décidée à faire disparaître ce prénom, pour enfin me réveiller de ce cauchemar. Pendant quelques minutes, je l'observe sous tous les angles, découvre ses couleurs les lèvres serrées, ses courbes avec un soupir froid...
Lorsque je relève les yeux, saisissant soudain le motif de cet étrange silence, je constate que mes proches m'observent, et suspendent toutes activités pour moi. Sally, appuyée sur le capot, mon frère depuis la porte, Aiden à ses côtés et mon père depuis la fenêtre du salon. Mes joues se colorent en un instant, tout comme la chaleur envahit désagréablement mon visage. J'ouvre d'un geste mon sweat, avant de quitter les lieux sous les regards de plomb.
Mon acolyte débarque sur la plage avec un sourire béat, portant sa planche avec une prestance incroyable. C'est vraiment une belle femme, et j'aimerais tant lui ressembler, rien qu'un peu ? S'étirant au bord de l'eau, agile entre les vents et fine dans sa combi mi-saison, je me sens minuscule. Assise sur le sable, recroquevillée sur moi-même et listant déjà tout ce qu'il me manque pour lui ressembler, les lèvres ensanglantées par tant de morsures successives. Avec un soupir mémorable, tremblante de froid alors qu'elle parcourt agilement l'eau grâce à ses pas, je voudrais disparaître, me transformer en une toute petite souris qui irait se cacher où bon lui semble. Cette comparaison maladive applique du sel sur mes complexes, agrandit mes plaies alors qu'elle souhaite bien faire.
J'étouffe.
Elle s'assoit finalement à mes côtés, sur le sable mouillé, et fixe l'horizon autant que moi je guette mes doigts, prête à faire un massacre sanglant sur leurs bords déjà plus qu'abîmés. Tel un véritable fauve en pleine chasse, je n'ai d'yeux que pour ses petits bords imparfaits, qui dépassent beaucoup trop pour à mon goût.
— Dis-moi ce que je peux faire, chuchote-t-elle en faisant glisser plusieurs grains de sable entre ses doigts.
Je secoue la tête de gauche à droite, tenant pour effet immédiat l'échappatoire de mes larmes. Je les essuie d'une main tremblante, me barbouillant malencontreusement les joues du sable antérieurement sur mes doigts.
Je serre encore plus les paupières, avec une jolie grimace, me faisant attaquer de tous les côtés à la fois. Le résultat est pourtant le même, j'en ai partout. Pathétique.
— Je dois bien pouvoir faire quelque chose Iliana... Je t'en prie, aide-moi. Donne-moi une piste, fais quelque chose...
Rends-moi ma mère, gémissé-je intérieurement.
M'emmener ici n'aide en rien. Je meurs sous ses yeux, sans qu'elle s'en rende compte. Je la vois partout, cet endroit est le sien et sans sa présence je ne suis qu'une étrangère putain.
— Allez, reprend-elle. On va aller dans l'eau d'accord ? Je suis sûre que ça va t'aider sweetheart.
Je ressers mes bras contre mon corps, affichant du mieux possible mon refus. Les vagues s'avancent jusqu'à mes pieds, je recule, les entrailles tordues par l'appréhension et cette nouvelle peur. Effrayée par mon propre bonheur...
Sally se lève, et me tend les mains. Avec un beau sourire, et les yeux brillants, elle agite ses doigts devant mes yeux pour me signaler sa présence. Je planque les miens derrière mes genoux levés, croisant les bras et serrant mes lèvres rougies.
— Mais, qu'est-ce que tu as fait ?! s'écrie-t-elle en se laissant brutalement tomber au sol.
Agenouillée devant moi, elle saisit rapidement mon menton de ses doigts froids. Mes lèvres au goût rouillé passent sous son regard avide, une auscultation que je n'ai pas envie de subir, sûrement pas venant d'elle. Je tourne le visage pour lui échapper, mais déjà elle saisit mes mains toutes aussi rouges, m'honorant d'un flot de paroles incompréhensibles. Un étrange nœud se forme dans ma gorge, bloquant davantage ma respiration. Ses brèves aides ne me serviront à rien, puisqu'elles sont éphémères. Se sentir mieux quelques heures ne changeront rien, ça agrandira simplement ma chute. Je veux simplement qu'on me laisse tranquille, pas qu'on me jette à l'eau sans mon consentement ! Son attention me touche, mais elle m'agace plus qu'autre chose. Les idées dans tous les sens, et les émotions en vrac, je la repousse violement. Mon absence de voix me rend dingue, et ce silence m'étouffe pour de bon. J'accompagne mon mutisme d'un coup de pied pour ma pauvre amie, comprenant dix secondes trop tard mon geste à son attention.
Celle-ci termine les fesses dans l'eau, une vague déferlant dans son dos. Elle me fixe un instant, pas tout à fait sonnée par le coup, davantage par mon action.
Je suis désolée, vraiment désolée Sally, je ne voulais pas... formulé-je.
Sans aucun résultat.
Elle se relève sans m'offrir un regard alors que je cherche le sien. Les joues barbouillées de larmes et les poings serrés, elle se retourne en direction de la maison, probablement en quête d'aide. Totalement impuissante et profondément désolée, je tends la main dans sa direction sans me relever, mais elle repart vers la falaise plutôt que vers moi.
Monstre. Tu es un putain de monstre. Une insupportable gamine incapable de surmonter un putain de deuil. Une faible qui ne sert à rien, me murmure ma conscience.
Le poison infligé par mes maux se déploie sauvagement dans mes veines, remonte mon enveloppe charnelle avant de se loger côté gauche, au plus profond de mon cœur. Mon esprit analyse et interprète chacun des mots, je craque.
Le nœud coulant dans ma gorge se ressert davantage, et je ne peux me faire plus petite. Mes bras enserrent déjà mes genoux collés à ma poitrine, et mes petits balancements avant/arrière ne me calment plus. Je laisse la peine me submerger à nouveau, cet immense tsunami de larmes et de douleur qui font un bruit incroyable. Une panique sauvage et brutale se traduisant par des couinements entrecoupés de respirations saccadées. Comment mon corps peut-il autoriser de tels sons et me priver de l'usage des mots ?!
Les lèvres dévorées et le front appuyé contre mes avant-bras, je ne le vois pas arriver. Pas avant de sentir deux bras puissants m'encercler tout entière, ses mains se nouant sur mes tibias et le dos contre son torse. Son parfum se reconnaît entre mille, Aiden le porte top souvent pour le confondre.
Frissonnant de tout mon être, je gigote pour me libérer de son emprise. Je n'ai jamais craqué de la sorte, et je refuse de le faire devant lui, de pleurer comme un bébé et de ne plus être forte. Je ne veux pas qu'il me juge...
Pourtant je me fige dans ses bras, refusant de commettre la même bêtise qu'il y a deux minutes. Ses lèvres m'attaquent subitement, en une échappée de petits baisers doux. Mes larmes coulent davantage à son contact, il me berce doucement à son tour. Mes hoquets cessent au bout d'une dizaine de minutes, toujours englobée par mon copain, qui tente sans doute de me contenir. Ma tête est bloquée par le bout de la sienne, mon regard dans le vide depuis tout ce temps, focalisé sur ma respiration et son sifflement strident. On reste assis sur la plage un long moment, blottis l'un contre l'autre. Je cherche sa chaleur, complètement gelée jusqu'aux os. Il cherche à alléger ma peine, sans brusquer quoi que ce soit.
Après une éternité, j'ose me retourner et affronter son regard. Mes yeux me brûlent, le sel et les grains logés à l'intérieur n'aidant en rien.
— Tu as du sable partout petit oiseau, chuchote-t-il avant de frotter doucement mes joues et la base de mes cheveux.
Je fixe ses pupilles, évitant l'acier froid que son regard m'inspire. J'attends qu'il ajoute quelque chose, qu'il m'explique à quel point je suis ridicule dans ce rôle d'enfant apeurée et de petite fille rongée par la tristesse. Je surveille ses lèvr...
— Je t'aime.
Un battement d'aile. Rien de plus. Quelques mots lâchés dans le vent et qui me heurtent en plein cœur. Sa sincérité me touche tellement...
— Je t'aime même comme ça. Contrairement à ce que tu penses, ajoute-t-il d'une voix douce.
Ses doigts se verrouillent contre les miens. Son regard dessine la courbe de mes doigts, pour finir sur le bord de mes ongles. Ses yeux sévères s'adoucissent, et un fin sourire s'affiche sur son minois. C'est curieux de le voir faire ainsi, malgré peine et colère. Il apporte ma main à ses lèvres, et embrasse chacune de mes petites plaies. Dans l'immédiat, je trouve ça dégoutant, surtout lorsque ses lèvres rougissent de mon sang. Sous mon air écœuré, il rit, avant de faire disparaître cette trace de son visage.
— On va trouver une solution, je te le promets petit oiseau, me murmure-t-il mal à l'aise et sans aucune aisance.
Nous sommes tous désarmés face au deuil. Proches et endeuillés, amis d'amis et conjoins. Incapable de comprendre ou de soulager cette peine, on ferait pourtant tout pour cesser d'alimenter cette tristesse qui nous étouffe.
Peu importe si mon cœur ne se bouscule plus pour attirer le sien, si mes émotions et mes mots ne lui appartiennent plus. Je glisse mes mains derrière son cou et dépose un chaste baiser à la commissure de ses lèvres, incapable de mieux viser vu ma position.
J'accepte finalement son contact, resserrant mes bras autour de lui. Pourquoi ne possède-t-il pas le pouvoir de me soulager davantage ? De lire et parcourir mes pensées pour me comprendre ?
— Ne t'en fais pas pour Sally... Elle est tout aussi démunie que nous. Elle s'en veut parce qu'elle ne sait pas quoi faire. Tu n'y es pour rien Iliana.
Les remords nichés dans ma poitrine me rongent, mais je choisis de les ignorer encore un peu. Je trouverai bien un moyen de m'excuser auprès d'elle dès que possible. Elle me connaît trop bien pour penser que j'ai voulu la blesser.
— On rentre ? me propose-t-il en me regardant droit dans les yeux.
Le projet « mettons Iliana à l'eau » est annulé ? Je lui offre un pâle sourire à l'idée qu'il respecte ma volonté de m'éloigner de la mer, et espérant qu'il comprenne qu'elle me rappelle trop la mienne. J'y retournerai pour sûr, mais pas dans l'immédiat. J'ai besoin de temps...
— Allez, on y va, avant de se changer en glaçons ! Tu n'as pas froid toi ?
Je confirme, essuyant une dernière fois mes pleurs. En un rien de temps, je me retrouve chargée sur son dos, portée comme un petit koala. Je m'accroche fermement à lui, tout en fixant ce creux laissé dans le sable, seul indice de notre présence pour ce monde si grand et insignifiant.
🌊🌊🌊
Ça fait près d'une semaine que je tourne en rond. Que je fais de mon mieux pour oublier ce qu'il se passe. Mais ce n'est pas qu'une simple douleur. Cette fois, elle ne s'estompera pas avec le temps, j'en ai bien peur... Oublier une personne que l'on a toujours connue est compliqué. Encore plus lorsqu'il s'agit d'un tel modèle, de notre repère depuis toujours.
Elle était mon soleil, et je gravitais autour d'elle depuis toujours. Retirez à la Terre son point d'ancrage et remettez en question toute sa gravité, son équilibre. Vous verrez bien comment elle réagira.
J'avais enfin le temps adéquat pour affronter mon deuil. Comme un mauvais tour joué, le soleil californien n'avait daigné s'effacer au cours des dernières semaines, affichant un temps sublime pour une peine trop grande. Aujourd'hui, une fine bruine arborait la côté pour satisfaire mes émotions. Depuis mon réveil, emprisonnée par les bras d'Aiden, j'écoutais l'eau tomber sur le toit. Comme une douce mélodie, je priais depuis ce matin pour qu'elle n'évolue pas. L'orage, très peu pour moi.
Je bouge doucement esquivant ma prison amoureuse pour m'assoir. Ce soir, ça sera le tour de garde de mon frère. Demain, encore celui d'Aiden. Le jour suivant, c'est mon père qui prendra le relai. Je n'avais plus une minute à moi. Depuis la crise de l'autre jour, les choses avaient légèrement évoluées. Je parlais beaucoup à Aiden, de ce que je ressentais. Il ne pouvait pas comprendre, mais j'aimais imaginer que peut-être, c'était le cas. Par parler, j'entends évidemment des messages écrits, des textos, ma voix toujours perdue dans de profondes abîmes inconnues. Les reprises des séances avec ma psychologue, que j'avais accepté de voir cette semaine pour commencer (trois fois, rien que ça...) avaient été laborieuses. Comment expliquer ce que l'on ressent sans phrases ? Parler de ce genre de choses est déjà compliqué pour moi, alors le faire sans mots ? Aiden aura beau faire l'interprète, parler de ce que je lui ai dit la veille ou comment je me suis comportée, ça n'aura jamais le même effet. Si je n'utilise pas ma voix pour parler sans sentir cette barrière me séparant d'eux, à quoi ça sert vraiment ? Les moments seule avec la psy étaient gênants et monstrueusement silencieux. Les enfants pouvaient dessiner, jouer au cube ou simplement décrire des images. Hors, je ne savais vraiment pas dessiner, les jeux de récréation étaient inutiles et la description de photos se résumait à des hochements de tête. Je ne sais pas ce qu'elle espère de moi, mais une chose est sûre, elle doit être déçue.
Je passe ma main dans les cheveux de mon copain, pour l'éveiller davantage. Ses boucles brunes sont beaucoup trop longues à mon goût, mais qui se préoccupe de ses cheveux alors que sa petite amie vient de perdre sa mère ? Encore un constat qui me faisait soupirer.
Je finis par bouger pour de bon, les joues rougies par cette proximité. Depuis quelques jours, des petits frissons se déclaraient sans mon autorisation, m'obligeant à enfiler des couches en plus. Je suis épuisée, j'ai beaucoup trop dormi. Ce n'est pas dans mes habitudes de dormir autant de temps, les 11h du réveil me confirmant cela.
— Coucou toi, déclare une jolie voix rauque, endormie pour le moment.
Je lui réponds par un petit geste. Avant de me lever et d'observer la petite pluie par la fenêtre. J'ai du mal à m'assoir, complètement courbaturée pour je ne sais qu'elle raison, étant restée inactive...
— Qu'est-ce que tu vas faire aujourd'hui ?
Je saisis un des livres, posé sur mon bureau, et le tends vers lui.
— Petite lecture dans un plaid, c'est pas mal comme programme je trouve.
Je hausse les épaules, et appuie mon front contre la vitre. La voiture de mon père se gare sous mes yeux, probablement avec le petit déjeuner. Ils s'imaginent que si je mange autre chose que des produits Starbucks, je vais cesser de manger. Mais ce n'est pas du tout le cas. Qu'il s'agisse d'un donut au chocolat ou d'un plat de pâtes, le résultat est le même, je n'en ai pas envie. Mais je mange sans faire d'histoire, allégeant un peu le dossier « problèmes d'Iliana Midden ».
— Sinon moi, je vais probablement aller m'entraîner au basket, merci de demander, plaisante-t-il. Et je pense que je vais aller me couper les cheveux, ça devient vital non ? J'ai trop attendu je crois !
Je confirme en souriant, ravie qu'il s'occupe enfin de lui et de toutes ces boucles désordonnées. Il se lève, et commence à s'habiller alors que je surveille l'horizon. J'enfile un autre sweat, et descends les marches à sa suite. Toute la famille parle dans le salon, des discussions qui meurent à notre arrivée.
— Hello, lance Aiden en attrapant ma main.
J'ai froid bordel. Pourquoi suis-je descendue et sortie de mon lit ?
— Salut, lance Austin depuis le canapé.
Mon père s'avance vers moi, et m'embrasse le front, bien décidé à me parler un petit moment. Je réponds oui à ses questions, hochant la tête rapidement. En visuel, mon plaid soigneusement roulé à côté de mon frère. Mais mon père semble avoir d'autres idées, et persiste à me faire la conversation, à sens unique.
— Tu es sûre que ça va ma chérie ? Tu as les yeux brillants, me lance-t-il en relevant mon menton.
Et voilà qu'il recommence.
— Papa, laisse-la un peu respirer d'accord ?
Je souris à mon frère, complice. Avant de me diriger à ses côtés, m'enroulant dans la couverture et ses bras par la suite.
— Je vais y aller moi, à tout à l'heure, nous lance Aiden, en s'approchant.
Il m'embrasse le front, en passant sa main sur mon minois avec une petite caresse tendre, puis, ébouriffe les cheveux de mon frère pour le faire râler.
🌊🌊🌊
D'un pas lent je laisse glisser mes pieds sur le parquet, jusqu'à ma chambre. Je revêts un large sweat, celui de Stanford je suppose, avant de me lisser dans un legging. La musique dans la tête, et le cœur légèrement lourd, je farfouille sous le lit et sors la boîte à chaussure, dérobée de mon ancien appartement. J'éparpille sur le sol les cassettes et souvenirs, pour accéder à la petite enveloppe dans le fond du paquet. Je fronce les sourcils, pas vraiment certaine de vouloir m'aventurer dedans. Je sais qu'elle est là depuis tout ce temps, mais je n'ai pas encore osé plonger le nez dedans. Je tourne et retourne l'enveloppe déchirée à hauteur de mes yeux, passant mes doigts sur les parties abîmées, qui ont permis son ouverture. L'adresse du destinataire est soigneusement notée dessus, me faisant tout de même plisser les yeux, les pattes de mouches étant compliquées à déchiffrer.
D'un geste pas très assuré, je retire le mot, rédigé sur une simple feuille blanche. Adressée directement à ma mère, la lettre ne prend que quelques lignes.
« Anisa,
Voilà à présent plus de six ans que tu me tournes le dos, m'annonçant nouvelles et signes de vie en me prenant pour une simple inconnue. Les choses ont été compliquées entre nous, je le conçois. Mais apprendre que j'avais une petite fille, avec une photo d'elle et quelques mots griffonnés pour m'informer qu'elle avait à présent un an... n'est plus chose possible.
Je mérite de la rencontrer, et de la connaître.
Tu n'as même pas précisé son prénom... Cette jolie petite fille est un membre à part entière de ma famille, comme William, que je cherche toujours à contacter.
Je sais bien que tu m'en veux, et que rien ne pourra effacer mon absence et ce refus de grossesse. J'ai perdu ta confiance, et je le regrette amèrement. Au quotidien. Mais voir ces deux petits grandir, et vivre loin de ma fille n'est jamais ce que j'ai souhaité.
Je t'en prie, laisse-moi revenir vers toi.
Laisse-moi rattraper mes erreurs.
Je vous embrasse,
Beth. »
Je cherche vainement une suite à ce message.
Beth ? C'est donc comme ça que se prénomme ma grand-mère maternelle ? Ma curiosité est piquée en plein cœur. Cette entrevue n'a jamais eu lieu, elle demeure une parfaite inconnue pour moi. Ma mère n'a jamais repris contact avec elle. Je réalise rapidement le calcul, et me rends compte qu'il s'agit de l'année où ma maman a tout perdu, son fils, son amour, ses repères. Elle avait probablement autre chose à faire que de renouer le lien avec sa mère, indigne.
D'un geste un peu éteint, et déboussolée par tous ces petits frissons qui grignotent mon échine, j'entre la destination dans mon téléphone. Personne ne laisse une adresse sur une lettre, à moins, parce qu'elle souhaite être retrouvée.
Je ne sais pas vraiment ce que je cherche, ou même si je cours après une éventuelle présence maternelle, mais je me décide à suivre cette « piste ». Ça ne changera rien à ce que je vis, ni à ce que je pense actuellement de celle-ci, mais c'est comme un pressentiment. Une petite voix qui me hurle d'y aller.
Prendre la voiture, serait beaucoup trop compliqué et voyant. Je ne souhaite pas être accompagnée, suivie, tenue en laisse. J'ai simplement besoin de souffler, juste quelques heures... Je m'attache les cheveux, prise de bouffées de chaleurs dues à l'impatience, et attrape mon bloc-notes.
« Partie pour quelque heures,
reviens vite.
- Iliana »
Je colle mon petit mot sur la porte de mon frère, sans oser pénétrer dans sa chambre. Il est avec Mahé, en train de bosser sur un projet de Sciences. Ils m'avaient proposé de regarder un film tous les trois, mais j'ai refusé. Encore.
Je reviens sur mes pas, et incère un « bisou » à ma furtive note. Puis, quitte les lieux dans un grand silence. Je marche sous la petite pluie un moment, jusqu'à trouver l'entrée de la gare. Demander mon chemin et un billet n'est pas franchement la chose la plus simple, les employés me prenant probablement pour une muette. Le seul point, c'est que je m'en fiche éperdument. Ils peuvent bien penser ce qu'ils souhaitent de moi, si je ne parle pas à mes proches, je ne gaspillerai pas ma voix pour des inconnus.
À l'attente de mon train, je parcours rapidement mon téléphone, répondant principalement aux messages de Sally. Mon amie m'avait quittée en début de semaine, fermement décidée à revenir avant la cérémonie d'adieu. Je lui adresse quelques mots, évasifs mais rassurants à la fois.
Avant de montrer dans le wagon, vide d'âmes, je redresse mes écouteurs et mes cheveux trempés. Le trajet dure une éternité, causée par la lenteur du véhicule et les intempéries sans doute. Un fin éraillement me tiraille les jambes, et une énorme vague de fatigue me submerge dès qu'on s'éloigne de la ville. Le ronronnement du train parcourant les rails me berce avidement, comme un repos mérité. Le regard posé sur la vitre, et la tête entre les bras, je lutte pour ne pas sombrer, malgré cette étrange bulle de chaleur qui se forme autour de moi, un soulagement soudain et une familière impression de bien-être prennent possession de moi. Ma lutte acharnée est inutile, je m'endors dès que la mer disparaît de mon champ de vision.
🌊🌊🌊
Le corps complètement ankylosé, je finis par ouvrir les yeux, complètement vêtue d'un épais voile de sommeil. Il me faut trois bonnes minutes avant de comprendre ce que je fais dans un train, et pourquoi il est à l'arrêt. Même si mon regard arrive à se poser sur le panneau « Terminus » bien en évidence face à moi, mon cerveau met beaucoup plus de temps à faire le lien.
Et merde, juré-je, intérieurement.
Je déambule jusqu'à la sortie, complètement shootée et anesthésiée. Bon sang, chaque pas me fait mal, ça m'apprendra à dormir dans de telles positions.
Un peu déboussolée, je mets un temps monstrueux à trouver cette petite maisonnette bien trop accueillante et joyeuse, rayonnante malgré la pluie battante. Je vérifie une ultime fois l'adresse, avant de me planter sous le porche, à quelques mètres de la porte d'entrée.
Et maintenant Iliana ? Que fais-tu ?
C'est vrai ça. A quoi je m'attendais en venant jusqu'ici ? Que quelqu'un m'attende à bras ouvert ? Alors que la propriétaire ne connaît sans doute pas mon âge ni mon visage ?
Au moment où je m'apprête à rebrousser chemin, une fine silhouette se glisse derrière la fenêtre, et arbore quelques pas de danse contemporaine. Je cligne plusieurs fois des yeux, en voyant cette adulte heureuse, cette grand-mère épargnée par le temps et qui semble infiniment joyeuse.
Que suis-je supposée lui dire ? Ta fille est morte ? Et je suis la fille de la défunte ? Tu ne m'as jamais vue, et tu ne connais pas mon nom ?
Super. On ne peut rêver mieux comme approche. Pourtant, je m'avance davantage de la porte, écoutant un titre de Nina Simone qui survole l'habitat. Je prends mon courage à deux mains, et frappe le bois de l'une d'elle. Après quelques instants, elle s'entrouvre sur cette vielle dame, souriante.
Je ne suis qu'une simple inconnue pour elle. Et voilà que je me plante sur son palier, et m'apprête à remettre sa vie en question... Tel un fantôme du passé, je viens hanter mon aînée, jamais rencontrée ou nommée jusqu'aujourd'hui.
— Seigneur, souffle-t-elle la main sur le cœur.
Maladroitement, je me retourne, guettant qui peut bien faire jurer cette belle femme, qui a l'air tout bonnement adorable.
— Ne reste pas ici mon enfant, tu vas attraper le mal, chuchote-t-elle en déposant sa main dans mon dos, et en m'avançant dans le foyer.
Dans l'immédiat, je suis frappée par une forte odeur de cannelle, qui m'attaque de plein fouet. Je cligne des yeux, avançant à pas feutrés sur ce parquet vernis. La veille bâtisse, à la tapisserie fleurie, paraît infiniment chaleureuse. Les rideaux couleur caramel, épais et proprement papillotés dans des nœuds, les bords de fenêtres remplis de fleurs rosées... Et la vue.
A travers la vitre, se dessine une sublime digue. Lorsque mes yeux dépassent le perron, opposé à l'entrée et à son allée principale, je ne remarque rien d'autre que cette avancée sur l'océan. Comment descendre pour rejoindre l'eau et ses vagues ? Y a-t-il des escaliers ? Au loin, une grande croix de bois se dresse sur le front de mer, surmontant flots et tempêtes, légèrement brouillée par la distance et la météo capricieuse.
— Tu dois être Iliana, n'est-ce pas ?
Je relève mon regard pâle vers cette étrangère. Ses traits me sont tellement familiers, rappelant à la perfection ma maman. Je me mords la lèvre, en hochant la tête. Je distingue sur le meuble en acajou, une dizaine de portraits encadrés. Ma mère apparaît au premier plan, planche à la main et cheveux au vent. Je croirai me voir dans un miroir... Tellement intriguée, je ne peux m'empêcher de saisir l'objet et de l'approcher plus encore.
— Elle est belle, n'est-ce pas ? chuchote sa mère avec admiration.
À son intonation, je comprends qu'elles ont repris contact. Qu'elle connaît mon nom, ma vie... et tout le reste. Je la regarde un instant, sceptique. Avec délicatesse, je repose le cadre à sa place, et avale ma salive difficilement.
Elle ne sait pas pour maman...
Comment lui dire ? Lui écrire ? Comment annoncer cela à une mère ? Qu'elle a perdu sa fille ? Je ne veux pas être le monstre à l'origine de cet aveu. Et pourtant, je ne souhaite pas mentir à cette femme, qui a l'air... Infiniment douce et protectrice.
J'inspire, avant de la suivre au salon. Elle m'invite à m'assoir, et étrangement, je me sens chez moi. Ma mère a vécu ici, je le vois, je le sens... Et je reconnais. Elle m'a décrit cette maisonnette en long, en large et en travers. Via de petites anecdotes, des histoires enivrantes ou encore des souvenirs émouvants qu'elle me contait avant de nous endormir, blotties l'une contre l'autre sous les couvertures. Ma grand-mère dépose devant moi une tasse fumante. L'odeur de la camomille me monte au nez, mêlée à celle de la crème, fraîchement fouettée pour le goûter. Je souffle dessus, dissipant la fumée vers elle. Je n'aime pas particulièrement le thé, mais ce n'est pas le moment de faire ma difficile. Je suis gelée jusqu'aux os, et mon sweat est trempé. Un peu de chaleur ne se refuse pas.
Je rate un battement, si ce n'est deux, lorsque je comprends qu'elle me fixe. Ses yeux tombent sur mes joues, et parcourent mon visage. Elle me sourit immédiatement, désireuse d'instaurée une confiance sans doute... J'inspire une nouvelle fois, avant d'entrouvrir les lèvres, les yeux rivés dans ma boisson.
— Elle est... elle est morte. Désolée.
Ma voix, ne m'appartient plus. Les sons qui s'en échappent semblent être sortis d'un profond sommeil, mélangés à la tonalité d'un malade de la grippe. Ma voix rouillée, fatiguée et peu ménagée, a quand même exprimée sa présence.
J'ai parlé.
Il faut donc délivrer les pires horreurs pour qu'on me permette de m'exprimer. La vie est vraiment injuste ces derniers temps... Le sourire de mon interlocutrice ne faiblit pas. Qu'est-ce qui lui prend à celle-là ?
— Je sais. Et c'est moi qui suis désolée ma grande.
En même temps, à quoi je m'attendais... Evidement qu'elle est au courant, c'est quand même sa mère... Bon sang, qu'est-ce que je fais là...
— Et si je nous mettais un peu de musique ? Qu'en penses-tu ? Nina Simone est bien gentille, mais je suis certaine que ce n'est pas ton genre ! Attends donc d'écouter celle-ci, c'est ta maman qui me l'a faite découvrir en souvenir du bon vieux temps !
D'un mouvement léger, elle migre vers un nouveau meuble, avant de changer la mélodie ambiante. Mes doigts se crispent sur la tasse, avant d'en avaler le contenu. Le nectar sucré me brûle la gorge, mais elle ravive un peu ma faible énergie. Je pourrai partir tout de suite... Mais pourtant, quelque chose me dit de rester auprès de cette femme. Après m'être imposée chez elle sans y être invitée, faire connaissance serait probablement la moindre des choses. Je ne veux pas paraître impolie et m'éclipser comme une voleuse après cette apparition.
Les premières notes s'échappent de l'engin, me faisant immédiatement lever les yeux vers mon aînée. Comment ?
https://youtu.be/RRxbaciC69A
(Le vent nous portera, Sophie Hunger)
Les sombres vibrations successives, monopolisent mes pensées. J'ai toujours cru que cette mélodie tissait un lien étroit entre ma mère et moi, qu'elle était notre tout, notre hymne et nos couleurs. Finalement, l'équation est plus complexe, pour une résolution plus incroyable encore. Un énoncé truqué, chevauché de nouveaux facteurs et d'une génération supplémentaire, étonnant plus d'un. Une surprise agréable, alimentant le symbole qu'est cette musique.
Je n'ai pas peur de la route
Faudrait voir, faut qu'on y goûte
Des méandres au creux des reins
Et tout ira bien
Les larmes aux yeux, j'écoute sa douce voix me parler de sa fille, de son enfance merveilleuse et de sa disparition brutale. Je me laisse bercer par cette maman victime de la même peine, qui me comprend mieux que quiconque. Avec des sourires et des pleurs, je lui délivre de fines anecdotes à voix basse, éraillée par son hibernation et remplie d'une grande émotion. Nos impressions s'emmêlent et s'entrechoquent, jusqu'à unir nos voix sur un même point : nous avons toutes les deux perdues un être cher.
Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera
Telle une ombre dans les couloirs, bercée par la mélodie saisissante, je découvre le passé de ma maman, sa chambre, ses racines. Jamais je ne me suis sentie aussi proche d'elle, ses doigts effleurant presque les miens, tout comme son odeur, envoutant l'ensemble des pièces autour de moi. Mes mains effleurent ses affaires tout comme mes yeux pleurent son absence.
Le vent les portera
Seule, je suis sa trace, avançant vers cette immense croix qu'elle m'a décrite tant de fois. Sous une pluie battante, et grâce aux indications maternelles, je forge mon chemin jusqu'au sommet de la falaise, bouffée d'une envie de vivre, fouettée de nouveau par l'air marin. Marchant dans ses pas, découvrant ses repères, je trouve les miens dans ce paradis inconnu.
Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera
Je tremble de tout mon être dans le vent froid, ricochant et s'écrasant sur les hautes parois de la falaise. Les pieds nus dans les grains humides, j'avance le long du rivage. L'eau grise grignote avidement le sable et sa plage, faisant rouler ses petites billes les unes sur les autres. Le mauvais temps colore de nuances pâles ciel et terre, l'écho des vagues se répercutant contre les falaises. Le clapotis de l'eau me berçait depuis toute petite, pourtant ici, il sonnait différemment. Ma mère avait trouvé ici un véritable havre de paix, et elle était tombée amoureuse de la mer, en ces lieux.
Cette plage encerclée de grands rochers avait le pouvoir de soigner ses maux, de la faire vibre comme Santa Monica le faisait pour moi. D'une beauté infinie, son petit nid douillet semble me tendre les bras. En plissant les yeux davantage, m'agenouillant plus bas encore, je caresse le sol, passant le sable entre mes doigts. Jamais je n'en ai vu d'aussi blanc.
Ce parfum de nos années mortes
Ceux qui peuvent frapper à ta porte
Infinité de destin
On en pose un, qu'est-ce qu'on en retient ?
Avec un petit sourire ému, déjà nostalgique de cet endroit si reposant, la tête contre la vitre, je regarde le paysage défiler calmement. Le chemin du retour engagé, je laisse couler mes larmes en me promettant de revenir sur mes pas, pour savourer cette proximité avec sa jeunesse. Elle ne supporterait pas de me voir ainsi. Comme un déclic soudain, je pleure son absence sans pour autant lui en vouloir. Elle me manque, et elle me manquera toujours. Mais mettre ma vie en suspend à cause d'elle, est tout sauf une preuve d'amour.
Alors je ferme les yeux sagement, retenant mon souffle en serrant contre moi un souvenir d'elle. Et accepte ce tournant. Je la laisse partir en paix, imaginant que le vent l'emporte tendrement vers un endroit parfait.
Vivre pour nous deux.
Vivre en son nom.
C'est tout ce qu'il me reste.
🌊
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Hey ! Bonjour à tous !
Voici un nouveau chapitre cette semaine, long et rempli d'informations !
Qu'en avez-vous pensé ?
Comme vous pouvez le voir, les semaines passent, mais Iliana reste dans le même état...
Comment avez- vous trouvé l'intervention de Sally ? A-t-elle bien fait de la pousser un peu à bout pour la faire réagir ?
Poussée dans ses retranchements, Iliana ne réponds pas de la même manière, ce qui a eu l'effet de la faire craquer...
Que pensez-vous de sa réaction ? De l'aide d'Aiden ?
J'ai bien aimé écrire ce moment malgré tout, car les deux amoureux ne sont plus le "sujet central" ces derniers temps... Même si c'est compliqué, une petite touche de romance ne fait jamais de mal !
Dans une seconde partie, Iliana a ce besoin un peu étrange de partir à la rencontre de sa grand-mère, un petit peu sur un coup de tête...
Malgré tout, ce petit voyage lui permet de suivre les traces de sa maman, de lui faire prendre conscience de la situation et de lui arracher quelques mots !
Qu'en avez-vous pensé ? L'atmosphère était un peu particulière, mais cette rencontre fait chaud au cœur, non ? Sans oublier l'ultime moment musical, vous a-t-il plu ?
Même si ça sera difficile et long, on peut dire qu'une prise de conscience s'opère dans la tête de notre petite surfeuse, un bon début, vous ne croyez pas ?
On se retrouve la semaine prochaine pour la suite, du point de vue d'Aiden cette fois !
Bonne fin de week-end et bonne vacances à ceux qui le sont !
Des bisous, Lina 😘
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