Chapitre 75 🃏
« Elle ne reviendra pas. »
🃏 Austin 🃏
Je me retourne dans un mouvement dépourvu d'élégance, pour terminer sur le ventre, blotti contre le matelas. Contrairement à sa délicatesse à elle, je passe sans ménagement ma main dans ses cheveux bruns. Les rayons du soleil perlent depuis la fenêtre, s'infiltrant illégalement entre les lattes du volet pour venir embêter mon étoile, le nez encore enfoui sous l'édredon. Elle est déjà éveillée, ses deux iris bleus nuit me dévorent avec intensité. Mon bras glisse jusqu'à sa taille, et se verrouille une fois soigneusement enroulé. Son visage pâle se dépose à quelques centimètres du mien, nos nez se touchant presque. Pris d'une subite envie de la manger toute crue, je me contente d'embrasser le coin de son œil, mes lèvres déposées entre sa paupière et sa pommette humide.
— Qu'est-ce qu'il se passe Mahé ? demandé-je en écartant le drap de son minois pour mieux l'examiner du regard.
— Rien, il ne se passe rien du tout.
Elle se redresse noblement, étirant sa nuque dans un fin mouvement. Avant de finir sa route entre mes bras, le menton appuyé contre mon torse.
— Tu es sûre ?
— C'est... à cause de tout ce qu'il se passe en ce moment. Je ne suis plus vraiment sûre de vouloir aller à New York. Ni même à Julliard, souffle-t-elle.
Si l'oreiller n'avait pas été callé contre mon dos, j'aurais probablement fait un bon de plusieurs mètres en arrière. Ai-je bien entendu ?
— Pourquoi tu dis ça ? C'est normal d'avoir des doutes, mais c'est ton rêve depuis toujours de devenir une étoile... Il faut que tu t'y accroches Mahé.
— Je ne sais pas. Je ne sais plus ce que je veux vraiment. Avoir des rêves, c'est bien, mais il y a plus important, non ? C'est égoïste de ma part de m'enfuir de la sorte, et de partir dans un autre État. Loin de mes proches, de mes parents...
Son regard se voile d'une brume larmoyante. Je n'ai pas besoin d'en demander plus, j'ai déjà compris. Les circonstances s'y prêtent, tout comme la funeste journée qui nous attend. Je serre davantage mon étreinte, avant de murmurer :
— Tu sais, c'est comme cela que les choses fonctionnent. Les enfants deviennent plus grands, et ils finissent par quitter le nid. Tu n'as pas à avoir peur de ça Mahé. Tu seras une très bonne danseuse, et une New Yorkaise incroyable. Tout comme tu es une fille remarquable. Tes parents sont parfaitement conscients que ce jour va finir par arriver. C'est normal de prendre son envol, surtout à notre âge. Je suis sûr qu'ils sont fiers d'avoir une fille qui a autant d'ambition et la tête remplie de rêves, comme toi.
Elle hoche le visage, en frottant rapidement sa frimousse.
— Anisa était comme une seconde mère pour moi. J'ai l'impression de perdre un membre de ma propre famille. Et je ne sais pas quoi faire. Je suis tétanisée dès qu'il s'agit d'exprimer quoi que ce soit sur ce sujet. Mes messages avec Iliana tournent en rond, je ne sais pas quoi dire, je n'ai pas les mots. J'ai l'impression d'être complètement impuissante, de ne pas pouvoir la soutenir. Je ne sais pas la rassurer et d'ailleurs comment peut-on faire une chose pareille ? Elle a perdu sa maman. Rien de ce que je lui dirai ou de ce que les gens penseront ne la soulagera. Je ne suis même pas capable d'écrire un foutu discours sans fondre en larmes, alors imagine m'adresser devant tout le monde à côté du cercueil ? J'en suis tout simplement incapable Austin. Mais je ne veux pas qu'elle pense que je l'abandonne, ou que la disparition de sa mère ne me touche pas alors que c'est tout le contraire...
— Iliana comprendra tu sais ? Elle ne se préoccupera pas de compter qui fait un discours ou non. Elle a simplement besoin d'un sourire, d'un petit geste venant de toi et de ses proches. Elle a besoin qu'on lui rappelle notre présence, tout en la laissant souffler.
— Tu ne la laisses pas beaucoup souffler pourtant, constate-t-elle doucement.
— C'est différent. Je vis avec elle. Je vois tout ce que toi et les autres ignorez. Les bêtises qu'elle fait, sa manière de se cacher dans un coin, de pleurer sans qu'on puisse la voir, et constater à quel point elle étouffe à cause de cette situation qui la dépasse et ce putain de silence. Je ne lui laisse plus une minute à elle, parce que je ne veux pas qu'elle sombre. Je préférai qu'elle souffre le martyr une bonne fois pour toute et qu'elle se relève ensuite, plutôt que de la voir s'éteindre de jour en jour et de devoir la ramasser un peu plus à la petite cuillère chaque nuit.
— Oui, je comprends, murmure-t-elle en baissant les yeux.
— Et puis de toute façon, je suis son frère. Je l'étouffe si je veux ! ajouté-je ironiquement avec un petit sourire pour la convaincre.
Mon cœur chavire doucement au moment où je la sépare de moi. Je sais qu'elle aimerait que je reste plus. Une nuit par semaine, c'est peu pour nous et c'est compliqué d'entretenir une relation comme si nous ne vivions pas dans le même pays. Mais elle a été la première à me repousser, mécontente parce que je suis venu un jour supplémentaire alors qu'Iliana était seule à la maison. Ce jour-là, elle m'a tout simplement embrassé, me chuchotant que je n'avais rien à faire auprès d'elle et qu'elle était tout à fait capable de comprendre.
L'époque où seule l'organisation de nos fêtes d'anniversaires était un problème me manque... Aujourd'hui plus question de joie, de rassemblement ou de cadeaux. Mon anniversaire n'a pas et ne sera pas célébré cette année, je n'ai même pas osé rappeler que lundi dernier était la date de ma naissance. Mes parents et quelques amis se sont bousculés pour me le souhaiter, rien de plus.
— Combien de jours a duré votre petite guerre ? changé-je de sujet.
Un sourire malicieux s'affiche sur ses lèvres.
— Huit. Et c'est un record, crois-moi. Elle m'en voulait vraiment à mort.
— Je suis content que ce cirque soit terminé, lui dis-je en enfilant un haut.
— Moi aussi, répond-elle en se massant énergiquement les tempes.
Je la regarde avec un petit sourire. Celle-ci enfile un sweat à moi, au vu de sa taille et de son logo de basket, puis migre vers la salle de bain en m'embrassant sur le chemin.
Je la suis des yeux, avant de jeter un rapide regard vers mon téléphone. Il est à peine 10h et pourtant, je sais que le debrief quotidien m'attend en petits messages. Tout en rassemblant les vêtements semés pendant la nuit, je lis avec attention les textos d'Aiden. Fort heureusement, notre jolie blonde dort toujours à cette heure-ci, et n'a pas fait des siennes pendant la nuit. Telle une petite fille surveillée à tour de rôle, Aiden et moi en partageons la garde depuis le drame. Une garde alternée qu'on respecte volontiers, effrayés à l'idée de laisser notre Iliana seule la moindre minute.
Après lui avoir envoyé un rapide « j'arrive », et embrassé une Mahé toute mouillée dans sa douche à l'italienne, je pars de chez cette dernière pour aller acheter de quoi déjeuner. Ma sœur, habituellement gourmande et souriante, se renferme de jour en jour sur elle-même, au rythme des mots qui s'effacent sur ses lèvres ternes. L'appétit ne se déclare plus, tout comme sa joie s'est envolée, sans billet de retour à l'horizon. Je sais particulièrement qu'un cookie ne changerait rien à sa situation. Et pourtant la voir croquer dedans avec un haut-le-cœur, puis me sourire uniquement pour me faire plaisir, me rassure.
L'atmosphère pesante de la maison est probablement la pire chose à supporter. D'habitude lorsque l'air est aussi lourd, il nous suffit d'ouvrir l'une des baies-vitrée pour laisser l'air marin se charger de balayer tout ça. La villa qui surplombe la mer nous le permet aisément. Pourtant, nous étouffons toujours de la même manière. Nous retenons tous notre respiration, en attendant qu'Iliana retrouve la sienne.
— Hey ! Je suis rentré, lancé-je depuis l'entrée.
Ma petite sœur passe devant moi, me marchant sur les pieds sans relever le menton de ses chaussettes impaires. Je ne fronce même plus les sourcils, tant son attitude est devenue normale ces derniers temps. La morosité de la famille l'atteint en plein cœur, et déteint sur elle avec une facilité déconcertante. Mes doigts glissent furtivement entre ses mèches sombres, et voilà qu'elle se retourne déjà en un sursaut incontrôlé. Le chaton de la famille est redevenu aussi sauvage qu'auparavant, nos efforts d'apprivoisements ne rimant plus à rien. Ce petit chat sort à présent les griffes à la moindre approche, au moindre regard.
Et malgré tout, elle n'est pas la priorité.
Le vrai problème se trouve à l'étage, qui gagne plusieurs degrés de jour en jour. Telle une boule de feu qui se prépare à nous arriver dessus, une véritable bombe à retardement prête à exploser.
Sa chambre est vide au premier regard, et c'est finalement dans la salle de bain que je les retrouve tous les deux, elle assise sur le lavabo les mains sur les cuisses, Aiden, devant elle et encerclé de ses jambes nues, en train de tapoter avec sérieux et attention son visage à l'aide d'un mouchoir ensanglanté.
— Bah alors ? Qu'est-ce que tu lui as fait à ce petit nez ? lance-t-il doucement. Moi qui le trouve si mignon, et à croquer ?
Elle lui sourit, avant de reprendre la compresse entre ses doigts et de la plaquer de plus belle contre sa peau.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ? Je ne peux pas vous laisser plus de cinq minutes sans que vous vous tapiez dessus ou quoi ? répliqué-je avec malice.
— Elle saigne du nez, rien de bien grave, m'explique Aiden. C'est sûrement le stress.
Il soulève le menton de ma sœur en lui demandant si ça va aller. Cette dernière confirme en descendant de son perchoir, puis m'embrasse très furtivement sur la joue avant de filer dans sa chambre telle une ombre glissant sur le parquet.
— Est-ce qu'elle a parlé ? demandé-je soucieux en l'observant de loin.
— Pas un mot. Rien que des larmes, avoue mon meilleur ami la tête basse.
Je soupire, avant de lui taper gentiment l'épaule. Un signe affectif qu'on se permet de nouveau depuis quelques jours. La réalité est la même pour nous que pour les filles. Ce n'est pas le moment de se disputer ou de se faire la tête. Iliana n'a pas besoin de ça ni de pression supplémentaire.
Alors on oublie, et on recommence.
— Je t'ai laissé un latte sur la table du salon, lui indiqué-je en quittant la salle de bain où nous sommes encore figés comme deux pingouins.
— C'est gentil. Tu me tiens au courant s'il y a un problème ? Sinon on se rejoint à 13h30 comme prévu.
— On fait comme ça, à tout à l'heure.
Je rejoins ma sœur, assise sur le lit, le menton entre les paumes et les yeux rivés sur la fenêtre. Je m'installe à sa gauche, et suis son regard. Elle semble obnubilée alors que je ne vois ici qu'un simple rebord de fenêtre usé, où git une petite quantité de cire d'une bougie blanche, écrasée et brisée contre le bois du cadre.
— Ça va honey ? murmuré-je en plaçant doucement une main sur son dos.
Elle hoche la tête, avant de me dessiner un petit sourire.
— Je t'ai trouvé quelque chose à manger, pour prendre un peu des forces.
Pour une fois, elle ne lutte pas. Elle prend le paquet, l'ouvre, et mange sans faim son donut au chocolat blanc. J'ose m'approcher de nouveau, passant mes bras autour de sa taille et m'accroche à elle telle une bouée, un repère. Comme pour me convaincre qu'elle ne m'a pas encore échappé. Qu'elle ne s'est pas encore enfuie. Ma joue se dépose sur son omoplate, soulevée au rythme de sa faible respiration. Je reste un moment ainsi, à sentir chacune de ses larmes couler alors qu'elle peine même à terminer sa bouchée. Elle ne veut pas que je la voie pleurer, alors je respecte son choix, en symbolisant juste ma présence par le poids supplémentaire que je dois représenter à cet instant.
Elle finit par tapoter doucement mon bras, pour me demander de quitter ma position de repos. Iliana ne se sépare pas pour autant, elle attrape mes mains au vol et les places respectivement sur ses deux épaules.
— Tu ne profiterais pas un petit peu de la situation par hasard ? soufflé-je le sourire aux lèvres.
Elle se contente de basculer sa tête en arrière, et de me regarder avec un petit air de chien battu, sa moue d'enfant fermement peinte sur son visage.
Comment résister à cette demande, alors que ses deux yeux me supplient de la soulager de je ne sais quel mal ? Alors qu'elle est juste là, sous mon menton ?
— Pas longtemps, faut pas exagérer, je suis pas à ton service non plus.
Je la vois sourire furtivement, dans le reflet de la fenêtre ensoleillée. J'entreprends mes premiers mouvements, à l'aide de mes doigts appuyant sa peau blanche. Ses épaules comme ses muscles, tendus tel un arc fermement décidé à tirer sa flèche, se détendent progressivement sous mes caresses. Des doigts de fée, je ne sais pas, mais un petit moment de détente pour elle, je vous l'affirme. Elle prend un malin plaisir à savourer ce massage improvisé, tout comme je souris à l'idée de l'approcher un petit peu. Au bout d'un moment, elle finit par se lever, s'étirant les bras avec satisfaction.
— Tu sais ce que tu vas mettre ou pas encore ? murmuré-je tout de même.
Elle confirme, sortant une petite robe noire en dentelle qu'elle suspend juste devant mon regard. Son maquillage sera probablement aussi sombre, reflétant à la fois le deuil et la teinte de son âme en ces jours particuliers.
— Tu seras parfaite honey, assuré-je tristement. Vraiment parfaite.
Elle me sourit timidement. Une petite esquisse remplie de tristesse et un regard qui se voile dès qu'on approche trop près de ce sujet-là.
— Il faut que tu manges quelque chose avant de partir, et il est déjà 12h... Tu veux une assiette de macaronis ? Je te les prépare pendant que tu vas à la douche si tu veux...
Elle accepte, avant de disparaître dans la salle de bain. À l'entendre, elle se fait apparemment couler un bain. La porte soigneusement laissée entrouverte, chacun de ses mouvements raisonnant dans l'ensemble de la maison, juste au cas où...
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La brise sur le haut de la colline se fait plus importante. Je regarde un dernier instant l'horizon, le cœur déjà aussi lourd que les pas de ma sœur. Les vagues s'écroulent avec délicatesse et élégance sur le rivage en contrebas, tel un vieux film muet. Les doigts de fée de Mahé me caressent la nuque, en un petit geste rassurant qui me fait prendre une nouvelle inspiration.
— Il faut y aller. Ils nous attendent pour fermer les portes, souffle-t-elle tout bas.
Je hoche le visage, avant de saisir fermement sa main, comme pour me donner le courage d'avancer jusqu'à l'établissement sacré. Sous son porche, la jeune endeuillée fait bonne figure, vêtue d'un sourire rayonnant et d'une beauté sans pareil. Serrant les mains, rendant les caresses ou répondant aux embrassades, elle fait preuve d'un sang froid et d'un calme admirable. Elle nous aperçoit, et nous offre un petit signe de la main et un pâle sourire.
Je l'admire tellement bordel.
Le froid de cet endroit me ronge dès mon entrée, malgré les couronnes de fleurs qui égaillent autant que possible l'hôtel, nous faisant presque penser à un printemps nouveau au milieu du mois de janvier. Une fine mélodie s'efface en arrière plan, nous laissant seul avec peines et remords.
La jolie blonde, soigneusement maquillée et coiffée avance le long de l'allée, déambulant finalement dans une élégante combi de soie. Le bleu foncé tranche avec ses mèches, tout comme le contour de ses yeux assombris à leur tour. Une paire de lunettes de soleil à la main, et de hauts talons claquant sur le carrelage, elle s'aventure jusqu'au premier rang, seule pour le moment.
Personne n'ose l'arrêter, ou l'encourager une nouvelle fois. Son mutisme imperturbable, avec comme seule preuve de sa tristesse ses doigts manucurés triturant les branches de son accessoire. Elle est si jolie, et jamais elle ne baisse le menton, pas même devant la photo de sa mère et son regard pétillant qui ne voit qu'elle. Aiden se lève brusquement, bousculant ses voisins assis, tout en marmonnant des excuses ridiculement inutiles. Il replace sa chemise sombre, et rejoint sa chérie sur le banc le plus proche de l'estrade.
Les mains de Mahé tremblent dans les miennes, et pourtant ce n'est pas ma place. Je n'ai rien à faire trois rangs derrière ma sœur en assistant seulement à toute la tristesse qui la ronge. Je serre doucement les doigts de ma propre copine, avant de l'embrasser sur la joue. Ni plus, ni moins, elle comprend et m'incite à rejoindre celle qui a le plus besoin de moi. D'un petit sourire, elle me couve jusqu'à ma nouvelle place, à gauche de ma sœur.
Iliana se retrouve bordée par mon meilleur ami et moi, la tête sur son épaule et ses mains entre les miennes, me souriant joliment. Un adorable petit pli se forme sur les coins de ses lèvres lorsqu'elle s'exécute, preuve d'un sourire véritable et non d'une nouvelle mascarade. Ses doigts s'agitent au creux des miens, pour combler l'attente de cette dure sentence.
Raphaël arrive en courant presque, et s'assoit sans ménagement sur ce vieux banc en bois. Le père d'Iliana vient se placer à mes côtés, me poussant davantage contre ma sœur. Celle-ci affichant un air narquois, probablement justifié par ma grimace et mon « tu m'écrases papa... ».
Entassés tous les cinq côte à côte, minuscules devant l'immense lit de bois qui surplombe l'assemblé, mis en valeur sur cette fine estrade vernie. Les églises sont bien connues pour les évènements heureux, le partage d'une nouvelle vie à deux, les promesses d'un amour éternel... On en oublie que parfois, on peut remonter l'allée bordée de ces longs bancs polis pour de mauvaises raisons, pour « fêter » la fin d'une étape, promettre une présence et une pensée qui ne nous quittera jamais, adressée à une personne aimée.
Je jette un rapide coup d'œil en arrière, écoutant d'une oreille seulement les discours et notes adressés à la jeune disparue. Mahé a déjà enfilé sa paire de lunettes, les soubresauts de ses épaules trahissant ses sentiments. Ma sœur écoute quant à elle, attentivement les dires des différentes connaissances, sans broncher ou craquer. J'oublie où je suis, pendant un instant, n'écoutant qu'à moitié pour ne pas céder à l'émoi de cette funeste situation. Les germes de fleurs défilent en un triste ballet, véhiculées au son des anecdotes heureuses et des voix brisées de leurs hôtes. Je calme les battements de mon cœur en observant l'architecture de cette enceinte, les tableaux froids et décolorés ainsi que les porches et voûtes croisées des plafonds. Tout m'intrigue, et j'en viens même à espérer qu'il existe réellement quelque chose après la mort. Un paradis reposant et aimant, prêt à accueillir quiconque digne de lui. Tout prend soudain un sens préalablement inconnu, et tout attire mon regard. Tout me distrait dans un seul but : éviter de croiser le regard de sa mère, provenant du portrait déposé sur le cercueil juste en face de moi.
Elle ne reviendra pas...
Mon père se lève, et entame un ultime discours. Vu l'heure, et le visage fermé de ma sœur, je devine qu'on approche de la fin. Ses deux joues sont barbouillées de larmes, des sanglots muets qu'elle ne délivre à personne d'autre qu'elle-même. Blottie contre Aiden, et toujours sa main dans la mienne, elle lève un regard pâle en direction de son père. Celui-ci prononce en de jolis mots proprement rédigés combien il aimait Anisa, qu'ils étaient restés en de bons termes malgré le divorce. Il explique en de belles métaphores, qu'il ne pourra jamais remercier son premier amour assez chaleureusement, ni de vive-voix, lui dire combien il est fier de la fille qu'elle a élevée, combien il la remercie d'avoir pris soin de notre Iliana lorsqu'il n'était pas assez présent pour comprendre la merveille qui se cachait à quelques maisons de la sienne.
Iliana retrouve le sourire à ces mots, un pansement qu'il applique soigneusement en adressant ses notes à son ancienne épouse, véritables regrets qu'il délivre à sa fille écartée pendant toutes ces années. Il raconte comment ils se sont trouvés tous les deux, et comment du jour au lendemain ils n'étaient plus deux, mais trois. Puis quatre, revenus à trois pour finir seulement toutes les deux. Les deux jeunes femmes les plus courageuses qu'il connaît, et je ne peux que lui donner raison... Il finit en allumant lui aussi sa bougie, qu'il dépose devant celle d'Iliana, sur le lit en bois de chêne. Les yeux brillants et les lèvres tremblantes, il se rassoit pour laisser place au maître de cérémonie qui le succède.
Dans une folie pure et dure, je romps le silence et me lève, tendant la main vers le ciel pour demander l'autorisation de parler, à mon tour. L'instant d'après, je me souviens que je n'ai rien préparé, rien noté, et que je suis incapable d'improviser quoi que ce soit, et surtout pas dans de telles conditions.
Mais voilà qu'Iliana me regarde avec ce genre de regard-ci. Celui à qui on ne refuse rien, celui qui dit ou hurle en silence « merci ». Les mains tremblantes, et le cœur à deux doigts d'imploser, je me souviens des mots d'Aiden, hier dans le véhicule. Qu'il ne suffit pas de connaître une personne pour parler d'elle, qu'on peut lui rendre hommage en évoquant ce qu'elle a simplement accompli de son vivant. C'est dans cette optique que je saisis le micro à deux mains et m'avance.
— Bonjour à tous... Je suis Austin Midden, le frère, enfin, demi-frère d'Iliana, mais on ne se considère pas comme tel...
Je panique subitement, devant tant de proches éplorés. Des larmes, des sanglots ou des câlins réconfortants, tout ce que je ne voyais pas depuis ma place me saute aux yeux à présent. Et je regrette amèrement de m'être levé.
Pourtant, lorsque mon regard croise celui de ma sœur, empli lui aussi de larmes, je ne doute plus. Ses lèvres me sourient, et elle hoche la tête, comme pour me délivrer la bénédiction dont je manquais. Je confirme à mon tour.
Oui, c'est pour toi que je parle Iliana. Toi qui a décidé de t'enfermer dans cette bulle silencieuse depuis sa disparition, un mutisme imposé qui garde ta voix en otage loin de ton corps à cet instant. Je te prête ma voix et illustre tes maux.
— Je ne connaissais pas Anisa. En réalité je ne l'ai vue qu'une fois, sur une affiche d'une compétition de surf... Et c'est ce qui m'attriste le plus aujourd'hui. De ne pas avoir eu la chance de rencontrer la mère de mon incroyable sœur. C'est pour elle que je parle aujourd'hui. Iliana a décidé de rester silencieuse pour un moment. Le temps qu'il faudra, je te promets que j'attendrai autant de temps nécessaire honey. Alors c'est vrai, les discours des proches sont importants, mais je serai bref. Je voulais simplement vous remercier, Anisa. Vous remercier d'avoir eu le courage de vous occuper de mon Iliana seule, alors que notre père s'occupait d'un autre enfant. Merci d'avoir façonnée une petite fille en une si jolie femme, remplie de valeurs simples et de principes justes. Je ne connaissais peut-être pas celle qu'on célèbre aujourd'hui, mais sa fille n'a aucun secret pour moi. Une surfeuse passionnée, une jeune femme impliquée et touchante, une sœur incroyable et à l'écoute... Une personne guidée par ses rêves et ses envies, un peu têtue parfois, mais qui a le don de me faire sourire et de me faire comprendre que quoi qu'il arrive, tout ira bien dans la vie. Et que même si le sable n'est pas toujours blanc, il finira par le redevenir. Si j'ai aujourd'hui la chance de connaître et d'aimer une personne comme elle, c'est que sa maman devait être une personne incroyable également. On ne peut pas devenir comme Iliana sans avoir un repère qui nous transmet tout et nous transforme en celle qu'elle est aujourd'hui. Tout ça vient forcément de quelque part. Et vu les discours et mots délivrés au sujet d'Anisa Midden, je crois avoir compris grâce à qui on doit ce miracle. Merci à vous de m'avoir permis de rencontrer ma petite sœur, et je vous promets qu'à présent, je prendrai soin d'elle. On sera toujours là pour elle. Et ce, pour toujours quel que soit la couleur du sable qui nous entoure.
J'éteins l'instrument, les yeux brillants de larmes à mon tour. La vue complètement floue et un bel air penaud sur le visage, deux bras puissants m'encerclent le cou, surmontés d'une épaisse chevelure blonde. Ma petite sœur fond en larmes entre les miens, qui se serrent davantage autour d'elle. Je me mets à pleurer dans ses mèches, alors qu'elle répète un flot de « merci » muets mais parfaitement lisibles sur ses lèvres. Je la serre plus fort encore, bloquant l'arrière de son crâne avec ma main. Le visage entièrement enfoui dans mon cou, le va-et-vient de sa respiration bouleversée contre moi, ses mains qui m'agrippent et enserrent mes vêtements... Je la berce avec douceur étouffant nos bruyantes lamentations jusqu'à ce que tout le monde sorte.
Après une infinité, j'ose relever son menton pour affronter peine et réalité noyées dans son regard humide. J'essuie de mes deux mains, disposées en coupe de part et d'autre de son visage, ses joues froides et ses lèvres crispées. La mine dépitée, et le cœur lourd, je lui répète une énième fois que je suis et serai toujours là pour elle, la bouleversant de nouveau en provocant une série de hoquets et de couinements. Ses paumes ne suffisent plus à effacer sa peine, les miennes non plus à vrai dire. Je me contente de l'embrasser sur le front, avant de prendre en otage sa main et de l'emporter toute entière prendre quelques bouffés d'air. Ça ne peut que lui faire du bien de respirer un peu.
On suit d'un pas lourd le cortège, tous les deux en fin de marche. Elle peine à avancer avec ses talons, qui se prennent toutes les secondes dans les fins graviers du chemin. Avec pour seul appui mon bras, nous marchons dans un silence total, jusqu'à rejoindre la pierre blanche et polie surplombant l'océan.
Iliana serre les lèvres, en fixant ce ballet de mains jetant terre et fleurs dans la fausse. Elle, une fois le reste de la famille parti, nous détaille les uns après les autres en quête d'un quelconque jugement. Son père, celui d'Aiden, sa belle-mère, son beau-père, Aiden, Mahé, ses amis proches et moi, tous face à cette réalité brutale.
Ça y est. Tout est terminé et elle ne reviendra pas, pensé-je.
Iliana relève ses mèches et décroche un long collier de son cou. Une fiole en forme de goutte d'eau disparaît dans sa main, et la débouche habilement. Elle penche la tête sur le côté, agenouillée dans l'ombre que forme la pierre tombale. Puis jette les quelques grains de sable présents dans le pendentif, au fond du trou creusé pour l'occasion. D'autres termineront le travail, cèleront une bonne fois pour toute cette tombe. Celle de son frère, celle de sa mère. Elle replace d'un petit centimètre sa plaque, portant la morale de sa vie. « Le sable reste toujours blanc, je t'aime maman ». Puis, d'un air perdu, elle quitte l'hypothétique présence de sa mère, pour rejoindre les bras de notre père, bien présents cette fois. Je retourne avec elle chez nous, loin de ces deux regards heureux qui dorénavant, nous couvent depuis le ciel.
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— Maman ? Tu es là ? appelé-je à voix basse depuis le salon.
La maison est tellement silencieuse, c'est de plus en plus oppressant. Les lumières sont closes, et la nuit déjà avancée. Pourtant il n'est pas si tard que ça, c'est simplement que l'horrible journée passée à besoin d'être oubliée, perdue et effacée dans un mélange de songes doux et parfaits qui nous feront oublier ces maux. Je renouvelle mon appel, sans oser entrer dans la chambre parentale.
— Austin ? Qu'est-ce qu'il y a mon chéri ?
La jeune femme brune se glisse hors de la pièce, en refermant les pants de son peignoir en soie contre elle. Les yeux brillants également, touchée en plein cœur par la situation qui vient de séparer une enfant de sa maman.
Je lui tends les mains pour qu'elle les saisisse, malgré son regard interrogé. Finalement, je stoppe mon geste et l'attrape pour la blottir contre moi. Le grand garçon que je suis se fissure, et redevient l'enfant brisé par son père et son absence, le petit qui ne cherche que le réconfort maternel. Mes un mètre quatre-vingt-cinq s'estompent, tout comme ma forte carrure, qui devient aussi fragile qu'une petite plume dans le vent.
— Je t'aime maman, murmuré-je contre elle. Je t'aime tellement et je m'en veux de ne pas te l'avoir dit avant. Pardonne-moi, je t'aime tellement.
Ses bras délicats m'enserrent enfin, et je retrouve sa merveilleuse capacité à me bercer de gauche à droite, de me faire oublier la douleur et la peur.
— Moi aussi je t'aime mon chéri, mon petit garçon à moi.
Comment ai-je pu oublier le doux son de sa voix ? Ses mots rassurants et sa présence vitale à mes côtés ? Les instants passés rien que tous les deux, seuls contre le reste du monde ? Les fois où elle s'est interposée devant moi pour recevoir les coups à ma place ? De peur que mon géniteur m'achève avant elle, pour de bon ? Comment ai-je pu oublier ce courage qui l'anime chaque jour, et celui qui l'a animé lorsqu'elle est venue une nuit, m'arracher de mon lit pour le fuir ? Cette bienveillance qu'elle m'offre en m'expliquant que chercher à voir mon père est une bêtise immature, et que ces hommes-là ne changent pas ? Les jugements qu'elle a effacés lorsqu'elle m'emmenait sur son lieu de travail, munie de crayons de couleur pour m'occuper durant son service ? Son jeune âge et son insouciance envahis par un petit être imprévu, et pourtant tant aimé...
Faut-il réellement que de tels événements nous rappellent combien nous avons la chance d'avoir des proches aimants et attentionnés ? L'adolescence ne devrait jamais nous hurler qu'aimer ses parents est une chose ridicule, alors que c'est la moindre des choses, face à tout ce qu'ils font pour nous...
Les yeux de nouveau baignés de larmes, et un sourire radieux sur le visage, elle m'embrasse en se haussant sur les pointes des pieds pour m'atteindre. Un constat qui la fait rire et qui me fait prendre conscience qu'elle est belle. Et que j'ai une chance incroyable de l'avoir.
— Merci pour tout, maman. Merci.
Elle calle ses mèches brunes derrière son oreille, en serrant mes mains dans la sienne. Visiblement conquise et touchée par l'aveu délivré, elle me répond avec sincérité qu'elle est fière de moi, et du garçon fort que je suis malgré tout.
Parce qu'on ne saura jamais à quoi s'attendre ni ce que l'avenir nous réserve, vivre au jour le jour ne suffit plus. Toujours penser que les proches qui nous entourent ne sont pas éternels, et qu'un merci n'est peut-être rien à nos yeux, mais tout un symbole pour ceux qu'on aime.
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Hey ! Bon dimanche à tous !
On se retrouve enfin pour un nouveau chapitre, du point de vue d'Austin cette fois-ci.
Tout d'abord, je tenais à m'excuser auprès de vous, et à vous donner la raison de mon absence. Ceux qui me suive sur Instagram (_arwenstories_) le savent sûrement, mais pour les autres ce n'a pas été évident de vous prévenir.
Le chapitre de vendredi dernier n'a pas été publié, comme promis la semaine précédente. J'ai eu des soucis personnels assez importants quelques jours avant, empêchant toutes corrections ou écriture, à cause du manque d'énergie et de la fatigue.
Pour le reste, j'étais tout simplement en vacances, donc pas le nez dans cette histoire, hélas. J'espère que vous comprendrez, je ne disparais jamais "comme ça"...
Bref, revenons sur ce chapitre. Il a été très compliqué à écrire, montrer la détresse d'Iliana à travers les yeux de ses proches se révélant bien plus compliqué que prévu !
Qu'en avez-vous pensé ?
Austin et les autres sont totalement démunis face à ce drame, comme n'importe qui... la situation n'est en effet évidente pour personne, et ils restent une bande d'adolescents incapables de trouver les mots justes...
Tel que je l'ai écrit, l'attitude d'Iliana est de plus en plus absente, et on a du mal à reconnaître notre petite surfeuse derrière ce fantôme. Êtes-vous d'accord ?
Forcément, ce genre d'évènement change une personne.
Comment avez-vous trouvé l'enterrement ? L'intervention d'Austin ?
J'ai trouvé logique de faire parler son frère, vu les circonstances, il était le mieux placé pour illustrer les maux de notre Iliana.
Qu'avez-vous pensé du dernier moment de ce chapitre ? Celui avec sa mère ?
On en apprend un peu plus sur ce personnage que vous aimez tant, j'espère que ça vous a plu !
Bon dimanche à tous, on se retrouve la semaine prochaine pour la suite !
Bonnes vacances à ceux qui le sont, c'est mon cas, enfin un peu de repos et beaucoup d'écriture au programme !
Des bisous, Lina 😘
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